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Ariane Web: Conseil d'État 460868, lecture du 20 juin 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:460868.20230620

Décision n° 460868
20 juin 2023
Conseil d'État

N° 460868
ECLI:FR:CECHR:2023:460868.20230620
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Hortense Naudascher, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public
CABINET FRANÇOIS PINET, avocats


Lecture du mardi 20 juin 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler le titre exécutoire d'un montant de 15 287 euros, émis le 27 juillet 2018 par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), correspondant à l'indemnisation versée à M. B... A... en réparation des préjudices ayant résulté de sa contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C. Par un jugement n° 1809880 du 14 janvier 2021, le tribunal administratif a annulé ce titre exécutoire et déchargé l'AP-HP du paiement de la somme ainsi mise à sa charge.

Par un arrêt n° 21PA01291 du 26 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par l'ONIAM contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 janvier et 26 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ONIAM demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 ;
- l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 ;
- la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;
- l'arrêté du 3 janvier 2003 pris en application de l'article L. 1142-2 du code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Hortense Naudascher, auditrice,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et au Cabinet François Pinet, avocat de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... A... a été contaminé par le virus de l'hépatite C à l'occasion d'une transfusion sanguine reçue au cours de son hospitalisation en 1985 à l'hôpital Avicenne de Bobigny, qui relève de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), et qu'il a été indemnisé par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) à hauteur de 15 287 euros dans le cadre de deux transactions conclues avec cet office en 2016 et 2017. Le 27 juillet 2018, l'ONIAM a émis à l'encontre de l'AP-HP, en vue du recouvrement des sommes versées à la victime, un titre exécutoire d'un montant de 15 287 euros. Par un jugement du 14 janvier 2021, le tribunal administratif de Montreuil, saisi par l'AP-HP, a annulé ce titre exécutoire et déchargé l'AP-HP du paiement de la somme ainsi mise à sa charge. L'ONIAM se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 26 novembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel formé contre ce jugement.

Sur le cadre juridique :

2. D'une part, aux termes du B de l'article 18 de la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme : " Les dispositions du présent article (...) entreront en vigueur à la date de publication du décret nommant le président de l'Etablissement français du sang, et au plus tard le 31 décembre 1999./ (...)/ A cette même date : / 1° L'Etablissement français du sang est substitué aux établissements de transfusion sanguine dans les droits et obligations résultant des contrats conclus, antérieurement à la présente loi, en application des dispositions de l'article L. 668-10 du code de la santé publique ;/ 2° L'ensemble des activités exercées par les établissements de transfusion sanguine est transféré à l'Etablissement français du sang. / Des conventions conclues entre, d'une part, l'Etablissement français du sang et, d'autre part, chaque personne morale concernée fixent les conditions dans lesquelles les droits et obligations, créances et dettes liés à ces activités sont, le cas échéant, transférés à l'Etablissement français du sang ainsi que les conditions dans lesquelles les biens nécessaires à ces activités sont cédés à l'Etablissement français du sang ou mis à sa disposition (...) ". L'article 14 de l'ordonnance du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine a ensuite prévu que " Les droits et obligations nés de l'élaboration ou de la fourniture de produits sanguins par des personnes morales de droit public ayant été agréées sur le fondement de la loi n° 52-854 du 21 juillet 1952 et qui n'ont pas déjà été transférés par l'article 18 de la loi du 1er juillet 1998 sont transférés à l'Etablissement français du sang à la date de sa création, sous réserve que ces droits et obligations n'aient pas été fixés par une décision juridictionnelle irrévocable à la date de la publication de la présente ordonnance (...) ".

3. D'autre part, l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 a chargé l'ONIAM d'indemniser les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang. Le I de cet article 67 a inséré au code de la santé publique un article L. 1221-14 déterminant la procédure d'indemnisation des victimes par l'office.

4. Aux termes de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'article 72 de la loi du 17 décembre 2012, applicable au litige : " Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s'applique le présent chapitre sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l'office mentionné à l'article L. 1142-22 dans les conditions prévues (...) à l'article L. 3122-4, à l'exception de la seconde phrase du premier alinéa. / (...) La transaction intervenue entre l'office et la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article est opposable à l'assureur, sans que celui-ci puisse mettre en oeuvre la clause de direction du procès éventuellement contenue dans les contrats d'assurance applicables, ou, le cas échéant, au responsable des dommages, sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. (...). Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime ou à ses ayants droit leur reste acquis. / Lorsque l'office a indemnisé une victime, il peut directement demander à être garanti des sommes qu'il a versées par les assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang en vertu du B de l'article 18 de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire de produits destinés à l'homme, de l'article 60 de la loi de finances rectificative pour 2000 (n° 2000-1353 du 30 décembre 2000) et de l'article 14 de l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine, que le dommage subi par la victime soit ou non imputable à une faute. / L'office et les tiers payeurs ne peuvent exercer d'action subrogatoire contre l'Etablissement français du sang, venu aux droits et obligations des structures mentionnées à l'avant-dernier alinéa, si l'établissement de transfusion sanguine n'est pas assuré, si sa couverture d'assurance est épuisée ou encore dans le cas où le délai de validité de sa couverture est expiré. / (...) ".

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le recours subrogatoire de l'ONIAM contre l'AP-HP en tant que responsable du dommage :

5. En application des dispositions du sixième alinéa du B de l'article 18 de la loi du 1er juillet 1998, citées au point 2, l'AP-HP et l'Etablissement français du sang (EFS) ont conclu le 29 décembre 1999 une convention prévoyant, notamment, la prise en charge par l'EFS de l'ensemble des contentieux transfusionnels et des demandes transactionnelles nées ou susceptibles de naître après sa date de création. Ces stipulations, prises pour la mise en oeuvre du transfert à l'EFS des activités antérieurement exercées par les établissements de transfusion sanguine, et des droits et obligations afférents à ces activités, sont opposables à l'ONIAM, désormais en charge, en vertu des dispositions de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 mentionnées au point 3, d'indemniser les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang. Par suite, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la convention conclue le 29 décembre 1999 entre l'AP-HP et l'EFS était opposable à l'ONIAM, et en en déduisant que l'ONIAM n'était pas fondé à exercer un recours subrogatoire contre l'AP-HP en qualité de personne responsable du dommage.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur l'action en garantie de l'ONIAM contre l'AP-HP en sa qualité d'assureur d'une structure reprise par l'EFS :

6. Aux termes de l'article L. 1142-2 du code de la santé publique : " Les professionnels de santé exerçant à titre libéral, les établissements de santé, (...) sont tenus de souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative susceptible d'être engagée en raison de dommages subis par des tiers et résultant d'atteintes à la personne, survenant dans le cadre de l'ensemble de cette activité./ (...)/ Une dérogation à l'obligation d'assurance prévue au premier alinéa peut être accordée par arrêté du ministre chargé de la santé aux établissements publics de santé disposant des ressources financières leur permettant d'indemniser les dommages dans des conditions équivalentes à celles qui résulteraient d'un contrat d'assurance (...) ". En vertu d'un arrêté du ministre chargé de la santé du 3 janvier 2003 pris sur le fondement de ces dispositions, l'AP-HP bénéficie d'une dérogation à l'obligation de souscrire un contrat d'assurance.

7. Les dispositions du septième alinéa de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique citées au point 4, issues de la loi du 17 décembre 2012, ont pour objet, ainsi qu'il résulte tant de leur lettre même que de leurs travaux préparatoires, de permettre à l'ONIAM, lorsqu'il a indemnisé une victime de contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C, d'exercer soit directement une action en garantie auprès des assureurs des établissements de transfusion sanguine repris par l'EFS, soit l'action subrogatoire contre l'EFS prévue par l'avant-dernier alinéa du même article et subordonnée à une condition de couverture assurantielle de l'établissement de transfusion aux droits duquel est venu l'EFS.

8. L'AP-HP, bénéficiant d'une dérogation à l'obligation de souscrire un contrat d'assurance, ne peut être regardée comme un assureur pour l'application des dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique. En jugeant que la circonstance que l'AP-HP bénéficiait d'une dérogation d'assurance ne faisait pas d'elle un assureur au sens de ces dispositions, la cour n'a dès lors pas commis d'erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris qu'il attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'AP-HP qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de l'ONIAM est rejeté.

Article 2 : L'ONIAM versera à l'AP-HP une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.
Copie en sera adressée au ministre de la santé et de la prévention et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 mai 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Hortense Naudascher, auditrice-rapporteure.

Rendu le 20 juin 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Hortense Naudascher
La secrétaire :
Signé : Mme Anne-Lise Calvaire


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