Conseil d'État
N° 469268
ECLI:FR:CECHR:2023:469268.20230601
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
Mme Christine Maugüé , président
M. Hervé Cassara, rapporteur
M. Nicolas Labrune, rapporteur public
SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH, avocats
Lecture du jeudi 1 juin 2023
Vu la procédure suivante :
La société de construction Floriot a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes à lui verser une provision de 1 777 748,58 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires à compter du 1er décembre 2021, en règlement du solde du lot A " structures clos et couvert -partitions - finitions " du marché de travaux de construction du pôle hospitalier public - privé de Voiron. Par une ordonnance n° 2108222 du 18 février 2022, la juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 22LY00682 du 14 novembre 2022, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel de la société de construction Floriot, partiellement annulé cette ordonnance et condamné le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes à lui verser une provision de 1 493 067,90 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires à compter du 1er décembre 2021.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 29 novembre et 14 décembre 2022 et 4 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de mettre à la charge de la société de construction Floriot la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales relatif aux marchés publics de travaux ;
- l'arrêté du 3 mars 2014 modifiant l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat du centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes et à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société de construction Floriot ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 avril 2023, présentée par la société de construction Floriot ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon que, le 6 septembre 2017, le centre hospitalier de Voiron, aux droits duquel est venu le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes, a attribué à la société régionale de construction Floriot SAS, aux droits de laquelle est venue la société de construction Floriot, le lot A " structure clos et couvert, partitions, finitions " du marché de travaux de construction du pôle hospitalier public - privé de Voiron. Estimant être en mesure de se prévaloir d'un décompte général et définitif, la société de construction Floriot a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes à lui verser une provision de 1 777 748,58 euros toutes taxes comprises. Par une ordonnance du 18 février 2022, la juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande. Sur appel de la société de construction Floriot, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a, par une ordonnance du 14 novembre 2022, partiellement annulé cette ordonnance et condamné le centre hospitalier à verser à la société de construction Floriot une provision de 1 493 067,90 euros toutes taxes comprises assortie des intérêts moratoires. Le centre hospitalier se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.
2. Aux termes de l'article 13.3.1 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés publics de travaux, dans sa version issue de l'arrêté du 8 septembre 2009 susvisé, modifié par l'arrêté du 3 mars 2014 susvisé, applicable au marché en litige : " Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final, concurremment avec le projet de décompte mensuel afférent au dernier mois d'exécution des prestations ou à la place de ce dernier. / Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire, établissant le montant total des sommes auquel le titulaire prétend du fait de l'exécution du marché dans son ensemble, son évaluation étant faite en tenant compte des prestations réellement exécutées. (...) ". Selon l'article 13.3.2 de ce cahier : " Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'oeuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue à l'article 41.3 ou, en l'absence d'une telle notification, à la fin de l'un des délais de trente jours fixés aux articles 41.1.3 et 41.3. / Toutefois, s'il est fait application des dispositions de l'article 41.5, la date du procès-verbal constatant l'exécution des travaux visés à cet article est substituée à la date de notification de la décision de réception des travaux comme point de départ des délais ci-dessus. / S'il est fait application des dispositions de l'article 41.6, la date de notification de la décision de réception des travaux est la date retenue comme point de départ des délais ci-dessus ".
3. Aux termes de l'article 41.3 du même cahier : " Au vu du procès-verbal des opérations préalables à la réception et des propositions du maître d'oeuvre, le maître de l'ouvrage décide si la réception est ou non prononcée ou si elle est prononcée avec réserves. S'il prononce la réception, il fixe la date qu'il retient pour l'achèvement des travaux. La décision ainsi prise est notifiée au titulaire dans les trente jours suivant la date du procès-verbal. / La réception prend effet à la date fixée pour l'achèvement des travaux. / Sauf le cas prévu à l'article 41.1.3, à défaut de décision du maître de l'ouvrage notifiée dans le délai précisé ci-dessus, les propositions du maître d'oeuvre s'imposent au maître de l'ouvrage et au titulaire ". Aux termes de l'article 41.5 du même cahier : " S'il apparaît que certaines prestations prévues par les documents particuliers du marché et devant encore donner lieu à règlement n'ont pas été exécutées, le maître de l'ouvrage peut décider de prononcer la réception, sous réserve que le titulaire s'engage à exécuter ces prestations dans un délai qui n'excède pas trois mois. La constatation de l'exécution de ces prestations doit donner lieu à un procès-verbal dressé dans les mêmes conditions que le procès verbal des opérations préalables à la réception prévu à l'article 41.2. ".
4. Il résulte de la combinaison des stipulations du CCAG mentionnées aux points 2 et 3 que, lorsque le maître de l'ouvrage ne notifie au titulaire aucune décision expresse de réception ou de refus de réception dans les trente jours suivant la date du procès-verbal des opérations préalables à la réception, les propositions du maître d'oeuvre s'imposent au maître de l'ouvrage et au titulaire. Dans ce cas, le point de départ du délai de trente jours pendant lequel le titulaire doit, en application de l'article 13.3.2 du CCAG, transmettre son projet de décompte final, est alors déterminé au regard de la proposition du maître d'oeuvre relative à la réception. Lorsque le maître d'oeuvre propose de réceptionner l'ouvrage au moins en partie sous réserves, le délai ouvert au titulaire pour transmettre son projet de décompte final court à compter du procès-verbal de levée de ces réserves, y compris, le cas échéant, pour les travaux qu'il propose de réceptionner sans réserves ou avec réserves.
5. Par suite, en jugeant que si la proposition du maître d'oeuvre de réceptionner les travaux sous réserves obligeait la société de construction Floriot à lever les réserves, elle ne faisait pas obstacle à ce que celle-ci notifie son projet de décompte final avant le procès-verbal de levée de ces réserves et que cette notification faisait courir le délai imparti au maître d'ouvrage pour transmettre le décompte général, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. Aux termes de l'article 13.3.4 du CCAG, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 3 mars 2014 : " En cas de retard dans la transmission du projet de décompte final et après mise en demeure restée sans effet, le maître d'oeuvre établit d'office le décompte final aux frais du titulaire. Ce décompte final est alors notifié au titulaire avec le décompte général tel que défini à l'article 13.4 ". Selon l'article 13.4.2 du même cahier : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci après : / - trente jours à compter de la réception par le maître d'oeuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; / - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. (...) ". Aux termes de l'article 13.4.3 du même cahier : " Dans un délai de trente jours compté à partir de la date à laquelle ce décompte général lui a été notifié, le titulaire envoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'oeuvre, ce décompte revêtu de sa signature, avec ou sans réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. / Si la signature du décompte général est donnée sans réserve par le titulaire, il devient le décompte général et définitif du marché. La date de sa notification au pouvoir adjudicateur constitue le départ du délai de paiement. / Ce décompte lie définitivement les parties (...) ". Selon l'article 13.4.4 de ce cahier : " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'oeuvre, un projet de décompte général signé (...). / Si, dans [un] délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. (...) ".
9. Aux termes, par ailleurs, de l'article 9.2.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché en litige, que l'article 11 du même document présente comme une dérogation à l'article 41.5 du CCAG : " La réception ne peut être prononcée que sous réserve de l'exécution concluante des épreuves (...) lorsque : - les épreuves ne doivent être exécutées que postérieurement à la date d'achèvement des travaux ou de remises des ouvrages (...) - sont prévues des performances ou des rendements fixés au préalable (...). De même la réception ne peut être prononcée qu'après l'obtention de l'avis favorable de la commission de sécurité. (...) Le maître d'ouvrage fixe la date à retenir pour l'achèvement des travaux et notifie sa décision à l'entrepreneur dans les 45 jours suivants la date du procès-verbal ".
