Conseil d'État
N° 463554
ECLI:FR:CECHR:2023:463554.20230405
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Nicolas Labrune, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats
Lecture du mercredi 5 avril 2023
Vu la procédure suivante :
En premier lieu, la société Iveco France a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de la décharger des sommes figurant dans les décomptes provisoires de résiliation des 25 juin 2013 et 8 décembre 2014 et d'arrêter le décompte du marché n° 06 92 008 du 11 janvier 2007 relatif à la fourniture au ministère de la défense de véhicules de dégivrage et d'antigivrage pour aéronefs. Par un jugement n°s 1304243, 1304458, 1501473 du 2 mai 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ces demandes. Par un arrêt n° 16BX02155, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Iveco France contre ce jugement. Par une décision n° 428344 du 26 février 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt du 20 décembre 2018 de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'elle a statué sur les conclusions de la société Iveco France tendant à ce que la cour arrête le décompte du marché résilié et a renvoyé l'affaire, dans la mesure de la cassation prononcée, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
En deuxième lieu, la société Iveco France a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de fixer à la somme de 57 204,08 euros le solde du décompte du même marché. Par un jugement n° 1703687 du 3 juin 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
En troisième lieu, la société Iveco France a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler le titre exécutoire du 15 décembre 2017 d'un montant de 2 096 488,72 euros émis par le ministre de la défense pour recouvrer le solde du décompte définitif du même marché, et de prononcer la décharge de l'obligation de payer cette somme. Par un jugement n° 1804304 du 30 décembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Par un arrêt n°s 19BX03403, 20BX00734, 20BX00825 du 28 février 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de la société Iveco, déchargé cette société de l'obligation de payer la somme de 2 039 283 euros, annulé le titre exécutoire du 15 décembre 2017 d'un montant de 2 096 488,72 euros en tant qu'il met à sa charge la somme de 2 039 283 euros, réformé les jugements du 2 mai 2016, du 3 juin 2019 et du 30 décembre 2019 du tribunal administratif de Bordeaux en ce qu'ils sont contraires à son arrêt et rejeté le surplus des conclusions de la société Iveco.
Par un pourvoi, enregistré le 27 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre des armées demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a fait droit aux conclusions d'appel de la société Iveco ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les conclusions d'appel de la société Iveco France.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le décret n° 80-809 du 14 octobre 1980 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Iveco France ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, le 11 janvier 2007, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense (Simmad) a conclu avec la société Iveco France un marché ayant pour objet l'acquisition de véhicules de dégivrage et d'antigivrage pour aéronefs. Par une décision du 24 avril 2008, la Simmad a résilié le marché aux torts de cette société. Par un jugement du 29 août 2012, devenu définitif, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les demandes de la société Iveco France contestant notamment cette décision de résiliation. Les 25 juin 2013 et 8 décembre 2014, la Simmad a notifié à la société Iveco France deux décomptes provisoires mettant à sa charge le coût des dépenses supplémentaires résultant de la passation d'un marché de substitution ayant le même objet que le marché initial. La société Iveco France a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de la décharger des sommes figurant dans ces décomptes de résiliation provisoires et d'arrêter le décompte définitif du marché résilié. Par un jugement du 2 mai 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ces demandes. Par un arrêt du 20 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel de la société Iveco France. Par une décision du 26 février 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu'il a statué sur les conclusions relatives à la fixation du décompte définitif du marché résilié.
2. Il ressort des énonciations du même arrêt que la Simmad a émis un titre exécutoire, le 15 décembre 2017, pour recouvrer le solde définitif du décompte de liquidation, d'un montant 2 096 488,72 euros. Par un jugement du 30 décembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de la société Iveco France tendant à l'annulation de ce titre exécutoire et à la décharge de l'obligation de payer cette somme. Enfin, par courrier du 2 mai 2017, la Simmad a adressé à la société Iveco France le décompte général et définitif de liquidation, faisant apparaître un solde à sa charge de 2 096 488,72 euros. Par un jugement du 3 juin 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de la société Iveco France tendant à ce que le solde négatif du marché, d'un montant de 2 096 488,72 euros, soit réduit à la somme de 57 204,08 euros.
