Conseil d'État
N° 465268
ECLI:FR:CECHR:2023:465268.20231109
Inédit au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Ariane Piana-Rogez , rapporteur
M. Thomas Janicot, rapporteur public
DNM AVOCAT, avocats
Lecture du jeudi 9 novembre 2023
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 465268, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 juin et 10 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association APF France Handicap demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-639 du 25 avril 2022 relatif à l'amélioration des fonds départementaux de compensation du handicap ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 468567, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 octobre 2022, 9 janvier et 6 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Handi-Social et Mme A... B... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision implicite par laquelle la Première ministre a refusé de modifier le décret n° 2022-639 du 25 avril 2022 relatif à l'amélioration des fonds départementaux de compensation du handicap ;
2°) d'enjoindre à la Première ministre de prendre un nouveau décret en application du deuxième alinéa de l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles dans un délai de trois mois, sous astreinte de 250 euros par jour de retard, sans prendre en compte les revenus du conjoint dans la méthodologie de calcul, sans modulation du montant en fonction des conditions de ressources, en précisant les modalités de contribution de chaque contributeur et en précisant l'obligation de financement par les départements et l'Etat, sans que l'intervention du fonds puisse être conditionnée par les fonds disponibles ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros à verser à chacune des deux requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention des Nations Unies du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code général des impôts ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2020-220 du 6 mars 2020 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2023-1039 QPC du 24 mars 2023 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Handi-social et autre ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 114-1 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l'accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté. " Aux termes de l'article L. 114-1-1 du même code : " La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie. Cette compensation consiste à répondre à ses besoins (...) ". Aux termes de l'article L. 146-5 de ce code, dans sa rédaction issue de l'article 2 de la loi du 6 mars 2020 visant à améliorer l'accès à la prestation de compensation du handicap : " Chaque maison départementale des personnes handicapées gère un fonds départemental de compensation du handicap chargé d'accorder des aides financières destinées à permettre aux personnes handicapées de faire face aux frais de compensation restant à leur charge, après déduction de la prestation de compensation mentionnée à l'article L. 245-1. (...) / Dans la limite des financements du fonds départemental de compensation, les frais de compensation ne peuvent excéder 10 % des ressources personnelles nettes d'impôts des personnes handicapées mentionnées au premier alinéa du présent article, dans des conditions définies par décret. / Le département, l'Etat, les autres collectivités territoriales, les organismes d'assurance maladie, les caisses d'allocations familiales, les organismes régis par le code de la mutualité, l'association mentionnée à l'article L. 323-8-3 du code du travail, le fonds prévu à l'article L. 323-8-6-1 du même code et les autres personnes morales concernées peuvent participer au financement du fonds (...) ".
2. En application de ces dispositions, le décret du 25 avril 2022 relatif à l'amélioration des fonds départementaux de compensation du handicap a inséré, au sein du code de l'action sociale et des familles, les articles D. 146-31-6 et D. 146-31-7 qui définissent les conditions dans lesquelles ces aides financières sont accordées par les fonds départementaux de compensation du handicap afin de permettre aux personnes handicapées de faire face aux frais liés à la compensation des conséquences de leur handicap restant à leur charge après qu'ils ont perçu la prestation de compensation du handicap.
3. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une même décision, l'association APF France Handicap demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret et l'association Handi-Social et Mme B... demandent l'annulation de la décision implicite par laquelle la Première ministre en a refusé la modification.
Sur la légalité externe :
4. Il résulte des termes de l'article 22 de la Constitution que les actes du Premier ministre sont contresignés par les ministres chargés de leur exécution. S'agissant d'un décret à caractère réglementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution du décret. Le décret attaqué n'appelant de telles mesures ni de la part du ministre des solidarités et de la santé, ni de la part du ministre de l'économie, des finances et de la relance, ni de celle du ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, le moyen tiré du défaut de contreseing de ces ministres ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité interne :
En ce qui concerne les conditions d'intervention du fonds départemental de compensation du handicap :
5. L'article D. 146-31-7 du code de l'action sociale et des familles, créé par le décret attaqué, dispose que : " Les aides financières mentionnées à l'article L. 146-5 sont attribuées par le fonds départemental de compensation du handicap afin de permettre aux personnes handicapées de faire face aux frais liés à la compensation des conséquences de leur handicap, telle que définie à l'article L. 114-1-1, restant à leur charge. Elles tiennent compte, pour chaque demande, des aides financières ayant le même objet déjà mises en oeuvre par d'autres organismes. / Le fonds départemental de compensation du handicap identifie l'ensemble des aides susceptibles d'être attribuées à des fins de compensation du handicap, y compris par d'autres organismes. Le cas échéant, il transmet à ces organismes, sous réserve de l'accord du demandeur, les éléments relatifs à l'évaluation des besoins et aux aides déjà préconisées ".
6. En premier lieu, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé par sa décision n° 2023-1039 QPC du 24 mars 2023, le législateur a entendu, en adoptant les dispositions des articles L. 114-1-1 et L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles, améliorer la prise en charge des conséquences du handicap en confiant aux fonds départementaux le versement d'aides facultatives, en complément des montants reçus au titre de la prestation de compensation du handicap. Par cette même décision, le Conseil constitutionnel a jugé, d'une part, qu'il était loisible au législateur de ne prévoir qu'un objectif non contraignant de réduction des frais de compensation restant à la charge des personnes handicapées après qu'elles ont bénéficié de la prestation obligatoire due au titre de l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles et de ne pas imposer aux contributeurs des fonds départementaux un financement obligatoire et, d'autre part, que le législateur avait pu permettre à ces fonds départementaux d'accorder des aides financières facultatives sans méconnaître le principe d'égalité. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles, en ce qu'il assortit le montant des aides destinées à permettre aux personnes handicapées de faire face aux frais de compensation restant à leur charge d'une limite tenant aux financements des fonds départementaux de compensation du handicap, méconnaîtrait le principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne peut qu'être écarté.
7. En deuxième lieu, l'association Handi-Social et Mme B... ne sont, en tout état de cause, pas davantage fondées à soutenir que cet article du code de l'action sociale et des familles serait incompatible avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elles ne sauraient par ailleurs utilement invoquer le protocole n° 12 à cette même convention, qui n'a pas été ratifié par la France, non plus que les stipulations des articles 4, 19, 26 et 28 de la convention des Nations Unies du 13 décembre 2006 relative aux droits de personnes handicapées, qui sont dépourvues d'effet direct. Enfin, si elles soutiennent que l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles méconnaîtrait le droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
8. En troisième lieu, l'association Handi-Social et Mme B... ne peuvent utilement soutenir que le décret attaqué, en ce qu'il serait contradictoire avec la " déconjugalisation " des prestations sociales bénéficiant aux personnes handicapées engagée avec celle de l'allocation aux adultes handicapés, porterait atteinte au principe de sécurité juridique. Par ailleurs, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait le principe de fraternité ainsi qu'un principe " de solidarité et d'accessibilité de la société aux personnes handicapées " n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
9. En dernier lieu, les aides financières facultatives attribuées par le fonds départemental de compensation du handicap ayant pour objet de permettre aux personnes handicapées de faire face aux frais liés à la compensation des conséquences de leur handicap restant à leur charge, elles présentent un caractère subsidiaire et n'ont pas vocation à financer des dépenses ayant déjà donné lieu par ailleurs à des aides financières ayant le même objet. Il en résulte que l'association APF France Handicap n'est pas fondée à soutenir qu'en précisant qu'il revient au fonds départemental de compensation du handicap de tenir compte, pour chaque demande, des aides financières ayant le même objet mises en oeuvre au profit de la personne concernée par d'autres organismes, le pouvoir réglementaire aurait méconnu les dispositions de l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles et, pour ce motif, empiété sur la compétence du législateur.
En ce qui concerne la détermination du montant des ressources personnelles nettes d'impôts de la personne handicapée :
10. L'article D. 146-31-6 du code de l'action sociale et des familles, créé par le décret attaqué, prévoit que : " Les ressources personnelles nettes d'impôts mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 146-5 sont déterminées à partir du dernier avis d'imposition ou de non-imposition du demandeur, selon la formule suivante : Rd = (RFR-IR) / N / Dans laquelle : / a) Rd représente le revenu pris en compte pour l'instruction de la demande ; / b) RFR représente le revenu fiscal de référence ; / c) IR représente le montant de l'impôt sur le revenu net, porté à zéro s'il est négatif ; / d) N représente le nombre de parts du foyer fiscal. "
11. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, ni les dispositions de l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles, ni les principes énoncés aux articles L. 114-1 et L. 114-1-1 du même code ne font obstacle à ce que le pouvoir réglementaire prévoie de déterminer le montant des ressources personnelles nettes d'impôts de la personne handicapée qui sollicite le bénéfice d'aides financières auprès du fonds départemental de compensation, ainsi qu'il l'a fait par les dispositions en litige, à partir du revenu fiscal de référence du foyer fiscal de cette personne, le montant de l'impôt sur le revenu de ce foyer fiscal étant déduit de cette somme qui est ensuite divisée par le nombre de parts fiscales qui le composent. Sont sans incidence à cet égard la circonstance que l'article 6 du code général des impôts prévoie des impositions séparées des époux dans les cas qu'il énonce ou celle que les ressources du conjoint, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité de la personne handicapée ne soient pas prises en compte dans la détermination du taux de prise en charge dans la limite duquel est accordée la prestation de compensation prévue par l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles, selon les modalités définies par l'article L. 245-6 du même code, non plus que dans les ressources pouvant se cumuler, dans la limite d'un plafond, avec l'allocation aux adultes handicapés prévue par les dispositions de l'article L. 821-3 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable à compter du 1er octobre 2023, ces prestations sociales obligatoires ayant en tout état de cause un objet différent des aides facultatives versées par les fonds départementaux de compensation du handicap.
12. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions en cause, à raison de la règle de calcul qu'elles énoncent, méconnaîtraient les principes énoncés aux articles L. 114-1 et L. 114-1-1 du code de l'action sociale et des familles ou les dispositions de l'article L. 146-5 du même code, qu'elles en dénatureraient la portée ou que le pouvoir règlementaire aurait, pour ce motif, méconnu la compétence du législateur.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de l'association APF France Handicap et de l'association Handi-Social et de Mme B... doivent être rejetées, y compris les conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les requêtes de l'association APF France Handicap et de l'association Handi-Social et autre sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association APF France Handicap, à l'association Handi-Social, première dénommée dans l'instance n° 468567, pour les deux requérantes dans cette instance, et à la ministre des solidarités et des familles.
Copie en sera adressée à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 octobre 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Alain Seban, M. Jean-Luc Nevache, Mme Célia Verot, M. Alban de Nervaux et M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat ; Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.
Rendu le 9 novembre 2023.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Ariane Piana-Rogez
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber
N° 465268
ECLI:FR:CECHR:2023:465268.20231109
Inédit au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Ariane Piana-Rogez , rapporteur
M. Thomas Janicot, rapporteur public
DNM AVOCAT, avocats
Lecture du jeudi 9 novembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 465268, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 juin et 10 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association APF France Handicap demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-639 du 25 avril 2022 relatif à l'amélioration des fonds départementaux de compensation du handicap ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 468567, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 octobre 2022, 9 janvier et 6 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Handi-Social et Mme A... B... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision implicite par laquelle la Première ministre a refusé de modifier le décret n° 2022-639 du 25 avril 2022 relatif à l'amélioration des fonds départementaux de compensation du handicap ;
2°) d'enjoindre à la Première ministre de prendre un nouveau décret en application du deuxième alinéa de l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles dans un délai de trois mois, sous astreinte de 250 euros par jour de retard, sans prendre en compte les revenus du conjoint dans la méthodologie de calcul, sans modulation du montant en fonction des conditions de ressources, en précisant les modalités de contribution de chaque contributeur et en précisant l'obligation de financement par les départements et l'Etat, sans que l'intervention du fonds puisse être conditionnée par les fonds disponibles ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros à verser à chacune des deux requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention des Nations Unies du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code général des impôts ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2020-220 du 6 mars 2020 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2023-1039 QPC du 24 mars 2023 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Handi-social et autre ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 114-1 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l'accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté. " Aux termes de l'article L. 114-1-1 du même code : " La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie. Cette compensation consiste à répondre à ses besoins (...) ". Aux termes de l'article L. 146-5 de ce code, dans sa rédaction issue de l'article 2 de la loi du 6 mars 2020 visant à améliorer l'accès à la prestation de compensation du handicap : " Chaque maison départementale des personnes handicapées gère un fonds départemental de compensation du handicap chargé d'accorder des aides financières destinées à permettre aux personnes handicapées de faire face aux frais de compensation restant à leur charge, après déduction de la prestation de compensation mentionnée à l'article L. 245-1. (...) / Dans la limite des financements du fonds départemental de compensation, les frais de compensation ne peuvent excéder 10 % des ressources personnelles nettes d'impôts des personnes handicapées mentionnées au premier alinéa du présent article, dans des conditions définies par décret. / Le département, l'Etat, les autres collectivités territoriales, les organismes d'assurance maladie, les caisses d'allocations familiales, les organismes régis par le code de la mutualité, l'association mentionnée à l'article L. 323-8-3 du code du travail, le fonds prévu à l'article L. 323-8-6-1 du même code et les autres personnes morales concernées peuvent participer au financement du fonds (...) ".
2. En application de ces dispositions, le décret du 25 avril 2022 relatif à l'amélioration des fonds départementaux de compensation du handicap a inséré, au sein du code de l'action sociale et des familles, les articles D. 146-31-6 et D. 146-31-7 qui définissent les conditions dans lesquelles ces aides financières sont accordées par les fonds départementaux de compensation du handicap afin de permettre aux personnes handicapées de faire face aux frais liés à la compensation des conséquences de leur handicap restant à leur charge après qu'ils ont perçu la prestation de compensation du handicap.
3. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une même décision, l'association APF France Handicap demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret et l'association Handi-Social et Mme B... demandent l'annulation de la décision implicite par laquelle la Première ministre en a refusé la modification.
Sur la légalité externe :
4. Il résulte des termes de l'article 22 de la Constitution que les actes du Premier ministre sont contresignés par les ministres chargés de leur exécution. S'agissant d'un décret à caractère réglementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution du décret. Le décret attaqué n'appelant de telles mesures ni de la part du ministre des solidarités et de la santé, ni de la part du ministre de l'économie, des finances et de la relance, ni de celle du ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, le moyen tiré du défaut de contreseing de ces ministres ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité interne :
En ce qui concerne les conditions d'intervention du fonds départemental de compensation du handicap :
5. L'article D. 146-31-7 du code de l'action sociale et des familles, créé par le décret attaqué, dispose que : " Les aides financières mentionnées à l'article L. 146-5 sont attribuées par le fonds départemental de compensation du handicap afin de permettre aux personnes handicapées de faire face aux frais liés à la compensation des conséquences de leur handicap, telle que définie à l'article L. 114-1-1, restant à leur charge. Elles tiennent compte, pour chaque demande, des aides financières ayant le même objet déjà mises en oeuvre par d'autres organismes. / Le fonds départemental de compensation du handicap identifie l'ensemble des aides susceptibles d'être attribuées à des fins de compensation du handicap, y compris par d'autres organismes. Le cas échéant, il transmet à ces organismes, sous réserve de l'accord du demandeur, les éléments relatifs à l'évaluation des besoins et aux aides déjà préconisées ".
6. En premier lieu, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé par sa décision n° 2023-1039 QPC du 24 mars 2023, le législateur a entendu, en adoptant les dispositions des articles L. 114-1-1 et L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles, améliorer la prise en charge des conséquences du handicap en confiant aux fonds départementaux le versement d'aides facultatives, en complément des montants reçus au titre de la prestation de compensation du handicap. Par cette même décision, le Conseil constitutionnel a jugé, d'une part, qu'il était loisible au législateur de ne prévoir qu'un objectif non contraignant de réduction des frais de compensation restant à la charge des personnes handicapées après qu'elles ont bénéficié de la prestation obligatoire due au titre de l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles et de ne pas imposer aux contributeurs des fonds départementaux un financement obligatoire et, d'autre part, que le législateur avait pu permettre à ces fonds départementaux d'accorder des aides financières facultatives sans méconnaître le principe d'égalité. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles, en ce qu'il assortit le montant des aides destinées à permettre aux personnes handicapées de faire face aux frais de compensation restant à leur charge d'une limite tenant aux financements des fonds départementaux de compensation du handicap, méconnaîtrait le principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne peut qu'être écarté.
7. En deuxième lieu, l'association Handi-Social et Mme B... ne sont, en tout état de cause, pas davantage fondées à soutenir que cet article du code de l'action sociale et des familles serait incompatible avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elles ne sauraient par ailleurs utilement invoquer le protocole n° 12 à cette même convention, qui n'a pas été ratifié par la France, non plus que les stipulations des articles 4, 19, 26 et 28 de la convention des Nations Unies du 13 décembre 2006 relative aux droits de personnes handicapées, qui sont dépourvues d'effet direct. Enfin, si elles soutiennent que l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles méconnaîtrait le droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
8. En troisième lieu, l'association Handi-Social et Mme B... ne peuvent utilement soutenir que le décret attaqué, en ce qu'il serait contradictoire avec la " déconjugalisation " des prestations sociales bénéficiant aux personnes handicapées engagée avec celle de l'allocation aux adultes handicapés, porterait atteinte au principe de sécurité juridique. Par ailleurs, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait le principe de fraternité ainsi qu'un principe " de solidarité et d'accessibilité de la société aux personnes handicapées " n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
9. En dernier lieu, les aides financières facultatives attribuées par le fonds départemental de compensation du handicap ayant pour objet de permettre aux personnes handicapées de faire face aux frais liés à la compensation des conséquences de leur handicap restant à leur charge, elles présentent un caractère subsidiaire et n'ont pas vocation à financer des dépenses ayant déjà donné lieu par ailleurs à des aides financières ayant le même objet. Il en résulte que l'association APF France Handicap n'est pas fondée à soutenir qu'en précisant qu'il revient au fonds départemental de compensation du handicap de tenir compte, pour chaque demande, des aides financières ayant le même objet mises en oeuvre au profit de la personne concernée par d'autres organismes, le pouvoir réglementaire aurait méconnu les dispositions de l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles et, pour ce motif, empiété sur la compétence du législateur.
En ce qui concerne la détermination du montant des ressources personnelles nettes d'impôts de la personne handicapée :
10. L'article D. 146-31-6 du code de l'action sociale et des familles, créé par le décret attaqué, prévoit que : " Les ressources personnelles nettes d'impôts mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 146-5 sont déterminées à partir du dernier avis d'imposition ou de non-imposition du demandeur, selon la formule suivante : Rd = (RFR-IR) / N / Dans laquelle : / a) Rd représente le revenu pris en compte pour l'instruction de la demande ; / b) RFR représente le revenu fiscal de référence ; / c) IR représente le montant de l'impôt sur le revenu net, porté à zéro s'il est négatif ; / d) N représente le nombre de parts du foyer fiscal. "
11. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, ni les dispositions de l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles, ni les principes énoncés aux articles L. 114-1 et L. 114-1-1 du même code ne font obstacle à ce que le pouvoir réglementaire prévoie de déterminer le montant des ressources personnelles nettes d'impôts de la personne handicapée qui sollicite le bénéfice d'aides financières auprès du fonds départemental de compensation, ainsi qu'il l'a fait par les dispositions en litige, à partir du revenu fiscal de référence du foyer fiscal de cette personne, le montant de l'impôt sur le revenu de ce foyer fiscal étant déduit de cette somme qui est ensuite divisée par le nombre de parts fiscales qui le composent. Sont sans incidence à cet égard la circonstance que l'article 6 du code général des impôts prévoie des impositions séparées des époux dans les cas qu'il énonce ou celle que les ressources du conjoint, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité de la personne handicapée ne soient pas prises en compte dans la détermination du taux de prise en charge dans la limite duquel est accordée la prestation de compensation prévue par l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles, selon les modalités définies par l'article L. 245-6 du même code, non plus que dans les ressources pouvant se cumuler, dans la limite d'un plafond, avec l'allocation aux adultes handicapés prévue par les dispositions de l'article L. 821-3 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable à compter du 1er octobre 2023, ces prestations sociales obligatoires ayant en tout état de cause un objet différent des aides facultatives versées par les fonds départementaux de compensation du handicap.
12. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions en cause, à raison de la règle de calcul qu'elles énoncent, méconnaîtraient les principes énoncés aux articles L. 114-1 et L. 114-1-1 du code de l'action sociale et des familles ou les dispositions de l'article L. 146-5 du même code, qu'elles en dénatureraient la portée ou que le pouvoir règlementaire aurait, pour ce motif, méconnu la compétence du législateur.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de l'association APF France Handicap et de l'association Handi-Social et de Mme B... doivent être rejetées, y compris les conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les requêtes de l'association APF France Handicap et de l'association Handi-Social et autre sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association APF France Handicap, à l'association Handi-Social, première dénommée dans l'instance n° 468567, pour les deux requérantes dans cette instance, et à la ministre des solidarités et des familles.
Copie en sera adressée à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 octobre 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Alain Seban, M. Jean-Luc Nevache, Mme Célia Verot, M. Alban de Nervaux et M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat ; Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.
Rendu le 9 novembre 2023.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Ariane Piana-Rogez
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber