Conseil d'État
N° 461367
ECLI:FR:CECHR:2023:461367.20231204
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Rose-Marie Abel, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public
Lecture du lundi 4 décembre 2023
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 10 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Compassion in World Farming France (CIWF), Fondation Droit Animal Ethique et Science, ?uvre d'Assistance aux Bêtes d'Abattoirs, Welfarm - Protection mondiale des animaux de ferme, Société Protectrice des Animaux, L214, One Voice, Alliance Anticorrida et Animal Cross demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les trois derniers alinéas de l'article 1er du décret n° 2021-1647 du 14 décembre 2021 précisant les modalités d'application de l'article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime portant interdiction de la mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d'élevage de poules pondeuses élevées en cage.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment la Charte de l'environnement à laquelle renvoie son Préambule ;
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime : " La mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d'élevage de poules pondeuses élevées en cages est interdite à compter de l'entrée en vigueur de la loi no 2018-938 du 30 octobre 2018 (...) / Les modalités d'application du présent article sont définies par décret ". Par une décision n° 441660 du 27 mai 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a enjoint au Premier ministre de prendre le décret prévu par ces dispositions. L'article 1er du décret du 14 décembre 2021 précisant les modalités d'application de l'article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime portant interdiction de la mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d'élevage de poules pondeuses élevées en cages a introduit dans ce code un article D. 214-38 ainsi rédigé : " Pour l'application de l'article L. 214-11, constitue un nouveau bâtiment la construction ou la reconstruction, totale ou partielle, d'un bâtiment destiné à l'élevage de poules pondeuses élevées en cage. / Pour l'application de ce même article, constituent un réaménagement de bâtiment : / 1° Les travaux ou aménagements d'un bâtiment existant pour le destiner à l'élevage de poules pondeuses en cage ; / 2° Les travaux ou aménagements d'un bâtiment existant conduisant à augmenter le nombre de poules pondeuses pouvant y être élevées en cage ". Eu égard aux moyens qu'elles soulèvent, les associations requérantes doivent être regardées comme demandant au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les trois derniers alinéas de cet article.
Sur la légalité externe :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ". L'article L. 123-19-1 du code de l'environnement définit, par son I, " les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. ". Il précise, au dernier alinéa de son I, que : " Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif ".
3. Il ressort des pièces du dossier que le décret attaqué a pour objet de définir ce qui constitue un bâtiment nouveau ou réaménagé destiné à l'élevage de poules pondeuses élevées en cage, au sens et pour l'application de l'article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime. Eu égard à sa finalité et à sa portée, ce décret ne peut être regardé comme ayant des effets directs et significatifs sur l'environnement. Le moyen tiré de ce qu'il aurait été adopté en méconnaissance de l'obligation de participation du public doit par suite être écarté.
4. En second lieu, l'absence de visa de la décision du Conseil d'Etat n°441660 du 27 mai 2021 est dépourvue d'incidence sur la légalité du décret attaqué.
Sur la légalité interne :
5. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L.214-11 du code rural et de la pêche maritime citées au point 1, éclairées par les travaux parlementaires de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous dont elles sont issues, que le législateur, en prohibant la mise en production de tout bâtiment réaménagé d'élevage de poules pondeuses élevées en cage, n'a pas entendu interdire les travaux ou aménagements permettant le maintien en production, à capacités inchangées, d'un bâtiment existant affecté à l'élevage en cage de poules pondeuses. Par suite, en définissant comme réaménagement d'un bâtiment, pour l'application de ces dispositions, l'aménagement d'un bâtiment existant pour le destiner à l'élevage de poules pondeuses en cage ou l'aménagement d'un bâtiment d'élevage existant conduisant à augmenter le nombre de poules pouvant y être élevées en cage, le décret attaqué ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime dont il fait application.
6. En second lieu, les exploitants de bâtiments déjà affectés à l'élevage en cages de poules pondeuses ne sont pas dans la même situation, eu égard à l'objet de l'interdiction énoncée, que les exploitants de bâtiments affectés à un autre usage. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que la différence de traitement instituée par le décret attaqué entre ces deux catégories d'exploitants méconnaît le principe d'égalité doit être écarté.
