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Ariane Web: Conseil d'État 465365, lecture du 27 décembre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:465365.20221227

Décision n° 465365
27 décembre 2022
Conseil d'État

N° 465365
ECLI:FR:CECHR:2022:465365.20221227
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Clément Tonon, rapporteur
M. Clément Malverti, rapporteur public
SCP SPINOSI, avocats


Lecture du mardi 27 décembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 26 avril 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection temporaire et d'enjoindre au préfet compétent de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours, sous astreinte de
100 euros par jour de retard, et de la munir d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quatre jours, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 2202129 du 13 juin 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a fait droit à la demande de suspension et enjoint au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de Mme B... et de la munir d'une autorisation provisoire de séjour valable pendant la durée de ce réexamen.

Par un pourvoi, enregistré le 29 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de Mme B....



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 ;
- la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Clément Tonon, auditeur,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de Mme B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Rouen que Mme B..., ressortissante arménienne, a, à la suite de l'invasion militaire par les forces armées russes, quitté l'Ukraine où elle résidait sous couvert d'un titre de séjour non permanent délivré par les autorités de ce pays, et est entrée en France au cours du mois de mars 2022. Elle a sollicité la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour portant la mention " bénéficiaire de la protection temporaire " sur le fondement des dispositions de l'article L. 581-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 26 avril 2022, le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé le bénéfice de la protection temporaire et lui a délivré une autorisation provisoire de séjour d'un mois afin de permettre l'examen de sa situation et de son éventuelle admission au séjour sur un autre fondement. Le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 13 juin 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant sur le fondement de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de cet arrêté préfectoral et enjoint au préfet compétent de réexaminer la situation de Mme B... et de munir celle-ci d'une autorisation provisoire de séjour valable pendant la durée de ce réexamen.

Sur les interventions :

3. Eu égard à leur objet statutaire et à la nature du litige, l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers, le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), la Cimade, la Ligue des droits de l'Homme et le Groupe Accueil et Solidarité (GAS) justifient d'un intérêt suffisant au maintien de l'ordonnance attaquée. Leur intervention en défense est, par suite, recevable.

Sur le cadre juridique :

4. D'une part, aux termes de l'article 5 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil : " 1. L'existence d'un afflux massif de personnes déplacées est constatée par une décision du Conseil (...) / (...) / 3. La décision du Conseil a pour effet d'entraîner, à l'égard des personnes déplacées qu'elle vise, la mise en oeuvre dans tous les États membres de la protection temporaire conformément aux dispositions de la présente directive. La décision contient au moins : / a) une description des groupes spécifiques de personnes auxquels s'applique la protection temporaire / b) la date à laquelle la protection temporaire entrera en vigueur/ (...) ". L'article 7 de cette directive prévoit que : " 1. Les États membres peuvent faire bénéficier de la protection temporaire prévue par la présente directive des catégories supplémentaires de personnes déplacées qui ne sont pas visées dans la décision du Conseil prévue à l'article 5, lorsqu'elles sont déplacées pour les mêmes raisons et à partir du même pays ou de la même région d'origine. Ils en informent immédiatement le Conseil et la Commission (...) ".

5. Pour assurer la transposition de ces dispositions, l'article L. 581-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que le bénéfice du régime de la protection temporaire " est ouvert aux étrangers selon les modalités déterminées par la décision du Conseil de l'Union européenne mentionnée à l'article 5 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001, définissant les groupes spécifiques de personnes auxquelles s'applique la protection temporaire (...) ". Selon l'article L. 581-3 du même code : " L'étranger appartenant à un groupe spécifique de personnes visé par la décision du Conseil mentionnée à l'article L. 581-2 bénéficie de la protection temporaire à compter de la date mentionnée par cette décision. Il est mis en possession d'un document provisoire de séjour assorti, le cas échéant, d'une autorisation provisoire de travail. Ce document provisoire de séjour est renouvelé tant qu'il n'est pas mis fin à la protection temporaire (...) ". En vertu de l'article
L. 581-7 du même code : " Dans les conditions fixées à l'article 7 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001, peuvent bénéficier de la protection temporaire des catégories supplémentaires de personnes déplacées qui ne sont pas visées dans la décision du Conseil prévue à l'article 5 de cette même directive, lorsqu'elles sont déplacées pour les mêmes raisons et à partir du même pays ou de la même région d'origine. Les dispositions des articles L. 581-3 à L. 581-6 sont applicables à ces catégories supplémentaires de personnes ". Aux termes de l'article R. 581-18 du même code : " Les catégories de personnes déplacées qui peuvent bénéficier de la protection temporaire en France en application des dispositions de l'article
L. 581-7 sont désignées par arrêté conjoint du ministre chargé de l'immigration, du ministre de l'intérieur et du ministre des affaires étrangères. / (...) Le ministre chargé de l'asile informe immédiatement le Conseil et la Commission de l'Union européenne de la mise en oeuvre de ces dispositions ".

6. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d'introduire une protection temporaire : " L'existence d'un afflux massif dans l'Union de personnes déplacées qui ont dû quitter l'Ukraine en raison d'un conflit armé est constatée ". Aux termes de l'article 2 de cette même décision : " 1. La présente décision s'applique aux catégories suivantes de personnes déplacées d'Ukraine le 24 février 2022 ou après cette date, à la suite de l'invasion militaire par les forces armées russes qui a commencé à cette date : / a) les ressortissants ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022; / b) les apatrides, et les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, qui ont bénéficié d'une protection internationale ou d'une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022; et, / c) les membres de la famille des personnes visées aux points a) et b). / 2. Les États membres appliquent la présente décision ou une protection adéquate en vertu de leur droit national à l'égard des apatrides, et des ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, qui peuvent établir qu'ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 sur la base d'un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d'origine dans des conditions sûres et durables / 3. Conformément à l'article 7 de la directive 2001/55/CE, les États membres peuvent également appliquer la présente décision à d'autres personnes, y compris aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, qui étaient en séjour régulier en Ukraine et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d'origine dans des conditions sûres et durables / (...) ".

Sur le pourvoi :

7. Il résulte des dispositions du paragraphe 2 de l'article 2 de la décision d'exécution 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022, prises en application de l'article 5 de la directive 2001/55/CE et auxquelles se réfèrent les articles L. 581-2 et L. 581-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que pour pouvoir prétendre au bénéfice de la protection temporaire, les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine doivent en principe être titulaires d'un titre de séjour permanent délivré conformément au droit ukrainien. Si le paragraphe 3 de ce même article 2 envisage que cette protection soit rendue applicable à d'autres catégories de personnes, dont les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine qui séjournaient régulièrement dans ce pays sans disposer d'un titre permanent, il se borne ce faisant à rappeler la faculté que tiennent les Etats membres de l'article 7 de la directive 2001/55/CE d'étendre le bénéfice de la protection à des catégories supplémentaires de personnes déplacées qui ne sont pas visées dans la décision du Conseil, lorsqu'elles sont déplacées pour les mêmes raisons et à partir du même pays ou de la même région d'origine, l'exercice d'une telle faculté supposant d'en informer immédiatement le Conseil et la Commission. La mise en oeuvre de cette faculté par les autorités françaises, transposée à l'article L. 581-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est subordonnée par l'article R. 581-18 du même code à l'adoption d'un arrêté conjoint du ministre chargé de l'immigration, du ministre de l'intérieur et du ministre des affaires étrangères, désignant les catégories de personnes concernées. Ce même article prévoit également l'information du Conseil et de la Commission par le ministre chargé de l'asile.

8. Pour juger qu'était de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté attaqué le moyen tiré de ce que l'autorité administrative aurait commis une erreur de droit en se croyant en situation de compétence liée pour rejeter la demande de protection temporaire de Mme B... faute pour celle-ci de disposer d'un titre de séjour permanent délivré par les autorités ukrainiennes, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a relevé qu'il résultait des dispositions des paragraphes 2 et 3 de l'article 2 de la décision d'exécution du Conseil du 4 mars 2022 que, sous réserve d'autres conditions à remplir, les autorités des Etats membres doivent accorder le bénéfice de la protection temporaire aux ressortissants étrangers pouvant établir qu'ils étaient en séjour régulier sur la base d'un titre de séjour permanent en cours de validité conformément au droit ukrainien mais qu'elles peuvent également l'accorder à d'autres personnes qui étaient en séjour régulier en Ukraine. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point précédent qu'en statuant ainsi, alors qu'aucun arrêté interministériel n'a été pris sur le fondement de l'article R. 581-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le juge des référés a commis une erreur de droit. Par suite, le ministre de l'intérieur est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque en tant qu'elle prononce la suspension de l'exécution de l'arrêté préfectoral du 26 avril 2022 et enjoint au préfet compétent de réexaminer la situation Mme B... et de munir celle-ci d'une autorisation provisoire de séjour valable pendant la durée de ce réexamen.

9. Il y a lieu, par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler, dans cette mesure, l'affaire au titre de la procédure de référé engagée.

10. En premier lieu, la requérante soutient que la décision d'exécution du Conseil du 4 mars 2022 à laquelle les articles L. 581-2 et L. 581-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile se réfèrent pour définir le champ d'application de la protection temporaire, ainsi que par voie de conséquence l'instruction interministérielle relative à la mise en oeuvre de cette décision, qui en rappelle les termes, méconnaissent le principe d'égalité de traitement garanti par le droit de l'Union européenne et le principe de non-discrimination, en tant qu'elles ne prévoient pas le bénéfice de cette protection pour les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine non titulaires d'un titre de séjour permanent. Toutefois, au regard de l'objet de la protection temporaire, dispositif exceptionnel visant, sur le fondement de normes minimales communes à tous les Etats membres, à assurer une protection immédiate et de caractère temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées ne pouvant rentrer dans leur pays d'origine, la différence de traitement entre les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, selon qu'ils sont titulaires d'un titre de séjour permanent ou non délivré par les autorités de ce pays, n'est en tout état de cause pas susceptible de caractériser une méconnaissance des principes invoqués de nature à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision de refus litigieuse.

11. En second lieu, aucun des autres moyens présentés par Mme B... à l'appui de sa demande, et tirés de l'insuffisance de motivation, du défaut d'examen personnalisé et de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 581-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

12. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, Mme B... n'est pas fondée à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté du 26 avril 2022 du préfet de la Seine-Maritime. Ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre des article
L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.



D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers, du Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), de la Cimade, de la Ligue des droits de l'Homme et du Groupe Accueil et Solidarité (GAS) est admise.
Article 2 : Les articles 3, 4 et 5 de l'ordonnance du 13 juin 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen sont annulés.
Article 3 : Les conclusions aux fins de suspension et d'injonction présentées par Mme C... devant le juge des référés du tribunal administratif de Rouen et ses conclusions présentées au titre des article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme D... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers, premier intervenant dénommé.


Voir aussi