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Ariane Web: Conseil d'État 476301, lecture du 24 novembre 2023, ECLI:FR:CECHS:2023:476301.20231124

Décision n° 476301
24 novembre 2023
Conseil d'État

N° 476301
ECLI:FR:CECHS:2023:476301.20231124
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre
M. Olivier Japiot, président
Mme Audrey Prince, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SCP POUPET & KACENELENBOGEN, avocats


Lecture du vendredi 24 novembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Guyot Environnement a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation de l'accord-cadre lancée par la communauté d'agglomération Morlaix Communauté en procédure formalisée d'appel d'offres ouvert, relatif à la location, l'enlèvement, le transport et le vidage des caissons de déchetterie.

Par une ordonnance n° 2302971 du 10 juillet 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Rennes a annulé cette procédure de passation, ainsi que la décision de rejet de l'offre de la société Guyot Environnement et la décision d'attribution de ce marché à la société Les Recycleurs Bretons.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 juillet et 9 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté d'agglomération Morlaix Communauté demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Guyot Environnement ;

3°) de mettre à la charge de la société Guyot Environnement la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme A... Prince, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de la communauté d'agglomération Morlaix Communauté et à la SCP Poupet et Kacenelenbogen, avocat de la société Guyot Environnement ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un courrier du 22 mai 2023, la communauté d'agglomération Morlaix Communauté, qui avait lancé une consultation, en appel d'offres ouvert, pour l'attribution d'un accord-cadre à bons de commande portant sur les prestations de location, enlèvement, transport et vidage des caissons de déchetterie de la communauté d'agglomération, a informé la société Guyot Environnement que son offre n'était pas retenue et que le marché était attribué à la société Les Recycleurs Bretons. Par une ordonnance du 10 juillet 2023, contre laquelle la communauté d'agglomération Morlaix Communauté se pourvoit en cassation, la juge des référés du tribunal administratif de Rennes, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a annulé cette procédure de passation, ainsi que la décision de rejet de l'offre de la société Guyot Environnement et la décision d'attribution de ce marché à la société Les Recycleurs Bretons.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Il peut également être saisi en cas de manquement aux mêmes obligations auxquelles sont soumises, en application de l'article L. 521-20 du code de l'énergie, la sélection de l'actionnaire opérateur d'une société d'économie mixte hydroélectrique et la désignation de l'attributaire de la concession. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes du I de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. (...) ".

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Aux termes de l'article L. 2152-2 de ce code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ". Aux termes de l'article R. 2152-2 du même code : " Dans toutes les procédures, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. / La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles ". Aux termes de l'article R. 2165-5 du même code : " l'acheteur ne peut négocier avec les soumissionnaires. Il lui est seulement possible de leur demander de préciser la teneur de leur offre ". Enfin, aux termes de l'article 7.2 du règlement de la consultation : " L'attention des candidats est attirée sur le fait que toute offre irrégulière pourra faire l'objet d'une demande de régularisation, à condition qu'elle ne soit pas anormalement basse ".

4. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que, pour juger que la communauté d'agglomération Morlaix Agglomération avait méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence, la juge des référés a estimé, après avoir relevé d'une part que le montant de l'offre toutes taxes comprises (TTC) de la société Les Recycleurs Bretons, attributaire désigné, figurant dans le rapport d'analyse des offres, correspondait au prix hors taxes (HT) indiqué par la société augmenté de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au taux de 5,5 %, d'autre part que le pouvoir adjudicateur avait noté en commentaire du rapport d'analyse des offres que la société avait indiqué sur le détail quantitatif estimatif un taux de TVA de 10 %, que le pouvoir adjudicateur avait ainsi rectifié de lui-même l'offre de la société attributaire. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait du rapport d'analyse des offres, qui portait la mention " analyse des offres après demande de précisions ", que le pouvoir adjudicateur avait retenu le taux de TVA légalement applicable après avoir demandé à la société Les Recycleurs Bretons de rectifier son offre sur ce point, la juge des référés du tribunal administratif de Rennes a dénaturé les pièces du dossier.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'ordonnance attaquée doit être annulée.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la société Guyot Environnement n'est pas fondée à soutenir que le pouvoir adjudicateur aurait irrégulièrement rectifié d'office l'offre de la société attributaire en lui appliquant le taux de TVA légalement applicable.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2113-10 du code de la commande publique : " Les marchés sont passés en lots séparés, sauf si leur objet ne permet pas l'identification de prestations distinctes. / (...) " Aux termes de l'article L. 2113-11 du même code : " L'acheteur peut décider de ne pas allotir un marché dans l'un des cas suivants : / 1° Il n'est pas en mesure d'assurer par lui-même les missions d'organisation, de pilotage et de coordination ; / 2° La dévolution en lots séparés est de nature à restreindre la concurrence ou risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l'exécution des prestations. / Lorsqu'un acheteur décide de ne pas allotir le marché, il motive son choix en énonçant les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de sa décision ".