7. Il résulte de tout ce qui précède que l'association CIWF France et autres ne sont pas fondées à demander l'annulation des trois derniers alinéas de l'article D. 214-38 inséré dans le code rural et de la pêche maritime par l'article 1er du décret du 14 décembre 2021 attaqué.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de l'association Compassion in World Farming France et autres est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Compassion in World Farming France première requérante dénommée, à la Première ministre et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Philippe Ranquet, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Nicole da Costa, conseillers d'Etat et Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 4 décembre 2023.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Rose-Marie Abel
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin
N° 461367
ECLI:FR:CECHR:2023:461367.20231204
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Rose-Marie Abel, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public
Lecture du lundi 4 décembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 10 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Compassion in World Farming France (CIWF), Fondation Droit Animal Ethique et Science, ?uvre d'Assistance aux Bêtes d'Abattoirs, Welfarm - Protection mondiale des animaux de ferme, Société Protectrice des Animaux, L214, One Voice, Alliance Anticorrida et Animal Cross demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les trois derniers alinéas de l'article 1er du décret n° 2021-1647 du 14 décembre 2021 précisant les modalités d'application de l'article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime portant interdiction de la mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d'élevage de poules pondeuses élevées en cage.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment la Charte de l'environnement à laquelle renvoie son Préambule ;
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime : " La mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d'élevage de poules pondeuses élevées en cages est interdite à compter de l'entrée en vigueur de la loi no 2018-938 du 30 octobre 2018 (...) / Les modalités d'application du présent article sont définies par décret ". Par une décision n° 441660 du 27 mai 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a enjoint au Premier ministre de prendre le décret prévu par ces dispositions. L'article 1er du décret du 14 décembre 2021 précisant les modalités d'application de l'article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime portant interdiction de la mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d'élevage de poules pondeuses élevées en cages a introduit dans ce code un article D. 214-38 ainsi rédigé : " Pour l'application de l'article L. 214-11, constitue un nouveau bâtiment la construction ou la reconstruction, totale ou partielle, d'un bâtiment destiné à l'élevage de poules pondeuses élevées en cage. / Pour l'application de ce même article, constituent un réaménagement de bâtiment : / 1° Les travaux ou aménagements d'un bâtiment existant pour le destiner à l'élevage de poules pondeuses en cage ; / 2° Les travaux ou aménagements d'un bâtiment existant conduisant à augmenter le nombre de poules pondeuses pouvant y être élevées en cage ". Eu égard aux moyens qu'elles soulèvent, les associations requérantes doivent être regardées comme demandant au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les trois derniers alinéas de cet article.
Sur la légalité externe :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ". L'article L. 123-19-1 du code de l'environnement définit, par son I, " les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. ". Il précise, au dernier alinéa de son I, que : " Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif ".
3. Il ressort des pièces du dossier que le décret attaqué a pour objet de définir ce qui constitue un bâtiment nouveau ou réaménagé destiné à l'élevage de poules pondeuses élevées en cage, au sens et pour l'application de l'article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime. Eu égard à sa finalité et à sa portée, ce décret ne peut être regardé comme ayant des effets directs et significatifs sur l'environnement. Le moyen tiré de ce qu'il aurait été adopté en méconnaissance de l'obligation de participation du public doit par suite être écarté.
4. En second lieu, l'absence de visa de la décision du Conseil d'Etat n°441660 du 27 mai 2021 est dépourvue d'incidence sur la légalité du décret attaqué.
Sur la légalité interne :
5. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L.214-11 du code rural et de la pêche maritime citées au point 1, éclairées par les travaux parlementaires de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous dont elles sont issues, que le législateur, en prohibant la mise en production de tout bâtiment réaménagé d'élevage de poules pondeuses élevées en cage, n'a pas entendu interdire les travaux ou aménagements permettant le maintien en production, à capacités inchangées, d'un bâtiment existant affecté à l'élevage en cage de poules pondeuses. Par suite, en définissant comme réaménagement d'un bâtiment, pour l'application de ces dispositions, l'aménagement d'un bâtiment existant pour le destiner à l'élevage de poules pondeuses en cage ou l'aménagement d'un bâtiment d'élevage existant conduisant à augmenter le nombre de poules pouvant y être élevées en cage, le décret attaqué ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime dont il fait application.
6. En second lieu, les exploitants de bâtiments déjà affectés à l'élevage en cages de poules pondeuses ne sont pas dans la même situation, eu égard à l'objet de l'interdiction énoncée, que les exploitants de bâtiments affectés à un autre usage. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que la différence de traitement instituée par le décret attaqué entre ces deux catégories d'exploitants méconnaît le principe d'égalité doit être écarté.
7. Il résulte de tout ce qui précède que l'association CIWF France et autres ne sont pas fondées à demander l'annulation des trois derniers alinéas de l'article D. 214-38 inséré dans le code rural et de la pêche maritime par l'article 1er du décret du 14 décembre 2021 attaqué.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de l'association Compassion in World Farming France et autres est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Compassion in World Farming France première requérante dénommée, à la Première ministre et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Philippe Ranquet, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Nicole da Costa, conseillers d'Etat et Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 4 décembre 2023.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Rose-Marie Abel
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin