Conseil d'État
N° 487896
ECLI:FR:CEORD:2023:487896.20230925
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés, formation collégiale
M. Pierre Collin, président
M. B Bohnert, rapporteur
BOUSSARD VERRECCHIA ET ASSOCIES, avocats
Lecture du lundi 25 septembre 2023
Vu la procédure suivante :
I. Sous le n° 487896, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 et 19 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association La voix lycéenne et l'association Le poing levé demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision du 27 août 2023 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse portant interdiction du port de l'abaya dans l'enceinte des écoles, collèges et lycées publics, telle que confirmée par les énonciations de sa note de service du 31 août 2023 et par une lettre aux parents d'élèves du 31 août 2023 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à chacune des associations requérantes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort pour connaître de leur requête ;
- leur requête est recevable dès lors qu'elles ont intérêt à agir eu égard à leur objet social ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les décisions attaquées ont pour effet, d'une part, d'interdire aux élèves musulmanes vêtues d'une robe longue et ample de type " abaya " de se présenter dans un établissement scolaire et, d'autre part, d'alourdir la responsabilité du corps éducatif dans l'appréciation du caractère religieux de vêtements et l'engagement de procédures disciplinaires ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ;
- la décision attaquée, en ce qu'elle retient que le port de l'abaya manifeste ostensiblement, par lui-même, une appartenance religieuse, est entachée d'incompétence dès lors que le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ne dispose pas du pouvoir réglementaire ;
- la décision attaquée, en ce qu'elle retient que le port de l'abaya manifeste ostensiblement, par lui-même, une appartenance religieuse, est entachée, d'une part, d'une erreur manifeste d'appréciation et, d'autre part, d'une méconnaissance du principe de séparation des Eglises et de l'Etat garanti par la loi du 9 décembre 1905 dès lors qu'elle procède d'une appréciation par l'Etat du caractère religieux d'une tenue ;
- la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation dès lors qu'elle interdit le port d'une robe ample et longue sans subordonner cette interdiction à une appréciation individuelle du comportement de l'élève afin de déterminer si le port de cette tenue est motivé par des considérations religieuses ;
- la décision attaquée méconnaît les dispositions de la loi du 15 mars 2004 dès lors que l'abaya constitue un marqueur culturel dont le port n'a pas pour objet de remplacer un signe manifestant, par nature, une appartenance religieuse ;
- cette interdiction n'est ni justifiée dès lors que, l'abaya n'ayant aucun caractère religieux, l'objectif de lutte contre le prosélytisme qu'elle poursuit ne peut être atteint, ni proportionnée en ce qu'elle s'applique à un vêtement non clairement défini et sa mise en oeuvre est susceptible d'entraîner des discriminations au sein les élèves.
II. Sous le n° 487975, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 et 19 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat SUD Education demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision du 27 août 2023 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse portant interdiction du port de l'abaya dans l'enceinte des écoles, collèges et lycées publics, telle que confirmée par les énonciations de sa note de service du 31 août 2023 et par une lettre aux parents d'élèves du 31 août 2023 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soulève les mêmes moyens que la requête n° 487896.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2023, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet des requêtes. Il soutient que la requête du syndicat SUD Education n'est pas recevable, faute pour celui-ci de justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 18 septembre 2023, le syndicat des avocats de France demande au juge des référés de faire droit aux conclusions des requêtes. Il soutient qu'il a intérêt à intervenir au soutien des requêtes, que la condition d'urgence est satisfaite et que les moyens soulevés par les requêtes sont de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 19 septembre 2023, l'Union Etudiante - Union nationale des étudiant.e.s de France demande au juge des référés de faire droit aux conclusions des requêtes. Elle soutient qu'elle a intérêt à intervenir au soutien des requêtes, que la condition d'urgence est satisfaite et soulève, à l'encontre de la légalité de la décision attaquée, les mêmes moyens que les requêtes.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;
- le code de l'éducation ;
- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;
- la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, les associations La voix lycéenne et Le poing levé et le syndicat SUD éducation ainsi que le syndicat des avocats de France, et d'autre part, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 19 septembre 2023, à 15 heures :
- Me Hourdeaux, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate des associations La voix lycéenne et Le poing levé et du syndicat SUD Education ;
- les représentants des associations La voix lycéenne et Le poing levé et du syndicat SUD Education ;
- les représentants du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
Sur les interventions :
3. Le syndicat des avocats de France et l'Union Etudiante - Union nationale des étudiant.e.s de France ne justifient pas, par leur objet statutaire, d'un intérêt leur donnant qualité pour intervenir au soutien des requêtes. Par suite, leurs interventions sont irrecevables.
Sur les requêtes en référé :
4. L'association La voix lycéenne et autres demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, exprimée notamment par une note de service relative au respect des valeurs de la République publiée le 31 août 2023 au bulletin officiel de l'éducation nationale, d'interdire le port de l'abaya dans l'enceinte des établissements scolaires.
5. Aux termes de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation, issu de l'article 1er de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes, de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics : " Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. / Le règlement intérieur rappelle que la mise en oeuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève ". Il résulte de ces dispositions que, si les élèves des écoles, collèges et lycées publics peuvent porter des signes religieux discrets, sont en revanche interdits, d'une part, les signes ou tenues, tels notamment un voile ou un foulard islamique, une kippa ou une grande croix, dont le port, par lui-même, manifeste ostensiblement une appartenance religieuse, d'autre part, ceux dont le port ne manifeste ostensiblement une appartenance religieuse qu'en raison du comportement de l'élève.
6. Il résulte de l'instruction que les signalements d'atteinte à la laïcité liés au port de signes ou de tenues méconnaissant les dispositions de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation dans les établissements d'enseignement publics ont connu une forte augmentation au cours de l'année scolaire 2022-2023, avec 1 984 signalements contre 617 au cours de l'année scolaire précédente. Il résulte des éléments versés à l'instruction et notamment des indications données lors de l'audience de référé que ces signalements ont trait, en grande majorité, au port par des élèves d'écoles, de collèges et de lycées publics de tenues de type abaya, terme dont les représentants de l'administration ont indiqué au cours de l'audience qu'il doit s'entendre d'un vêtement féminin couvrant l'ensemble du corps à l'exception du visage et des mains, ou qamis, son équivalent masculin, et que le choix de ces tenues vestimentaires s'inscrit dans une logique d'affirmation religieuse. Le ministre fait à cet égard valoir que le port de ces vêtements s'accompagne en général, notamment au cours du dialogue engagé, en application des dispositions législatives précitées, avec les élèves faisant le choix de les porter, d'un discours mettant en avant des motifs liés à la pratique religieuse, inspiré d'argumentaires diffusés sur des réseaux sociaux.
7. Dans ces conditions, n'est pas de nature à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la note de service du 31 août 2023 le moyen tiré de ce que le ministre aurait inexactement qualifié le port, en milieu scolaire, de ce type de vêtements, qui ne peuvent être regardés comme étant discrets, de manifestation ostensible de l'appartenance religieuse des élèves concernés au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation. Ne sont, par suite, pas davantage de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée les moyens tirés de ce que le ministre, en interdisant le port de ce type de vêtements dans les établissements scolaires publics indépendamment de toute appréciation du comportement des élèves concernés, aurait excédé l'étendue de sa compétence et méconnu les dispositions de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation ainsi que celles de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat. Enfin, n'apparaît pas de nature à faire naître un doute sérieux le moyen tiré de ce que la mise en oeuvre de la note de service attaquée, faute pour celle-ci de donner une définition précise des tenues vestimentaires en cause, serait de nature à conduire à un traitement discriminatoire entre les élèves concernés.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, ni sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre à l'encontre de la requête formée par le syndicat SUD Education, que les requérants ne sont pas fondés à demander la suspension de l'exécution de la note de service du 31 août 2023. Les requêtes doivent en conséquence être rejetées, y compris leurs conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : Les interventions du syndicat des avocats de France et de l'Union Etudiante - Union nationale des étudiant.e.s de France ne sont pas admises.
Article 2 : Les requêtes de l'association La voix lycéenne et autre et du syndicat SUD Education sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association La voix lycéenne, première requérante dénommée sous le n° 487896, au syndicat SUD Education, au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, au syndicat des avocats de France et à l'Union Etudiante - Union nationale des étudiant.e.s de France.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 septembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Nathalie Escaut et M. Benoît Bohnert, conseillers d'Etat, juges des référés.
Fait à Paris, le 25 septembre 2023
Signé : Pierre Collin
N° 487896
ECLI:FR:CEORD:2023:487896.20230925
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés, formation collégiale
M. Pierre Collin, président
M. B Bohnert, rapporteur
BOUSSARD VERRECCHIA ET ASSOCIES, avocats
Lecture du lundi 25 septembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
I. Sous le n° 487896, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 et 19 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association La voix lycéenne et l'association Le poing levé demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision du 27 août 2023 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse portant interdiction du port de l'abaya dans l'enceinte des écoles, collèges et lycées publics, telle que confirmée par les énonciations de sa note de service du 31 août 2023 et par une lettre aux parents d'élèves du 31 août 2023 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à chacune des associations requérantes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort pour connaître de leur requête ;
- leur requête est recevable dès lors qu'elles ont intérêt à agir eu égard à leur objet social ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les décisions attaquées ont pour effet, d'une part, d'interdire aux élèves musulmanes vêtues d'une robe longue et ample de type " abaya " de se présenter dans un établissement scolaire et, d'autre part, d'alourdir la responsabilité du corps éducatif dans l'appréciation du caractère religieux de vêtements et l'engagement de procédures disciplinaires ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ;
- la décision attaquée, en ce qu'elle retient que le port de l'abaya manifeste ostensiblement, par lui-même, une appartenance religieuse, est entachée d'incompétence dès lors que le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ne dispose pas du pouvoir réglementaire ;
- la décision attaquée, en ce qu'elle retient que le port de l'abaya manifeste ostensiblement, par lui-même, une appartenance religieuse, est entachée, d'une part, d'une erreur manifeste d'appréciation et, d'autre part, d'une méconnaissance du principe de séparation des Eglises et de l'Etat garanti par la loi du 9 décembre 1905 dès lors qu'elle procède d'une appréciation par l'Etat du caractère religieux d'une tenue ;
- la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation dès lors qu'elle interdit le port d'une robe ample et longue sans subordonner cette interdiction à une appréciation individuelle du comportement de l'élève afin de déterminer si le port de cette tenue est motivé par des considérations religieuses ;
- la décision attaquée méconnaît les dispositions de la loi du 15 mars 2004 dès lors que l'abaya constitue un marqueur culturel dont le port n'a pas pour objet de remplacer un signe manifestant, par nature, une appartenance religieuse ;
- cette interdiction n'est ni justifiée dès lors que, l'abaya n'ayant aucun caractère religieux, l'objectif de lutte contre le prosélytisme qu'elle poursuit ne peut être atteint, ni proportionnée en ce qu'elle s'applique à un vêtement non clairement défini et sa mise en oeuvre est susceptible d'entraîner des discriminations au sein les élèves.
II. Sous le n° 487975, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 et 19 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat SUD Education demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision du 27 août 2023 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse portant interdiction du port de l'abaya dans l'enceinte des écoles, collèges et lycées publics, telle que confirmée par les énonciations de sa note de service du 31 août 2023 et par une lettre aux parents d'élèves du 31 août 2023 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soulève les mêmes moyens que la requête n° 487896.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2023, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet des requêtes. Il soutient que la requête du syndicat SUD Education n'est pas recevable, faute pour celui-ci de justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 18 septembre 2023, le syndicat des avocats de France demande au juge des référés de faire droit aux conclusions des requêtes. Il soutient qu'il a intérêt à intervenir au soutien des requêtes, que la condition d'urgence est satisfaite et que les moyens soulevés par les requêtes sont de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 19 septembre 2023, l'Union Etudiante - Union nationale des étudiant.e.s de France demande au juge des référés de faire droit aux conclusions des requêtes. Elle soutient qu'elle a intérêt à intervenir au soutien des requêtes, que la condition d'urgence est satisfaite et soulève, à l'encontre de la légalité de la décision attaquée, les mêmes moyens que les requêtes.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;
- le code de l'éducation ;
- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;
- la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, les associations La voix lycéenne et Le poing levé et le syndicat SUD éducation ainsi que le syndicat des avocats de France, et d'autre part, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 19 septembre 2023, à 15 heures :
- Me Hourdeaux, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate des associations La voix lycéenne et Le poing levé et du syndicat SUD Education ;
- les représentants des associations La voix lycéenne et Le poing levé et du syndicat SUD Education ;
- les représentants du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
Sur les interventions :
3. Le syndicat des avocats de France et l'Union Etudiante - Union nationale des étudiant.e.s de France ne justifient pas, par leur objet statutaire, d'un intérêt leur donnant qualité pour intervenir au soutien des requêtes. Par suite, leurs interventions sont irrecevables.
Sur les requêtes en référé :
4. L'association La voix lycéenne et autres demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, exprimée notamment par une note de service relative au respect des valeurs de la République publiée le 31 août 2023 au bulletin officiel de l'éducation nationale, d'interdire le port de l'abaya dans l'enceinte des établissements scolaires.
5. Aux termes de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation, issu de l'article 1er de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes, de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics : " Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. / Le règlement intérieur rappelle que la mise en oeuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève ". Il résulte de ces dispositions que, si les élèves des écoles, collèges et lycées publics peuvent porter des signes religieux discrets, sont en revanche interdits, d'une part, les signes ou tenues, tels notamment un voile ou un foulard islamique, une kippa ou une grande croix, dont le port, par lui-même, manifeste ostensiblement une appartenance religieuse, d'autre part, ceux dont le port ne manifeste ostensiblement une appartenance religieuse qu'en raison du comportement de l'élève.
6. Il résulte de l'instruction que les signalements d'atteinte à la laïcité liés au port de signes ou de tenues méconnaissant les dispositions de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation dans les établissements d'enseignement publics ont connu une forte augmentation au cours de l'année scolaire 2022-2023, avec 1 984 signalements contre 617 au cours de l'année scolaire précédente. Il résulte des éléments versés à l'instruction et notamment des indications données lors de l'audience de référé que ces signalements ont trait, en grande majorité, au port par des élèves d'écoles, de collèges et de lycées publics de tenues de type abaya, terme dont les représentants de l'administration ont indiqué au cours de l'audience qu'il doit s'entendre d'un vêtement féminin couvrant l'ensemble du corps à l'exception du visage et des mains, ou qamis, son équivalent masculin, et que le choix de ces tenues vestimentaires s'inscrit dans une logique d'affirmation religieuse. Le ministre fait à cet égard valoir que le port de ces vêtements s'accompagne en général, notamment au cours du dialogue engagé, en application des dispositions législatives précitées, avec les élèves faisant le choix de les porter, d'un discours mettant en avant des motifs liés à la pratique religieuse, inspiré d'argumentaires diffusés sur des réseaux sociaux.
7. Dans ces conditions, n'est pas de nature à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la note de service du 31 août 2023 le moyen tiré de ce que le ministre aurait inexactement qualifié le port, en milieu scolaire, de ce type de vêtements, qui ne peuvent être regardés comme étant discrets, de manifestation ostensible de l'appartenance religieuse des élèves concernés au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation. Ne sont, par suite, pas davantage de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée les moyens tirés de ce que le ministre, en interdisant le port de ce type de vêtements dans les établissements scolaires publics indépendamment de toute appréciation du comportement des élèves concernés, aurait excédé l'étendue de sa compétence et méconnu les dispositions de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation ainsi que celles de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat. Enfin, n'apparaît pas de nature à faire naître un doute sérieux le moyen tiré de ce que la mise en oeuvre de la note de service attaquée, faute pour celle-ci de donner une définition précise des tenues vestimentaires en cause, serait de nature à conduire à un traitement discriminatoire entre les élèves concernés.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, ni sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre à l'encontre de la requête formée par le syndicat SUD Education, que les requérants ne sont pas fondés à demander la suspension de l'exécution de la note de service du 31 août 2023. Les requêtes doivent en conséquence être rejetées, y compris leurs conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : Les interventions du syndicat des avocats de France et de l'Union Etudiante - Union nationale des étudiant.e.s de France ne sont pas admises.
Article 2 : Les requêtes de l'association La voix lycéenne et autre et du syndicat SUD Education sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association La voix lycéenne, première requérante dénommée sous le n° 487896, au syndicat SUD Education, au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, au syndicat des avocats de France et à l'Union Etudiante - Union nationale des étudiant.e.s de France.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 septembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Nathalie Escaut et M. Benoît Bohnert, conseillers d'Etat, juges des référés.
Fait à Paris, le 25 septembre 2023
Signé : Pierre Collin