9. Il résulte de l'instruction que la procédure d'appel d'offre passée par la communauté d'agglomération Morlaix communauté portait sur la location, l'enlèvement, le transport et le vidage des caissons de déchetterie de ses 26 communes membres. Si la société Guyot Environnement soutient que la communauté d'agglomération aurait méconnu les dispositions citées au point précédent en ne prévoyant pas d'attribuer les prestations de location des caissons en un lot distinct, celle-ci fait valoir qu'elle est propriétaire des caissons de déchetterie et qu'elle n'est susceptible de demander au titulaire de fournir des caissons de remplacement que de manière ponctuelle afin de faire face à des pics d'activité et d'assurer la continuité du service. La communauté d'agglomération Morlaix Communauté, qui justifie ainsi que l'allotissement du marché aurait pu être de nature à rendre techniquement plus difficile l'exécution des prestations prévues au contrat, ne peut être regardée comme ayant manqué à ses obligations de mise en concurrence en recourant à un marché global. La société Guyot environnement n'est pas davantage fondée à soutenir qu'elle n'aurait pas suffisamment défini son besoin sur ce point.

10. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que l'article 7.2 du règlement de la consultation précise que l'attribution du marché se fait selon deux critères : le prix et la valeur technique. Le critère prix est apprécié au vu du montant global du détail quantitatif estimatif renseigné par les candidats, par application d'une formule prenant comme référence l'offre la moins-disante, ce critère étant pondéré à 55 %. La valeur technique est appréciée au regard du mémoire technique, ce critère étant pondéré à 45 %. Il est subdivisé en trois sous-critères : " méthodologie et organisation générale de la prestation ", pondéré à 30 % ; " moyens humains et matériels ", pondéré à 10 % ; " performance environnementale ", pondéré à 5 %.

11. Si la société Guyot Environnement soutient qu'il n'est pas vraisemblable que les offres aient pu obtenir la même note maximale au regard des sous-critères " Méthodologie et organisation générale de la prestation " et " Moyens humains et matériels " sans que la méthode de notation ait en réalité visé à neutraliser la pondération de ces sous-critères, elle ne fournit aucun élément au soutien de cette affirmation. Il en va de même de son affirmation selon laquelle la circonstance que la " Méthode de prise en compte et traçabilité des demandes " soit demandée à la fois au titre du sous-critères " Méthodologie et organisation " et au titre du sous-critère " Moyens humains et matériels " aurait méconnu les principes d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.

12. Enfin, aux termes de l'article R. 2181-1 du code de la commande publique : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". Aux termes de l'article R. 2181-3 du même code, applicable aux marchés passés selon une procédure formalisée : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1 ". Aux termes de l'article R. 2181-4 de ce code : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : [...] / 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ".

13. Il résulte de l'instruction que le courrier du 2 mai 2023 adressé par la communauté d'agglomération Morlaix Communauté à la société Guyot Environnement pour lui notifier le rejet de son offre précisait les motifs de ce rejet, le nom de la société attributaire, le montant maximum annuel du marché, la durée du marché, les notes globales et sur chacun des critères et sous-critères attribuées à la société attributaire et à la société Guyot Environnement, dont se déduisait également le classement de l'offre de la société Guyot Environnement en deuxième position, et le délai de suspension de la signature du marché. Il résulte également de l'instruction que, par courrier du 5 juin 2023, la communauté d'agglomération Morlaix Communauté a informé la société Guyot Environnement des caractéristiques et des avantages de l'offre retenue, ces informations ayant en tout état de cause été complétées par la communication du rapport d'analyse des offres et du montant de l'offre retenue à la date à laquelle la juge des référés a statué sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles R. 2181-3 et R. 2181-4 du code de la commande publique ne peut qu'être écarté.

14. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la demande présentée par la société Guyot Environnement devant la juge des référés du tribunal administratif de Rennes doit être rejetée.

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Guyot Environnement la somme de 3 000 euros à verser à la communauté d'agglomération Morlaix Communauté au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la communauté d'agglomération Morlaix Communauté qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 10 juillet 2023 de la juge des référés du tribunal administratif de Rennes est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Guyot Environnement devant le juge des référés du tribunal administratif de Rennes et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société Guyot Environnement versera à la communauté d'agglomération Morlaix Communauté une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la communauté d'agglomération Morlaix Communauté et à la société Guyot Environnement.
Copie en sera adressée à la société Les Recycleurs Bretons.