Conseil d'État
N° 489337
ECLI:FR:CECHR:2024:489337.20240529
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Anne Lazar Sury, rapporteur
M. Thomas Janicot, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET, avocats
Lecture du mercredi 29 mai 2024
Vu la procédure suivante :
La société civile immobilière Cel Pires a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 29 août 2023 par laquelle la maire de Morsang-sur-Orge a exercé le droit de préemption urbain de la commune sur l'immeuble situé 37, rue Jules Ferry, parcelle cadastrée section AM n° 841. Par une ordonnance n° 2308430 du 27 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 10 et 23 novembre 2023 et les 8 mars, 29 avril et 2 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Cel Pires demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Morsang-sur-Orge la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Lazar Sury, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de la société Cel Pires et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, Goulet, avocat de la commune de Morsang-sur-Orge ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier aliéna de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. "
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Versailles que, par une décision du 29 août 2023, la maire de Morsang-sur-Orge a exercé le droit de préemption urbain de la commune sur l'immeuble situé 37, rue Jules Ferry, parcelle cadastrée section AM n° 841. La société Cel Pires se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 27 octobre 2023 par laquelle le juge des référés, saisi par cette société sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a rejeté sa demande de suspension de l'exécution de cette décision de préemption, au motif qu'elle ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre la décision litigieuse.
Sur le pourvoi :
3. L'article L. 213-2 du code de l'urbanisme prévoit que toute aliénation d'un immeuble soumis au droit de préemption urbain " est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. Cette déclaration comporte obligatoirement l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée (...). Le titulaire du droit de préemption peut, dans le délai de deux mois prévu au troisième alinéa du présent article, adresser au propriétaire une demande unique de communication des documents permettant d'apprécier la consistance et l'état de l'immeuble, ainsi que, le cas échéant, la situation sociale, financière et patrimoniale de la société civile immobilière. (...) / Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. / Le délai est suspendu à compter de la réception de la demande mentionnée au premier alinéa ou de la demande de visite du bien. Il reprend à compter de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption, du refus par le propriétaire de la visite du bien ou de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption. Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d'un mois pour prendre sa décision. Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. / Lorsqu'il envisage d'acquérir le bien, le titulaire du droit de préemption transmet sans délai copie de la déclaration d'intention d'aliéner au responsable départemental des services fiscaux. La décision du titulaire fait l'objet d'une publication. Elle est notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à la personne mentionnée dans la déclaration d'intention d'aliéner qui avait l'intention d'acquérir le bien (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que M. et Mme A... ont consenti le 30 mars 2023 une promesse de vente à M. B... et Mme C... en vue de l'acquisition par ces derniers du bien objet de la préemption. Cette promesse de vente a donné lieu à une déclaration d'intention d'aliéner auprès de la commune de Morsang-sur-Orge reçue par cette dernière le 3 avril 2023. M. B... et Mme C... ayant renoncé au bénéfice de la promesse de vente, M. et Mme A... ont consenti une nouvelle promesse de vente du même bien au même prix et aux mêmes conditions à la société Cel Pires, devant notaire, le 31 juillet 2023. Par une décision du 29 août 2023, la maire de Morsang-sur-Orge a décidé d'exercer le droit de préemption urbain sur ce bien.
5. Il résulte des dispositions de l'article L. 213-2, citées au point 3, que la mention de la personne ayant l'intention d'acquérir le bien n'est pas au nombre de celles devant obligatoirement figurer dans la déclaration d'intention d'aliéner qu'il incombe au propriétaire de faire à la mairie de la commune où se trouve le bien et n'y figure qu'à titre facultatif. Contrairement à ce que soutient la commune, M. et Mme A... n'avaient ainsi pas à renouveler la déclaration d'intention d'aliéner qu'ils avaient faite à l'occasion de la promesse de vente signée le 30 mars 2023, dès lors que la promesse de vente du 31 juillet 2023, signée antérieurement à la décision de préemption et portant sur l'aliénation du même bien au même prix et aux mêmes conditions, en laissait inchangées les mentions obligatoires. Par suite, en jugeant que la société Cel Pires ne justifiait pas, par la promesse de vente qui lui avait été consentie le 31 juillet 2023 sur le bien préempté, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre la décision de préemption, alors que l'acquéreur évincé a intérêt à contester une telle décision, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance qu'il ne soit pas celui dont le nom a été mentionné par la déclaration d'intention d'aliéner, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a commis une erreur de droit.
6. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société Cel Pires est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune :
8. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que, contrairement à ce que soutient la commune de Morsang-sur-Orge, la société Cel Pires, acquéreur évincé, justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre de la décision de préemption en litige.
Sur l'urgence :
9. Eu égard à l'objet d'une décision de préemption et à ses effets vis-à-vis de l'acquéreur évincé, la condition d'urgence doit en principe être regardée comme remplie lorsque celui-ci demande la suspension d'une telle décision. Il peut toutefois en aller autrement dans le cas où le titulaire du droit de préemption justifie de circonstances particulières, tenant par exemple à l'intérêt s'attachant à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l'exercice du droit de préemption. Il appartient au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l'ensemble des circonstances de l'espèce qui lui est soumise.
10. En l'espèce, la suspension de la décision de préemption en litige est demandée par la société Cel Pires, acquéreur évincé, dont il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce que soutient la commune de Morsang-sur-Orge, que la promesse de vente dont elle est bénéficiaire serait caduque. La commune ne justifie pas de la nécessité de réaliser le projet ayant donné lieu à l'exercice du droit de préemption dans des délais rapides et, ce faisant, de circonstances particulières de nature à permettre que la condition d'urgence ne soit pas, en l'espèce, regardée comme satisfaite.
Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée :
11. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la déclaration d'intention d'aliéner a été reçue en mairie de Morsang-sur-Orge le 3 avril 2023 et que, conformément à l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme, cité au point 3, il appartenait à la commune de faire connaître sa décision avant le 3 juin 2023, sauf à ce que ce délai ait été régulièrement suspendu par la réception par le propriétaire de la demande de la commune de visite du bien ou de communication des documents permettant d'apprécier la consistance et l'état de l'immeuble et à ce qu'il ait ensuite repris son cours, selon le cas, soit à compter de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption, soit du refus par le propriétaire de la visite du bien ou de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption, soit du plus tardif de ces événements en cas de demande à la fois de visite et de communication de documents.
12. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la commune a sollicité tant la communication de documents par un courrier daté du 1er juin 2023 que la visite du bien par un courrier daté du 2 juin 2023. Il n'est pas contesté que la demande de communication de documents a été notifiée dans des conditions régulières et que le titulaire du droit de préemption a reçu les documents demandés le 31 juillet 2023. Si la société requérante soutient que la demande de visite du bien n'a pu suspendre le délai de préemption dès lors qu'elle n'a pas été notifiée dans les conditions prévues à l'article R. 213-25 du code de l'urbanisme, la commune produisant seulement l'attestation de deux agents assermentés certifiant avoir déposé cette demande le 2 juin 2023 à l'étude du notaire du propriétaire du bien préempté, cette circonstance est toutefois, en tout état de cause, dépourvue d'incidence sur la suspension du délai dès lors que la visite a eu lieu le 9 juin 2023, date à laquelle le titulaire du droit de préemption n'avait pas encore reçu les documents demandés. Le délai a donc en l'espèce recommencé de courir à compter de la réception, le 31 juillet 2023, des documents demandés par le titulaire du droit de préemption, pour une durée d'un mois, soit jusqu'au 31 août 2023. La décision de préemption du 29 août 2023, remise en mains propres le lendemain, est ainsi intervenue dans ce délai.
13. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de préemption en litige serait tardive n'est pas propre à créer de doute sérieux quant à sa légalité.
14. En second lieu, toutefois, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 (...) ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser la mutation, le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le recyclage foncier ou le renouvellement urbain, de sauvegarder, de restaurer ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels, de renaturer ou de désartificialiser des sols, notamment en recherchant l'optimisation de l'utilisation des espaces urbanisés et à urbaniser. " Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.
15. En l'espèce, la décision attaquée se borne à faire état de la " situation stratégique " de la propriété préemptée, " à l'angle des rues desservant le secteur économique (...) et marquant la limite entre la zone à vocation économique et la zone à vocation pavillonnaire ", " à un carrefour qui nécessite de mener une réflexion pour un aménagement de qualité permettant des usages partagés " et de " l'intérêt pour la ville d'acquérir cette propriété, pour poursuivre la réflexion de restructuration du secteur UAE " en se référant aux seules " orientations du projet d'aménagement et de développement durable débattu en séance du conseil municipal du 22 novembre 2022, et notamment celles permettant d'oeuvrer pour un urbanisme plus qualitatif et plus respectueux de l'environnement mais aussi celles pour favoriser la création et le maintien d'emplois ". En défense dans le cadre de l'instruction de la demande de référé, la commune n'a apporté aucun élément ni versé aucune pièce à l'instruction, ni devant le tribunal administratif, ni devant le Conseil d'Etat en dépit de l'invitation faite aux parties en ce sens par la 1ère chambre de la section du contentieux dans la perspective d'un règlement de l'affaire en référé. En cet état de l'instruction, le moyen tiré de l'absence de justification, à la date de la décision de préemption en litige et dans cette décision, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme apparaît ainsi propre à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision.
16. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier ". Aucun autre moyen n'est susceptible de fonder, en l'état de l'instruction, la suspension de la décision attaquée.
17. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de suspendre l'exécution de la décision du 29 août 2023 de la maire de Morsang-sur-Orge, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Morsang-sur-Orge une somme de 3 000 euros à verser à la société Cel Pires au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par la commune de Morsang-sur-Orge.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du 27 octobre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles est annulée.
Article 2 : L'exécution de la décision du 29 août 2023 de la maire de Morsang-sur-Orge est suspendue.
Article 3 : La commune de Morsang-sur-Orge versera une somme de 3 000 euros à la société Cel Pires au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Morsang-sur-Orge au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société civile immobilière Cel Pires et à la commune de Morsang-sur-Orge.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 mai 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat ; M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Anne Lazar Sury, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 29 mai 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Anne Lazar Sury
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber
N° 489337
ECLI:FR:CECHR:2024:489337.20240529
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Anne Lazar Sury, rapporteur
M. Thomas Janicot, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET, avocats
Lecture du mercredi 29 mai 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société civile immobilière Cel Pires a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 29 août 2023 par laquelle la maire de Morsang-sur-Orge a exercé le droit de préemption urbain de la commune sur l'immeuble situé 37, rue Jules Ferry, parcelle cadastrée section AM n° 841. Par une ordonnance n° 2308430 du 27 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 10 et 23 novembre 2023 et les 8 mars, 29 avril et 2 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Cel Pires demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Morsang-sur-Orge la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Lazar Sury, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de la société Cel Pires et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, Goulet, avocat de la commune de Morsang-sur-Orge ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier aliéna de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. "
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Versailles que, par une décision du 29 août 2023, la maire de Morsang-sur-Orge a exercé le droit de préemption urbain de la commune sur l'immeuble situé 37, rue Jules Ferry, parcelle cadastrée section AM n° 841. La société Cel Pires se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 27 octobre 2023 par laquelle le juge des référés, saisi par cette société sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a rejeté sa demande de suspension de l'exécution de cette décision de préemption, au motif qu'elle ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre la décision litigieuse.
Sur le pourvoi :
3. L'article L. 213-2 du code de l'urbanisme prévoit que toute aliénation d'un immeuble soumis au droit de préemption urbain " est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. Cette déclaration comporte obligatoirement l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée (...). Le titulaire du droit de préemption peut, dans le délai de deux mois prévu au troisième alinéa du présent article, adresser au propriétaire une demande unique de communication des documents permettant d'apprécier la consistance et l'état de l'immeuble, ainsi que, le cas échéant, la situation sociale, financière et patrimoniale de la société civile immobilière. (...) / Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. / Le délai est suspendu à compter de la réception de la demande mentionnée au premier alinéa ou de la demande de visite du bien. Il reprend à compter de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption, du refus par le propriétaire de la visite du bien ou de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption. Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d'un mois pour prendre sa décision. Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. / Lorsqu'il envisage d'acquérir le bien, le titulaire du droit de préemption transmet sans délai copie de la déclaration d'intention d'aliéner au responsable départemental des services fiscaux. La décision du titulaire fait l'objet d'une publication. Elle est notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à la personne mentionnée dans la déclaration d'intention d'aliéner qui avait l'intention d'acquérir le bien (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que M. et Mme A... ont consenti le 30 mars 2023 une promesse de vente à M. B... et Mme C... en vue de l'acquisition par ces derniers du bien objet de la préemption. Cette promesse de vente a donné lieu à une déclaration d'intention d'aliéner auprès de la commune de Morsang-sur-Orge reçue par cette dernière le 3 avril 2023. M. B... et Mme C... ayant renoncé au bénéfice de la promesse de vente, M. et Mme A... ont consenti une nouvelle promesse de vente du même bien au même prix et aux mêmes conditions à la société Cel Pires, devant notaire, le 31 juillet 2023. Par une décision du 29 août 2023, la maire de Morsang-sur-Orge a décidé d'exercer le droit de préemption urbain sur ce bien.
5. Il résulte des dispositions de l'article L. 213-2, citées au point 3, que la mention de la personne ayant l'intention d'acquérir le bien n'est pas au nombre de celles devant obligatoirement figurer dans la déclaration d'intention d'aliéner qu'il incombe au propriétaire de faire à la mairie de la commune où se trouve le bien et n'y figure qu'à titre facultatif. Contrairement à ce que soutient la commune, M. et Mme A... n'avaient ainsi pas à renouveler la déclaration d'intention d'aliéner qu'ils avaient faite à l'occasion de la promesse de vente signée le 30 mars 2023, dès lors que la promesse de vente du 31 juillet 2023, signée antérieurement à la décision de préemption et portant sur l'aliénation du même bien au même prix et aux mêmes conditions, en laissait inchangées les mentions obligatoires. Par suite, en jugeant que la société Cel Pires ne justifiait pas, par la promesse de vente qui lui avait été consentie le 31 juillet 2023 sur le bien préempté, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre la décision de préemption, alors que l'acquéreur évincé a intérêt à contester une telle décision, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance qu'il ne soit pas celui dont le nom a été mentionné par la déclaration d'intention d'aliéner, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a commis une erreur de droit.
6. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société Cel Pires est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune :
8. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que, contrairement à ce que soutient la commune de Morsang-sur-Orge, la société Cel Pires, acquéreur évincé, justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre de la décision de préemption en litige.
Sur l'urgence :
9. Eu égard à l'objet d'une décision de préemption et à ses effets vis-à-vis de l'acquéreur évincé, la condition d'urgence doit en principe être regardée comme remplie lorsque celui-ci demande la suspension d'une telle décision. Il peut toutefois en aller autrement dans le cas où le titulaire du droit de préemption justifie de circonstances particulières, tenant par exemple à l'intérêt s'attachant à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l'exercice du droit de préemption. Il appartient au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l'ensemble des circonstances de l'espèce qui lui est soumise.
10. En l'espèce, la suspension de la décision de préemption en litige est demandée par la société Cel Pires, acquéreur évincé, dont il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce que soutient la commune de Morsang-sur-Orge, que la promesse de vente dont elle est bénéficiaire serait caduque. La commune ne justifie pas de la nécessité de réaliser le projet ayant donné lieu à l'exercice du droit de préemption dans des délais rapides et, ce faisant, de circonstances particulières de nature à permettre que la condition d'urgence ne soit pas, en l'espèce, regardée comme satisfaite.
Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée :
11. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la déclaration d'intention d'aliéner a été reçue en mairie de Morsang-sur-Orge le 3 avril 2023 et que, conformément à l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme, cité au point 3, il appartenait à la commune de faire connaître sa décision avant le 3 juin 2023, sauf à ce que ce délai ait été régulièrement suspendu par la réception par le propriétaire de la demande de la commune de visite du bien ou de communication des documents permettant d'apprécier la consistance et l'état de l'immeuble et à ce qu'il ait ensuite repris son cours, selon le cas, soit à compter de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption, soit du refus par le propriétaire de la visite du bien ou de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption, soit du plus tardif de ces événements en cas de demande à la fois de visite et de communication de documents.
12. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la commune a sollicité tant la communication de documents par un courrier daté du 1er juin 2023 que la visite du bien par un courrier daté du 2 juin 2023. Il n'est pas contesté que la demande de communication de documents a été notifiée dans des conditions régulières et que le titulaire du droit de préemption a reçu les documents demandés le 31 juillet 2023. Si la société requérante soutient que la demande de visite du bien n'a pu suspendre le délai de préemption dès lors qu'elle n'a pas été notifiée dans les conditions prévues à l'article R. 213-25 du code de l'urbanisme, la commune produisant seulement l'attestation de deux agents assermentés certifiant avoir déposé cette demande le 2 juin 2023 à l'étude du notaire du propriétaire du bien préempté, cette circonstance est toutefois, en tout état de cause, dépourvue d'incidence sur la suspension du délai dès lors que la visite a eu lieu le 9 juin 2023, date à laquelle le titulaire du droit de préemption n'avait pas encore reçu les documents demandés. Le délai a donc en l'espèce recommencé de courir à compter de la réception, le 31 juillet 2023, des documents demandés par le titulaire du droit de préemption, pour une durée d'un mois, soit jusqu'au 31 août 2023. La décision de préemption du 29 août 2023, remise en mains propres le lendemain, est ainsi intervenue dans ce délai.
13. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de préemption en litige serait tardive n'est pas propre à créer de doute sérieux quant à sa légalité.
14. En second lieu, toutefois, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 (...) ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser la mutation, le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le recyclage foncier ou le renouvellement urbain, de sauvegarder, de restaurer ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels, de renaturer ou de désartificialiser des sols, notamment en recherchant l'optimisation de l'utilisation des espaces urbanisés et à urbaniser. " Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.
15. En l'espèce, la décision attaquée se borne à faire état de la " situation stratégique " de la propriété préemptée, " à l'angle des rues desservant le secteur économique (...) et marquant la limite entre la zone à vocation économique et la zone à vocation pavillonnaire ", " à un carrefour qui nécessite de mener une réflexion pour un aménagement de qualité permettant des usages partagés " et de " l'intérêt pour la ville d'acquérir cette propriété, pour poursuivre la réflexion de restructuration du secteur UAE " en se référant aux seules " orientations du projet d'aménagement et de développement durable débattu en séance du conseil municipal du 22 novembre 2022, et notamment celles permettant d'oeuvrer pour un urbanisme plus qualitatif et plus respectueux de l'environnement mais aussi celles pour favoriser la création et le maintien d'emplois ". En défense dans le cadre de l'instruction de la demande de référé, la commune n'a apporté aucun élément ni versé aucune pièce à l'instruction, ni devant le tribunal administratif, ni devant le Conseil d'Etat en dépit de l'invitation faite aux parties en ce sens par la 1ère chambre de la section du contentieux dans la perspective d'un règlement de l'affaire en référé. En cet état de l'instruction, le moyen tiré de l'absence de justification, à la date de la décision de préemption en litige et dans cette décision, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme apparaît ainsi propre à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision.
16. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier ". Aucun autre moyen n'est susceptible de fonder, en l'état de l'instruction, la suspension de la décision attaquée.
17. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de suspendre l'exécution de la décision du 29 août 2023 de la maire de Morsang-sur-Orge, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Morsang-sur-Orge une somme de 3 000 euros à verser à la société Cel Pires au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par la commune de Morsang-sur-Orge.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 27 octobre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles est annulée.
Article 2 : L'exécution de la décision du 29 août 2023 de la maire de Morsang-sur-Orge est suspendue.
Article 3 : La commune de Morsang-sur-Orge versera une somme de 3 000 euros à la société Cel Pires au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Morsang-sur-Orge au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société civile immobilière Cel Pires et à la commune de Morsang-sur-Orge.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 mai 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat ; M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Anne Lazar Sury, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 29 mai 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Anne Lazar Sury
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber