Conseil d'État
N° 472883
ECLI:FR:CECHR:2024:472883.20240531
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Sophie Delaporte, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SAS HANNOTIN AVOCATS, avocats
Lecture du vendredi 31 mai 2024
Vu les procédures suivantes :
L'association Ouvre-boîte a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle le directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a rejeté sa demande tendant à la communication par voie de publication en ligne de différents documents, qu'elle a numérotés de 1 à 14, permettant le calcul de l'indice des prix à la consommation (IPC), et d'enjoindre à l'INSEE de publier en ligne l'ensemble des documents demandés dans un délai de quatre mois.
Par un jugement n° 2109576 du 9 février 2023, le tribunal administratif de Paris, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de l'association tendant à l'annulation de la décision implicite de l'INSEE portant confirmation du refus de communiquer la liste des familles de produits, ou " variétés ", entrant dans le calcul de l'indice des prix et des produits qui les composent (document n° 1) et la liste des agglomérations et des départements d'outre-mer dans lesquels sont effectués les relevés (document n° 2), a annulé la décision en tant qu'elle porte sur les valeurs des 30 000 indices élémentaires intervenant dans le calcul de l'indice (document n° 6), sur les pondérations retenues (document n° 7) et sur les codes sources utilisés (document n° 12) et a enjoint à l'INSEE de communiquer à l'association Ouvre-boîte ces documents dans un délai de trois mois.
1° Sous le n° 472883, par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 avril 2023 et 4 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il annule la décision de l'INSEE portant refus de communication du document n° 6, constitué des valeurs des 30 000 indices élémentaires intervenant dans le calcul de l'indice des prix et qu'il lui enjoint de les communiquer à l'association dans un délai de trois mois ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter, dans cette mesure, la demande de l'association Ouvre-boîte.
2° Sous le n° 472884, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 7 avril 2023 et 4 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'ordonner le sursis à exécution du jugement en tant qu'il annule la décision de l'INSEE portant refus de communication du document n° 6 et qu'il lui enjoint de le communiquer à l'association dans un délai de trois mois.
....................................................................................
3° Sous le n° 472984, par une décision du 15 décembre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de l'association Ouvre-boîte dirigées contre le même jugement, en tant seulement qu'il n'a pas fait droit à sa demande d'annulation de la décision par laquelle l'INSEE a rejeté sa demande tendant à la communication, par voie de publication en ligne, des documents n° 3, 4, 5, 8 et 9.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le règlement (CE) n° 223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannontin, Avocats, avocat de l'association Ouvre-boîte ;
Considérant ce qui suit :
1. Le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, la requête présentée par le ministre sur le fondement de l'article R. 821-5 du code de justice administrative et le pourvoi de l'association Ouvre-boîte sont dirigés contre le même jugement et présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces du dossier que l'association Ouvre-boîte a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a rejeté sa demande tendant à la communication, par voie de publication en ligne, de quatorze documents, qu'elle a numérotés de 1 à 14, permettant le calcul de l'indice des prix à la consommation (IPC). Le ministre chargé de l'économie se pourvoit en cassation contre le jugement du 9 février 2023 du tribunal administratif de Paris, dont il demande également le sursis à exécution dans la même mesure, en tant qu'il a annulé le refus de l'INSEE de communiquer le document n° 6 et qu'il lui a enjoint de le communiquer à l'association dans un délai de trois mois. Par ailleurs, par une décision du 15 décembre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a admis le pourvoi de l'association Ouvre-boîte contre le même jugement, en tant seulement que celui-ci s'est prononcé sur la communication des documents n° 3, 4, 5, 8 et 9.
Sur le cadre juridique :
3. Aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Selon le dernier alinéa de l'article L. 311-2 du même code, l'administration n'est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. En vertu du h) du 2° de l'article L. 311-5, ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte aux " secrets protégés par la loi ". L'article L. 312-1 du même code dispose : " Les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 peuvent rendre publics les documents administratifs qu'elles produisent ou reçoivent ". Aux termes de l'article L. 312-1-2 : " Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, lorsque les documents et données mentionnés aux articles L. 312-1 ou L. 312-1-1 comportent des mentions entrant dans le champ d'application des articles L. 311-5 ou L. 311-6, ils ne peuvent être rendus publics qu'après avoir fait l'objet d'un traitement permettant d'occulter ces mentions (...) ".
4. En vertu des articles 1er, 1 bis et 2 de la loi du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, toute enquête statistique des services publics, à l'exclusion des travaux statistiques d'ordre intérieur ne comportant pas le concours de personnes étrangères à l'administration, doit être soumise au visa préalable du ministre chargé de l'économie et du ministre compétent, ce visa ne pouvant être accordé que si l'enquête s'inscrit dans le cadre du programme annuel de travaux statistiques défini par un arrêté du ministre chargé de l'économie, si elle est prévue par une loi spéciale ou si elle présente un caractère de nécessité et d'urgence indiscutables.
5. En vertu de l'article 6 de la même loi du 7 juin 1951, sous réserve des dispositions des articles 40, 56, 76, 97 et 99 du code de procédure pénale et de celles de l'article L. 213-3 du code du patrimoine, " les renseignements individuels figurant dans les questionnaires revêtus du visa prévu à l'article 2 de la présente loi et ayant trait à la vie personnelle et familiale et, d'une manière générale, aux faits et comportements d'ordre privé ne peuvent, sauf décision de l'administration des archives, prise après avis du comité du secret statistique et relative à une demande effectuée à des fins de statistique publique ou de recherche scientifique ou historique, faire l'objet d'aucune communication de la part du service dépositaire avant l'expiration d'un délai de soixante-quinze ans suivant la date de réalisation de l'enquête ou d'un délai de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l'intéressé, si ce dernier délai est plus bref ". En outre, en vertu du même article 6, les " renseignements individuels d'ordre économique ou financier " figurant dans les questionnaires revêtus du visa prévu à l'article 2 " ne peuvent, sauf décision de l'administration des archives prise après avis du comité du secret statistique, faire l'objet d'aucune communication de la part du service dépositaire avant l'expiration d'un délai de vingt-cinq ans suivant la date de réalisation du recensement ou de l'enquête ". En vertu de l'article 7 bis de la même loi, sous réserve des dispositions des articles 40, 56, 76, 97 et 99 du code de procédure pénale, les informations transmises à l'INSEE ou aux services statistiques ministériels par une administration, une personne morale de droit public, ou une personne morale de droit privé gérant un service public en application de cet article et permettant l'identification des personnes physiques ou morales auxquelles elles s'appliquent ne peuvent faire l'objet d'aucune communication de la part du service bénéficiaire.
6. Il résulte de ces dispositions que le secret statistique, tel que défini aux articles 6 et 7 bis de la loi du 7 juin 1951, est au nombre des secrets protégés par la loi au sens de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration. Il s'ensuit que la publication en ligne de données statistiques issues des renseignements individuels protégés par le secret statistique en application de l'article 6 de la loi du 7 juin 1951 n'est possible, avant l'expiration des délais mentionnés par cette loi et quel que soit le niveau d'agrégation de ces données, qu'à la condition que les personnes physiques ou morales auprès desquelles les renseignements individuels ont été collectés, qui constituent les unités statistiques d'observation de l'enquête en cause, ne puissent pas être identifiées, directement ou indirectement, compte tenu de tous les moyens qui pourraient raisonnablement être utilisés par un tiers ayant accès aux données ainsi diffusées.
Sur le pourvoi de l'association Ouvre-boîte :
7. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le calcul de l'indice des prix à la consommation se fonde notamment sur des relevés de prix réalisés dans 30 000 points de vente, dont la liste correspond au document n° 3 de la demande de l'association. Cette liste fait apparaître le numéro SIRET, la raison sociale, le nom, l'adresse d'un point de vente ainsi que l'identité de son gérant ou de son responsable. Le calcul de l'indice se fonde aussi sur l'observation des prix d'un panier fixe de biens et de services, qui sont soit relevés par les enquêteurs de l'INSEE dans ces points de vente, soit collectés centralement en ce qui concerne notamment les sites de vente en ligne et les tarifs d'organismes nationaux ou régionaux tels que les opérateurs de télécommunications, EDF ou la SNCF. Les données brutes de collecte et les valeurs des séries " produits précis dans un point de vente donné " et des séries " tarif " collectées de façon centralisée correspondent aux documents n° 4 et 5 demandés par l'association. Le calcul de l'indice des prix se fonde encore sur des données extraites de l'enquête " budget de famille " de l'INSEE et sur des évaluations annuelles des dépenses de consommation des ménages réalisées par la comptabilité nationale, correspondant aux documents n° 8 et 9 demandés par l'association.
8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que l'enquête relative à l'indice des prix à la consommation, objet du litige, bénéficie du visa préalable du ministre compétent en application de l'article 2 de la loi du 7 juin 1951. Par suite, c'est sans erreur de droit que, par un jugement qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif a jugé que le secret statistique s'appliquait à cette enquête, sans qu'ait, en tout état de cause, d'incidence sur le jugement du litige, la circonstance que le tribunal ait également retenu que ce secret s'appliquerait à d'autres enquêtes statistiques.
9. En deuxième lieu, en jugeant qu'eu égard aux renseignements individuels ayant trait à des faits et comportements d'ordre privé ou aux renseignements individuels d'ordre économique ou financier qui peuvent être contenus dans les documents n° 3, 4, 5, 8 et 9 demandés par l'association, leur communication était de nature à porter atteinte au secret statistique, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit, dès lors que de tels renseignements sont susceptibles de permettre une identification directe ou indirecte d'unités statistiques.
10. En troisième lieu, le tribunal n'a pas davantage commis d'erreur de droit, ni insuffisamment motivé son jugement sur ce point compte tenu de l'argumentation dont il était saisi, en ne retenant pas que la communication des documents n°3, 4 et 5 aurait été possible moyennant des occultations préalables, alors qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la réalisation de telles occultations ferait peser sur l'INSEE une charge de travail déraisonnable.
11. En revanche, s'agissant des documents n° 8 et 9 sur la teneur desquels l'administration n'a pas apporté devant le tribunal d'éléments suffisamment précis, l'association requérante est fondée à soutenir que le tribunal a commis une erreur de droit en refusant toute communication sans rechercher si une communication partielle était envisageable après les occultations préalables nécessaires pour assurer l'impossibilité d'identification directe ou indirecte d'unités statistiques, compte tenu de tous les moyens qui pourraient raisonnablement être utilisés par un tiers ayant accès aux données ainsi diffusées, et sans faire supporter une charge de travail déraisonnable par l'administration.
12. Il résulte de ce qui précède que l'association Ouvre-boîte n'est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué, qui n'est pas entaché, contrairement à ce qui est allégué, d'omission de statuer, qu'en tant qu'il s'est prononcé sur la communication des documents n° 8 et 9.
Sur le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :
13. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que les enquêteurs de l'INSEE relèvent chaque mois, pour l'enquête sur l'indice des prix à la consommation, environ 160 000 prix dans quelque 30 000 points de vente, répartis dans 99 agglomérations métropolitaines et 4 départements d'outre-mer, les plus petites agglomérations ayant une population peu supérieure à 2 000 habitants et les renseignements relevés par point de vente fournissant le nom de celui-ci, son adresse et, pour chaque produit relevé par point de vente, le nom de la famille de produits, appelée " variété ", à laquelle il est rattaché, son prix et l'évolution de celui-ci. Sur la base de ces relevés, sont calculées les valeurs des 30 000 indices élémentaires, objets du document n° 6 dont la communication était sollicitée par l'association Ouvre-boîte, par agrégation des renseignements individuels au niveau à la fois des variétés et des agglomérations. Il s'ensuit que les relevés effectués par les enquêteurs de l'INSEE, qui tiennent lieu de questionnaires au sens de l'article 2 de la loi du 7 juin 1951, contiennent des renseignements individuels d'ordre économique et financier au sens de l'article 6 de la même loi, relatifs à des unités statistiques et sont, dès lors, à ce titre, protégés par le secret statistique conformément à ce qui a été dit au point 6.
