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Ariane Web: Conseil d'État 471537, lecture du 31 octobre 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:471537.20231031

Décision n° 471537
31 octobre 2023
Conseil d'État

N° 471537
ECLI:FR:CECHR:2023:471537.20231031
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Christophe Chantepy, président
M. Julien Fradel, rapporteur
M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public


Lecture du mardi 31 octobre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire de régularisation, deux mémoires en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 21 février, 12 mai, 26 mai et 26 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-113 du 20 février 2023 relatif à la procédure dématérialisée de candidature et de recrutement en première année des formations conduisant au diplôme national de master ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner, avant dire droit, la désignation d'un expert aux fins de constater la réalité et l'étendue des malfaçons affectant la plateforme " Mon Master ", en particulier l'existence ou non de violations critiques de sécurité exposant les usagers à des risques quant aux données qu'ils versent sur cette plateforme ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la décision du 7 juin 2023 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... B... ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du
27 avril 2016 ;
- le code de l'éducation ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 octobre 2023, présentée par
M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 20 février 2023 relatif à la procédure dématérialisée de candidature et de recrutement en première année des formations conduisant au diplôme national de master. Ce décret institue une procédure dématérialisée, gérée par une plateforme nationale, pour l'organisation, par les établissements autorisés par l'Etat à délivrer le diplôme national de master, du processus de recrutement en première année des formations conduisant à ce diplôme, à l'exception de certaines formations déterminées par arrêté des ministres chargés de l'enseignement supérieur et de l'outre-mer. Le décret précise les modalités de fonctionnement de cette plateforme et le déroulement du processus de candidature et d'inscription aux formations de première année du deuxième cycle, ce processus étant désormais soumis, pour l'ensemble des établissements concernés, à un calendrier unique défini annuellement par arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur, constitué d'une phase de dépôt des candidatures par le candidat, d'une phase d'examen des candidatures et d'une phase d'admission. Il habilite le ministre chargé de l'enseignement supérieur à fixer par arrêté le nombre maximal de candidatures qu'un même candidat peut présenter par mention de master et comporte, en outre, des dispositions spécifiques à la phase d'admission des candidats aux formations de première année de master proposées en alternance.

2. En premier lieu, d'une part, l'obligation d'avoir recours à un téléservice pour accomplir une démarche administrative auprès d'un service de l'Etat, et notamment pour demander la délivrance d'une autorisation, dès lors qu'elle n'a pas pour effet de modifier les conditions légales auxquelles est subordonnée sa délivrance, ne met pas en cause, par elle-même, les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, non plus qu'aucune autre règle ou aucun autre principe dont l'article 34 ou d'autres dispositions de la Constitution prévoient qu'ils relèvent du domaine de la loi.

3. D'autre part, l'article L. 112-8 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Toute personne, dès lors qu'elle s'est identifiée préalablement auprès d'une administration, peut, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat, adresser à celle-ci, par voie électronique, une demande, une déclaration, un document ou une information, ou lui répondre par la même voie. Cette administration est régulièrement saisie et traite la demande, la déclaration, le document ou l'information sans lui demander la confirmation ou la répétition de son envoi sous une autre forme. ". L'article L. 112-9 du même code précise que : " (...) Lorsqu'elle met en place un ou plusieurs téléservices, l'administration rend accessibles leurs modalités d'utilisation, notamment les modes de communication possibles. Ces modalités s'imposent au public. / Lorsqu'elle a mis en place un téléservice réservé à l'accomplissement de certaines démarches administratives, une administration n'est régulièrement saisie par voie électronique que par l'usage de ce téléservice. Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article L. 112-10 du même code : " L'application des articles L. 112-8 et L. 112-9 à certaines démarches administratives peut être écartée, par décret en Conseil d'Etat, pour des motifs d'ordre public, de défense et de sécurité nationale, de bonne administration, ou lorsque la présence personnelle du demandeur apparaît nécessaire. ". Ces dispositions créent, sauf lorsqu'y font obstacle les considérations mentionnées à l'article L. 112-10, un droit, pour les usagers, de saisir l'administration par voie électronique, sans le leur imposer. Elles ne font cependant pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire édicte une obligation d'accomplir des démarches administratives par la voie d'un téléservice.

4. Toutefois, le pouvoir réglementaire ne saurait édicter une telle obligation qu'à la condition de permettre l'accès normal des usagers au service public et de garantir aux personnes concernées l'exercice effectif de leurs droits. Il doit tenir compte de l'objet du service, du degré de complexité des démarches administratives en cause et de leurs conséquences pour les intéressés, des caractéristiques de l'outil numérique mis en oeuvre ainsi que de celles du public concerné, notamment, le cas échéant, de ses difficultés dans l'accès aux services en ligne ou dans leur maniement.

5. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que le pouvoir règlementaire était, contrairement à ce que soutient le requérant, compétent pour soumettre le processus de candidature et de recrutement des candidats souhaitant être admis en première année des formations conduisant au diplôme national de master à une procédure dématérialisée au moyen d'un téléservice. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'eu égard à son objet, au public concerné et aux caractéristiques de l'outil numérique mis en oeuvre, le pouvoir réglementaire ne pouvait légalement édicter l'obligation de recourir à ce téléservice sans prévoir des dispositions spécifiques pour que bénéficient d'un accompagnement les personnes qui ne disposent pas d'un accès aux outils numériques ou qui rencontrent des difficultés dans le maniement de ce service. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que ce téléservice aurait fait l'objet de dysfonctionnements de nature à justifier la mise en place, par le pouvoir règlementaire, d'une solution de substitution. Le requérant n'est, par suite, pas fondé à soutenir que le décret attaqué est entaché d'illégalité en tant qu'il ne comporte pas de telles dispositions.

6. En deuxième lieu, le décret attaqué n'a ni pour objet ni pour effet de créer un traitement de données à caractère personnel pour les besoins de la procédure dématérialisée de candidature et d'inscription en première année de master, les règles relatives au traitement des données recueillies dans ce cadre ayant, d'ailleurs, été fixées par un arrêté de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche du 9 mars 2023 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Mon Master ". Il s'ensuit que le requérant ne peut utilement soutenir que, faute de comporter des mesures tendant à encadrer le traitement de ces données, le décret attaqué méconnaît les exigences de protection des données à caractère personnel résultant du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

7. En troisième lieu, le pouvoir réglementaire a pu légalement habiliter le ministre chargé de l'enseignement supérieur à fixer par arrêté le nombre maximal de candidatures qu'un même candidat peut présenter, une telle limitation n'étant pas, par elle-même, de nature à porter atteinte au principe d'égal accès à l'instruction dans l'enseignement supérieur et d'égal accès à la formation professionnelle, lequel n'implique pas que les candidats à l'inscription en première année de master soient autorisés à déposer un nombre illimité de candidatures. Par suite, les moyens tirés de ce que la limitation prévue par le décret attaqué méconnaîtrait ce principe et relèverait du domaine de la loi qui seule pourrait y déroger doivent être écartés.

8. En quatrième lieu, les dispositions du décret attaqué relatives à la phase d'admission des candidats aux formations de première année de master proposées en alternance n'ont ni pour objet ni pour effet de déroger au premier alinéa de l'article L. 6222-12-1 du code du travail qui dispose que : " Par dérogation à l'article L. 6222-12, toute personne âgée de seize à vingt-neuf ans révolus, ou ayant au moins quinze ans et justifiant avoir accompli la scolarité du premier cycle de l'enseignement secondaire, peut, à sa demande, si elle n'a pas été engagée par un employeur, débuter un cycle de formation en apprentissage dans la limite d'une durée de trois mois ". Ainsi que le précise d'ailleurs l'article 3 de l'arrêté du 28 février 2023 relatif au calendrier de la procédure dématérialisée de candidature et de recrutement en première année des formations conduisant au diplôme national de master au titre de l'année universitaire 2023-2024, les candidats placés " en recherche de contrat " par un établissement et n'étant pas parvenus à conclure un contrat d'alternance avant la fin de la phase d'admission sur la plateforme peuvent débuter la formation au sein de l'établissement dans la limite d'une durée de trois mois, délai dans lequel il leur appartient de produire un contrat d'apprentissage. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaît les dispositions de l'article L. 6222-12-1 du code du travail doit être écarté.

9. En cinquième et dernier lieu, le requérant ne peut utilement soutenir que, faute de comporter des dispositions précisant les modalités d'utilisation de la plateforme dématérialisée d'inscription en première année de master, le décret attaqué méconnaît les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 112-9 du code des relations entre le public et l'administration, de telles modalités pouvant être portées à la connaissance du public par tout moyen en application de l'article R. 112-9-2 du même code, et étant du reste, en l'espèce, détaillées sur la plateforme elle-même.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans que puisse avoir aucune incidence sur la légalité du décret attaqué la circonstance alléguée, à la supposer établie, que le directeur des affaires juridiques du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ne justifierait pas de la qualité pour signer le mémoire en défense présenté au nom de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque et que ses conclusions tendant à ce que soit ordonnée, avant dire droit, la désignation d'un expert aux fins de constater la réalité et l'étendue des malfaçons affectant la plateforme " Mon Master ", en particulier l'existence ou non de violations critiques de sécurité exposant les usagers à des risques quant aux données qu'ils versent sur cette plateforme, doivent également être rejetées.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la Première ministre, à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.


Voir aussi