Conseil d'État
N° 461513
ECLI:FR:CECHR:2023:461513.20231229
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Alexandra Bratos, rapporteur
Mme Esther de Moustier, rapporteur public
SCP SPINOSI;SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats
Lecture du vendredi 29 décembre 2023
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le numéro 461513, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 février et 16 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ligue des droits de l'homme demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le schéma national du maintien de l'ordre, dans sa version mise à jour le 16 décembre 2021 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le numéro 461598, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 février 2022 et 30 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale Solidaires, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et l'association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les points 2.2.3.3, 2.2.3.4 et 3.1.4 du schéma national du maintien de l'ordre dans sa version mise à jour le 16 décembre 2021 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à chacun d'entre eux de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alexandra Bratos, auditrice,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l'homme et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Union syndicale Solidaires, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et l'association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture ;
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes sont dirigées contre le même document intitulé " schéma national du maintien de l'ordre " et présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.
2. La Ligue des droits de l'Homme et l'Union syndicale Solidaires et autres demandent l'annulation du " schéma national du maintien de l'ordre " mis à jour et publié par le ministre de l'intérieur et des outre-mer le 16 décembre 2021. Eu égard aux moyens invoqués, les conclusions des requêtes doivent être regardées comme tendant à l'annulation des points 2.2.3.2, 2.2.3.3, 2.2.3.4 et 3.1.4 de ce document, chacun d'eux étant divisible des autres points du document.
Sur les conclusions tendant à l'annulation des points 2.2.3.2, 2.2.3.3 et 2.2.3.4 du schéma national du maintien de l'ordre :
3. Le schéma national du maintien de l'ordre comporte, dans sa deuxième partie, les points suivants : " 2.2.3.2 Aux fins de couvrir le mieux possible la manifestation, les journalistes peuvent, à la différence des autres personnes présentes, circuler librement au sein des dispositifs de sécurité mis en place / 2.2.3.3 Les journalistes peuvent continuer d'exercer leur mission lors de la dispersion d'un attroupement sans être tenus, à la différence des autres personnes présentes, de quitter les lieux, dès lors qu'ils se placent de telle sorte qu'ils ne puissent être confondus avec les participants à l'attroupement et ne fassent pas obstacle à l'action des forces de l'ordre. Ceci s'applique tant aux manifestations déclarées qu'aux manifestations qui ont été interdites ou n'ont pas été préalablement déclarées. / 2.2.3.4 Les journalistes pouvant eux-mêmes être ciblés par certains manifestants violents, ils ont la possibilité de se positionner, de manière dérogatoire, derrière les cordons des forces de l'ordre. En outre, ils peuvent porter des équipements de protection ". Les requérants demandent l'annulation de ces différents points en tant qu'ils excluent les observateurs indépendants du bénéfice des règles qu'ils énoncent au profit des journalistes.
En ce qui concerne les points 2.2.3.2 et 2.2.3.3 :
S'agissant des fins de non-recevoir opposées par le ministre :
4. Les conclusions présentées par la Ligue des droits de l'homme sous le n° 461513 et par l'Union syndicale Solidaires et autres sous le n° 461598 ne tendent pas à l'annulation du refus du ministre de l'intérieur et des outre-mer de prendre une circulaire qui se bornerait à rappeler l'état du droit existant, mais à l'annulation de dispositions à caractère réglementaire qui, prévoyant qu'elles sont applicables aux journalistes " à la différence des autres personnes présentes ", ont pour effet d'exclure les observateurs indépendants du bénéfice de dispositifs prévus au profit des journalistes. Par suite, les fins de non-recevoir soulevées par le ministre de l'intérieur et des outre-mer tirées de ce que les conclusions des requêtes seraient irrecevables aux motifs, d'une part, qu'elles tendraient à l'annulation de son refus de prendre une circulaire et, d'autre part, de ce que le document attaqué ne produirait pas d'effets à l'égard des observateurs, ne peuvent qu'être écartées.
S'agissant des conclusions dirigées contre les points 2.2.3.2 et 2.2.3.3 :
5. En premier lieu, il ne résulte ni de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ni des articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que les personnes se prévalant de la qualité d'observateurs indépendants devraient bénéficier de garanties identiques à celles prévues en faveur des journalistes quant à la possibilité de circuler librement au sein des dispositifs de sécurité mis en place lors des manifestations. Les conclusions tendant à l'annulation du point 2.2.3.2 ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
6. En second lieu, en revanche, en réservant aux seuls journalistes la possibilité de ne pas être contraints de quitter les lieux lors de la dispersion d'un attroupement, et en excluant ainsi du bénéfice de cette dérogation toute autre catégorie de personnes, y compris, par suite, les observateurs indépendants, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a méconnu l'autorité de la chose jugée qui s'attache aux motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif de la décision n° 444849 du 10 juin 2021 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un recours contre la version antérieure du schéma national du maintien de l'ordre, a annulé l'interdiction alors faite aux observateurs indépendants, comme aux journalistes, d'exercer leur mission lors de la dispersion d'un attroupement en les contraignant à quitter les lieux.
7. Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à demander l'annulation du point 2.2.3.3, en tant qu'il exclut totalement du bénéfice de ses dispositions les observateurs indépendants.
En ce qui concerne le point 2.2.3.4 :
8. Si les dispositions du point 2.2.3.4 prévoient que les journalistes peuvent porter des équipements de protection, elles n'excluent pas, par elles-mêmes, que d'autres personnes, et notamment des observateurs indépendants, portent de tels équipements. Les conclusions tendant à leur annulation ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
Sur les conclusions dirigées contre le point 3.1.4 du schéma national du maintien de l'ordre :
9. Aux termes du point 3.1.4. du schéma national du maintien de l'ordre : " 3.1.4 Afin d'éviter le recours à des techniques de maintien de l'ordre pouvant présenter des risques supérieurs d'atteinte aux personnes, il peut être recouru à l'encerclement d'un groupe de manifestants pour prévenir ou faire cesser des violences graves et imminentes contre les personnes et les biens. / Cet encerclement doit, dès que les circonstances de l'ordre public le permettent, systématiquement ménager un point de sortie contrôlé pour ces personnes. L'encerclement ne peut être mis en oeuvre que pendant une durée strictement nécessaire et proportionnée, tant au regard des circonstances que des conséquences de cette mesure sur la situation des manifestants et doit, en tout état de cause, être levé dès la fin de la manifestation ou de l'attroupement. / Des actions spécifiques doivent être engagées pour communiquer régulièrement avec ces manifestants afin de les renseigner sur la situation. / Enfin, la possibilité qui leur est offerte de quitter la zone d'encerclement doit constamment être réévaluée avec discernement au regard de la persistance de la menace ou des troubles ayant justifié la mise en place de cette technique ".
10. En premier lieu, il appartient au législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution pour fixer notamment les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, d'assurer la conciliation entre, d'une part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties que constituent la liberté d'aller et venir, la liberté d'expression et de communication et le droit d'expression collective des idées et des opinions et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et notamment des atteintes à la sécurité des personnes et des biens et de définir à ce titre le régime juridique applicable à la liberté de manifestation. Il appartient aux autorités titulaires du pouvoir de police administrative, afin de prévenir les troubles à l'ordre public, de prendre les mesures adaptées, nécessaires et proportionnées que peut appeler, le cas échéant, la mise en oeuvre de la liberté de manifester. Enfin, il appartient au ministre de l'intérieur, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous son autorité, dans la mesure où l'exige l'intérêt du service, sous réserve des compétences attribuées à d'autres autorités par les textes législatifs et réglementaires en vigueur et dans le respect des lois et règlements applicables. Il est, à ce titre, compétent pour définir les techniques de maintien de l'ordre que les forces de l'ordre peuvent mettre en oeuvre pour maintenir l'ordre public, en veillant à ce que leur usage soit adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances.
11. Le document attaqué se contente de décrire les conditions de recours à la technique de l'encerclement, en précisant, notamment, les objectifs de ce recours, les cas d'emploi et les modalités de mise en oeuvre de cette technique. Si la mise en oeuvre de cette technique est susceptible de porter, provisoirement, une atteinte à la liberté d'aller et venir et, indirectement, une atteinte à la liberté de communication et au droit d'expression collective des idées et des opinions, le pouvoir réglementaire était, néanmoins, bien compétent pour en définir le principe et les modalités. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire pour déterminer les conditions du recours à la technique de l'encerclement ne peut qu'être écarté.
12. En deuxième lieu, si la mise en oeuvre d'une technique consistant à encercler un groupe de manifestants peut s'avérer nécessaire dans certaines circonstances pour répondre à des troubles caractérisés à l'ordre public, elle est susceptible d'affecter significativement la liberté de manifester, d'en dissuader l'exercice et de porter atteinte à la liberté d'aller et venir. Par suite, son utilisation doit être nécessaire, adaptée et proportionnée au risque d'atteinte à l'ordre public constaté. Il ne peut y être recouru que lorsqu'il s'agit de la mesure la moins intrusive permettant de prévenir les risques de troubles à l'ordre public constatés.
