Conseil d'État
N° 448486
ECLI:FR:CECHR:2023:448486.20230414
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Benjamin Duca-Deneuve, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP SPINOSI ; SARL CABINET BRIARD, avocats
Lecture du vendredi 14 avril 2023
Vu la procédure suivante :
Par une décision du 25 juin 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête du Conseil national des barreaux et autres tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des commentaires administratifs publiés le 25 novembre 2020 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-CF-CPF-30-40, et en particulier des paragraphes 10 à 210 des commentaires publiés le même jour sous la référence BOI-CF-CPF-3040-10-20, a admis l'intervention de l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine, a annulé les alinéas trois à sept du paragraphe 180 des commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 et a sursis à statuer sur le surplus des conclusions de cette requête jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question suivante :
L'article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 du 15 février 2011 modifiée relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal :
- méconnaît-il le droit à un procès équitable garanti par les articles 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'il n'exclut pas, par principe, les avocats intervenant au titre d'une mission juridictionnelle du champ des intermédiaires devant fournir à l'administration fiscale les informations nécessaires à la déclaration d'un montage fiscal transnational ou devant notifier cette obligation à un autre intermédiaire '
- méconnaît-il les droits au respect de la correspondance et de la vie privée garantis par les articles 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'il n'exclut pas, par principe, les avocats intervenant au titre d'une mission d'évaluation de la situation juridique de leur client du champ des intermédiaires devant fournir à l'administration fiscale les informations nécessaires à la déclaration d'un montage fiscal transnational ou devant notifier cette obligation à un autre intermédiaire '
Par un courrier du 23 janvier 2023, le greffe de la Cour de justice de l'Union européenne a invité le Conseil d'Etat à lui indiquer si, compte tenu de l'intervention de son arrêt du 8 décembre 2022 dans l'affaire C-694/20, Orde van Vlaamse Balies e.a., il entendait maintenir sa demande de question préjudicielle.
Par un courrier du 21 février 2023, le président de la 8ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat a informé la Cour de justice de l'Union européenne que le Conseil d'Etat retirait sa demande de décision préjudicielle.
Par une ordonnance du 7 mars 2023, le président de la Cour de justice de l'Union européenne a donné acte au Conseil d'Etat du retrait de sa demande de décision préjudicielle et, en application de l'article 100 du règlement de procédure de la Cour, a rayé l'affaire du registre de la Cour.
Par deux nouveaux mémoires, enregistrés les 13 et 28 mars 2023, le Conseil national des barreaux et autres concluent aux mêmes fins que leur requête et à ce que la Cour de justice de l'Union européenne soit de nouveau saisie d'une question préjudicielle en appréciation de validité du paragraphe 5 de l'article 8 bis ter de la directive 2011/16/UE du 15 février 2011 modifiée relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal.
Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 25 juin 2021 ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, notamment son article 8 bis ter ;
- la directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 ;
- l'arrêt C-694/20 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code général des impôts ;
- le code pénal ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat du Conseil national des barreaux et autres ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique du litige :
1. La directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE du Conseil en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration a institué, en amont de leur mise en oeuvre, une obligation de déclaration à l'administration fiscale des montages juridiques susceptibles d'entraîner une perte de matière fiscale impliquant plusieurs États membres de l'Union européenne ou un État membre et un pays tiers. Les informations ainsi transmises ont vocation à être spontanément échangées entre les administrations des Etats membres par l'intermédiaire du réseau commun de communication (RCC) mis en place au sein de l'Union européenne. Ces dispositions ont été transposées en droit interne par l'article 1er de l'ordonnance du 21 octobre 2019 relative à l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration, lequel a notamment inséré des articles 1649 AD à 1649 AH ainsi qu'un article 1729 C ter dans le code général des impôts. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance a commenté ces dispositions au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-CF-CPF-30-40.
2. L'article 8 bis ter de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, dans sa rédaction issue du paragraphe 2 de l'article 1er de la directive (UE) 2018/822, a mis l'obligation déclarative mentionnée au point 1 à la charge des intermédiaires intervenant dans la conception, la commercialisation ou l'organisation d'un dispositif transfrontière, dès lors que ce dispositif comporte l'un des marqueurs recensés à l'annexe IV. Les intermédiaires sont tenus de communiquer à l'administration fiscale les informations relatives à l'identité des autres intermédiaires et des contribuables concernés, ainsi que l'ensemble des éléments, énumérés par ces mêmes dispositions, relatifs aux caractéristiques propres du dispositif transfrontière et à sa valeur. En droit interne, l'article 1649 AD du code général des impôts dispose que l'intermédiaire ou le contribuable concerné doit, sous forme dématérialisée, déclarer à l'administration fiscale tout dispositif prenant la forme d'un accord, d'un montage ou d'un plan ayant ou non force exécutoire et concernant la France et un autre Etat, membre ou non de l'Union européenne, dès lors qu'il remplit l'une au moins des conditions mentionnées aux a) à e) de cet article et comporte l'un des marqueurs mentionnés au II de l'article 1649 AH du même code.
3. Constitue un intermédiaire au sens de ces dispositions toute personne qui, aux termes du paragraphe 21 de l'article 3 de la directive 2011/16/UE, repris au 1° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts, " conçoit, commercialise ou organise un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration, le met à disposition aux fins de sa mise en oeuvre ou en gère la mise en oeuvre " ou qui " compte tenu des faits et circonstances pertinents et sur la base des informations disponibles ainsi que de l'expertise en la matière et de la compréhension qui sont nécessaires pour fournir de tels services, sait ou pourrait raisonnablement être censée savoir qu'elle s'est engagée à fournir, directement ou par l'intermédiaire d'autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils concernant la conception, la commercialisation ou l'organisation d'un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration, ou concernant sa mise à disposition aux fins de mise en oeuvre ou la gestion de sa mise en oeuvre ".
4. Le paragraphe 5 de l'article 8 bis ter de la directive 2011/16 UE prévoit la faculté, pour les Etats membres, de prendre les mesures nécessaires pour accorder aux intermédiaires le droit d'être dispensés de l'obligation de fournir des informations concernant un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration lorsque l'obligation de déclaration serait contraire aux règles nationales en matière de secret professionnel. Dans cette hypothèse, les Etats membres doivent mettre en place des règles faisant obligation aux intermédiaires soumis au secret professionnel de notifier les obligations déclaratives " (...) à tout autre intermédiaire ou, en l'absence d'un tel intermédiaire, au contribuable concerné ".
5. Mettant en oeuvre la faculté mentionnée ci-dessus en droit interne, le 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts dispose que lorsque l'intermédiaire est soumis à une obligation de secret professionnel dont la violation est prévue et réprimée par l'article 226-13 du code pénal, il lui appartient de recueillir l'accord de son client avant de souscrire la déclaration mentionnée à l'article 1649 AD du même code. A défaut de cet accord, ces mêmes dispositions prévoient, en reprenant les termes mêmes du paragraphe 5 de l'article 8 bis ter de la directive 2011/16 UE, que l'intermédiaire " notifie à tout autre intermédiaire l'obligation déclarative qui lui incombe " ou, en l'absence d'autre intermédiaire, au contribuable concerné par le dispositif transfrontière. Le 4° du I de l'article 1649 AE précise enfin que ces notifications " sont effectuées par tout moyen permettant de leur conférer date certaine ". L'article 1729 C ter du code général des impôts prévoit que les manquements à une obligation de déclaration ou de notification prévue, notamment, aux articles 1649 AD et 1649 AE du même code entraînent l'application d'une amende qui ne peut excéder 10 000 euros, ce plafond étant ramené à 5 000 euros lorsqu'il s'agit de la première infraction de l'année civile en cours et des trois années précédentes.
Sur la requête :
6. Le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers et l'Ordre des avocats du barreau de Paris ont demandé au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les commentaires administratifs publiés le 25 novembre 2020 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-CF-CPF-30-40, et en particulier les paragraphes nos 10 à 210 des commentaires publiés le même jour sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20. Eu égard aux moyens soulevés, la requête doit être regardée comme visant seulement les paragraphes nos 150 à 200 des commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 et le paragraphe n° 370 des commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-20.
En ce qui concerne la question préjudicielle transmise à la Cour de justice de l'Union européenne :
7. Par une décision du 25 juin 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête du Conseil national des barreaux et autres, a admis l'intervention de l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine, annulé les alinéas trois à sept du paragraphe 180 des commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 et, avant dire droit sur le surplus des conclusions de cette requête, renvoyé à la Cour de justice de l'Union européenne la question de la validité au regard des articles 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'une part, et des articles 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part, de l'article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, en ce qu'il n'exclut pas les avocats du champ des intermédiaires soumis aux obligations qu'il pose.
8. Par un arrêt du 8 décembre 2022 Orde van Vlaamse Balies e.a (C-694/20), la Cour de justice de l'Union européenne a répondu à une demande de question préjudicielle posée par la cour constitutionnelle de Belgique relative à la validité de l'article 8 bis ter, paragraphe 5, de cette directive au regard des articles 7 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
9. L'intervention de cet arrêt ne rend plus nécessaire pour le Conseil d'Etat d'attendre, pour statuer sur la requête qui lui est soumise, la réponse à la question préjudicielle qu'il a transmise à la Cour de justice de l'Union européenne par sa décision du 25 juin 2021. Le Conseil d'Etat a, en conséquence fait savoir à la Cour qu'il retirait sa demande de décision préjudicielle, ce dont son président lui a donné acte par une ordonnance du 7 mars 2023 rayant, en application de l'article 100 du règlement de procédure de la Cour, l'affaire du registre de celle-ci.
En ce qui concerne la légalité des commentaires administratifs contestés :
10. En premier lieu, si l'avocat est tenu, en vertu des dispositions de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, au respect du secret professionnel " en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense " pour ce qui concerne les consultations adressées à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées avec son client ou avec ses confrères, les notes d'entretien et toutes les pièces du dossier, ce n'est que sous réserve des exceptions à cette obligation prévues par la loi. Et si l'article 226-13 du code pénal réprime la violation du secret professionnel, notamment celui auquel est tenu l'avocat, l'article 226-14 du même code précise que l'article 226-13 " n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret ".
11. Aux termes du premier alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts : " L'intermédiaire soumis à une obligation de secret professionnel dont la violation est prévue et réprimée par l'article 226-13 du code pénal souscrit, avec l'accord de son client, la déclaration mentionnée à l'article 1649 AD ". Les requérants soutiennent qu'en permettant ainsi au client de délier son avocat du secret professionnel afin qu'il procède à la déclaration du dispositif transfrontière, ces dispositions législatives méconnaîtraient les articles 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que la protection spécifique que l'article 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales accorde au secret professionnel des avocats, qui se traduit avant tout par des obligations à leur charge, se justifie par le fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique, à savoir la défense des justiciables. La Cour en déduit que les personnes qui consultent un avocat doivent pouvoir légitimement avoir confiance dans le fait que, hormis dans des situations exceptionnelles, leur avocat ne divulguera à personne, sans leur accord, qu'elles le consultent. En outre, l'article 8, paragraphe 2, de la convention admet l'existence d'une ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit garanti par le paragraphe 1 dans la mesure où cette ingérence, d'une part, est prévue par la loi, d'autre part, constitue une mesure nécessaire, notamment, au bien-être économique du pays ou à la prévention des infractions pénales. De même, l'article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne admet la possibilité d'apporter des limitations aux droits qu'elle garantit, au nombre desquels celui découlant de son article 7, qui correspond à l'article 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lorsque ces limitations sont prévues par la loi et répondent à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union.
13. Il en découle qu'en prévoyant la possibilité pour le client d'autoriser son avocat à procéder à la déclaration des dispositifs transfrontières, laquelle est instituée dans un but de lutte contre la planification fiscale agressive et de prévention du risque d'évasion et de fraude fiscales, qui constituent des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union et des buts légitimes, au sens de l'article 8, paragraphe 2, de la convention, le premier alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts, lequel ne procède pas de la transposition du 5 de l'article 8 bis ter de la directive du 15 février 2011, ne porte pas au secret des échanges entre l'avocat et son client une atteinte contraire aux stipulations de l'article 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits et de l'homme et des libertés fondamentales ou à celles de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
14. En deuxième lieu, par l'arrêt précité du 8 décembre 2022 Orde van Vlaamse Balies e.a (C-694/20), la Cour de justice de l'Union européenne a déclaré l'article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, telle que modifiée par la directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018, invalide au regard de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ce que son application par les États membres a pour effet d'imposer à l'avocat agissant en tant qu'intermédiaire, au sens de l'article 3, point 21, de cette directive, lorsque celui-ci est dispensé de l'obligation de déclaration prévue au paragraphe 1 de l'article 8 bis ter de ladite directive en raison du secret professionnel auquel il est tenu, de notifier sans retard à tout autre intermédiaire qui n'est pas son client les obligations de déclaration qui lui incombent en vertu du paragraphe 6 dudit article 8 bis ter.
15. La Cour de justice de l'Union européenne a en revanche relevé, par ce même arrêt, que lorsque la notification prévue à l'article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive est effectuée par l'avocat intermédiaire à son client, que ce dernier soit un autre intermédiaire ou le contribuable concerné, cette notification n'est pas susceptible de mettre en cause le respect des droits et des libertés garantis par l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en raison, d'une part, de l'absence de toute obligation de secret professionnel de l'avocat intermédiaire vis-à-vis de son client et, d'autre part, du fait que, au stade de l'exécution par ce client de ses obligations déclaratives au titre de cette directive, la confidentialité de la relation entre l'avocat intermédiaire et ledit client s'oppose à ce qu'il puisse être exigé de ce dernier qu'il révèle à des tiers et, notamment, à l'administration fiscale l'existence de sa consultation d'un avocat.
16. Il en résulte, d'une part, que les dispositions du deuxième alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts, qui prévoient qu'à défaut d'avoir obtenu l'accord de son client pour souscrire la déclaration mentionnée à l'article 1649 AD, l'intermédiaire soumis à une obligation de secret professionnel dont la violation est prévue et réprimée par l'article 226-13 du code pénal " notifie à tout autre intermédiaire l'obligation déclarative qui lui incombe ", qui réitèrent des dispositions de l'article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive du 15 février 2011 modifiée, lesquelles méconnaissent les stipulations de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en tant qu'elles imposent à cet intermédiaire, lorsqu'il est un avocat, de procéder à une notification à un intermédiaire qui n'est pas son client, méconnaissent également ces mêmes stipulations. Par voie de conséquence, les dispositions du quatrième et dernier alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts, qui disposent que " Les notifications (...) sont effectuées par tout moyen permettant de leur conférer date certaine ", et celles de l'article 1729 C ter du code général des impôts, qui répriment les manquements à l'obligation de notification, méconnaissent ces mêmes stipulations en ce qu'elles concernent l'obligation de notification à un autre intermédiaire qui n'est pas le client de l'avocat intermédiaire.
17. Il en résulte, d'autre part, que les dispositions du troisième alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts qui disposent que " En l'absence d'autre intermédiaire, la notification d'obligation déclarative est adressée au contribuable concerné par le dispositif transfrontière. L'intermédiaire transmet également au contribuable concerné, le cas échéant, les informations nécessaires au respect de son obligation déclarative ", ne méconnaissent pas, en revanche, les stipulations de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Elles ne méconnaissent pas davantage, par voie de conséquence, celles de l'article 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
18. En troisième lieu, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, toujours par son arrêt du 8 décembre 2022, qu'il résulte des dispositions de l'article 8 bis ter, paragraphes 1 et 5, de la directive et, notamment, des délais prévus à ces dispositions que les obligations pesant sur les intermédiaires naissent à un stade précoce, au plus tard lorsque le dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration vient d'être finalisé et est prêt à être mis en oeuvre, donc en dehors du cadre d'une procédure judiciaire ou de sa préparation. Elle a, dans ces conditions, estimé que l'obligation de notification se substituant, pour l'avocat intermédiaire tenu au secret professionnel, en vertu de l'article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16/UE modifiée, à l'obligation de déclaration prévue par le paragraphe 1 du même article, ne comportait pas d'ingérence dans le droit à un procès équitable, garanti par l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il en va nécessairement de même de la possibilité, prévue par le premier alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts, pour le client d'autoriser son avocat à procéder à cette déclaration. Il en résulte que les dispositions du 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts ne portent pas atteinte aux stipulations de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Elles ne méconnaissent pas davantage, pour les mêmes motifs, les stipulations de l'article 6, paragraphe 1, de de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui garantissent également le respect du droit à un procès équitable.
19. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que les deux premiers alinéas du paragraphe n° 180 et le paragraphe n° 200 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 réitèrent des dispositions de l'article 1649 AE du code général des impôts qui sont elles-mêmes identiques à des dispositions de l'article 8 bis ter de la directive du 15 février 2011 modifiée contraires aux stipulations de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et à en demander, pour ce motif, l'annulation. Ils sont, pour les mêmes motifs, fondés à demander l'annulation des mots " ou de notification " et " , à l'article 1649 AE du code général des impôts et " du paragraphe n° 370 des commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-20, qui réitèrent les dispositions de l'article 1729 C ter du code général des impôts contraires aux stipulations de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
20. En revanche, et sans qu'il soit besoin de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne une nouvelle question préjudicielle portant sur la validité des dispositions du paragraphe 5 de l'article 8 bis ter de la directive 2011/16/UE, les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des paragraphes nos 150 et 165 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20, qui exposent les dispositions du premier alinéa du 4° du I de l'article 1649 quater AE du code général des impôts, de leur paragraphe n° 160, qui se borne à énumérer les professions astreintes à une obligation de secret professionnel dont la violation est réprimée par l'article 226-13 du code pénal, de leur paragraphe n° 170, qui traite de la détermination des débiteurs de l'obligation déclarative sans comporter aucun commentaire relatif à l'obligation de notification et de leur paragraphe n° 190, relatif à la notification par l'intermédiaire au contribuable lui-même.
21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 3 000 euros à verser, à parts égales, au Conseil national des barreaux, à la Conférence des bâtonniers et à l'Ordre des avocats du barreau de Paris en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à que soit mise à la charge de l'Etat la somme que demande, à ce titre, l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine qui, en tant qu'intervenant, n'a pas la qualité de partie à la présente instance.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les deux premiers alinéas du paragraphe n° 180 et le paragraphe n° 200 des commentaires administratifs publiés le 25 novembre 2020 au BOFiP - Impôts sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 et les mots " ou de notification " et " , à l'article 1649 AE du code général des impôts et " du paragraphe n° 370 des commentaires administratifs publiés le même jour au BOFiP-Impôts sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-20 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera au Conseil national des barreaux, à la Conférence des bâtonniers et à l'Ordre des avocats du barreau de Paris une somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La demande de l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejetée.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au Conseil national des barreaux, à la Conférence des bâtonniers, à l'Ordre des avocats du barreau de Paris, à l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 mars 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Pierre Collin, M. Stéphane Verclytte, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur-rapporteur.
Rendu le 14 avril 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Benjamin Duca-Deneuve
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle
N° 448486
ECLI:FR:CECHR:2023:448486.20230414
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Benjamin Duca-Deneuve, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP SPINOSI ; SARL CABINET BRIARD, avocats
Lecture du vendredi 14 avril 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une décision du 25 juin 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête du Conseil national des barreaux et autres tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des commentaires administratifs publiés le 25 novembre 2020 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-CF-CPF-30-40, et en particulier des paragraphes 10 à 210 des commentaires publiés le même jour sous la référence BOI-CF-CPF-3040-10-20, a admis l'intervention de l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine, a annulé les alinéas trois à sept du paragraphe 180 des commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 et a sursis à statuer sur le surplus des conclusions de cette requête jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question suivante :
L'article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 du 15 février 2011 modifiée relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal :
- méconnaît-il le droit à un procès équitable garanti par les articles 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'il n'exclut pas, par principe, les avocats intervenant au titre d'une mission juridictionnelle du champ des intermédiaires devant fournir à l'administration fiscale les informations nécessaires à la déclaration d'un montage fiscal transnational ou devant notifier cette obligation à un autre intermédiaire '
- méconnaît-il les droits au respect de la correspondance et de la vie privée garantis par les articles 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'il n'exclut pas, par principe, les avocats intervenant au titre d'une mission d'évaluation de la situation juridique de leur client du champ des intermédiaires devant fournir à l'administration fiscale les informations nécessaires à la déclaration d'un montage fiscal transnational ou devant notifier cette obligation à un autre intermédiaire '
Par un courrier du 23 janvier 2023, le greffe de la Cour de justice de l'Union européenne a invité le Conseil d'Etat à lui indiquer si, compte tenu de l'intervention de son arrêt du 8 décembre 2022 dans l'affaire C-694/20, Orde van Vlaamse Balies e.a., il entendait maintenir sa demande de question préjudicielle.
Par un courrier du 21 février 2023, le président de la 8ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat a informé la Cour de justice de l'Union européenne que le Conseil d'Etat retirait sa demande de décision préjudicielle.
Par une ordonnance du 7 mars 2023, le président de la Cour de justice de l'Union européenne a donné acte au Conseil d'Etat du retrait de sa demande de décision préjudicielle et, en application de l'article 100 du règlement de procédure de la Cour, a rayé l'affaire du registre de la Cour.
Par deux nouveaux mémoires, enregistrés les 13 et 28 mars 2023, le Conseil national des barreaux et autres concluent aux mêmes fins que leur requête et à ce que la Cour de justice de l'Union européenne soit de nouveau saisie d'une question préjudicielle en appréciation de validité du paragraphe 5 de l'article 8 bis ter de la directive 2011/16/UE du 15 février 2011 modifiée relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal.
Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 25 juin 2021 ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, notamment son article 8 bis ter ;
- la directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 ;
- l'arrêt C-694/20 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code général des impôts ;
- le code pénal ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat du Conseil national des barreaux et autres ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique du litige :
1. La directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE du Conseil en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration a institué, en amont de leur mise en oeuvre, une obligation de déclaration à l'administration fiscale des montages juridiques susceptibles d'entraîner une perte de matière fiscale impliquant plusieurs États membres de l'Union européenne ou un État membre et un pays tiers. Les informations ainsi transmises ont vocation à être spontanément échangées entre les administrations des Etats membres par l'intermédiaire du réseau commun de communication (RCC) mis en place au sein de l'Union européenne. Ces dispositions ont été transposées en droit interne par l'article 1er de l'ordonnance du 21 octobre 2019 relative à l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration, lequel a notamment inséré des articles 1649 AD à 1649 AH ainsi qu'un article 1729 C ter dans le code général des impôts. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance a commenté ces dispositions au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-CF-CPF-30-40.
2. L'article 8 bis ter de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, dans sa rédaction issue du paragraphe 2 de l'article 1er de la directive (UE) 2018/822, a mis l'obligation déclarative mentionnée au point 1 à la charge des intermédiaires intervenant dans la conception, la commercialisation ou l'organisation d'un dispositif transfrontière, dès lors que ce dispositif comporte l'un des marqueurs recensés à l'annexe IV. Les intermédiaires sont tenus de communiquer à l'administration fiscale les informations relatives à l'identité des autres intermédiaires et des contribuables concernés, ainsi que l'ensemble des éléments, énumérés par ces mêmes dispositions, relatifs aux caractéristiques propres du dispositif transfrontière et à sa valeur. En droit interne, l'article 1649 AD du code général des impôts dispose que l'intermédiaire ou le contribuable concerné doit, sous forme dématérialisée, déclarer à l'administration fiscale tout dispositif prenant la forme d'un accord, d'un montage ou d'un plan ayant ou non force exécutoire et concernant la France et un autre Etat, membre ou non de l'Union européenne, dès lors qu'il remplit l'une au moins des conditions mentionnées aux a) à e) de cet article et comporte l'un des marqueurs mentionnés au II de l'article 1649 AH du même code.
3. Constitue un intermédiaire au sens de ces dispositions toute personne qui, aux termes du paragraphe 21 de l'article 3 de la directive 2011/16/UE, repris au 1° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts, " conçoit, commercialise ou organise un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration, le met à disposition aux fins de sa mise en oeuvre ou en gère la mise en oeuvre " ou qui " compte tenu des faits et circonstances pertinents et sur la base des informations disponibles ainsi que de l'expertise en la matière et de la compréhension qui sont nécessaires pour fournir de tels services, sait ou pourrait raisonnablement être censée savoir qu'elle s'est engagée à fournir, directement ou par l'intermédiaire d'autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils concernant la conception, la commercialisation ou l'organisation d'un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration, ou concernant sa mise à disposition aux fins de mise en oeuvre ou la gestion de sa mise en oeuvre ".
4. Le paragraphe 5 de l'article 8 bis ter de la directive 2011/16 UE prévoit la faculté, pour les Etats membres, de prendre les mesures nécessaires pour accorder aux intermédiaires le droit d'être dispensés de l'obligation de fournir des informations concernant un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration lorsque l'obligation de déclaration serait contraire aux règles nationales en matière de secret professionnel. Dans cette hypothèse, les Etats membres doivent mettre en place des règles faisant obligation aux intermédiaires soumis au secret professionnel de notifier les obligations déclaratives " (...) à tout autre intermédiaire ou, en l'absence d'un tel intermédiaire, au contribuable concerné ".
5. Mettant en oeuvre la faculté mentionnée ci-dessus en droit interne, le 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts dispose que lorsque l'intermédiaire est soumis à une obligation de secret professionnel dont la violation est prévue et réprimée par l'article 226-13 du code pénal, il lui appartient de recueillir l'accord de son client avant de souscrire la déclaration mentionnée à l'article 1649 AD du même code. A défaut de cet accord, ces mêmes dispositions prévoient, en reprenant les termes mêmes du paragraphe 5 de l'article 8 bis ter de la directive 2011/16 UE, que l'intermédiaire " notifie à tout autre intermédiaire l'obligation déclarative qui lui incombe " ou, en l'absence d'autre intermédiaire, au contribuable concerné par le dispositif transfrontière. Le 4° du I de l'article 1649 AE précise enfin que ces notifications " sont effectuées par tout moyen permettant de leur conférer date certaine ". L'article 1729 C ter du code général des impôts prévoit que les manquements à une obligation de déclaration ou de notification prévue, notamment, aux articles 1649 AD et 1649 AE du même code entraînent l'application d'une amende qui ne peut excéder 10 000 euros, ce plafond étant ramené à 5 000 euros lorsqu'il s'agit de la première infraction de l'année civile en cours et des trois années précédentes.
Sur la requête :
6. Le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers et l'Ordre des avocats du barreau de Paris ont demandé au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les commentaires administratifs publiés le 25 novembre 2020 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-CF-CPF-30-40, et en particulier les paragraphes nos 10 à 210 des commentaires publiés le même jour sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20. Eu égard aux moyens soulevés, la requête doit être regardée comme visant seulement les paragraphes nos 150 à 200 des commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 et le paragraphe n° 370 des commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-20.
En ce qui concerne la question préjudicielle transmise à la Cour de justice de l'Union européenne :
7. Par une décision du 25 juin 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête du Conseil national des barreaux et autres, a admis l'intervention de l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine, annulé les alinéas trois à sept du paragraphe 180 des commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 et, avant dire droit sur le surplus des conclusions de cette requête, renvoyé à la Cour de justice de l'Union européenne la question de la validité au regard des articles 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'une part, et des articles 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part, de l'article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, en ce qu'il n'exclut pas les avocats du champ des intermédiaires soumis aux obligations qu'il pose.
8. Par un arrêt du 8 décembre 2022 Orde van Vlaamse Balies e.a (C-694/20), la Cour de justice de l'Union européenne a répondu à une demande de question préjudicielle posée par la cour constitutionnelle de Belgique relative à la validité de l'article 8 bis ter, paragraphe 5, de cette directive au regard des articles 7 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
9. L'intervention de cet arrêt ne rend plus nécessaire pour le Conseil d'Etat d'attendre, pour statuer sur la requête qui lui est soumise, la réponse à la question préjudicielle qu'il a transmise à la Cour de justice de l'Union européenne par sa décision du 25 juin 2021. Le Conseil d'Etat a, en conséquence fait savoir à la Cour qu'il retirait sa demande de décision préjudicielle, ce dont son président lui a donné acte par une ordonnance du 7 mars 2023 rayant, en application de l'article 100 du règlement de procédure de la Cour, l'affaire du registre de celle-ci.
En ce qui concerne la légalité des commentaires administratifs contestés :
10. En premier lieu, si l'avocat est tenu, en vertu des dispositions de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, au respect du secret professionnel " en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense " pour ce qui concerne les consultations adressées à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées avec son client ou avec ses confrères, les notes d'entretien et toutes les pièces du dossier, ce n'est que sous réserve des exceptions à cette obligation prévues par la loi. Et si l'article 226-13 du code pénal réprime la violation du secret professionnel, notamment celui auquel est tenu l'avocat, l'article 226-14 du même code précise que l'article 226-13 " n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret ".
11. Aux termes du premier alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts : " L'intermédiaire soumis à une obligation de secret professionnel dont la violation est prévue et réprimée par l'article 226-13 du code pénal souscrit, avec l'accord de son client, la déclaration mentionnée à l'article 1649 AD ". Les requérants soutiennent qu'en permettant ainsi au client de délier son avocat du secret professionnel afin qu'il procède à la déclaration du dispositif transfrontière, ces dispositions législatives méconnaîtraient les articles 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que la protection spécifique que l'article 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales accorde au secret professionnel des avocats, qui se traduit avant tout par des obligations à leur charge, se justifie par le fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique, à savoir la défense des justiciables. La Cour en déduit que les personnes qui consultent un avocat doivent pouvoir légitimement avoir confiance dans le fait que, hormis dans des situations exceptionnelles, leur avocat ne divulguera à personne, sans leur accord, qu'elles le consultent. En outre, l'article 8, paragraphe 2, de la convention admet l'existence d'une ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit garanti par le paragraphe 1 dans la mesure où cette ingérence, d'une part, est prévue par la loi, d'autre part, constitue une mesure nécessaire, notamment, au bien-être économique du pays ou à la prévention des infractions pénales. De même, l'article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne admet la possibilité d'apporter des limitations aux droits qu'elle garantit, au nombre desquels celui découlant de son article 7, qui correspond à l'article 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lorsque ces limitations sont prévues par la loi et répondent à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union.
13. Il en découle qu'en prévoyant la possibilité pour le client d'autoriser son avocat à procéder à la déclaration des dispositifs transfrontières, laquelle est instituée dans un but de lutte contre la planification fiscale agressive et de prévention du risque d'évasion et de fraude fiscales, qui constituent des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union et des buts légitimes, au sens de l'article 8, paragraphe 2, de la convention, le premier alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts, lequel ne procède pas de la transposition du 5 de l'article 8 bis ter de la directive du 15 février 2011, ne porte pas au secret des échanges entre l'avocat et son client une atteinte contraire aux stipulations de l'article 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits et de l'homme et des libertés fondamentales ou à celles de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
14. En deuxième lieu, par l'arrêt précité du 8 décembre 2022 Orde van Vlaamse Balies e.a (C-694/20), la Cour de justice de l'Union européenne a déclaré l'article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, telle que modifiée par la directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018, invalide au regard de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ce que son application par les États membres a pour effet d'imposer à l'avocat agissant en tant qu'intermédiaire, au sens de l'article 3, point 21, de cette directive, lorsque celui-ci est dispensé de l'obligation de déclaration prévue au paragraphe 1 de l'article 8 bis ter de ladite directive en raison du secret professionnel auquel il est tenu, de notifier sans retard à tout autre intermédiaire qui n'est pas son client les obligations de déclaration qui lui incombent en vertu du paragraphe 6 dudit article 8 bis ter.
15. La Cour de justice de l'Union européenne a en revanche relevé, par ce même arrêt, que lorsque la notification prévue à l'article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive est effectuée par l'avocat intermédiaire à son client, que ce dernier soit un autre intermédiaire ou le contribuable concerné, cette notification n'est pas susceptible de mettre en cause le respect des droits et des libertés garantis par l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en raison, d'une part, de l'absence de toute obligation de secret professionnel de l'avocat intermédiaire vis-à-vis de son client et, d'autre part, du fait que, au stade de l'exécution par ce client de ses obligations déclaratives au titre de cette directive, la confidentialité de la relation entre l'avocat intermédiaire et ledit client s'oppose à ce qu'il puisse être exigé de ce dernier qu'il révèle à des tiers et, notamment, à l'administration fiscale l'existence de sa consultation d'un avocat.
16. Il en résulte, d'une part, que les dispositions du deuxième alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts, qui prévoient qu'à défaut d'avoir obtenu l'accord de son client pour souscrire la déclaration mentionnée à l'article 1649 AD, l'intermédiaire soumis à une obligation de secret professionnel dont la violation est prévue et réprimée par l'article 226-13 du code pénal " notifie à tout autre intermédiaire l'obligation déclarative qui lui incombe ", qui réitèrent des dispositions de l'article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive du 15 février 2011 modifiée, lesquelles méconnaissent les stipulations de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en tant qu'elles imposent à cet intermédiaire, lorsqu'il est un avocat, de procéder à une notification à un intermédiaire qui n'est pas son client, méconnaissent également ces mêmes stipulations. Par voie de conséquence, les dispositions du quatrième et dernier alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts, qui disposent que " Les notifications (...) sont effectuées par tout moyen permettant de leur conférer date certaine ", et celles de l'article 1729 C ter du code général des impôts, qui répriment les manquements à l'obligation de notification, méconnaissent ces mêmes stipulations en ce qu'elles concernent l'obligation de notification à un autre intermédiaire qui n'est pas le client de l'avocat intermédiaire.
17. Il en résulte, d'autre part, que les dispositions du troisième alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts qui disposent que " En l'absence d'autre intermédiaire, la notification d'obligation déclarative est adressée au contribuable concerné par le dispositif transfrontière. L'intermédiaire transmet également au contribuable concerné, le cas échéant, les informations nécessaires au respect de son obligation déclarative ", ne méconnaissent pas, en revanche, les stipulations de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Elles ne méconnaissent pas davantage, par voie de conséquence, celles de l'article 8, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
18. En troisième lieu, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, toujours par son arrêt du 8 décembre 2022, qu'il résulte des dispositions de l'article 8 bis ter, paragraphes 1 et 5, de la directive et, notamment, des délais prévus à ces dispositions que les obligations pesant sur les intermédiaires naissent à un stade précoce, au plus tard lorsque le dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration vient d'être finalisé et est prêt à être mis en oeuvre, donc en dehors du cadre d'une procédure judiciaire ou de sa préparation. Elle a, dans ces conditions, estimé que l'obligation de notification se substituant, pour l'avocat intermédiaire tenu au secret professionnel, en vertu de l'article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16/UE modifiée, à l'obligation de déclaration prévue par le paragraphe 1 du même article, ne comportait pas d'ingérence dans le droit à un procès équitable, garanti par l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il en va nécessairement de même de la possibilité, prévue par le premier alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts, pour le client d'autoriser son avocat à procéder à cette déclaration. Il en résulte que les dispositions du 4° du I de l'article 1649 AE du code général des impôts ne portent pas atteinte aux stipulations de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Elles ne méconnaissent pas davantage, pour les mêmes motifs, les stipulations de l'article 6, paragraphe 1, de de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui garantissent également le respect du droit à un procès équitable.
19. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que les deux premiers alinéas du paragraphe n° 180 et le paragraphe n° 200 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 réitèrent des dispositions de l'article 1649 AE du code général des impôts qui sont elles-mêmes identiques à des dispositions de l'article 8 bis ter de la directive du 15 février 2011 modifiée contraires aux stipulations de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et à en demander, pour ce motif, l'annulation. Ils sont, pour les mêmes motifs, fondés à demander l'annulation des mots " ou de notification " et " , à l'article 1649 AE du code général des impôts et " du paragraphe n° 370 des commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-20, qui réitèrent les dispositions de l'article 1729 C ter du code général des impôts contraires aux stipulations de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
20. En revanche, et sans qu'il soit besoin de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne une nouvelle question préjudicielle portant sur la validité des dispositions du paragraphe 5 de l'article 8 bis ter de la directive 2011/16/UE, les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des paragraphes nos 150 et 165 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20, qui exposent les dispositions du premier alinéa du 4° du I de l'article 1649 quater AE du code général des impôts, de leur paragraphe n° 160, qui se borne à énumérer les professions astreintes à une obligation de secret professionnel dont la violation est réprimée par l'article 226-13 du code pénal, de leur paragraphe n° 170, qui traite de la détermination des débiteurs de l'obligation déclarative sans comporter aucun commentaire relatif à l'obligation de notification et de leur paragraphe n° 190, relatif à la notification par l'intermédiaire au contribuable lui-même.
21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 3 000 euros à verser, à parts égales, au Conseil national des barreaux, à la Conférence des bâtonniers et à l'Ordre des avocats du barreau de Paris en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à que soit mise à la charge de l'Etat la somme que demande, à ce titre, l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine qui, en tant qu'intervenant, n'a pas la qualité de partie à la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Les deux premiers alinéas du paragraphe n° 180 et le paragraphe n° 200 des commentaires administratifs publiés le 25 novembre 2020 au BOFiP - Impôts sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 et les mots " ou de notification " et " , à l'article 1649 AE du code général des impôts et " du paragraphe n° 370 des commentaires administratifs publiés le même jour au BOFiP-Impôts sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-20 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera au Conseil national des barreaux, à la Conférence des bâtonniers et à l'Ordre des avocats du barreau de Paris une somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La demande de l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejetée.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au Conseil national des barreaux, à la Conférence des bâtonniers, à l'Ordre des avocats du barreau de Paris, à l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 mars 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Pierre Collin, M. Stéphane Verclytte, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur-rapporteur.
Rendu le 14 avril 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Benjamin Duca-Deneuve
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle