Conseil d'État
N° 462211
ECLI:FR:CECHR:2023:462211.20230601
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
Mme Christine Maugüé , président
Mme Elise Adevah-Poeuf, rapporteur
M. Nicolas Labrune, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats
Lecture du jeudi 1 juin 2023
Vu la procédure suivante :
La société Savima a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler le titre de recettes n° 212477 émis par l'ordonnateur du centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau et rendu exécutoire le 4 décembre 2012, par lequel elle a été faite débitrice de la somme de 446 207,09 euros correspondant au montant de l'avance forfaitaire qui lui avait été versée pour l'exécution en sa qualité de sous-traitante agréée du lot 4-4 du marché de conception-réalisation du nouvel hôpital local. Par un jugement n° 1300102 du 19 novembre 2015, le tribunal administratif a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 16BX00626 du 21 juin 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Savima contre ce jugement.
Par une décision n° 423443 du 4 mars 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Par un arrêt n° 20BX00800 du 15 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de la société Savima, annulé le jugement du tribunal administratif et le titre exécutoire en litige.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 mars et 13 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau demande au Conseil d'Etat, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Savima ;
3°) de mettre à la charge de la société Savima la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Elise Adevah-Poeuf, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me HAAS, avocat du centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Savima ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que dans le cadre d'un marché de conception-réalisation passé entre le centre hospitalier de la commune de Capesterre Belle-Eau (Guadeloupe) et la société Alfa Bâtiment, agissant en qualité de mandataire d'un groupement d'entreprises, pour la construction d'un nouvel hôpital, le pouvoir adjudicateur a, par un acte spécial du 16 décembre 2008, accepté la société Savima en qualité de sous-traitant pour l'exécution d'une partie du lot 4-4 " Menuiserie extérieure brise soleil " et agréé ses conditions de paiement pour un montant maximum de 2 056 253,86 euros HT. Conformément à sa demande, cette société a obtenu une avance forfaitaire de 20 % du montant des travaux sous-traités, soit la somme de 446 207,09 euros TTC. A la suite de la cession partielle, au profit de la société Saint Landry, des actifs de la société Alfa Bâtiment, placée en redressement judiciaire, le centre hospitalier a constaté l'absence de reprise du chantier. Par un courrier du 31 août 2011, le directeur du centre hospitalier a informé la société Savima de la résiliation du marché décidée le 10 juin 2011 aux torts de la société Saint Landry. Par un titre de recettes émis et rendu exécutoire le 4 décembre 2012, le centre hospitalier a réclamé à la société Savima la somme de 446 207,09 euros TTC, correspondant au remboursement de l'avance forfaitaire sur travaux qui lui avait été versée. La société Savima a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler le titre de recettes du 4 décembre 2012 et de la décharger de l'obligation de payer la somme de 446 207,09 euros. Par un arrêt du 21 juin 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Savima contre ce jugement. Par une décision du 4 mars 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la même cour. Par un arrêt du 15 décembre 2021, contre lequel le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau se pourvoit en cassation, cette cour a, sur appel de la société Savima, annulé le jugement du tribunal administratif et le titre exécutoire en litige.
Sur le cadre juridique du litige :
2. Aux termes de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, dans sa rédaction applicable au litige : " Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution. / (...) ". L'article 8 dispose que " L'entrepreneur principal dispose d'un délai de quinze jours, comptés à partir de la réception des pièces justificatives servant de base au paiement direct, pour les revêtir de son acceptation ou pour signifier au sous-traitant son refus motivé d'acceptation. / Passé ce délai, l'entrepreneur principal est réputé avoir accepté celles des pièces justificatives ou des parties de pièces justificatives qu'il n'a pas expressément acceptées ou refusées. / (...) ".
3. Aux termes du I de l'article 87 du code des marchés publics en vigueur à la date du litige : " Une avance est accordée au titulaire d'un marché lorsque le montant initial du marché ou de la tranche affermie est supérieur à 50 000 euros HT et dans la mesure où le délai d'exécution est supérieur à deux mois. Cette avance est calculée sur la base du montant du marché diminué du montant des prestations confiées à des sous-traitants et donnant lieu à paiement direct. (...) ". Aux termes du I de l'article 88 du même code : " Le remboursement de l'avance s'impute sur les sommes dues au titulaire, selon un rythme et des modalités fixés par le marché par précompte sur les sommes dues à titre d'acomptes ou de règlement partiel définitif ou de solde. (...) ".
4. Aux termes de l'article 115 du même code : " Les dispositions prévues aux articles 86 à 100 s'appliquent aux sous-traitants mentionnés à l'article 114 en tenant compte des dispositions particulières ci-après : / 1° Lorsque le montant du contrat de sous-traitance est égal ou supérieur à 600 Euros TTC, le sous-traitant, qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le pouvoir adjudicateur, est payé directement, pour la partie du marché dont il assure l'exécution. / (...) Une avance est versée, sur leur demande, aux sous-traitants bénéficiaires du paiement direct. / (...) Le remboursement de cette avance s'effectue selon les modalités prévues à l'article 88. (...) ".
5. Aux termes de l'article 116 du même code : " Le sous-traitant adresse sa demande de paiement libellée au nom du pouvoir adjudicateur au titulaire du marché, sous pli recommandé avec accusé de réception, ou la dépose auprès du titulaire contre récépissé. / Le titulaire dispose d'un délai de quinze jours à compter de la signature de l'accusé de réception ou du récépissé pour donner son accord ou notifier un refus, d'une part, au sous-traitant et, d'autre part, au pouvoir adjudicateur ou à la personne désignée par lui dans le marché. /Le sous-traitant adresse également sa demande de paiement au pouvoir adjudicateur ou à la personne désignée dans le marché par le pouvoir adjudicateur, accompagnée des factures et de l'accusé de réception ou du récépissé attestant que le titulaire a bien reçu la demande ou de l'avis postal attestant que le pli a été refusé ou n'a pas été réclamé. / Le pouvoir adjudicateur ou la personne désignée par lui dans le marché adresse sans délai au titulaire une copie des factures produites par le sous-traitant./ Le pouvoir adjudicateur procède au paiement du sous-traitant dans le délai prévu par l'article 98. Ce délai court à compter de la réception par le pouvoir adjudicateur de l'accord, total ou partiel, du titulaire sur le paiement demandé, ou de l'expiration du délai mentionné au deuxième alinéa si, pendant ce délai, le titulaire n'a notifié aucun accord ni aucun refus, ou encore de la réception par le pouvoir adjudicateur de l'avis postal mentionné au troisième alinéa./ Le pouvoir adjudicateur informe le titulaire des paiements qu'il effectue au sous-traitant ".
6. Les avances accordées et versées au titulaire d'un marché sur le fondement des dispositions de l'article 87 du code des marchés publics, applicable au litige, ont pour objet de lui fournir une trésorerie suffisante destinée à assurer le préfinancement de l'exécution des prestations qui lui ont été confiées. Le principe et les modalités de leur remboursement sont prévus par les dispositions de l'article 88 de ce code, dont la substance a été reprise aux articles R. 2191-11 et R. 2191-12 du code de la commande publique, qui permettent au maître d'ouvrage d'imputer le remboursement des avances par précompte sur les sommes dues au titulaire du marché à titre d'acomptes, de règlement partiel définitif ou de solde. L'article 115 du même code, dont la substance a été reprise aux articles R. 2193-17 et suivants du code de la commande publique, prévoit que ces dispositions s'appliquent aux sous-traitants bénéficiaires du paiement direct. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que lorsque le marché est résilié avant que l'avance puisse être remboursée par précompte sur les prestations dues, le maître d'ouvrage peut obtenir le remboursement de l'avance versée au titulaire du marché ou à son sous-traitant sous réserve des dépenses qu'ils ont exposées et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées. S'agissant des prestations réalisées par le sous-traitant, il appartient au maître d'ouvrage de consulter le titulaire du marché pour s'assurer que ces conditions remplies. En cas de résiliation pour faute du marché, le remboursement de l'avance par le sous-traitant ne fait pas obstacle à ce que celui-ci engage une action contre le titulaire du marché et lui demande, le cas échéant, réparation du préjudice que cette résiliation lui a causé à raison des dépenses engagées en vue de l'exécution de prestations prévues initialement au marché.
Sur le pourvoi :
7. Lorsque le contrat prévoit l'établissement d'un décompte général et définitif, retraçant l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution du marché, la créance détenue par le maître de l'ouvrage sur le titulaire de celui-ci ne saurait présenter un caractère certain et exigible et, par suite, faire l'objet d'un titre exécutoire en l'absence d'un tel décompte, même dans l'hypothèse d'une résiliation du marché. En revanche, ni les dispositions mentionnées aux points 2 à 5, ni aucun autre texte, ni aucun principe ne subordonne à l'établissement préalable d'un tel décompte l'exigibilité de la créance que détient le maître d'ouvrage sur le sous-traitant, notamment pour le remboursement des avances qu'il a versées à ce dernier. Par suite, en jugeant que la créance du centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau sur la société Savima correspondant au remboursement des avances perçues par celle-ci en qualité de sous-traitant n'était ni certaine ni exigible au seul motif qu'aucun décompte de résiliation du marché n'avait été établi au préalable, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit.
8. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Capesterre-Belle-Eau est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
9. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.
Sur la régularité du jugement attaqué :
10. Il résulte de l'instruction que pour demander l'annulation du titre exécutoire émis à son encontre par le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau et la décharge de l'obligation de payer la somme de 446 207,09 euros, la société requérante s'est prévalue de l'absence de tout lien contractuel avec ce dernier. Pour écarter ce moyen, le tribunal administratif de la Guadeloupe a relevé que cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que ce dernier, en qualité de maître de l'ouvrage, réclame à son sous-traitant le remboursement des sommes indûment versées à titre d'avances forfaitaires en prévision d'une exécution de prestations qui n'a jamais eu lieu. Ce faisant, le tribunal administratif s'est borné, comme il lui appartenait de le faire, à répondre à un moyen dont il était saisi et n'a pas soulevé d'office un moyen qui ne serait pas d'ordre public.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
11. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, fin 2009, le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau a versé à la société Savima une avance forfaitaire d'un montant de 446 207,09 euros au titre du marché en litige. Il est par ailleurs constant que le centre hospitalier a résilié celui-ci le 10 juin 2011, avant d'avoir pu obtenir le remboursement de l'avance consentie à cette société par précompte sur les paiements directs effectués au profit de celle-ci.
12. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que la circonstance que l'avance versée à la société Savima n'ait ainsi pu être remboursée par précompte sur les prestations dues n'était pas de nature à faire obstacle à ce que le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau puisse en obtenir le remboursement, sous réserve des dépenses exposées par cette société et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées.
13. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que la société Savima n'est pas fondée à soutenir que la créance en litige ne serait pas certaine et exigible au motif que le titre exécutoire a été émis avant l'établissement du décompte de résiliation du marché.
14. En quatrième lieu, si la société Savima demande, à titre subsidiaire, à être déchargée des sommes de 120 960 euros au titre des coûts de stockage du matériel acquis en prévision de l'exécution du marché, de 11 454 euros au titre des frais d'étude pour la réalisation du marché et de 432 584 euros au titre de la perte de marge brute du fait de la résiliation du marché, ces sommes ne peuvent, dans les circonstances de l'espèce, être regardées comme des dépenses qu'elle a exposées et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées avant la résiliation de celui-ci.
15. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau a opéré une retenue de garantie de 47 034,26 euros sur les acomptes qu'il a versés à la société Savima. Cette société est fondée à demander à être déchargée d'une telle somme dès lors qu'elle se rapporte à des dépenses qu'elle a exposées et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la société Savima est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe n'a pas annulé le titre exécutoire en litige à concurrence de 47 034,26 euros et ne l'a pas déchargée de la somme correspondante.
Sur les frais de l'instance :
17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées tant en appel qu'en cassation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 15 décembre 2021 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé.
Article 2 : Le titre de recettes n° 212477 émis par l'ordonnateur du centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau et rendu exécutoire le 4 décembre 2012 est annulé à hauteur de 47 034,26 euros et la société Savima est déchargée de l'obligation de payer cette somme.
Article 3 : Le jugement du 19 novembre 2015 du tribunal administratif de la Guadeloupe est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Savima et les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau et à la société Savima.