13. Il ressort des termes mêmes du document attaqué qu'il ne peut être recouru à la technique de l'encerclement que pour prévenir des violences graves et imminentes contre les personnes et les biens ou les faire cesser, pendant une durée strictement nécessaire et proportionnée, et que des points de sortie contrôlés doivent être obligatoirement ménagés pendant la mise en oeuvre de cette technique, sauf à ce que les contraintes particulières d'ordre public y fassent obstacle.
14. Par ailleurs, la mise en place d'un point de sortie contrôlé, qui permet aux personnes encerclées de regagner la manifestation, n'a pas pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet de permettre aux autorités compétentes de procéder à des contrôles d'identité dans des conditions non prévues par l'article 78-2 du code de procédure pénale.
15. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de la méconnaissance de la liberté d'aller et venir et des articles 5, 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que du caractère disproportionné du recours à une telle technique, ne peuvent qu'être écartés. Les conclusions dirigées contre le point 3.1.4 du schéma national doivent, par suite, être rejetées.
Sur les frais des instances :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sous le n° 461513, la somme de 1 500 euros à verser à la Ligue des droits de l'homme et, sous le n° 461598, la somme de 1 500 euros à verser solidairement à l'Union syndicale Solidaires, au Syndicat de la magistrature, au Syndicat des avocats de France et à l'association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le point 2.2.3.3 du schéma national du maintien de l'ordre, dans sa version résultant du 16 décembre 2021, est annulé en tant qu'il exclut du bénéfice de ses dispositions les observateurs indépendants.
Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la Ligue des droits de l'homme sous le n° 461513 et la somme de 1 500 euros solidairement à l'Union syndicale Solidaires, au Syndicat de la magistrature, au Syndicat des avocats de France et à l'association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture sous le n° 461598 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée, sous le n° 461513, à la Ligue des droits de l'homme et, sous le n° 461598, à l'Union syndicale Solidaires, premier requérant dénommé, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la Première ministre.
N° 461513
ECLI:FR:CECHR:2023:461513.20231229
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Alexandra Bratos, rapporteur
Mme Esther de Moustier, rapporteur public
SCP SPINOSI;SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats
Lecture du vendredi 29 décembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le numéro 461513, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 février et 16 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ligue des droits de l'homme demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le schéma national du maintien de l'ordre, dans sa version mise à jour le 16 décembre 2021 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le numéro 461598, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 février 2022 et 30 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale Solidaires, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et l'association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les points 2.2.3.3, 2.2.3.4 et 3.1.4 du schéma national du maintien de l'ordre dans sa version mise à jour le 16 décembre 2021 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à chacun d'entre eux de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alexandra Bratos, auditrice,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l'homme et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Union syndicale Solidaires, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et l'association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture ;
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes sont dirigées contre le même document intitulé " schéma national du maintien de l'ordre " et présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.
2. La Ligue des droits de l'Homme et l'Union syndicale Solidaires et autres demandent l'annulation du " schéma national du maintien de l'ordre " mis à jour et publié par le ministre de l'intérieur et des outre-mer le 16 décembre 2021. Eu égard aux moyens invoqués, les conclusions des requêtes doivent être regardées comme tendant à l'annulation des points 2.2.3.2, 2.2.3.3, 2.2.3.4 et 3.1.4 de ce document, chacun d'eux étant divisible des autres points du document.
Sur les conclusions tendant à l'annulation des points 2.2.3.2, 2.2.3.3 et 2.2.3.4 du schéma national du maintien de l'ordre :
3. Le schéma national du maintien de l'ordre comporte, dans sa deuxième partie, les points suivants : " 2.2.3.2 Aux fins de couvrir le mieux possible la manifestation, les journalistes peuvent, à la différence des autres personnes présentes, circuler librement au sein des dispositifs de sécurité mis en place / 2.2.3.3 Les journalistes peuvent continuer d'exercer leur mission lors de la dispersion d'un attroupement sans être tenus, à la différence des autres personnes présentes, de quitter les lieux, dès lors qu'ils se placent de telle sorte qu'ils ne puissent être confondus avec les participants à l'attroupement et ne fassent pas obstacle à l'action des forces de l'ordre. Ceci s'applique tant aux manifestations déclarées qu'aux manifestations qui ont été interdites ou n'ont pas été préalablement déclarées. / 2.2.3.4 Les journalistes pouvant eux-mêmes être ciblés par certains manifestants violents, ils ont la possibilité de se positionner, de manière dérogatoire, derrière les cordons des forces de l'ordre. En outre, ils peuvent porter des équipements de protection ". Les requérants demandent l'annulation de ces différents points en tant qu'ils excluent les observateurs indépendants du bénéfice des règles qu'ils énoncent au profit des journalistes.
En ce qui concerne les points 2.2.3.2 et 2.2.3.3 :
S'agissant des fins de non-recevoir opposées par le ministre :
4. Les conclusions présentées par la Ligue des droits de l'homme sous le n° 461513 et par l'Union syndicale Solidaires et autres sous le n° 461598 ne tendent pas à l'annulation du refus du ministre de l'intérieur et des outre-mer de prendre une circulaire qui se bornerait à rappeler l'état du droit existant, mais à l'annulation de dispositions à caractère réglementaire qui, prévoyant qu'elles sont applicables aux journalistes " à la différence des autres personnes présentes ", ont pour effet d'exclure les observateurs indépendants du bénéfice de dispositifs prévus au profit des journalistes. Par suite, les fins de non-recevoir soulevées par le ministre de l'intérieur et des outre-mer tirées de ce que les conclusions des requêtes seraient irrecevables aux motifs, d'une part, qu'elles tendraient à l'annulation de son refus de prendre une circulaire et, d'autre part, de ce que le document attaqué ne produirait pas d'effets à l'égard des observateurs, ne peuvent qu'être écartées.
S'agissant des conclusions dirigées contre les points 2.2.3.2 et 2.2.3.3 :
5. En premier lieu, il ne résulte ni de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ni des articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que les personnes se prévalant de la qualité d'observateurs indépendants devraient bénéficier de garanties identiques à celles prévues en faveur des journalistes quant à la possibilité de circuler librement au sein des dispositifs de sécurité mis en place lors des manifestations. Les conclusions tendant à l'annulation du point 2.2.3.2 ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
6. En second lieu, en revanche, en réservant aux seuls journalistes la possibilité de ne pas être contraints de quitter les lieux lors de la dispersion d'un attroupement, et en excluant ainsi du bénéfice de cette dérogation toute autre catégorie de personnes, y compris, par suite, les observateurs indépendants, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a méconnu l'autorité de la chose jugée qui s'attache aux motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif de la décision n° 444849 du 10 juin 2021 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un recours contre la version antérieure du schéma national du maintien de l'ordre, a annulé l'interdiction alors faite aux observateurs indépendants, comme aux journalistes, d'exercer leur mission lors de la dispersion d'un attroupement en les contraignant à quitter les lieux.
7. Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à demander l'annulation du point 2.2.3.3, en tant qu'il exclut totalement du bénéfice de ses dispositions les observateurs indépendants.
En ce qui concerne le point 2.2.3.4 :
8. Si les dispositions du point 2.2.3.4 prévoient que les journalistes peuvent porter des équipements de protection, elles n'excluent pas, par elles-mêmes, que d'autres personnes, et notamment des observateurs indépendants, portent de tels équipements. Les conclusions tendant à leur annulation ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
Sur les conclusions dirigées contre le point 3.1.4 du schéma national du maintien de l'ordre :
9. Aux termes du point 3.1.4. du schéma national du maintien de l'ordre : " 3.1.4 Afin d'éviter le recours à des techniques de maintien de l'ordre pouvant présenter des risques supérieurs d'atteinte aux personnes, il peut être recouru à l'encerclement d'un groupe de manifestants pour prévenir ou faire cesser des violences graves et imminentes contre les personnes et les biens. / Cet encerclement doit, dès que les circonstances de l'ordre public le permettent, systématiquement ménager un point de sortie contrôlé pour ces personnes. L'encerclement ne peut être mis en oeuvre que pendant une durée strictement nécessaire et proportionnée, tant au regard des circonstances que des conséquences de cette mesure sur la situation des manifestants et doit, en tout état de cause, être levé dès la fin de la manifestation ou de l'attroupement. / Des actions spécifiques doivent être engagées pour communiquer régulièrement avec ces manifestants afin de les renseigner sur la situation. / Enfin, la possibilité qui leur est offerte de quitter la zone d'encerclement doit constamment être réévaluée avec discernement au regard de la persistance de la menace ou des troubles ayant justifié la mise en place de cette technique ".
10. En premier lieu, il appartient au législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution pour fixer notamment les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, d'assurer la conciliation entre, d'une part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties que constituent la liberté d'aller et venir, la liberté d'expression et de communication et le droit d'expression collective des idées et des opinions et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et notamment des atteintes à la sécurité des personnes et des biens et de définir à ce titre le régime juridique applicable à la liberté de manifestation. Il appartient aux autorités titulaires du pouvoir de police administrative, afin de prévenir les troubles à l'ordre public, de prendre les mesures adaptées, nécessaires et proportionnées que peut appeler, le cas échéant, la mise en oeuvre de la liberté de manifester. Enfin, il appartient au ministre de l'intérieur, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous son autorité, dans la mesure où l'exige l'intérêt du service, sous réserve des compétences attribuées à d'autres autorités par les textes législatifs et réglementaires en vigueur et dans le respect des lois et règlements applicables. Il est, à ce titre, compétent pour définir les techniques de maintien de l'ordre que les forces de l'ordre peuvent mettre en oeuvre pour maintenir l'ordre public, en veillant à ce que leur usage soit adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances.
11. Le document attaqué se contente de décrire les conditions de recours à la technique de l'encerclement, en précisant, notamment, les objectifs de ce recours, les cas d'emploi et les modalités de mise en oeuvre de cette technique. Si la mise en oeuvre de cette technique est susceptible de porter, provisoirement, une atteinte à la liberté d'aller et venir et, indirectement, une atteinte à la liberté de communication et au droit d'expression collective des idées et des opinions, le pouvoir réglementaire était, néanmoins, bien compétent pour en définir le principe et les modalités. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire pour déterminer les conditions du recours à la technique de l'encerclement ne peut qu'être écarté.
12. En deuxième lieu, si la mise en oeuvre d'une technique consistant à encercler un groupe de manifestants peut s'avérer nécessaire dans certaines circonstances pour répondre à des troubles caractérisés à l'ordre public, elle est susceptible d'affecter significativement la liberté de manifester, d'en dissuader l'exercice et de porter atteinte à la liberté d'aller et venir. Par suite, son utilisation doit être nécessaire, adaptée et proportionnée au risque d'atteinte à l'ordre public constaté. Il ne peut y être recouru que lorsqu'il s'agit de la mesure la moins intrusive permettant de prévenir les risques de troubles à l'ordre public constatés.
13. Il ressort des termes mêmes du document attaqué qu'il ne peut être recouru à la technique de l'encerclement que pour prévenir des violences graves et imminentes contre les personnes et les biens ou les faire cesser, pendant une durée strictement nécessaire et proportionnée, et que des points de sortie contrôlés doivent être obligatoirement ménagés pendant la mise en oeuvre de cette technique, sauf à ce que les contraintes particulières d'ordre public y fassent obstacle.
14. Par ailleurs, la mise en place d'un point de sortie contrôlé, qui permet aux personnes encerclées de regagner la manifestation, n'a pas pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet de permettre aux autorités compétentes de procéder à des contrôles d'identité dans des conditions non prévues par l'article 78-2 du code de procédure pénale.
15. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de la méconnaissance de la liberté d'aller et venir et des articles 5, 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que du caractère disproportionné du recours à une telle technique, ne peuvent qu'être écartés. Les conclusions dirigées contre le point 3.1.4 du schéma national doivent, par suite, être rejetées.
Sur les frais des instances :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sous le n° 461513, la somme de 1 500 euros à verser à la Ligue des droits de l'homme et, sous le n° 461598, la somme de 1 500 euros à verser solidairement à l'Union syndicale Solidaires, au Syndicat de la magistrature, au Syndicat des avocats de France et à l'association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le point 2.2.3.3 du schéma national du maintien de l'ordre, dans sa version résultant du 16 décembre 2021, est annulé en tant qu'il exclut du bénéfice de ses dispositions les observateurs indépendants.
Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la Ligue des droits de l'homme sous le n° 461513 et la somme de 1 500 euros solidairement à l'Union syndicale Solidaires, au Syndicat de la magistrature, au Syndicat des avocats de France et à l'association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture sous le n° 461598 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée, sous le n° 461513, à la Ligue des droits de l'homme et, sous le n° 461598, à l'Union syndicale Solidaires, premier requérant dénommé, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la Première ministre.