10. Il résulte de l'instruction que les opérations préalables à la réception des travaux se sont déroulées le 4 juin 2021 en présence du maître d'oeuvre, du maître d'ouvrage et du titulaire, et que, le 7 juin 2021, le maître d'oeuvre a proposé au centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes de réceptionner l'ouvrage, avec effet du 7 juin 2021, d'une part, sous réserve de plusieurs épreuves, dont l'obtention de l'avis favorable de la commission de sécurité, ainsi que de travaux et prestations, et, d'autre part, avec des réserves portant sur des imperfections et malfaçons. Il résulte également de l'instruction que le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes n'a notifié aucune décision de réception à la société de construction Floriot dans le délai de quarante-cinq jours qui lui était imparti par les stipulations de l'article 9.2.3. du CCAP citées au point 9, par dérogation au délai de trente jours fixé par l'article 41.3 du CCAG, aucune pièce versée au dossier, notamment pas le courrier du 17 juin 2021 qu'il a adressé au maître d'oeuvre, ne pouvant en outre être regardée comme révélant qu'il aurait manifesté clairement et publiquement sa décision de réceptionner ou de refuser de réceptionner l'ouvrage.
11. Dès lors, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la proposition du maître d'oeuvre de réceptionner l'ouvrage sous réserves, qui s'est imposée au centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes et à la société de construction Floriot, a eu pour effet de reporter le déclenchement du délai ouvert à cette dernière pour transmettre son projet de décompte final au maître d'ouvrage et au maître d'oeuvre à la date du procès-verbal constatant l'exécution des travaux, objets de ces réserves. Il résulte de l'instruction qu'aucun procès-verbal constatant l'exécution de ces travaux n'avait été établi avant que la société de construction Floriot transmette son projet de décompte final au centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes et au maître d'oeuvre par courriers du 19 août 2021, reçus le 23 août 2021. Par suite, cette transmission était prématurée et n'a pu faire courir le délai de trente jours prévu à l'article 13.4.2 du CCAG, ni donner lieu à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite dans les conditions prévues par l'article 13.4.4 de ce cahier.
12. Il suit de là que la créance que la société de construction Floriot, qui ne peut ainsi pas se prévaloir d'un décompte général et définitif tacite, estime détenir à l'encontre du centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes ne peut être regardée comme non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.
13. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes, la société de construction Floriot n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son ordonnance du 18 février 2022, la juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 3 000 euros à la charge de la société de construction Floriot au titre de ces dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du 14 novembre 2022 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon est annulée.
Article 2 : La requête présentée par la société de construction Floriot devant la cour administrative d'appel de Lyon et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société de construction Floriot versera au centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes et à la société de construction Floriot.
N° 469268
ECLI:FR:CECHR:2023:469268.20230601
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
Mme Christine Maugüé , président
M. Hervé Cassara, rapporteur
M. Nicolas Labrune, rapporteur public
SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH, avocats
Lecture du jeudi 1 juin 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société de construction Floriot a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes à lui verser une provision de 1 777 748,58 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires à compter du 1er décembre 2021, en règlement du solde du lot A " structures clos et couvert -partitions - finitions " du marché de travaux de construction du pôle hospitalier public - privé de Voiron. Par une ordonnance n° 2108222 du 18 février 2022, la juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 22LY00682 du 14 novembre 2022, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel de la société de construction Floriot, partiellement annulé cette ordonnance et condamné le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes à lui verser une provision de 1 493 067,90 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires à compter du 1er décembre 2021.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 29 novembre et 14 décembre 2022 et 4 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de mettre à la charge de la société de construction Floriot la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales relatif aux marchés publics de travaux ;
- l'arrêté du 3 mars 2014 modifiant l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat du centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes et à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société de construction Floriot ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 avril 2023, présentée par la société de construction Floriot ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon que, le 6 septembre 2017, le centre hospitalier de Voiron, aux droits duquel est venu le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes, a attribué à la société régionale de construction Floriot SAS, aux droits de laquelle est venue la société de construction Floriot, le lot A " structure clos et couvert, partitions, finitions " du marché de travaux de construction du pôle hospitalier public - privé de Voiron. Estimant être en mesure de se prévaloir d'un décompte général et définitif, la société de construction Floriot a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes à lui verser une provision de 1 777 748,58 euros toutes taxes comprises. Par une ordonnance du 18 février 2022, la juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande. Sur appel de la société de construction Floriot, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a, par une ordonnance du 14 novembre 2022, partiellement annulé cette ordonnance et condamné le centre hospitalier à verser à la société de construction Floriot une provision de 1 493 067,90 euros toutes taxes comprises assortie des intérêts moratoires. Le centre hospitalier se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.
2. Aux termes de l'article 13.3.1 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés publics de travaux, dans sa version issue de l'arrêté du 8 septembre 2009 susvisé, modifié par l'arrêté du 3 mars 2014 susvisé, applicable au marché en litige : " Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final, concurremment avec le projet de décompte mensuel afférent au dernier mois d'exécution des prestations ou à la place de ce dernier. / Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire, établissant le montant total des sommes auquel le titulaire prétend du fait de l'exécution du marché dans son ensemble, son évaluation étant faite en tenant compte des prestations réellement exécutées. (...) ". Selon l'article 13.3.2 de ce cahier : " Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'oeuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue à l'article 41.3 ou, en l'absence d'une telle notification, à la fin de l'un des délais de trente jours fixés aux articles 41.1.3 et 41.3. / Toutefois, s'il est fait application des dispositions de l'article 41.5, la date du procès-verbal constatant l'exécution des travaux visés à cet article est substituée à la date de notification de la décision de réception des travaux comme point de départ des délais ci-dessus. / S'il est fait application des dispositions de l'article 41.6, la date de notification de la décision de réception des travaux est la date retenue comme point de départ des délais ci-dessus ".
3. Aux termes de l'article 41.3 du même cahier : " Au vu du procès-verbal des opérations préalables à la réception et des propositions du maître d'oeuvre, le maître de l'ouvrage décide si la réception est ou non prononcée ou si elle est prononcée avec réserves. S'il prononce la réception, il fixe la date qu'il retient pour l'achèvement des travaux. La décision ainsi prise est notifiée au titulaire dans les trente jours suivant la date du procès-verbal. / La réception prend effet à la date fixée pour l'achèvement des travaux. / Sauf le cas prévu à l'article 41.1.3, à défaut de décision du maître de l'ouvrage notifiée dans le délai précisé ci-dessus, les propositions du maître d'oeuvre s'imposent au maître de l'ouvrage et au titulaire ". Aux termes de l'article 41.5 du même cahier : " S'il apparaît que certaines prestations prévues par les documents particuliers du marché et devant encore donner lieu à règlement n'ont pas été exécutées, le maître de l'ouvrage peut décider de prononcer la réception, sous réserve que le titulaire s'engage à exécuter ces prestations dans un délai qui n'excède pas trois mois. La constatation de l'exécution de ces prestations doit donner lieu à un procès-verbal dressé dans les mêmes conditions que le procès verbal des opérations préalables à la réception prévu à l'article 41.2. ".
4. Il résulte de la combinaison des stipulations du CCAG mentionnées aux points 2 et 3 que, lorsque le maître de l'ouvrage ne notifie au titulaire aucune décision expresse de réception ou de refus de réception dans les trente jours suivant la date du procès-verbal des opérations préalables à la réception, les propositions du maître d'oeuvre s'imposent au maître de l'ouvrage et au titulaire. Dans ce cas, le point de départ du délai de trente jours pendant lequel le titulaire doit, en application de l'article 13.3.2 du CCAG, transmettre son projet de décompte final, est alors déterminé au regard de la proposition du maître d'oeuvre relative à la réception. Lorsque le maître d'oeuvre propose de réceptionner l'ouvrage au moins en partie sous réserves, le délai ouvert au titulaire pour transmettre son projet de décompte final court à compter du procès-verbal de levée de ces réserves, y compris, le cas échéant, pour les travaux qu'il propose de réceptionner sans réserves ou avec réserves.
5. Par suite, en jugeant que si la proposition du maître d'oeuvre de réceptionner les travaux sous réserves obligeait la société de construction Floriot à lever les réserves, elle ne faisait pas obstacle à ce que celle-ci notifie son projet de décompte final avant le procès-verbal de levée de ces réserves et que cette notification faisait courir le délai imparti au maître d'ouvrage pour transmettre le décompte général, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. Aux termes de l'article 13.3.4 du CCAG, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 3 mars 2014 : " En cas de retard dans la transmission du projet de décompte final et après mise en demeure restée sans effet, le maître d'oeuvre établit d'office le décompte final aux frais du titulaire. Ce décompte final est alors notifié au titulaire avec le décompte général tel que défini à l'article 13.4 ". Selon l'article 13.4.2 du même cahier : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci après : / - trente jours à compter de la réception par le maître d'oeuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; / - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. (...) ". Aux termes de l'article 13.4.3 du même cahier : " Dans un délai de trente jours compté à partir de la date à laquelle ce décompte général lui a été notifié, le titulaire envoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'oeuvre, ce décompte revêtu de sa signature, avec ou sans réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. / Si la signature du décompte général est donnée sans réserve par le titulaire, il devient le décompte général et définitif du marché. La date de sa notification au pouvoir adjudicateur constitue le départ du délai de paiement. / Ce décompte lie définitivement les parties (...) ". Selon l'article 13.4.4 de ce cahier : " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'oeuvre, un projet de décompte général signé (...). / Si, dans [un] délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. (...) ".
9. Aux termes, par ailleurs, de l'article 9.2.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché en litige, que l'article 11 du même document présente comme une dérogation à l'article 41.5 du CCAG : " La réception ne peut être prononcée que sous réserve de l'exécution concluante des épreuves (...) lorsque : - les épreuves ne doivent être exécutées que postérieurement à la date d'achèvement des travaux ou de remises des ouvrages (...) - sont prévues des performances ou des rendements fixés au préalable (...). De même la réception ne peut être prononcée qu'après l'obtention de l'avis favorable de la commission de sécurité. (...) Le maître d'ouvrage fixe la date à retenir pour l'achèvement des travaux et notifie sa décision à l'entrepreneur dans les 45 jours suivants la date du procès-verbal ".
10. Il résulte de l'instruction que les opérations préalables à la réception des travaux se sont déroulées le 4 juin 2021 en présence du maître d'oeuvre, du maître d'ouvrage et du titulaire, et que, le 7 juin 2021, le maître d'oeuvre a proposé au centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes de réceptionner l'ouvrage, avec effet du 7 juin 2021, d'une part, sous réserve de plusieurs épreuves, dont l'obtention de l'avis favorable de la commission de sécurité, ainsi que de travaux et prestations, et, d'autre part, avec des réserves portant sur des imperfections et malfaçons. Il résulte également de l'instruction que le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes n'a notifié aucune décision de réception à la société de construction Floriot dans le délai de quarante-cinq jours qui lui était imparti par les stipulations de l'article 9.2.3. du CCAP citées au point 9, par dérogation au délai de trente jours fixé par l'article 41.3 du CCAG, aucune pièce versée au dossier, notamment pas le courrier du 17 juin 2021 qu'il a adressé au maître d'oeuvre, ne pouvant en outre être regardée comme révélant qu'il aurait manifesté clairement et publiquement sa décision de réceptionner ou de refuser de réceptionner l'ouvrage.
11. Dès lors, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la proposition du maître d'oeuvre de réceptionner l'ouvrage sous réserves, qui s'est imposée au centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes et à la société de construction Floriot, a eu pour effet de reporter le déclenchement du délai ouvert à cette dernière pour transmettre son projet de décompte final au maître d'ouvrage et au maître d'oeuvre à la date du procès-verbal constatant l'exécution des travaux, objets de ces réserves. Il résulte de l'instruction qu'aucun procès-verbal constatant l'exécution de ces travaux n'avait été établi avant que la société de construction Floriot transmette son projet de décompte final au centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes et au maître d'oeuvre par courriers du 19 août 2021, reçus le 23 août 2021. Par suite, cette transmission était prématurée et n'a pu faire courir le délai de trente jours prévu à l'article 13.4.2 du CCAG, ni donner lieu à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite dans les conditions prévues par l'article 13.4.4 de ce cahier.
12. Il suit de là que la créance que la société de construction Floriot, qui ne peut ainsi pas se prévaloir d'un décompte général et définitif tacite, estime détenir à l'encontre du centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes ne peut être regardée comme non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.
13. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes, la société de construction Floriot n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son ordonnance du 18 février 2022, la juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 3 000 euros à la charge de la société de construction Floriot au titre de ces dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du 14 novembre 2022 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon est annulée.
Article 2 : La requête présentée par la société de construction Floriot devant la cour administrative d'appel de Lyon et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société de construction Floriot versera au centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes et à la société de construction Floriot.