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Ariane Web: Conseil d'État 461835, lecture du 13 novembre 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:461835.20231113

Décision n° 461835
13 novembre 2023
Conseil d'État

N° 461835
ECLI:FR:CECHR:2023:461835.20231113
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Isabelle Lemesle, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
JORION, avocats


Lecture du lundi 13 novembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu les procédures suivantes :

1° Sous le numéro 461835, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 février et 23 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des éditeurs de presse magazine demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1746 du 21 décembre 2021 modifiant le code des postes et des communications électroniques, le code général des impôts et le décret n° 2009-340 du 29 octobre 2009 pris pour l'application de l'article 1er de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le numéro 469186, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 25 novembre 2022 et le 20 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société RL Mags Limited demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le refus implicite de la Première ministre de faire droit à sa demande d'abrogation du décret n° 2021-1746 du 21 décembre 2021 modifiant le code des postes et des communications électroniques, le code général des impôts et le décret n° 2009 340 du 29 octobre 2009 pris pour l'application de l'article 1er de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse ;

2°) d'enjoindre à la Première ministre de procéder à l'abrogation de ce décret, dans un délai de deux mois, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

3) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des postes et des communications électroniques ;
- le code du travail ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 86-897 du 1er août 1986 ;
- le décret n° 97-1065 du 20 novembre 1997 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le décret n° 2009-1340 du 29 octobre 2009 ;
- la décision du 7 avril 2023 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par les sociétés RL Mags limited et Shopper Union France ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat du Syndicat des éditeurs de presse magazine ;

Sous le n°461835, une note en délibéré, enregistrée le 12 octobre 2023, a été présentée par le Syndicat des éditeurs de presse magazine.



Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes formées, sous le n° 461835, par le Syndicat des éditeurs de presse magazine, et, sous le n° 469186, par la société RL MAG Limited concernent le même décret n° 2021-1746 du 21 décembre 2021 modifiant le code des postes et des communications électroniques, le code général des impôts et le décret n° 2009 340 du 29 octobre 2009 pris pour l'application de l'article 1er de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par une seule décision. Par deux mémoires en défense qui, contrairement à ce que soutient la société RL MAG Limited, ne sont pas, en tout état de cause, entachés d'irrecevabilité faute d'être signés par une autorité compétente, dès lors que leur signataire, sous-directeur de la presse écrite et des métiers de l'information de la direction générale des médias et des industries culturelles, disposait d'une délégation de signature en application de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement, la ministre de la culture, demande au Conseil d'Etat de rejeter ces requêtes.

2. L'article D. 18 du code des postes et des communications électroniques, l'article 72 de l'annexe III au code général des impôts et l'article 1er du décret du 29 octobre 2009 pris pour l'application de l'article 1er de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse énoncent les critères d'accès au régime économique de la presse, d'une part, pour les aides fiscales instituées par l'article 298 septies du code général des impôts et pour le tarif postal prévu par le dernier alinéa de l'article L. 2 du code des postes et communications électroniques, s'agissant de la presse imprimée et, d'autre part, pour la reconnaissance des services de presse en ligne par la commission paritaire des publications et agences de presse, prévue par l'article 1er de la loi du 1er août 1986. L'article D. 18 du code des postes et des communications électroniques et l'article 72 de l'annexe III au code général des impôts, dans leur version résultant du décret attaqué, disposent : " (...) les journaux et écrits périodiques présentant un lien direct avec l'actualité, apprécié au regard de l'objet de la publication ", pour bénéficier du tarif de presse et d'avantages fiscaux, doivent :/ I.- Présenter un contenu original composé d'informations ayant fait l'objet d'un traitement à caractère journalistique, notamment dans la recherche, la collecte, la vérification et la mise en forme de ces informations. Ce traitement, qui peut être apporté par des agences de presse agréées au sens de l'ordonnance du 2 novembre 1945, est réalisé par une équipe rédactionnelle composée de journalistes professionnels au sens de l'article L. 7111-3 du code du travail. / La composition de cette équipe est appréciée en fonction de la taille de l'entreprise éditrice, de l'objet de la publication et de sa périodicité ". La même condition a été introduite par le décret attaqué à l'article 1er du décret du 29 octobre 2009 pour la reconnaissance des services de presse en ligne par la commission paritaire des publications et agences de presse.

3. En premier lieu, la société LR MAGS Limited soutient, d'une part, que le décret attaqué serait entaché d'incompétence dans la mesure où il excèderait l'habilitation que lui donne la loi du 1er août 1986, laquelle ne porte que sur les services de presse en ligne et d'autre part, qu'il fait application de l'article 1er de cette loi qui serait entaché d'incompétence négative. Toutefois, par une décision du 7 avril 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a jugé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société RL Mags Limited et portant sur la non-conformité de l'article 1er, alinéa 3, de la loi du 1er août 1986 avec les articles 1er, 2 et 34 de la Constitution et les articles 4, 6, 11 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la société requérante, si le décret attaqué a pour fondement légal l'article 1er de la loi du 1er août 1986 en ce qui concerne les services de presse en ligne, il fait application, s'agissant de la presse imprimée, à la fois du dernier alinéa de l'article L. 2 du code des postes et communications électroniques, sur le bénéfice du tarif postal de la presse, et de l'article 298 septies du code général des impôts, s'agissant des avantages fiscaux accordés à la presse. Son moyen tiré de l'incompétence entachant le décret attaqué ne peut dès lors qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, il résulte des dispositions citées au point 2 que le décret attaqué a subordonné le bénéfice du régime économique de la presse à une nouvelle condition tenant au traitement des informations par une équipe rédactionnelle composée de journalistes professionnels dont la composition est appréciée en fonction de la taille de l'entreprise éditrice, de l'objet de la publication et de sa périodicité. Ces critères, qui ne sont ni équivoques, ni insuffisamment précis et que la commission paritaire des publications et des agences de presse applique à la variété des publications qui lui sont soumises sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, ne méconnaissent pas l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme, ni le principe d'égalité devant la loi

5. En dernier lieu, aux termes de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations. / 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ".

6. Les dispositions, citées au point 2, issues du décret attaqué n'ont pas pour objet d'autoriser ou d'interdire les publications mais de les faire bénéficier d'avantages économiques en vue de garantir le pluralisme de la presse. Elles définissent ainsi les critères de l'admission de ces publications au bénéfice de ces avantages. L'introduction d'une nouvelle condition tenant à la présence de journalistes professionnels dans l'équipe rédactionnelle, dont la composition est appréciée en fonction de la taille de l'entreprise éditrice, de l'objet de la publication et de sa périodicité renforce, eu égard aux règles déontologiques auxquelles sont soumis les journalistes professionnels et au statut qui leur est garanti par le code du travail, les exigences de contenu journalistique dans les critères d'accès au régime économique de la presse et répond ainsi au but légitime et nécessaire dans une société démocratique, au sens des stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de protection du pluralisme de la presse. Par ailleurs, les dispositions citées au point 2 fixent les garanties instituées pour la mise en oeuvre du régime économique de la presse en prévoyant notamment que son bénéfice est décidé par l'administration, après avis de la commission paritaire des publications et agences de presse chargée d'instruire les demandes sur le fondement des documents fournis par les sociétés éditrices, et sous le contrôle du juge. La délivrance du certificat d'inscription par cette commission n'a, en outre, pas un caractère définitif mais fait l'objet d'un réexamen périodique. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes du Syndicat des éditeurs de presse magazine et de la société RL Mags Limited doivent être rejetées, y compris, par voie de conséquence, leurs conclusions présentées aux fins d'injonction et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes du Syndicat des éditeurs de presse magazine et de la société RL Mags Limited sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au Syndicat des éditeurs de presse magazine, à la société RL Mags Limited et à la ministre de la culture.
Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 11 octobre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Alexandre Lallet, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 13 novembre 2023.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Lemesle

La secrétaire :
Signé : Mme Chloé-Claudia Sediang



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