Base de jurisprudence


Décision n° 463162
13 février 2024
Conseil d'État

N° 463162
ECLI:FR:CECHR:2024:463162.20240213
Publié au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Sara-Lou Gerber, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public
SCP BAKER & MCKENZIE, avocats


Lecture du mardi 13 février 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 avril 2022 et 25 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Reporters sans frontières demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 5 avril 2022 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a rejeté sa demande tendant à ce qu'elle adresse une mise en demeure à l'éditeur du service de télévision CNEWS sur le fondement de l'article 42 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;

2°) d'enjoindre à l'Arcom d'adresser une mise en demeure à cet éditeur ;

3°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

- Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration :
- la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel n°2017-62 du 22 novembre 2017 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision ;
- la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel n° 2018-11 du 18 avril 2018 relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent ;
- la décision du 1er juillet 2022 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Reporters sans frontières ;

- le code de justice administrative.


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sara-Lou Gerber, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de l'association Reporters sans frontières ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 janvier 2024, présentée par la société d'exploitation d'un service d'information ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " La communication au public par voie électronique est libre. / L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d'une part, par le respect (...) du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion (...) ". Aux termes de l'article 3-1 de la même loi : " L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, autorité publique indépendante, garantit l'exercice de la liberté de communication au public par voie électronique, dans les conditions définies par la présente loi. / (...) L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique garantit l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent, sous réserve de l'article 1er de la présente loi. A cet effet, elle veille notamment à ce que les conventions conclues en application de la présente loi avec les éditeurs de services de télévision et de radio garantissent le respect de l'article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. (...) Elle s'assure que les intérêts économiques des actionnaires des éditeurs de services de communication audiovisuelle et de leurs annonceurs ne portent aucune atteinte à ces principes (...) ". Aux termes de l'article 13 de la même loi : " L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d'information politique et générale. / Les services de radio et de télévision transmettent les données relatives aux temps d'intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d'information, les magazines et les autres émissions des programmes à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique selon les conditions de périodicité et de format que l'autorité détermine (...) ".

2. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article 42 de la même loi : " Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1. / L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique rend publiques ces mises en demeure. " Aux termes du troisième alinéa de ce même article : " (...) les organisations de défense de la liberté de l'information reconnues d'utilité publique en France (...) peuvent demander à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique d'engager la procédure de mise en demeure prévue au premier alinéa du présent article ".

3. Enfin, aux termes de l'article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, auquel se réfèrent les dispositions citées ci-dessus de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 : " Tout journaliste, au sens du 1° du I de l'article 2, a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources et de refuser de signer un article, une émission, une partie d'émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à sa conviction professionnelle formée dans le respect de la charte déontologique de son entreprise ou de sa société éditrice. / Toute convention ou tout contrat de travail signé entre un journaliste professionnel et une entreprise ou une société éditrice de presse ou de communication audiovisuelle entraîne l'adhésion à la charte déontologique de l'entreprise ou de la société éditrice (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 30 novembre 2021, l'association Reporters sans frontières (RSF) a demandé au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'adresser à la société d'exploitation d'un service d'information (SESI), éditrice du service de télévision à vocation nationale CNEWS, diffusé par voie hertzienne terrestre en mode numérique, une mise en demeure, sur le fondement des dispositions de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986, de se conformer à ses obligations relatives à sa qualité de " service consacré à l'information " prévue par sa convention d'autorisation ainsi qu'aux principes d'honnêteté de l'information, de pluralisme et d'indépendance de l'information. Par une décision du 5 avril 2022, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui s'est substituée au CSA par l'effet de la loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique, a refusé de faire droit à cette demande. L'association RSF demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par l'Arcom :

5. Une personne qui a demandé à l'Arcom de faire usage des prérogatives qui lui sont conférées par la loi à l'égard des opérateurs qui manquent à leurs obligations peut déférer son refus au juge de l'excès de pouvoir si elle justifie, eu égard à l'incidence sur ses intérêts du comportement de l'opérateur concerné, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir. Si l'Arcom soutient que l'objet social de l'association RSF ne lui confère pas un intérêt lui donnant qualité pour agir contre l'une de ses décisions, il ressort toutefois de l'article 1er de ses statuts que cette association, reconnue d'utilité publique, a pour but de " défendre la liberté de la presse " ainsi que le " droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique (...) celui de chercher, de recevoir et de répandre (...) les informations et les idées (...) ". Ainsi l'association RSF doit être regardée comme une organisation de défense de la liberté de l'information reconnue d'utilité publique au sens du troisième alinéa de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 cité au point 2, habilitée par la loi à demander à l'Autorité de faire usage de ses pouvoirs de mettre en demeure un opérateur de service. L'Arcom n'est donc pas fondée à soutenir que la requête de l'association RSF serait irrecevable faute d'intérêt lui donnant qualité pour agir contre le refus de prononcer une mise en demeure litigieux.

Sur la légalité externe de la décision attaquée :

6. Le refus de l'Arcom d'adresser une mise en demeure à un éditeur de service n'entre ni dans les catégories de décisions que les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-3 du code des relations entre le public et l'administration imposent de motiver, ni dans celles pour lesquelles la loi du 30 septembre 1986 ou tout autre texte ou principe prévoit une telle obligation. Par suite, le moyen tiré de ce que l'Arcom aurait insuffisamment motivé sa décision ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

En ce qui concerne la constitutionnalité des dispositions des articles 3-1, 13 et 42 de la loi du 30 septembre 1986 :

7. Par une décision du 1er juillet 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Reporters sans frontières. Celle-ci n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que la décision qu'elle attaque serait illégale en raison de la contrariété aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 3-1, 13 et 42 de la loi du 30 septembre 1986.

En ce qui concerne la compatibilité des dispositions des articles 3-1, 13 et 42 de la loi du 30 septembre 1986 avec les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

8. Aux termes de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations. / 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. "

9. Il découle de ces stipulations une obligation pour les Etats parties à la convention de mettre en place un cadre juridique et administratif propre à garantir le pluralisme des médias, qui doit s'entendre tant du pluralisme externe entre les différents médias d'information que du pluralisme interne qui vise, au sein de chaque média d'information, à assurer une expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion, l'accès du public devant ainsi être garanti à des informations impartiales et exactes et à une pluralité d'opinions et de commentaires. A cet égard, les dispositions législatives citées aux points 1 à 3 doivent être appréciées au regard tant des principes qu'elles établissent que des pouvoirs qu'elles confèrent à l'Arcom pour fixer des obligations à chaque éditeur de service dans la convention qu'elle conclut avec lui, pour lui adresser, en cas de manquement, une mise en demeure permettant de préciser les contours de ces obligations, puis pour lui infliger une sanction pouvant aller jusqu'au retrait de l'autorisation d'émettre. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, elles établissent un cadre dont aucun des arguments avancés par l'association requérante ne conduit à juger qu'il serait insuffisant à garantir le pluralisme des médias. Dans ces conditions, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions des articles 3-1, 13 et 42 de la loi du 30 septembre 1986 seraient incompatibles avec les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il suit de là que le moyen pris de ce que la décision attaquée serait illégale par suite de l'incompatibilité de ces dispositions législatives avec ces stipulations doit, en tout état de cause, être écarté.

En ce qui concerne les autres moyens de la requête :

10. L'exercice par l'Arcom de sa faculté d'adresser à un opérateur, en cas de manquement de ce dernier à ses obligations, une mise en demeure sur le fondement de dispositions de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986, peut porter, en fonction de la nature de l'obligation dont la méconnaissance est invoquée, tant sur un manquement ponctuel relevé dans une séquence déterminée, que sur le non-respect par l'opérateur, dans la durée et au regard d'une appréciation globale de ses conditions de fonctionnement et des caractéristiques de sa programmation, des dispositions de son autorisation d'émettre et des engagements conventionnels dont elle est assortie. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens à l'appui de conclusions dirigées contre le refus de l'Arcom de faire usage de ce pouvoir, de vérifier si les faits litigieux sont constitutifs d'un manquement et, dans l'affirmative, d'apprécier, compte tenu du large pouvoir d'appréciation de l'Autorité dans la mise en oeuvre des prérogatives qui lui sont conférées par la loi, si sa décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

S'agissant du respect par l'éditeur de sa qualité de service " consacré à l'information " :

11. La convention du service CNEWS, conclue le 27 novembre 2019, stipule, en son article 3-1-1 que ce service " est consacré à l'information " et qu'il " offre un programme réactualisé en temps réel couvrant tous les domaines de l'actualité ". Il ressort des pièces du dossier que ce service propose, sous forme de journaux ou d'émissions de plateau, un programme consacré à l'information couvrant l'ensemble des domaines de l'actualité et que la chaîne assure une actualisation régulière de son programme, sous la forme de bandeaux d'information déroulants et de rappels, tous les quarts d'heure, des principaux titres de l'actualité ainsi que, le cas échéant, par la diffusion d'éditions spéciales en lien avec l'actualité. Dans ces conditions, en retenant que, en dépit de la place des émissions de débat dans la programmation de la chaîne, celle-ci ne méconnaissait pas les obligations, résultant de sa convention, qui s'attachent à sa qualité de service consacré à l'information et en refusant de lui adresser, pour ce motif, une mise en demeure, l'Arcom n'a pas fait une inexacte application des dispositions de la loi du 30 septembre 1986, eu égard aux termes de la convention de ce service.

S'agissant du respect de l'exigence d'honnêteté de l'information :

12. Pour soutenir que l'éditeur du service CNEWS méconnaît l'exigence d'honnêteté de l'information prévue par les dispositions de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, l'association fait d'abord état d'un article de presse affirmant qu'une séquence, diffusée le 25 octobre 2021 et montrant un échange, présenté comme spontané, entre M. B... et une femme portant un voile, avait été mise en scène. Toutefois, en se bornant à se prévaloir de ce seul article, la requérante n'apporte pas d'éléments suffisants au soutien de son allégation que cette séquence constituerait un manquement à l'exigence d'honnêteté de l'information.

13. L'association requérante mentionne également, à l'appui de ce même grief, deux autres séquences, relatives, d'une part, à une émission diffusée le 26 avril 2021 offrant une présentation déséquilibrée d'une tribune controversée signée par des militaires et, d'autre part, à une émission du 27 octobre 2021 dans laquelle un sondage a été présenté de manière trompeuse. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le CSA, par des délibérations des 28 juillet 2021 et 9 février 2022, a mis en garde la chaîne contre la répétition de tels manquements. Ainsi, et en tout état de cause, en refusant au motif de ces mises en garde de faire droit à la demande de mise en demeure dont elle était saisie, l'Autorité n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.

14. Si l'association invoque en outre une méconnaissance générale par la chaîne de l'exigence d'honnêteté de l'information, elle ne produit pas d'éléments suffisants à l'appui de ces allégations.

S'agissant du respect des obligations en matière de pluralisme de l'information :

15. Il résulte des dispositions de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 et de celles des articles 3-1 et 13 de la même loi, citées au point 1, que l'Arcom a pour mission de garantir le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes audiovisuels, notamment dans les programmes consacrés à l'information. Il lui appartient à cet effet d'apprécier le respect par les éditeurs de service de cette exigence, dans l'exercice de leur liberté éditoriale, en prenant en compte, dans l'ensemble de leur programmation, la diversité des courants de pensée et d'opinion exprimés par l'ensemble des participants aux programmes diffusés.

16. A l'appui de sa demande tendant à ce que l'éditeur de la chaîne CNEWS soit mis en demeure de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme de l'information, l'association, tout en critiquant les conditions de décompte du temps de parole de M. A... B... au mois de septembre 2021, faisait valoir que la chaîne n'assurait pas une diversité suffisante des points de vue exprimés à l'antenne, notamment à l'occasion des débats sur des questions prêtant à controverse. Or, pour refuser de mettre en demeure l'éditeur de ce service de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme, l'Arcom s'est bornée à apprécier le respect du pluralisme au seul regard du temps d'antenne accordé aux personnalités politiques, en considérant, comme cela ressort de sa réponse à la demande de mise en demeure ainsi que de ses écritures en défense, que le non-respect allégué de la diversité des courants de pensée et d'opinion exprimés par l'ensemble des participants aux programmes diffusés n'était pas susceptible, par lui-même, de constituer un manquement à cette exigence. En s'en tenant ainsi à la seule prise en compte du temps d'antenne accordé aux personnalités politiques pour l'appréciation des obligations du service en matière de pluralisme de l'information, l'Arcom a fait une inexacte application des dispositions de la loi du 30 septembre 1986.

S'agissant du respect de l'indépendance de l'information :

17. Il résulte des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 citées au point 1 que l'Arcom garantit l'indépendance de l'information en veillant notamment à ce que les conventions avec les éditeurs de services assurent le respect de l'article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881, cité au point 3, relatif à la protection des journalistes et aux chartes déontologiques tandis qu'un comité relatif à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes est prévu par l'article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986 pour contribuer au respect de ces principes. Il ressort des pièces du dossier que l'article 2-3-8 de la convention du service CNEWS signée le 27 novembre 2019 relatif à l'indépendance éditoriale de la rédaction précise que " L'éditeur s'engage à préserver son indépendance éditoriale, notamment à l'égard des intérêts économiques de ses actionnaires et de ses éditeurs. / Il garantit que l'information et les programmes qui y concourent qu'il diffuse (...) sont réalisés dans des conditions qui garantissent l'indépendance de l'information, notamment à l'égard des intérêts économiques de ses actionnaires, directs et indirects, et de ses annonceurs. (...) Le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut également demander à tout moment à l'éditeur des informations sur le respect de cet article ".

18. Eu égard à leur nature, les obligations d'un éditeur de service en matière d'indépendance de l'information sont au nombre de celles dont la méconnaissance peut être constatée par l'Arcom non seulement au regard d'un programme donné, mais également au regard de l'ensemble de ses conditions de fonctionnement et des caractéristiques de sa programmation.

19. Dans sa demande adressée au CSA, l'association requérante faisait notamment état, de la part du principal actionnaire de la chaîne, d'immixtions dans la programmation de la chaîne contraires aux exigences d'indépendance. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en se bornant, pour rejeter la demande qui lui était adressée sur ce point par l'association requérante, à relever qu'elle ne pouvait intervenir que si la matérialité d'un manquement était établie au cours d'une séquence identifiée, l'Arcom a fait une inexacte application des dispositions de la loi du 30 septembre 1986.

20. Il résulte de tout ce qui précède que l'association requérante est fondée à demander l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle rejette sa demande de mettre en demeure l'éditeur du service CNEWS de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme et d'indépendance de l'information.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

21. L'exécution de la présente décision implique que la demande de l'association RSF soit réexaminée en tant qu'elle porte sur la demande de mettre en demeure l'éditeur du service CNEWS de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme et d'indépendance de l'information. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre à l'Arcom de procéder à ce réexamen et de prendre une nouvelle décision dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.

Sur les frais de l'instance :

22. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Arcom le versement à l'association RSF de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'association RSF, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 5 avril 2022 de l'Arcom est annulée en tant qu'elle rejette la demande de l'association Reporters sans frontières que l'éditeur du service CNEWS soit mis en demeure de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme et d'indépendance de l'information.
Article 2 : Il est enjoint à l'Arcom de procéder au réexamen de la demande de l'association RSF en tant qu'elle porte sur la demande de mettre en demeure l'éditeur du service CNEWS de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme et d'indépendance de l'information, et de prendre une nouvelle décision dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L'Arcom versera à l'association RSF une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la société d'exploitation d'un service d'information au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à l'association Reporters sans frontières, à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique et à la société d'exploitation d'un service d'information.
Copie en sera adressée à la ministre de la culture.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 janvier 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat ; M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Sara-Lou Gerber, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 13 février 2024.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Sara-Lou Gerber
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras