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Ariane Web: Conseil d'État 472346, lecture du 9 février 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:472346.20240209

Décision n° 472346
9 février 2024
Conseil d'État

N° 472346
ECLI:FR:CECHR:2024:472346.20240209
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Isabelle Lemesle, rapporteur
Mme Esther de Moustier, rapporteur public
SCP LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER;SCP DUHAMEL, avocats


Lecture du vendredi 9 février 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 472346, par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 22 mars 2023, 23 et 26 janvier 2024, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Phone Recycle Solution demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, de constater l'inexistence de la décision n° 23 du 12 janvier 2023 de la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir la même décision.



2° Sous le n°472448, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 mars et 26 juin 2023 et 25 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat interprofessionnel du reconditionnement et de la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms (SIRRMIET) demande :

1°) à titre principal, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision n° 23 du 12 janvier 2023 de la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle ;

2°) à titre subsidiaire, de poser la question préjudicielle suivante à la Cour de justice de l'Union européenne : " Les dispositions de l'article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, s'opposent-elles à une réglementation nationale ayant transposé l'exception visée à cette disposition, qui pour déterminer la compensation équitable reçue par les titulaires de droits en contrepartie des préjudices qu'ils subissent en raison de la reproduction de leur oeuvre protégée sans autorisation pour un usage privé, se réfère à la " durée de détention ", par principe fixée à 2 ans, du support servant à réaliser des copies privées, indépendamment des circonstances, pour les ayants droit, que leurs préjudices peuvent excéder cette durée, et pour les détenteurs d'appareils assujettis, que ces derniers sont susceptibles de céder ces mêmes appareils avant l'expiration de ce délai pour lequel ils se sont pourtant acquittés de la compensation forfaitaire et intégrale du préjudice subi par l'auteur de l'oeuvre, du fait de leur utilisation du droit de copie privée ' " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2001/29 CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2011 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code civil ;
- le code de commerce ;
- le code de la propriété intellectuelle, notamment son article L. 311-5 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 ;
- la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 ;
- le décret n° 2015-354 du 27 mars 2015 ;
- l'arrêt C-467/08 du 21 octobre 2010 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- la décision n° 455319 du 19 décembre 2022 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la société Phone Recycle Solution, à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Copie France et à la SCP Gury et Maître, avocat du Syndicat interprofessionnel du reconditionnement et de la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms ;

Une note en délibéré, enregistrée le 29 janvier 2024, a été présentée par le SIRRMIET sous le n°472346.

Une note en délibéré, enregistrée le 29 janvier 2024, a été présentée par la société Copie France sous le n° 472448.

Une note en délibéré, enregistrée le 30 janvier 2024, a été présentée par la société Phone Recycle Solution sous le n° 472448.



Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 19 décembre 2022 rendue sur la requête du Syndicat interprofessionnel du reconditionnement et de la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms (SIRRMIET), le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé pour un motif de légalité externe, la décision n° 22 du 1er juin 2021 de la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle adoptant un barème différencié pour les mémoires et disques durs intégrés aux téléphones multimédias reconditionnés et aux tablettes tactiles multimédias reconditionnés dans le cadre de la rémunération pour copie privée, avec effet au 1er février 2023. Par une décision n° 23 du 12 janvier 2023, la commission a fixé les barèmes de la rémunération pour copie privée applicables aux téléphones mobiles et aux tablettes tactiles multimédias en leur appliquant les barèmes issus d'une précédente décision n° 18 du 5 septembre 2018 avec un abattement respectif de 40 % pour les téléphones et de 35 % pour les tablettes.

2. La société Phone Recycle Solution demande, sous le n° 472346, à titre principal, que la délibération n° 23 du 12 janvier 2023 de la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle soit déclarée inexistante et, à titre subsidiaire, qu'elle soit annulée pour excès de pouvoir. Le SIRRMIET, sous le n°427448, demande que la même décision soit annulée pour excès de pouvoir. Les requêtes de la société Phone Recycle Solution et du SIRRMIET étant dirigées contre la même décision, il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision.

Sur les conclusions présentées par la société Phone Recycle Solution :

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Phone Recycle Solution :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle : " Les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement de celle-ci sont déterminés par une commission présidée par un représentant de l'Etat et composée, en outre, pour moitié, de personnes désignées par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les fabricants ou importateurs des supports mentionnés au premier alinéa de l'article L. 311-4 et, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les consommateurs. Trois représentants des ministres chargés de la culture, de l'industrie et de la consommation participent aux travaux de la commission, avec voix consultative. Le président et les membres de la commission transmettent au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dans un délai de deux mois suivant leur nomination, une déclaration d'intérêts telle que prévue au III de l'article 4 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ". Par ces dispositions, le législateur a entendu confier à une commission administrative paritaire composée d'organisations de droit privé représentant, d'une part, pour moitié, les bénéficiaires du droit à rémunération et d'autre part, pour un quart, les fabricants ou importateurs des supports et, pour un quart, les consommateurs, le soin de déterminer les types de support, le taux de rémunération et les modalités de versement de cette rémunération, laquelle a pour unique objet de compenser, pour les auteurs, artistes-interprètes et producteurs, la perte de revenus engendrée par l'usage qui est fait licitement et sans qu'ils puissent s'y opposer de copies d'oeuvres fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes à des fins strictement privées.

5. Les dispositions du premier alinéa de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle sont applicables au présent litige. Elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil Constitutionnel.

S'agissant de la méconnaissance du principe de parité et de l'article 21 de la Constitution :

6. Si la société Phone recycle Solution soutient que le premier alinéa de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle est contraire au principe de parité, ainsi qu'à la règle de compétence posée par l'article 21 de la Constitution, ce principe et cette règle ne sont pas au nombre, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, des droits et libertés garantis par la Constitution.

S'agissant de l'atteinte au droit d'accès aux documents administratifs et de la méconnaissance du droit au recours effectif :

7. La société Phone Recycle Solution soutient qu'il résulte du premier alinéa de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle que les justiciables ne sont pas, faute pour les représentants des organisations membres de la commission d'être nommés par un acte administratif opposable aux tiers, mis en mesure de connaître leur identité, ainsi que la composition réelle de la commission et que, par suite, les dispositions ainsi interprétées affectent, de manière substantielle, à la fois leur droit d'accès aux documents administratifs garanti par l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et leur droit au recours effectif devant une juridiction garanti par l'article 16 de la même Déclaration.

8. D'une part, la légalité de la composition de la commission, dont sont membres, outre son président, des organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération, des organisations représentant les fabricants ou importateurs des supports soumis à la rémunération pour copie privée et des organisations représentant les consommateurs ainsi que, avec voix consultative, des représentants de l'administration, peut être contestée par la voie de l'exception à l'appui d'un recours dirigé contre toute décision de cette commission. D'autre part, les actes par lesquels ces organisations font connaître à l'administration les représentants qu'elles ont désignés au sein de la commission pour les représenter, doivent être regardés, une fois détenus par l'administration, comme des documents administratifs, au sens de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration, dont il peut être demandé la communication sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6 du même code. Enfin, les mesures par lesquelles les organisations membres de la commission procèdent à la désignation de leurs représentants en vue de leur participation au sein de la commission n'émanant ni d'une autorité administrative, ni d'un organisme privé chargé d'une mission de service public, constituent des actes de droits privés dont la contestation relève, dès lors, de la compétence du juge judiciaire.

9. Il s'ensuit que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle ne portent aucune atteinte ni au droit d'accès aux documents administratifs, ni au droit à un recours effectif garantis respectivement par les articles 15 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

S'agissant de la méconnaissance du droit de propriété :

10. La société Phone Recycle Solution soutient que les modalités selon lesquelles les organisations membres de la commission désignent leurs représentants appelés à siéger en son sein, en vertu des dispositions du premier alinéa de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle, privent les décisions qu'elle prend pour fixer le montant et les modalités du prélèvement de la rémunération pour copie privée de toute existence légale et, par suite, portent atteinte au droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Compte tenu notamment de ce qui a été dit au point 8, ces dispositions ne conduisant pas à priver cette commission de toute existence légale, le grief tiré de ce qu'elles portent atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ne peut, par suite, qu'être écarté.

S'agissant de la méconnaissance des principes de souveraineté, d'indépendance et d'impartialité :

11. La société Phone Recycle Solution soutient encore que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle portent atteinte aux principes de souveraineté, d'indépendance et d'impartialité garantis par les articles 3 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, eu égard aux conditions de désignation des représentants des organisations membres de la commission.

12. En premier lieu, et contrairement à ce qui est soutenu à l'appui de ce grief, il ne résulte d'aucune disposition notamment constitutionnelle, ni d'aucun principe, qu'une commission administrative investie du pouvoir réglementaire doive être exclusivement composée de membres dont les représentants sont désignés par l'autorité administrative, en particulier lorsque les organisations membres de la commission sont des organismes de droit privé.

13. En second lieu, ainsi qu'il a été dit au point 4, le législateur a entendu confier à une commission administrative paritaire composée d'organisations de droit privé représentant, d'une part, pour moitié, les bénéficiaires du droit à rémunération et, d'autre part, pour un quart, les fabricants ou importateurs des supports et, pour un quart, les consommateurs, le soin de déterminer les types de support, le taux de rémunération et les modalités de versement de cette rémunération, laquelle a pour unique objet de compenser, pour les auteurs, artistes-interprètes et producteurs, la perte de revenus engendrée par l'usage qui est fait licitement et sans qu'ils puissent s'y opposer de copies d'oeuvres fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes à des fins strictement privées. Il ne saurait, dès lors, être utilement reproché à ceux que les organisations membres désignent pour siéger au sein de cette commission en leur nom, et qui ne sont d'ailleurs pas des responsables publics, de défendre les intérêts des organisations qu'ils représentent au sein de cet organisme collégial, lequel est, par ailleurs, présidé par un représentant de l'Etat et comprend, enfin, avec voix consultative, trois représentants des ministres chargés de la culture, de l'industrie et de la consommation. Au demeurant, le premier alinéa de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que les membres de la commission transmettent au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dans un délai de deux mois suivant leur nomination, une déclaration d'intérêts telle que prévue au III de l'article 4 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

14. Dans ces conditions, les dispositions ne portent, par elles-mêmes, aucune atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité garantis par les articles 3 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et le grief tiré de la méconnaissance du principe de souveraineté n'est, en tout état de cause, pas davantage fondé, dès lors que c'est du législateur, qui a fixé sa composition, que la commission tient son pouvoir normatif, lequel est au demeurant de portée limitée tant par son champ d'application que par son contenu.

S'agissant de la méconnaissance du droit à l'égalité entre les hommes et les femmes :

15. Si la société Phone Recycle Solution soutient enfin que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle portent atteinte au droit à l'égalité entre les hommes et les femmes garanti par l'article 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'article 1er de la Constitution, elle n'apporte au soutien de ce grief aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, n'est pas sérieuse. Ainsi, sans qu'il soit besoin de la renvoyer au Conseil constitutionnel, le moyen tiré de ce que le premier alinéa de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par la société Phone Recycle Solution :

17. A l'appui de sa demande d'annulation pour excès de pouvoir de la décision n° 23 du 12 janvier 2023 de la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle, comme à l'appui de sa demande de déclaration en inexistence de cette décision, la société Phone Recycle Solution soutient que la commission qui a adopté cette décision n'a pu valablement siéger. Elle fait valoir, d'une part, que le premier alinéa de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle n'était pas applicable faute d'intervention de mesures d'application nécessaires à son entrée en vigueur. Elle fait valoir, d'autre part, qu'aucune disposition réglementaire n'organise la publicité de la nomination des représentants des organisations membres de la commission prévue par l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle, opposable aux tiers. Elle fait valoir, enfin, que l'absence d'un acte de nomination de ces représentants pris par une autorité administrative et rendu public, fait obstacle à la connaissance du nom de ces membres par les tiers, qui ne sont ainsi pas en mesure d'exercer leur droit au recours ou leur droit d'accès aux documents administratifs, ainsi qu'au respect des règles d'impartialité, d'égalité et de parité hommes-femmes dont l'autorité administrative doit assurer le contrôle effectif.

18. En premier lieu, le moyen tiré de ce que le premier alinéa de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle ne serait pas entré en vigueur faute de mesures d'application nécessaires à celle-ci, conformément aux dispositions de l'article 1er du code civil, n'est pas fondé. En particulier, les quatre premiers alinéas de l'article R. 311-2 du code de la propriété intellectuelle prévoient que : " Le représentant de l'Etat, président de la commission, est nommé par arrêté conjoint des ministres chargés de la culture, de l'industrie et de la consommation, parmi les membres du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes. / La commission comprend en outre vingt-quatre membres représentant les catégories mentionnées au premier alinéa de l'article L. 311-5. / Les organisations appelées à désigner les membres de la commission ainsi que le nombre de personnes que chacune est appelée à désigner sont déterminées par arrêté conjoint des ministres chargés de la culture, de l'industrie et de la consommation. / La commission se détermine à la majorité de ses membres présents. En cas de partage des voix, le président a voix prépondérante ".

19. En deuxième lieu, ainsi qu'il a déjà été dit au point 12, d'une part, il ne résulte d'aucune disposition, ni d'aucun principe, qu'une commission administrative investie du pouvoir réglementaire doive être exclusivement composée de membres dont les représentants sont désignés par l'autorité administrative, en particulier lorsque les organisations membres sont des organismes de droit privé. D'autre part, il résulte des termes mêmes des dispositions du premier alinéa de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle qu'il appartient aux organisations membres de la commission que cet article institue, de désigner leurs représentants à cette commission et de ceux des dispositions de l'article R. 311-2 du même code citées au point 20, que le président de la commission est nommé par arrêté conjoint des ministres chargés de la culture, de l'industrie et de la consommation et que les organisations membres appelées à désigner leurs représentants siégeant à la commission ainsi que le nombre de personnes que chacune est appelée à désigner sont déterminés par arrêté conjoint des ministres chargés de la culture, de l'industrie et de la consommation. En outre, il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté que ces arrêtés ont été effectivement pris. Par suite, le moyen tiré de ce que la composition de la commission de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle serait illégale du fait des modalités de nomination de ses membres ne peut qu'être écarté.

20. En troisième lieu, il ne résulte d'aucune disposition, ni d'aucun principe que les actes par lesquels sont désignés les représentants des organisations membres de la commission, organismes de droit privé désignés par un arrêté ministériel ainsi qu'il est prévu à l'article R. 311-2 du code de la propriété intellectuelle cité au point 19, devraient également faire l'objet d'une mesure de publicité, notamment par la publication d'un arrêté ministériel approuvant ces désignations. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit aux points 9 et 10, ces modalités de désignation ne portent, en tout état de cause, aucune atteinte au droit au recours effectif et au droit d'accès aux documents administratifs. Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, et conformément à ce qui est prévu par l'article D. 311-8 du code de la propriété intellectuelle, le compte-rendu de la séance de la commission au cours de laquelle a été prise la décision attaquée, dont la version publiée au journal officiel de la République française du 26 janvier 2023 est revêtue de la signature de son président, comporte le nom, non seulement de ceux qui sont intervenus en séance, mais également celui de l'ensemble des représentants des organisations présents ainsi que le fait apparaître le décompte des votes.

21. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que les règles de parité entre hommes et femmes telles qu'elles résultent de l'article 74 de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes et de son décret d'application, n'ont pas été respectées au sein de la commission prévue par l'article L. 311-5 n'est pas assorti des précisions qui permettraient d'en apprécier le bien-fondé.

22. Il résulte de tout ce qui précède que la décision attaquée ne peut être regardée comme ayant été prise par une autorité qui n'aurait pas été régulièrement investie et, par suite, dépourvue d'existence légale, ni que cette décision serait, au regard des moyens soulevés, entachée d'une illégalité externe. Par suite, les conclusions de la société Phone Recycle Solution tendant à ce qu'il soit constaté que cette décision est nulle ou non avenue ou à ce qu'elle soit annulée pour excès de pouvoir, doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées par le SIRRMIET:

23. En premier lieu, en vertu de l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle : "Les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement de celle-ci sont déterminés par une commission (...)". Les dispositions de l'article L. 311-4 prévoient les différents éléments à prendre en compte pour établir le montant de la rémunération en fonction des types de support. Elles prévoient, en particulier, que la rémunération due pour les appareils d'enregistrement reconditionnés est spécifique et différenciée de celle établie pour les supports d'enregistrement neufs de même nature. La décision attaquée de la commission définit, conformément à ces dispositions, les appareils reconditionnés comme les téléphones et tablettes d'occasion, au sens de l'article L. 321-1 du code de commerce, qui, d'une part, subissent des tests portant sur leurs fonctionnalités afin d'établir qu'elles répondent aux obligations légales de sécurité et à l'usage auquel le consommateur peut légitimement s'attendre et, d'autre part, font l'objet, si ces tests en font apparaître la nécessité, d'interventions afin de restaurer leurs fonctionnalités d'origine, en particulier leurs capacités d'enregistrement permettant la réalisation de nouveaux actes de copie privée par un nouvel utilisateur. Ainsi, la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle a pu légalement, sans méconnaître le champ de la délégation qui lui a été consentie par le législateur, distinguer au titre des " types de support " ceux qui étaient mis sur le marché à l'état neuf et ceux qui l'étaient à l'état reconditionné et regarder la mise sur le marché des produits reconditionnés comme la mise en circulation d'un nouveau produit, justifiant le versement de la rémunération pour copie privée, et non comme la remise en circulation du produit neuf ayant déjà donné lieu, le cas échéant, au versement de cette rémunération lorsqu'il a été fabriqué ou importé en France.

24. En deuxième lieu, il ressort des dispositions du b) de l'article 5-2 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, telles qu'interprétées par l'arrêt du 21 octobre 2010 Padawan SL (C-467/08) de la Cour de justice de l'Union européenne, que le juste équilibre à trouver entre les personnes concernées par la rémunération pour copie privée implique que la compensation équitable soit nécessairement calculée sur la base du critère du préjudice causé aux auteurs des oeuvres protégées à la suite de l'introduction de l'exception de copie privée. Cependant, il appartient à chaque Etat membre de déterminer la forme, les modalités de financement et de perception de cette compensation équitable.

25. La rémunération pour copie privée doit être fixée à un niveau permettant de produire un revenu, à partager entre les ayants droit, globalement analogue à celui que procurerait la somme des paiements d'un droit par chaque auteur d'une copie privée s'il était possible de l'établir et de le percevoir pour fixer la rémunération. La commission doit également, pour déterminer cette rémunération, apprécier, sur la base des capacités techniques des matériels et de leurs évolutions, le type d'usage qui en est fait par les différents utilisateurs, en recourant à des enquêtes et sondages qu'il lui appartient d'actualiser régulièrement. Si cette méthode repose nécessairement sur des approximations et des généralisations, celles-ci doivent toujours être fondées sur une étude objective des techniques et des comportements et ne peuvent reposer sur des hypothèses ou des équivalences supposées.

26. Si le SIRRMIET soutient que la décision attaquée méconnaît le principe de la " compensation équitable ", au motif que la durée d'usage qu'elle retient est de nature à permettre une sous-compensation ou une surcompensation du préjudice causé aux auteurs des oeuvres protégées à la suite de l'introduction de l'exception de copie privée, il ressort des pièces du dossier que les barèmes fixés pour les seuls supports à l'état neuf par la décision n° 18 du 5 septembre 2018 sont fondés sur une durée d'utilisation prévisionnelle des téléphones mobiles et tablettes de deux ans, alors que la durée de vie totale de ces produits est estimée à plus de quatre ans. D'une part, ces barèmes, en tant qu'ils s'appliquent à des produits neufs, ne tiennent ainsi pas compte de l'éventualité d'un reconditionnement permettant de restaurer les capacités d'enregistrement des supports. Il en résulte que les barèmes édictés par la décision n° 23 pour la rémunération due au titre de la mise en circulation des produits reconditionnés, donnant lieu à la réalisation de nouveaux actes de copie privée par de nouveaux utilisateurs, ne soumettent pas à rémunération les mêmes actes de copie privée que ceux qui sont visés dans la décision n° 18 s'agissant des appareils neufs. D'autre part, la durée d'usage de deux ans ainsi retenue, nécessairement approximative, correspond à une extrapolation réalisée sur le fondement des études d'usage dont le SIRRMIET ne démontre pas qu'elle serait manifestement inadéquate. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision attaquée méconnaîtrait le principe de la " compensation équitable " posé par le droit de l'Union, au motif que la durée d'usage qu'elle retient est de nature à permettre une sous-compensation ou une surcompensation du préjudice causé aux auteurs des oeuvres protégées à la suite de l'introduction de l'exception de copie privée, ne peut qu'être écarté.

27. En troisième lieu, aux termes des alinéas 3 et 4 de l'article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle : " Le montant de la rémunération est fonction du type de support et de la durée ou de la capacité d'enregistrement qu'il permet ou, dans le cas mentionné au deuxième alinéa du présent article, du nombre d'utilisateurs du service de stockage proposé par l'éditeur ou le distributeur du service de radio ou de télévision et des capacités de stockage mises à disposition par cet éditeur ou ce distributeur./ Ce montant est également fonction de l'usage de chaque type de support et, dans le cas mentionné au même deuxième alinéa, des capacités de stockage mises à disposition par un éditeur ou un distributeur d'un service de radio ou de télévision. Cet usage est apprécié sur le fondement d'enquêtes. Toutefois, lorsque des éléments objectifs permettent d'établir qu'un support ou une capacité de stockage mise à disposition par un éditeur ou un distributeur de service de radio ou de télévision peut être utilisé pour la reproduction à usage privé d'oeuvres et doit, en conséquence, donner lieu au versement de la rémunération, le montant de cette rémunération peut être déterminé par application des seuls critères mentionnés au troisième alinéa, pour une durée qui ne peut excéder un an à compter de cet assujettissement. / (...) ". En application de ces dispositions, la commission détermine le montant de la rémunération en fonction de l'usage de chaque type de support, sur le fondement d'enquêtes et sondages, qu'il lui appartient d'actualiser régulièrement et qui doivent toujours être fondés sur une étude objective des techniques et des comportements La décision attaquée fixe ainsi les barèmes de rémunération propres aux appareils reconditionnés en appliquant aux barèmes pour les supports à l'état neuf fixés par la décision n° 18 du 5 septembre 2018, un abattement de 40 % pour les téléphones mobiles et de 35 % pour les tablettes tactiles multimédias. Les barèmes issus de la décision de 2018 sont fondés sur une étude d'usage réalisée par l'institut CSA à la fin de l'année 2017. La décision attaquée est, quant à elle, fondée sur une étude d'usage des supports reconditionnés réalisée par l'institut GfK en 2021 sur un échantillon représentatif des possesseurs de produits reconditionnés.

28. Le SIRRMIET fait valoir que les usages de téléphones et de tablettes en matière de copie privée ont évolué, entre la fin de l'année 2017 et janvier 2023, en particulier du fait du développement de la lecture en continu, dite " streaming ", dans des conditions telles que la commission aurait été tenue, préalablement à la fixation des barèmes des produits neufs et reconditionnés, de réexaminer les tarifs applicables aux produits neufs sur la base d'une enquête actualisée. Si l'évolution rapide de ces usages rend nécessaire l'actualisation régulière des études sur lesquelles se fondent les barèmes adoptés par la commission, dans les circonstances de l'espèce, eu égard à l'annulation par la décision n° 455319 du 19 décembre 2022 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, de la décision n°22 du 1er juin 2021 de la commission, dont l'effet a été différé au 1er février 2023 compte tenu de l'obligation de résultat qui découle du b) de l'article 5-2 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, laquelle imposait de fixer rapidement un barème applicable aux appareils reconditionnés, la commission a pu, à la date à laquelle elle s'est prononcée, légalement fonder sa décision n° 23 du 12 janvier 2023 sur les barèmes de 2018 applicables aux téléphones mobiles et tablettes tactiles multimédias, arrêtés sur la base d'une étude d'usage réalisée par l'institut CSA à la fin de l'année 2017 ainsi que sur une étude d'usage de 2021 de l'institut GfK spécifique aux appareils reconditionnés, ayant permis de déterminer les abattements appliqués aux barèmes de produits neufs pour tenir compte de ce que les appareils avaient été reconditionnés. Elle a, en outre, décidé de lancer parallèlement de nouvelles études d'usage et des sondages, comme en attestent les pièces du dossier, afin de pouvoir prendre dans les meilleurs délais une nouvelle décision d'actualisation des barèmes. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision attaquée méconnaîtrait l'article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle, faute d'être fondée sur une étude d'usage actualisée doit, au regard de l'ensemble de ces éléments, être écarté.

29. Il résulte de ce qui a été dit à partir du point 23 et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle compte tenu de ce qui a été dit en particulier aux points 25 et 26, que le SIRRMIET n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.

Sur les frais de l'instance :

30. Les dispositions de de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Phone recycle Solution et du SIRRMIET la somme de 3 000 euros à verser, chacun, à la société Copie France, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Phone Recycle Solution.
Article 2 : Les requêtes de la société Phone Recycle Solution et du SIRRMIET sont rejetées.
Article 3 : La société Phone Recycle Solution versera à la société Copie France une somme de 3000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le SIRRMIET versera à la société Copie France une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Phone Recycle Solution, au Syndicat interprofessionnel du reconditionnement et de la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms, à la ministre de la culture et à la société Copie France.
Copie en sera adressée au Conseil Constitutionnel et au Premier ministre.