14. Il ressort des pièces du dossier et des énonciations du point 8 du jugement attaqué que, pour annuler le refus de l'INSEE de communiquer le document n° 6 reprenant les valeurs des 30 000 indices élémentaires en litige, le tribunal administratif, après s'être référé à l'avis de la Commission d'accès aux documents administratifs favorable à la communication de ce document faute, selon elle, qu'il comporte des renseignements individuels relevant du secret statistique au sens de la loi du 7 juin 1951 ou d'un autre secret protégé par la loi, a écarté le risque allégué par l'INSEE d'identification de personnes en méconnaissance du secret statistique, en mentionnant en particulier la circonstance que cet institut publie mensuellement 257 indices élémentaires de variété. Toutefois, en s'abstenant de rechercher, en dépit des éléments suffisamment précis présentés devant lui par l'INSEE, si les indices en cause, compte tenu de leur niveau d'agrégation, au demeurant très inférieur à celui des 257 indices de variété précités, permettaient de garantir l'impossibilité d'une identification directe ou indirecte d'un point de vente, unité statistique d'observation de l'enquête, le tribunal administratif a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif dans cette mesure.
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans la même mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
16. Il ressort des pièces du dossier, notamment des précisions apportées par l'INSEE qui ne sont pas sérieusement contestées, que le nombre de renseignements individuels entrant dans le calcul de chacun des 30 000 indices élémentaires en litige, qui agrège des prix au niveau de la variété et de l'agglomération, peut être limité, en particulier dans les agglomérations dont la population est faible, de telle sorte que le niveau d'agrégation ne serait pas, dans tous les cas, suffisant pour garantir une impossibilité d'identification, directe ou indirecte, des points de vente dans lesquels sont effectués les relevés de prix.
17. Il ressort en outre des pièces du dossier, sans que les affirmations de l'INSEE sur ce point soient sérieusement contestées par l'association, que la publication des seules valeurs qui, parmi les 30 000 indices élémentaires en litige, ne seraient pas susceptibles de porter atteinte au secret statistique, ne pourrait être assurée par une simple extraction des bases de données de l'INSEE mais nécessiterait l'élaboration d'un nouvel outil dont la conception et la réalisation feraient, en tout état de cause, peser sur l'INSEE une charge excessive.
18. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que la publication en ligne des valeurs de ces indices élémentaires serait de nature à porter atteinte au secret statistique en violation des dispositions de la loi du 7 juin 1951. Par suite, les conclusions de l'association Ouvre-boîte tendant à l'annulation du refus de publication en ligne du document n° 6 doivent être rejetées.
Sur la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique à fin de sursis à exécution :
19. Il résulte de ce qui a été dit précédemment qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Paris en tant qu'il annule la décision de l'INSEE portant refus de communication du document n° 6 et qu'il lui enjoint de le communiquer à l'association dans un délai de trois mois.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que, dans les instances n°s 472883 et 472884, une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que demande l'association Ouvre-boîte au même titre dans l'instance n°472984.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 9 février 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé, d'une part, en tant qu'il annule la décision de l'INSEE portant refus de communication du document n° 6 constitué des valeurs des 30 000 indices élémentaires intervenant dans le calcul de l'indice des prix à la consommation et qu'il lui enjoint de le communiquer à l'association Ouvre-boîte dans un délai de trois mois, d'autre part, en tant qu'il rejette les conclusions de l'association relatives à la communication, par voie de publication en ligne, des documents n°s 8 et 9 constitués des données extraites de l'enquête " Budget de famille " utilisées pour le calcul de l'IPC, anonymisées si besoin, et des données extraites des évaluations annuelles des dépenses de consommation des ménages réalisées par la comptabilité nationale utilisées pour le calcul de l'indice.
Article 2 : La demande de l'association Ouvre-boîte est rejetée en tant qu'elle porte sur la communication de ce document n° 6.
Article 3 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Paris en tant qu'elle porte sur la demande de l'association Ouvre-boîte tendant à la communication, par voie de publication en ligne, des documents n° 8 et 9 mentionnés à l'article 1er.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 472884 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à l'association Ouvre-boîte.
Délibéré à l'issue de la séance du 17 mai 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, conseillers d'Etat et Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 31 mai 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie Delaporte
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana
N° 472883
ECLI:FR:CECHR:2024:472883.20240531
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Sophie Delaporte, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SAS HANNOTIN AVOCATS, avocats
Lecture du vendredi 31 mai 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
L'association Ouvre-boîte a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle le directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a rejeté sa demande tendant à la communication par voie de publication en ligne de différents documents, qu'elle a numérotés de 1 à 14, permettant le calcul de l'indice des prix à la consommation (IPC), et d'enjoindre à l'INSEE de publier en ligne l'ensemble des documents demandés dans un délai de quatre mois.
Par un jugement n° 2109576 du 9 février 2023, le tribunal administratif de Paris, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de l'association tendant à l'annulation de la décision implicite de l'INSEE portant confirmation du refus de communiquer la liste des familles de produits, ou " variétés ", entrant dans le calcul de l'indice des prix et des produits qui les composent (document n° 1) et la liste des agglomérations et des départements d'outre-mer dans lesquels sont effectués les relevés (document n° 2), a annulé la décision en tant qu'elle porte sur les valeurs des 30 000 indices élémentaires intervenant dans le calcul de l'indice (document n° 6), sur les pondérations retenues (document n° 7) et sur les codes sources utilisés (document n° 12) et a enjoint à l'INSEE de communiquer à l'association Ouvre-boîte ces documents dans un délai de trois mois.
1° Sous le n° 472883, par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 avril 2023 et 4 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il annule la décision de l'INSEE portant refus de communication du document n° 6, constitué des valeurs des 30 000 indices élémentaires intervenant dans le calcul de l'indice des prix et qu'il lui enjoint de les communiquer à l'association dans un délai de trois mois ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter, dans cette mesure, la demande de l'association Ouvre-boîte.
2° Sous le n° 472884, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 7 avril 2023 et 4 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'ordonner le sursis à exécution du jugement en tant qu'il annule la décision de l'INSEE portant refus de communication du document n° 6 et qu'il lui enjoint de le communiquer à l'association dans un délai de trois mois.
....................................................................................
3° Sous le n° 472984, par une décision du 15 décembre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de l'association Ouvre-boîte dirigées contre le même jugement, en tant seulement qu'il n'a pas fait droit à sa demande d'annulation de la décision par laquelle l'INSEE a rejeté sa demande tendant à la communication, par voie de publication en ligne, des documents n° 3, 4, 5, 8 et 9.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le règlement (CE) n° 223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannontin, Avocats, avocat de l'association Ouvre-boîte ;
Considérant ce qui suit :
1. Le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, la requête présentée par le ministre sur le fondement de l'article R. 821-5 du code de justice administrative et le pourvoi de l'association Ouvre-boîte sont dirigés contre le même jugement et présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces du dossier que l'association Ouvre-boîte a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a rejeté sa demande tendant à la communication, par voie de publication en ligne, de quatorze documents, qu'elle a numérotés de 1 à 14, permettant le calcul de l'indice des prix à la consommation (IPC). Le ministre chargé de l'économie se pourvoit en cassation contre le jugement du 9 février 2023 du tribunal administratif de Paris, dont il demande également le sursis à exécution dans la même mesure, en tant qu'il a annulé le refus de l'INSEE de communiquer le document n° 6 et qu'il lui a enjoint de le communiquer à l'association dans un délai de trois mois. Par ailleurs, par une décision du 15 décembre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a admis le pourvoi de l'association Ouvre-boîte contre le même jugement, en tant seulement que celui-ci s'est prononcé sur la communication des documents n° 3, 4, 5, 8 et 9.
Sur le cadre juridique :
3. Aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Selon le dernier alinéa de l'article L. 311-2 du même code, l'administration n'est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. En vertu du h) du 2° de l'article L. 311-5, ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte aux " secrets protégés par la loi ". L'article L. 312-1 du même code dispose : " Les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 peuvent rendre publics les documents administratifs qu'elles produisent ou reçoivent ". Aux termes de l'article L. 312-1-2 : " Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, lorsque les documents et données mentionnés aux articles L. 312-1 ou L. 312-1-1 comportent des mentions entrant dans le champ d'application des articles L. 311-5 ou L. 311-6, ils ne peuvent être rendus publics qu'après avoir fait l'objet d'un traitement permettant d'occulter ces mentions (...) ".
4. En vertu des articles 1er, 1 bis et 2 de la loi du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, toute enquête statistique des services publics, à l'exclusion des travaux statistiques d'ordre intérieur ne comportant pas le concours de personnes étrangères à l'administration, doit être soumise au visa préalable du ministre chargé de l'économie et du ministre compétent, ce visa ne pouvant être accordé que si l'enquête s'inscrit dans le cadre du programme annuel de travaux statistiques défini par un arrêté du ministre chargé de l'économie, si elle est prévue par une loi spéciale ou si elle présente un caractère de nécessité et d'urgence indiscutables.
5. En vertu de l'article 6 de la même loi du 7 juin 1951, sous réserve des dispositions des articles 40, 56, 76, 97 et 99 du code de procédure pénale et de celles de l'article L. 213-3 du code du patrimoine, " les renseignements individuels figurant dans les questionnaires revêtus du visa prévu à l'article 2 de la présente loi et ayant trait à la vie personnelle et familiale et, d'une manière générale, aux faits et comportements d'ordre privé ne peuvent, sauf décision de l'administration des archives, prise après avis du comité du secret statistique et relative à une demande effectuée à des fins de statistique publique ou de recherche scientifique ou historique, faire l'objet d'aucune communication de la part du service dépositaire avant l'expiration d'un délai de soixante-quinze ans suivant la date de réalisation de l'enquête ou d'un délai de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l'intéressé, si ce dernier délai est plus bref ". En outre, en vertu du même article 6, les " renseignements individuels d'ordre économique ou financier " figurant dans les questionnaires revêtus du visa prévu à l'article 2 " ne peuvent, sauf décision de l'administration des archives prise après avis du comité du secret statistique, faire l'objet d'aucune communication de la part du service dépositaire avant l'expiration d'un délai de vingt-cinq ans suivant la date de réalisation du recensement ou de l'enquête ". En vertu de l'article 7 bis de la même loi, sous réserve des dispositions des articles 40, 56, 76, 97 et 99 du code de procédure pénale, les informations transmises à l'INSEE ou aux services statistiques ministériels par une administration, une personne morale de droit public, ou une personne morale de droit privé gérant un service public en application de cet article et permettant l'identification des personnes physiques ou morales auxquelles elles s'appliquent ne peuvent faire l'objet d'aucune communication de la part du service bénéficiaire.
6. Il résulte de ces dispositions que le secret statistique, tel que défini aux articles 6 et 7 bis de la loi du 7 juin 1951, est au nombre des secrets protégés par la loi au sens de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration. Il s'ensuit que la publication en ligne de données statistiques issues des renseignements individuels protégés par le secret statistique en application de l'article 6 de la loi du 7 juin 1951 n'est possible, avant l'expiration des délais mentionnés par cette loi et quel que soit le niveau d'agrégation de ces données, qu'à la condition que les personnes physiques ou morales auprès desquelles les renseignements individuels ont été collectés, qui constituent les unités statistiques d'observation de l'enquête en cause, ne puissent pas être identifiées, directement ou indirectement, compte tenu de tous les moyens qui pourraient raisonnablement être utilisés par un tiers ayant accès aux données ainsi diffusées.
Sur le pourvoi de l'association Ouvre-boîte :
7. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le calcul de l'indice des prix à la consommation se fonde notamment sur des relevés de prix réalisés dans 30 000 points de vente, dont la liste correspond au document n° 3 de la demande de l'association. Cette liste fait apparaître le numéro SIRET, la raison sociale, le nom, l'adresse d'un point de vente ainsi que l'identité de son gérant ou de son responsable. Le calcul de l'indice se fonde aussi sur l'observation des prix d'un panier fixe de biens et de services, qui sont soit relevés par les enquêteurs de l'INSEE dans ces points de vente, soit collectés centralement en ce qui concerne notamment les sites de vente en ligne et les tarifs d'organismes nationaux ou régionaux tels que les opérateurs de télécommunications, EDF ou la SNCF. Les données brutes de collecte et les valeurs des séries " produits précis dans un point de vente donné " et des séries " tarif " collectées de façon centralisée correspondent aux documents n° 4 et 5 demandés par l'association. Le calcul de l'indice des prix se fonde encore sur des données extraites de l'enquête " budget de famille " de l'INSEE et sur des évaluations annuelles des dépenses de consommation des ménages réalisées par la comptabilité nationale, correspondant aux documents n° 8 et 9 demandés par l'association.
8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que l'enquête relative à l'indice des prix à la consommation, objet du litige, bénéficie du visa préalable du ministre compétent en application de l'article 2 de la loi du 7 juin 1951. Par suite, c'est sans erreur de droit que, par un jugement qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif a jugé que le secret statistique s'appliquait à cette enquête, sans qu'ait, en tout état de cause, d'incidence sur le jugement du litige, la circonstance que le tribunal ait également retenu que ce secret s'appliquerait à d'autres enquêtes statistiques.
9. En deuxième lieu, en jugeant qu'eu égard aux renseignements individuels ayant trait à des faits et comportements d'ordre privé ou aux renseignements individuels d'ordre économique ou financier qui peuvent être contenus dans les documents n° 3, 4, 5, 8 et 9 demandés par l'association, leur communication était de nature à porter atteinte au secret statistique, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit, dès lors que de tels renseignements sont susceptibles de permettre une identification directe ou indirecte d'unités statistiques.
10. En troisième lieu, le tribunal n'a pas davantage commis d'erreur de droit, ni insuffisamment motivé son jugement sur ce point compte tenu de l'argumentation dont il était saisi, en ne retenant pas que la communication des documents n°3, 4 et 5 aurait été possible moyennant des occultations préalables, alors qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la réalisation de telles occultations ferait peser sur l'INSEE une charge de travail déraisonnable.
11. En revanche, s'agissant des documents n° 8 et 9 sur la teneur desquels l'administration n'a pas apporté devant le tribunal d'éléments suffisamment précis, l'association requérante est fondée à soutenir que le tribunal a commis une erreur de droit en refusant toute communication sans rechercher si une communication partielle était envisageable après les occultations préalables nécessaires pour assurer l'impossibilité d'identification directe ou indirecte d'unités statistiques, compte tenu de tous les moyens qui pourraient raisonnablement être utilisés par un tiers ayant accès aux données ainsi diffusées, et sans faire supporter une charge de travail déraisonnable par l'administration.
12. Il résulte de ce qui précède que l'association Ouvre-boîte n'est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué, qui n'est pas entaché, contrairement à ce qui est allégué, d'omission de statuer, qu'en tant qu'il s'est prononcé sur la communication des documents n° 8 et 9.
Sur le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :
13. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que les enquêteurs de l'INSEE relèvent chaque mois, pour l'enquête sur l'indice des prix à la consommation, environ 160 000 prix dans quelque 30 000 points de vente, répartis dans 99 agglomérations métropolitaines et 4 départements d'outre-mer, les plus petites agglomérations ayant une population peu supérieure à 2 000 habitants et les renseignements relevés par point de vente fournissant le nom de celui-ci, son adresse et, pour chaque produit relevé par point de vente, le nom de la famille de produits, appelée " variété ", à laquelle il est rattaché, son prix et l'évolution de celui-ci. Sur la base de ces relevés, sont calculées les valeurs des 30 000 indices élémentaires, objets du document n° 6 dont la communication était sollicitée par l'association Ouvre-boîte, par agrégation des renseignements individuels au niveau à la fois des variétés et des agglomérations. Il s'ensuit que les relevés effectués par les enquêteurs de l'INSEE, qui tiennent lieu de questionnaires au sens de l'article 2 de la loi du 7 juin 1951, contiennent des renseignements individuels d'ordre économique et financier au sens de l'article 6 de la même loi, relatifs à des unités statistiques et sont, dès lors, à ce titre, protégés par le secret statistique conformément à ce qui a été dit au point 6.
14. Il ressort des pièces du dossier et des énonciations du point 8 du jugement attaqué que, pour annuler le refus de l'INSEE de communiquer le document n° 6 reprenant les valeurs des 30 000 indices élémentaires en litige, le tribunal administratif, après s'être référé à l'avis de la Commission d'accès aux documents administratifs favorable à la communication de ce document faute, selon elle, qu'il comporte des renseignements individuels relevant du secret statistique au sens de la loi du 7 juin 1951 ou d'un autre secret protégé par la loi, a écarté le risque allégué par l'INSEE d'identification de personnes en méconnaissance du secret statistique, en mentionnant en particulier la circonstance que cet institut publie mensuellement 257 indices élémentaires de variété. Toutefois, en s'abstenant de rechercher, en dépit des éléments suffisamment précis présentés devant lui par l'INSEE, si les indices en cause, compte tenu de leur niveau d'agrégation, au demeurant très inférieur à celui des 257 indices de variété précités, permettaient de garantir l'impossibilité d'une identification directe ou indirecte d'un point de vente, unité statistique d'observation de l'enquête, le tribunal administratif a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif dans cette mesure.
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans la même mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
16. Il ressort des pièces du dossier, notamment des précisions apportées par l'INSEE qui ne sont pas sérieusement contestées, que le nombre de renseignements individuels entrant dans le calcul de chacun des 30 000 indices élémentaires en litige, qui agrège des prix au niveau de la variété et de l'agglomération, peut être limité, en particulier dans les agglomérations dont la population est faible, de telle sorte que le niveau d'agrégation ne serait pas, dans tous les cas, suffisant pour garantir une impossibilité d'identification, directe ou indirecte, des points de vente dans lesquels sont effectués les relevés de prix.
17. Il ressort en outre des pièces du dossier, sans que les affirmations de l'INSEE sur ce point soient sérieusement contestées par l'association, que la publication des seules valeurs qui, parmi les 30 000 indices élémentaires en litige, ne seraient pas susceptibles de porter atteinte au secret statistique, ne pourrait être assurée par une simple extraction des bases de données de l'INSEE mais nécessiterait l'élaboration d'un nouvel outil dont la conception et la réalisation feraient, en tout état de cause, peser sur l'INSEE une charge excessive.
18. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que la publication en ligne des valeurs de ces indices élémentaires serait de nature à porter atteinte au secret statistique en violation des dispositions de la loi du 7 juin 1951. Par suite, les conclusions de l'association Ouvre-boîte tendant à l'annulation du refus de publication en ligne du document n° 6 doivent être rejetées.
Sur la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique à fin de sursis à exécution :
19. Il résulte de ce qui a été dit précédemment qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Paris en tant qu'il annule la décision de l'INSEE portant refus de communication du document n° 6 et qu'il lui enjoint de le communiquer à l'association dans un délai de trois mois.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que, dans les instances n°s 472883 et 472884, une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que demande l'association Ouvre-boîte au même titre dans l'instance n°472984.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 9 février 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé, d'une part, en tant qu'il annule la décision de l'INSEE portant refus de communication du document n° 6 constitué des valeurs des 30 000 indices élémentaires intervenant dans le calcul de l'indice des prix à la consommation et qu'il lui enjoint de le communiquer à l'association Ouvre-boîte dans un délai de trois mois, d'autre part, en tant qu'il rejette les conclusions de l'association relatives à la communication, par voie de publication en ligne, des documents n°s 8 et 9 constitués des données extraites de l'enquête " Budget de famille " utilisées pour le calcul de l'IPC, anonymisées si besoin, et des données extraites des évaluations annuelles des dépenses de consommation des ménages réalisées par la comptabilité nationale utilisées pour le calcul de l'indice.
Article 2 : La demande de l'association Ouvre-boîte est rejetée en tant qu'elle porte sur la communication de ce document n° 6.
Article 3 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Paris en tant qu'elle porte sur la demande de l'association Ouvre-boîte tendant à la communication, par voie de publication en ligne, des documents n° 8 et 9 mentionnés à l'article 1er.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 472884 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à l'association Ouvre-boîte.
Délibéré à l'issue de la séance du 17 mai 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, conseillers d'Etat et Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 31 mai 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie Delaporte
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana