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Ariane Web: Conseil d'État 472376, lecture du 5 juillet 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:472376.20230705

Décision n° 472376
5 juillet 2023
Conseil d'État

N° 472376
ECLI:FR:CECHR:2023:472376.20230705
Inédit au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Eric Buge, rapporteur
M. Thomas Janicot, rapporteur public


Lecture du mercredi 5 juillet 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 472376, par un mémoire, enregistré le 17 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Confédération générale du travail, l'Union syndicale Solidaires et la Fédération syndicale unitaire demandent au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023 relatif au régime d'assurance chômage, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 5422-2-2 du code du travail.

2° Sous le n° 472385, par deux mémoires, enregistrés les 28 avril et 25 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'Union nationale des syndicats autonomes demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023 relatif au régime d'assurance chômage, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 5422-2-2 du code du travail.



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3° Sous le n° 472437, par deux mémoires, enregistrés le 28 avril et le 19 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Confédération française démocratique du travail et la Confédération française des travailleurs chrétiens demandent au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023 relatif au régime d'assurance chômage, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 5422-2-2 du code du travail.



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4° Sous le n° 472491, par deux mémoires, enregistrés le 2 mai et le 20 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023 relatif au régime d'assurance chômage, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 5422-2-2 du code du travail.



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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code du travail, notamment son article L. 5422-2-2 ;
- la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la Confédération générale du travail et autres, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, Goulet, avocat de l'Union nationale des syndicats autonomes, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la Société Confédération française démocratique du travail et autre et à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 juin 2023, présentée par la Confédération générale du travail et autres ;



Considérant ce qui suit :

1. Par quatre requêtes, la Confédération générale du travail et autres, l'Union nationale des syndicats autonomes, la Confédération française démocratique du travail et autre et la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres demandent l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions du décret du 26 janvier 2023 relatif au régime d'assurance chômage. À l'appui de chacune de ces requêtes, elles présentent une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre les dispositions de l'article L. 5422-2-2 du code du travail. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par une même décision.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article L. 5422-2-2 du code du travail issu de la loi du 21 décembre 2022 portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi : " Les conditions d'activité antérieure pour l'ouverture ou le rechargement des droits et la durée des droits à l'allocation d'assurance peuvent être modulées en tenant compte d'indicateurs conjoncturels sur l'emploi et le fonctionnement du marché du travail. "

Sur le caractère sérieux de la question :

4. En premier lieu, aux termes du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : " Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi (...) ". Aux termes de son onzième alinéa, la Nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ". Ces exigences constitutionnelles impliquent l'existence d'un régime d'indemnisation des travailleurs privés d'emploi.

5. L'article en litige permet que les mesures d'application des dispositions législatives du chapitre II du titre II du livre IV de la cinquième partie du code du travail prennent en compte, pour la détermination des conditions d'activité antérieure devant être remplies pour l'ouverture ou le rechargement des droits à l'allocation d'assurance des travailleurs privés d'emploi et pour la fixation de la durée de ces droits, des indicateurs conjoncturels portant sur l'emploi et sur le fonctionnement du marché du travail. La prise en compte de ces indicateurs autorisée par le législateur, qui dispose en la matière d'une importante marge d'appréciation, a pour seul objet de permettre une modulation des conditions de versement de l'allocation d'assurance, laquelle n'est pas de nature à porter atteinte, par elle-même, à l'existence d'un régime d'indemnisation des travailleurs privés d'emploi.

6. Il résulte de ce qui précède que les dispositions en litige, qui ne méconnaissent en tout état de cause pas le principe de fraternité ou le droit au respect de la dignité de la personne humaine, ne méconnaissent pas non plus les dispositions des cinquième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 34 de la Constitution : " (...) La loi détermine les principes fondamentaux (...) du droit du travail (...) ". Ces dispositions ne réservent pas à la loi la détermination de la nature exacte des indicateurs pris en compte pour moduler les conditions d'activité antérieure pour l'ouverture ou le rechargement des droits ou la durée des droits à l'allocation d'assurance, ni les modalités de cette prise en compte. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le législateur aurait méconnu sa propre compétence en ne déterminant pas la nature exacte et les modalités de prise en compte de ces indicateurs.

8. En troisième lieu, en vertu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

9. Les travailleurs privés d'emploi se trouvent dans une situation différente selon qu'ils recherchent un emploi dans un contexte économique favorable ou dans un contexte économique défavorable au regard de la situation de l'emploi et du marché du travail. Par suite, le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité devant la loi en permettant que les conditions d'activité antérieure prises en compte pour l'ouverture ou le rechargement des droits à l'allocation d'assurance et la durée de ces droits soient modulées au regard de la situation de l'emploi et du marché du travail, différence de traitement qui est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit, laquelle est d'assurer l'indemnisation des travailleurs involontairement privés d'emploi tout en encourageant la reprise d'une activité professionnelle.

Sur le caractère nouveau de la question :

10. Il ne peut être sérieusement soutenu que la question serait nouvelle en ce que la disposition en litige méconnaîtrait " le devoir de solidarité se dégageant du principe de fraternité ".

11. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée dans chacune des requêtes, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article L. 5422-2-2 du code du travail méconnaît les droits et libertés garantis par la Constitution doit, dans chacune des requêtes, être écarté.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, respectivement, par la Confédération générale du travail et autres, par l'Union nationale des syndicats autonomes, par la Confédération française démocratique du travail et autre et par la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Confédération générale du travail, première dénommée, pour l'ensemble des requérants sous le n° 472376, à l'Union nationale des syndicats autonomes, à la Confédération française démocratique du travail, première dénommée, pour les deux requérantes sous le n° 472437, à la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 juin 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat et M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 5 juillet 2023.


Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Eric Buge
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber


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