N° 462211
ECLI:FR:CECHR:2023:462211.20230601
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
Mme Christine Maugüé , président
Mme Elise Adevah-Poeuf, rapporteur
M. Nicolas Labrune, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats
Lecture du jeudi 1 juin 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Savima a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler le titre de recettes n° 212477 émis par l'ordonnateur du centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau et rendu exécutoire le 4 décembre 2012, par lequel elle a été faite débitrice de la somme de 446 207,09 euros correspondant au montant de l'avance forfaitaire qui lui avait été versée pour l'exécution en sa qualité de sous-traitante agréée du lot 4-4 du marché de conception-réalisation du nouvel hôpital local. Par un jugement n° 1300102 du 19 novembre 2015, le tribunal administratif a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 16BX00626 du 21 juin 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Savima contre ce jugement.
Par une décision n° 423443 du 4 mars 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Par un arrêt n° 20BX00800 du 15 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de la société Savima, annulé le jugement du tribunal administratif et le titre exécutoire en litige.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 mars et 13 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau demande au Conseil d'Etat, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Savima ;
3°) de mettre à la charge de la société Savima la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Elise Adevah-Poeuf, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me HAAS, avocat du centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Savima ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que dans le cadre d'un marché de conception-réalisation passé entre le centre hospitalier de la commune de Capesterre Belle-Eau (Guadeloupe) et la société Alfa Bâtiment, agissant en qualité de mandataire d'un groupement d'entreprises, pour la construction d'un nouvel hôpital, le pouvoir adjudicateur a, par un acte spécial du 16 décembre 2008, accepté la société Savima en qualité de sous-traitant pour l'exécution d'une partie du lot 4-4 " Menuiserie extérieure brise soleil " et agréé ses conditions de paiement pour un montant maximum de 2 056 253,86 euros HT. Conformément à sa demande, cette société a obtenu une avance forfaitaire de 20 % du montant des travaux sous-traités, soit la somme de 446 207,09 euros TTC. A la suite de la cession partielle, au profit de la société Saint Landry, des actifs de la société Alfa Bâtiment, placée en redressement judiciaire, le centre hospitalier a constaté l'absence de reprise du chantier. Par un courrier du 31 août 2011, le directeur du centre hospitalier a informé la société Savima de la résiliation du marché décidée le 10 juin 2011 aux torts de la société Saint Landry. Par un titre de recettes émis et rendu exécutoire le 4 décembre 2012, le centre hospitalier a réclamé à la société Savima la somme de 446 207,09 euros TTC, correspondant au remboursement de l'avance forfaitaire sur travaux qui lui avait été versée. La société Savima a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler le titre de recettes du 4 décembre 2012 et de la décharger de l'obligation de payer la somme de 446 207,09 euros. Par un arrêt du 21 juin 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Savima contre ce jugement. Par une décision du 4 mars 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la même cour. Par un arrêt du 15 décembre 2021, contre lequel le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau se pourvoit en cassation, cette cour a, sur appel de la société Savima, annulé le jugement du tribunal administratif et le titre exécutoire en litige.
Sur le cadre juridique du litige :
2. Aux termes de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, dans sa rédaction applicable au litige : " Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution. / (...) ". L'article 8 dispose que " L'entrepreneur principal dispose d'un délai de quinze jours, comptés à partir de la réception des pièces justificatives servant de base au paiement direct, pour les revêtir de son acceptation ou pour signifier au sous-traitant son refus motivé d'acceptation. / Passé ce délai, l'entrepreneur principal est réputé avoir accepté celles des pièces justificatives ou des parties de pièces justificatives qu'il n'a pas expressément acceptées ou refusées. / (...) ".
3. Aux termes du I de l'article 87 du code des marchés publics en vigueur à la date du litige : " Une avance est accordée au titulaire d'un marché lorsque le montant initial du marché ou de la tranche affermie est supérieur à 50 000 euros HT et dans la mesure où le délai d'exécution est supérieur à deux mois. Cette avance est calculée sur la base du montant du marché diminué du montant des prestations confiées à des sous-traitants et donnant lieu à paiement direct. (...) ". Aux termes du I de l'article 88 du même code : " Le remboursement de l'avance s'impute sur les sommes dues au titulaire, selon un rythme et des modalités fixés par le marché par précompte sur les sommes dues à titre d'acomptes ou de règlement partiel définitif ou de solde. (...) ".
4. Aux termes de l'article 115 du même code : " Les dispositions prévues aux articles 86 à 100 s'appliquent aux sous-traitants mentionnés à l'article 114 en tenant compte des dispositions particulières ci-après : / 1° Lorsque le montant du contrat de sous-traitance est égal ou supérieur à 600 Euros TTC, le sous-traitant, qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le pouvoir adjudicateur, est payé directement, pour la partie du marché dont il assure l'exécution. / (...) Une avance est versée, sur leur demande, aux sous-traitants bénéficiaires du paiement direct. / (...) Le remboursement de cette avance s'effectue selon les modalités prévues à l'article 88. (...) ".
5. Aux termes de l'article 116 du même code : " Le sous-traitant adresse sa demande de paiement libellée au nom du pouvoir adjudicateur au titulaire du marché, sous pli recommandé avec accusé de réception, ou la dépose auprès du titulaire contre récépissé. / Le titulaire dispose d'un délai de quinze jours à compter de la signature de l'accusé de réception ou du récépissé pour donner son accord ou notifier un refus, d'une part, au sous-traitant et, d'autre part, au pouvoir adjudicateur ou à la personne désignée par lui dans le marché. /Le sous-traitant adresse également sa demande de paiement au pouvoir adjudicateur ou à la personne désignée dans le marché par le pouvoir adjudicateur, accompagnée des factures et de l'accusé de réception ou du récépissé attestant que le titulaire a bien reçu la demande ou de l'avis postal attestant que le pli a été refusé ou n'a pas été réclamé. / Le pouvoir adjudicateur ou la personne désignée par lui dans le marché adresse sans délai au titulaire une copie des factures produites par le sous-traitant./ Le pouvoir adjudicateur procède au paiement du sous-traitant dans le délai prévu par l'article 98. Ce délai court à compter de la réception par le pouvoir adjudicateur de l'accord, total ou partiel, du titulaire sur le paiement demandé, ou de l'expiration du délai mentionné au deuxième alinéa si, pendant ce délai, le titulaire n'a notifié aucun accord ni aucun refus, ou encore de la réception par le pouvoir adjudicateur de l'avis postal mentionné au troisième alinéa./ Le pouvoir adjudicateur informe le titulaire des paiements qu'il effectue au sous-traitant ".
6. Les avances accordées et versées au titulaire d'un marché sur le fondement des dispositions de l'article 87 du code des marchés publics, applicable au litige, ont pour objet de lui fournir une trésorerie suffisante destinée à assurer le préfinancement de l'exécution des prestations qui lui ont été confiées. Le principe et les modalités de leur remboursement sont prévus par les dispositions de l'article 88 de ce code, dont la substance a été reprise aux articles R. 2191-11 et R. 2191-12 du code de la commande publique, qui permettent au maître d'ouvrage d'imputer le remboursement des avances par précompte sur les sommes dues au titulaire du marché à titre d'acomptes, de règlement partiel définitif ou de solde. L'article 115 du même code, dont la substance a été reprise aux articles R. 2193-17 et suivants du code de la commande publique, prévoit que ces dispositions s'appliquent aux sous-traitants bénéficiaires du paiement direct. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que lorsque le marché est résilié avant que l'avance puisse être remboursée par précompte sur les prestations dues, le maître d'ouvrage peut obtenir le remboursement de l'avance versée au titulaire du marché ou à son sous-traitant sous réserve des dépenses qu'ils ont exposées et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées. S'agissant des prestations réalisées par le sous-traitant, il appartient au maître d'ouvrage de consulter le titulaire du marché pour s'assurer que ces conditions remplies. En cas de résiliation pour faute du marché, le remboursement de l'avance par le sous-traitant ne fait pas obstacle à ce que celui-ci engage une action contre le titulaire du marché et lui demande, le cas échéant, réparation du préjudice que cette résiliation lui a causé à raison des dépenses engagées en vue de l'exécution de prestations prévues initialement au marché.
Sur le pourvoi :
7. Lorsque le contrat prévoit l'établissement d'un décompte général et définitif, retraçant l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution du marché, la créance détenue par le maître de l'ouvrage sur le titulaire de celui-ci ne saurait présenter un caractère certain et exigible et, par suite, faire l'objet d'un titre exécutoire en l'absence d'un tel décompte, même dans l'hypothèse d'une résiliation du marché. En revanche, ni les dispositions mentionnées aux points 2 à 5, ni aucun autre texte, ni aucun principe ne subordonne à l'établissement préalable d'un tel décompte l'exigibilité de la créance que détient le maître d'ouvrage sur le sous-traitant, notamment pour le remboursement des avances qu'il a versées à ce dernier. Par suite, en jugeant que la créance du centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau sur la société Savima correspondant au remboursement des avances perçues par celle-ci en qualité de sous-traitant n'était ni certaine ni exigible au seul motif qu'aucun décompte de résiliation du marché n'avait été établi au préalable, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit.
8. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Capesterre-Belle-Eau est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
9. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.
Sur la régularité du jugement attaqué :
10. Il résulte de l'instruction que pour demander l'annulation du titre exécutoire émis à son encontre par le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau et la décharge de l'obligation de payer la somme de 446 207,09 euros, la société requérante s'est prévalue de l'absence de tout lien contractuel avec ce dernier. Pour écarter ce moyen, le tribunal administratif de la Guadeloupe a relevé que cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que ce dernier, en qualité de maître de l'ouvrage, réclame à son sous-traitant le remboursement des sommes indûment versées à titre d'avances forfaitaires en prévision d'une exécution de prestations qui n'a jamais eu lieu. Ce faisant, le tribunal administratif s'est borné, comme il lui appartenait de le faire, à répondre à un moyen dont il était saisi et n'a pas soulevé d'office un moyen qui ne serait pas d'ordre public.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
11. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, fin 2009, le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau a versé à la société Savima une avance forfaitaire d'un montant de 446 207,09 euros au titre du marché en litige. Il est par ailleurs constant que le centre hospitalier a résilié celui-ci le 10 juin 2011, avant d'avoir pu obtenir le remboursement de l'avance consentie à cette société par précompte sur les paiements directs effectués au profit de celle-ci.
12. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que la circonstance que l'avance versée à la société Savima n'ait ainsi pu être remboursée par précompte sur les prestations dues n'était pas de nature à faire obstacle à ce que le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau puisse en obtenir le remboursement, sous réserve des dépenses exposées par cette société et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées.
13. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que la société Savima n'est pas fondée à soutenir que la créance en litige ne serait pas certaine et exigible au motif que le titre exécutoire a été émis avant l'établissement du décompte de résiliation du marché.
14. En quatrième lieu, si la société Savima demande, à titre subsidiaire, à être déchargée des sommes de 120 960 euros au titre des coûts de stockage du matériel acquis en prévision de l'exécution du marché, de 11 454 euros au titre des frais d'étude pour la réalisation du marché et de 432 584 euros au titre de la perte de marge brute du fait de la résiliation du marché, ces sommes ne peuvent, dans les circonstances de l'espèce, être regardées comme des dépenses qu'elle a exposées et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées avant la résiliation de celui-ci.
15. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau a opéré une retenue de garantie de 47 034,26 euros sur les acomptes qu'il a versés à la société Savima. Cette société est fondée à demander à être déchargée d'une telle somme dès lors qu'elle se rapporte à des dépenses qu'elle a exposées et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la société Savima est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe n'a pas annulé le titre exécutoire en litige à concurrence de 47 034,26 euros et ne l'a pas déchargée de la somme correspondante.
Sur les frais de l'instance :
17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées tant en appel qu'en cassation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 15 décembre 2021 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé.
Article 2 : Le titre de recettes n° 212477 émis par l'ordonnateur du centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau et rendu exécutoire le 4 décembre 2012 est annulé à hauteur de 47 034,26 euros et la société Savima est déchargée de l'obligation de payer cette somme.
Article 3 : Le jugement du 19 novembre 2015 du tribunal administratif de la Guadeloupe est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Savima et les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau et à la société Savima.