3. La ministre des armées se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 février 2022 en tant que la cour administrative d'appel de Paris a fait partiellement droit aux appels de la société Iveco France contre les jugements des 2 mai 2016, 3 juin 2019 et 30 décembre 2019 du tribunal administratif de Bordeaux en déchargeant cette société de l'obligation de payer la somme de 2 039 283,92 euros et en annulant le titre exécutoire émis le 15 décembre 2017 en tant qu'il met à sa charge une somme excédant 57 204,08 euros.
Sur le pourvoi :
4. Aux termes de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés publics industriel auquel renvoient les stipulations du marché litigieux : " 37.1. La personne publique peut résilier le marché aux torts du titulaire, après mise en demeure restée infructueuse, lorsque : (...) b) Le titulaire ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais contractuels (...) / 37.5. Sauf stipulation particulière du marché, le décompte de liquidation comprend : / a) Au débit du titulaire : (...) / le cas échéant, le supplément des dépenses résultant de la passation d'un marché aux frais et risques du titulaire dans les conditions fixées à l'article 38 ". L'article 38 de ce cahier dispose : " En cas de résiliation du marché prononcée en vertu de l'article 37, la personne publique peut, dans un délai de six mois à compter de la décision de résiliation, et aux frais et risques du titulaire soit passer un nouveau marché pour l'exécution de tout ou partie des fournitures non encore réceptionnées, soit décider une mise en régie. (...) / 38.5. L'augmentation de dépenses, par rapport au prix du marché, qui résulterait de l'exécution des prestations aux frais et risques du titulaire, est à sa charge ; la diminution de dépenses ne lui profite pas ".
5. Il résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs que l'administration contractante peut, après avoir vainement mis en demeure son cocontractant de poursuivre l'exécution des prestations qu'il s'est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, décider de confier l'achèvement des prestations à une autre entreprise aux frais et risques de son cocontractant. Le cocontractant défaillant doit être mis à même de suivre l'exécution du marché de substitution ainsi conclu afin de lui permettre de veiller à la sauvegarde de ses intérêts, les montants découlant des surcoûts supportés par l'administration en raison de l'achèvement des prestations par un nouvel entrepreneur étant à sa charge. A cet effet, si l'administration doit dans tous les cas notifier le marché de substitution au titulaire du marché résilié, elle n'est tenue de lui communiquer les pièces justifiant de la réalité des prestations effectuées en exécution du nouveau contrat qu'à la condition d'être saisie d'une demande en ce sens.
6. Pour juger que la Simmad n'avait pas mis la société Iveco France à même de suivre l'exécution du marché de substitution, la cour a estimé que la société avait entendu vérifier la réalité des prestations exécutées en contestant par des mémoires en réclamation les deux décomptes provisoires qui lui avaient été adressés. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la société avait saisi la Simmad d'une demande de communication de pièces justifiant de la réalité des prestations, la cour a commis une erreur de droit. La ministre des armées est ainsi fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il a déchargé la société Iveco France de l'obligation de payer la somme de 2 039 283,92 euros et annulé le titre exécutoire émis le 15 décembre 2017 en tant qu'il met à sa charge une somme excédant 57 204,08 euros.
7. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond, dans la mesure de l'annulation prononcée.
Sur les conclusions tendant à la fixation du solde du décompte du marché :
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que la Simmad a notifié le marché de substitution à la société Iveco France. Si cette société a fait valoir, dans les mémoires en réclamation qu'elle a présentés les 23 mai 2013 et 16 janvier 2015 à l'encontre des décomptes provisoires du marché résilié communiqués par la Simmad, que ces décomptes étaient irréguliers, elle n'a pas saisi la Simmad d'une demande tendant à la production de pièces démontrant la réalité des prestations effectuées par le titulaire du marché de substitution. Par suite, la société Iveco France n'est pas fondée à soutenir que, faute de lui avoir adressé de telles pièces, la Simmad ne l'aurait pas mise à même de suivre l'exécution du marché de substitution.
9. En deuxième lieu, la société Iveco France ne saurait utilement soutenir, à l'appui de sa demande contestant le montant du marché de substitution, que ce marché aurait été attribué en méconnaissance du principe d'égalité de traitement entre les candidats à un contrat de la commande publique.
10. En dernier lieu, la société Iveco France s'étant engagée, par le marché résilié, à exécuter tant sa tranche ferme que ses tranches conditionnelles, le surcoût du marché de substitution comprenant des prestations effectuées en exécution des tranches conditionnelles doit, contrairement à ce qu'elle soutient, être également mis à sa charge.
11. Il résulte de ce qui précède que la société Iveco France n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par les jugements attaqués des 2 mai 2016 et 3 juin 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes tendant à ce que le solde du marché, fixé au montant de 2 096 488,72 euros, soit ramené à la somme de 57 204,08 euros.
Sur le titre exécutoire du 15 décembre 2017 :
12. D'une part, il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Bordeaux aux points 4 et 5 de son jugement, d'écarter le moyen tiré de ce que le titre exécutoire ne serait pas suffisamment motivé.
13. D'autre part, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés aux points 8 à 10 de la présente décision, les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre exécutoire doivent être écartés.
14. Il résulte de ce qui précède que la société Iveco France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 30 décembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les frais du litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les articles 1er, 2, 3 et 4 de l'arrêt du 28 février 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux sont annulés.
Article 2 : Les requêtes présentées par la société Iveco France devant la cour administrative d'appel de Bordeaux sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la société Iveco France présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre des armées et à la société Iveco France.
N° 463554
ECLI:FR:CECHR:2023:463554.20230405
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Nicolas Labrune, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats
Lecture du mercredi 5 avril 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
En premier lieu, la société Iveco France a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de la décharger des sommes figurant dans les décomptes provisoires de résiliation des 25 juin 2013 et 8 décembre 2014 et d'arrêter le décompte du marché n° 06 92 008 du 11 janvier 2007 relatif à la fourniture au ministère de la défense de véhicules de dégivrage et d'antigivrage pour aéronefs. Par un jugement n°s 1304243, 1304458, 1501473 du 2 mai 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ces demandes. Par un arrêt n° 16BX02155, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Iveco France contre ce jugement. Par une décision n° 428344 du 26 février 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt du 20 décembre 2018 de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'elle a statué sur les conclusions de la société Iveco France tendant à ce que la cour arrête le décompte du marché résilié et a renvoyé l'affaire, dans la mesure de la cassation prononcée, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
En deuxième lieu, la société Iveco France a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de fixer à la somme de 57 204,08 euros le solde du décompte du même marché. Par un jugement n° 1703687 du 3 juin 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
En troisième lieu, la société Iveco France a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler le titre exécutoire du 15 décembre 2017 d'un montant de 2 096 488,72 euros émis par le ministre de la défense pour recouvrer le solde du décompte définitif du même marché, et de prononcer la décharge de l'obligation de payer cette somme. Par un jugement n° 1804304 du 30 décembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Par un arrêt n°s 19BX03403, 20BX00734, 20BX00825 du 28 février 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de la société Iveco, déchargé cette société de l'obligation de payer la somme de 2 039 283 euros, annulé le titre exécutoire du 15 décembre 2017 d'un montant de 2 096 488,72 euros en tant qu'il met à sa charge la somme de 2 039 283 euros, réformé les jugements du 2 mai 2016, du 3 juin 2019 et du 30 décembre 2019 du tribunal administratif de Bordeaux en ce qu'ils sont contraires à son arrêt et rejeté le surplus des conclusions de la société Iveco.
Par un pourvoi, enregistré le 27 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre des armées demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a fait droit aux conclusions d'appel de la société Iveco ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les conclusions d'appel de la société Iveco France.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le décret n° 80-809 du 14 octobre 1980 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Iveco France ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, le 11 janvier 2007, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense (Simmad) a conclu avec la société Iveco France un marché ayant pour objet l'acquisition de véhicules de dégivrage et d'antigivrage pour aéronefs. Par une décision du 24 avril 2008, la Simmad a résilié le marché aux torts de cette société. Par un jugement du 29 août 2012, devenu définitif, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les demandes de la société Iveco France contestant notamment cette décision de résiliation. Les 25 juin 2013 et 8 décembre 2014, la Simmad a notifié à la société Iveco France deux décomptes provisoires mettant à sa charge le coût des dépenses supplémentaires résultant de la passation d'un marché de substitution ayant le même objet que le marché initial. La société Iveco France a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de la décharger des sommes figurant dans ces décomptes de résiliation provisoires et d'arrêter le décompte définitif du marché résilié. Par un jugement du 2 mai 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ces demandes. Par un arrêt du 20 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel de la société Iveco France. Par une décision du 26 février 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu'il a statué sur les conclusions relatives à la fixation du décompte définitif du marché résilié.
2. Il ressort des énonciations du même arrêt que la Simmad a émis un titre exécutoire, le 15 décembre 2017, pour recouvrer le solde définitif du décompte de liquidation, d'un montant 2 096 488,72 euros. Par un jugement du 30 décembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de la société Iveco France tendant à l'annulation de ce titre exécutoire et à la décharge de l'obligation de payer cette somme. Enfin, par courrier du 2 mai 2017, la Simmad a adressé à la société Iveco France le décompte général et définitif de liquidation, faisant apparaître un solde à sa charge de 2 096 488,72 euros. Par un jugement du 3 juin 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de la société Iveco France tendant à ce que le solde négatif du marché, d'un montant de 2 096 488,72 euros, soit réduit à la somme de 57 204,08 euros.
3. La ministre des armées se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 février 2022 en tant que la cour administrative d'appel de Paris a fait partiellement droit aux appels de la société Iveco France contre les jugements des 2 mai 2016, 3 juin 2019 et 30 décembre 2019 du tribunal administratif de Bordeaux en déchargeant cette société de l'obligation de payer la somme de 2 039 283,92 euros et en annulant le titre exécutoire émis le 15 décembre 2017 en tant qu'il met à sa charge une somme excédant 57 204,08 euros.
Sur le pourvoi :
4. Aux termes de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés publics industriel auquel renvoient les stipulations du marché litigieux : " 37.1. La personne publique peut résilier le marché aux torts du titulaire, après mise en demeure restée infructueuse, lorsque : (...) b) Le titulaire ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais contractuels (...) / 37.5. Sauf stipulation particulière du marché, le décompte de liquidation comprend : / a) Au débit du titulaire : (...) / le cas échéant, le supplément des dépenses résultant de la passation d'un marché aux frais et risques du titulaire dans les conditions fixées à l'article 38 ". L'article 38 de ce cahier dispose : " En cas de résiliation du marché prononcée en vertu de l'article 37, la personne publique peut, dans un délai de six mois à compter de la décision de résiliation, et aux frais et risques du titulaire soit passer un nouveau marché pour l'exécution de tout ou partie des fournitures non encore réceptionnées, soit décider une mise en régie. (...) / 38.5. L'augmentation de dépenses, par rapport au prix du marché, qui résulterait de l'exécution des prestations aux frais et risques du titulaire, est à sa charge ; la diminution de dépenses ne lui profite pas ".
5. Il résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs que l'administration contractante peut, après avoir vainement mis en demeure son cocontractant de poursuivre l'exécution des prestations qu'il s'est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, décider de confier l'achèvement des prestations à une autre entreprise aux frais et risques de son cocontractant. Le cocontractant défaillant doit être mis à même de suivre l'exécution du marché de substitution ainsi conclu afin de lui permettre de veiller à la sauvegarde de ses intérêts, les montants découlant des surcoûts supportés par l'administration en raison de l'achèvement des prestations par un nouvel entrepreneur étant à sa charge. A cet effet, si l'administration doit dans tous les cas notifier le marché de substitution au titulaire du marché résilié, elle n'est tenue de lui communiquer les pièces justifiant de la réalité des prestations effectuées en exécution du nouveau contrat qu'à la condition d'être saisie d'une demande en ce sens.
6. Pour juger que la Simmad n'avait pas mis la société Iveco France à même de suivre l'exécution du marché de substitution, la cour a estimé que la société avait entendu vérifier la réalité des prestations exécutées en contestant par des mémoires en réclamation les deux décomptes provisoires qui lui avaient été adressés. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la société avait saisi la Simmad d'une demande de communication de pièces justifiant de la réalité des prestations, la cour a commis une erreur de droit. La ministre des armées est ainsi fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il a déchargé la société Iveco France de l'obligation de payer la somme de 2 039 283,92 euros et annulé le titre exécutoire émis le 15 décembre 2017 en tant qu'il met à sa charge une somme excédant 57 204,08 euros.
7. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond, dans la mesure de l'annulation prononcée.
Sur les conclusions tendant à la fixation du solde du décompte du marché :
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que la Simmad a notifié le marché de substitution à la société Iveco France. Si cette société a fait valoir, dans les mémoires en réclamation qu'elle a présentés les 23 mai 2013 et 16 janvier 2015 à l'encontre des décomptes provisoires du marché résilié communiqués par la Simmad, que ces décomptes étaient irréguliers, elle n'a pas saisi la Simmad d'une demande tendant à la production de pièces démontrant la réalité des prestations effectuées par le titulaire du marché de substitution. Par suite, la société Iveco France n'est pas fondée à soutenir que, faute de lui avoir adressé de telles pièces, la Simmad ne l'aurait pas mise à même de suivre l'exécution du marché de substitution.
9. En deuxième lieu, la société Iveco France ne saurait utilement soutenir, à l'appui de sa demande contestant le montant du marché de substitution, que ce marché aurait été attribué en méconnaissance du principe d'égalité de traitement entre les candidats à un contrat de la commande publique.
10. En dernier lieu, la société Iveco France s'étant engagée, par le marché résilié, à exécuter tant sa tranche ferme que ses tranches conditionnelles, le surcoût du marché de substitution comprenant des prestations effectuées en exécution des tranches conditionnelles doit, contrairement à ce qu'elle soutient, être également mis à sa charge.
11. Il résulte de ce qui précède que la société Iveco France n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par les jugements attaqués des 2 mai 2016 et 3 juin 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes tendant à ce que le solde du marché, fixé au montant de 2 096 488,72 euros, soit ramené à la somme de 57 204,08 euros.
Sur le titre exécutoire du 15 décembre 2017 :
12. D'une part, il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Bordeaux aux points 4 et 5 de son jugement, d'écarter le moyen tiré de ce que le titre exécutoire ne serait pas suffisamment motivé.
13. D'autre part, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés aux points 8 à 10 de la présente décision, les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre exécutoire doivent être écartés.
14. Il résulte de ce qui précède que la société Iveco France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 30 décembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les frais du litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les articles 1er, 2, 3 et 4 de l'arrêt du 28 février 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux sont annulés.
Article 2 : Les requêtes présentées par la société Iveco France devant la cour administrative d'appel de Bordeaux sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la société Iveco France présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre des armées et à la société Iveco France.