Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 492212, lecture du 6 mars 2024, ECLI:FR:CEORD:2024:492212.20240306

Décision n° 492212
6 mars 2024
Conseil d'État

N° 492212
ECLI:FR:CEORD:2024:492212.20240306
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés


Lecture du mercredi 6 mars 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :
L'association " Collectif pour la défense des jardins et espaces naturels du Val-de-Marne ", Mme B... D... et M. C... A... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté préfectoral n° 2023/04576 du 21 décembre 2023 portant autorisation d'abattage avec prescriptions d'un ou plusieurs arbres d'une allée ou d'un alignement d'arbres situés rue Charles Infroit à Champigny-sur-Marne jusqu'à ce que la préfète du Val-de-Marne se prononce sur une demande réactualisée de la commune de Champigny-sur-Marne faisant état d'un bilan phytosanitaire réactualisé et rectifié des erreurs qu'il comprend.

Par une ordonnance n° 2401820 du 26 février 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande.

Par une requête, enregistrée le 28 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Collectif pour la défense des jardins et espaces naturels du Val-de-Marne ", Mme D... et M. A... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté préfectoral n° 2023/04576 du 21 décembre 2023 jusqu'à ce que la préfète du Val-de-Marne se prononce sur une demande réactualisée de la commune de Champigny-sur-Marne faisant état d'un bilan phytosanitaire réactualisé et rectifié des erreurs qu'il comprend ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les travaux d'abattage des arbres ont commencé et qu'il reste 50 arbres à sauver ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ;
- l'arrêté préfectoral méconnaît les articles L. 350-3 et R. 350-20 et suivants du code de l'environnement dès lors que le bilan établi par l'Office national des forêts est erroné puisqu'il fait référence à des arbres situés à Saint-Maur-des-Fossés et non à Champigny-sur-Marne, que le motif phytosanitaire ne portait que sur l'abattage de quatorze arbres, qu'une erreur a aussi été commise dans le dossier de demande d'autorisation entre la déclaration et la demande d'autorisation et que le projet ne prévoit aucune mesure d'évitement.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, et notamment la Charte de l'environnement ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. L'association " Collectif pour la défense des jardins et espaces naturels du Val-de-Marne " ainsi que Mme D... et M. A... ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Melun, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit ordonné la suspension de l'arrêté préfectoral du 21 décembre 2023 portant autorisation d'abattage d'arbres rue Charles Infroit à Champigny-sur-Marne. Ils font appel de l'ordonnance du 26 février 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande.
3. Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l'article premier de la Charte de l'environnement, présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Toute personne justifiant, au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu'elle entend défendre, qu'il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l'action ou de la carence de l'autorité publique, peut saisir le juge des référés sur le fondement de cet article. Il lui appartient alors de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.

4. Aux termes de l'article L. 350-3 du code de l'environnement : " Les allées d'arbres et alignements d'arbres qui bordent les voies ouvertes à la circulation publique constituent un patrimoine culturel et une source d'aménités, en plus de leur rôle pour la préservation de la biodiversité et, à ce titre, font l'objet d'une protection spécifique. Ils sont protégés, appelant ainsi une conservation, à savoir leur maintien et leur renouvellement, et une mise en valeur spécifiques. / Le fait d'abattre ou de porter atteinte à un arbre ou de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l'aspect d'un ou de plusieurs arbres d'une allée ou d'un alignement d'arbres est interdit./ Toutefois, lorsqu'il est démontré que l'état sanitaire ou mécanique du ou des arbres présente un danger pour la sécurité des personnes ou des biens ou un risque sanitaire pour les autres arbres ou que l'esthétique de la composition ne peut plus être assurée et que la préservation de la biodiversité peut être obtenue par d'autres mesures, les opérations mentionnées au deuxième alinéa sont subordonnées au dépôt d'une déclaration préalable auprès du représentant de l'Etat dans le département. Ce dernier informe sans délai de ce dépôt le maire de la commune où se situe l'alignement d'arbres concerné. / Par ailleurs, le représentant de l'Etat dans le département peut autoriser lesdites opérations lorsque cela est nécessaire pour les besoins de projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements. Le représentant de l'Etat dans le département informe sans délai le maire de la commune où se situe l'alignement d'arbres concerné du dépôt d'une demande d'autorisation. Il l'informe également sans délai de ses conclusions. / La demande d'autorisation ou la déclaration comprend l'exposé des mesures d'évitement envisagées, le cas échéant, et des mesures de compensation des atteintes portées aux allées et aux alignements d'arbres que le pétitionnaire ou le déclarant s'engage à mettre en oeuvre. Elle est assortie d'une étude phytosanitaire dès lors que l'atteinte à l'alignement d'arbres est envisagée en raison d'un risque sanitaire ou d'éléments attestant du danger pour la sécurité des personnes ou des biens. Le représentant de l'Etat dans le département apprécie le caractère suffisant des mesures de compensation et, le cas échéant, l'étendue de l'atteinte aux biens. / En cas de danger imminent pour la sécurité des personnes, la déclaration préalable n'est pas requise. Le représentant de l'Etat dans le département est informé sans délai des motifs justifiant le danger imminent et les mesures de compensation des atteintes portées aux allées et alignements d'arbres lui sont soumises pour approbation. Il peut assortir son approbation de prescriptions destinées à garantir l'effectivité des mesures de compensation. / La compensation mentionnée aux cinquième et sixième alinéas doit, le cas échéant, se faire prioritairement à proximité des alignements concernés et dans un délai raisonnable ".

5. Il résulte de l'instruction devant le juge des référés du tribunal administratif de Melun que la commune de Champigny-sur-Marne a saisi la préfète du Val-de-Marne d'une demande d'autorisation d'abattage d'arbres, présentée sur le fondement de l'article L. 350-3 du code de l'environnement, dans le cadre d'une opération d'aménagement et de mise aux normes des trottoirs pour les personnes à mobilité réduite rue Charles Infroit. L'arrêté contesté de la préfète du Val-de-Marne du 21 décembre 2023 a ainsi autorisé l'abattage de 108 arbres. Il a aussi imposé à la commune de replanter 120 nouveaux arbres au cours de l'année 2024. Si les arbres en cause constituent un alignement, au sens de l'article L. 350-3 du code de l'environnement, il n'est pas contesté qu'ils ne présentent aucune qualité justifiant leur maintien et qu'ils ne sont pas répertoriés dans le plan local d'urbanisme de la commune comme éléments arborés remarquables.
Par ailleurs, il ressort du bilan phytosanitaire rectifié de l'Office national des forêts que 40 des arbres concernés par l'autorisation d'abattage étaient atteints par des champignons et nécessitaient un abattage à réaliser à court terme qui allait conduire à déstructurer l'alignement existant. Par ailleurs, l'Office national des forêts qualifiait le bilan phytosanitaire de l'alignement de mauvais à raison du caractère contagieux des champignons en cause et concluait à la nécessité de mener une réflexion sur l'ensemble du site. A l'appui de leur requête d'appel les requérants font valoir le caractère erroné du rapport de l'Office national des forêts sur la localisation des arbres à abattre, alors qu'il s'agit d'une erreur matérielle qui a fait l'objet d'un rapport rectifié, l'existence d'irrégularités dans le dossier de demande d'autorisation d'abattage ainsi que l'absence de mesure d'évitement. Ces éléments ne suffisent pas à remettre en cause l'appréciation portée par le juge des référés du tribunal administratif de Melun sur l'absence d'atteinte grave et manifestement illégale au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé qui résulterait de la poursuite des opérations d'abattage des arbres.

6. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande. Il y a lieu, dès lors, de rejeter leur appel selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête de l'association " Collectif pour la défense des jardins et des espaces naturels du Val-de-Marne ", Mme D... et M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association " Collectif pour la défense des jardins et espaces naturels du Val-de-Marne ", première dénommée pour l'ensemble des requérants.
Copie en sera adressée à la préfète du Val-de-Marne.
Fait à Paris, le 6 mars 2024
Signé : Nathalie Escaut