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Ariane Web: Conseil d'État 457090, lecture du 1 août 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:457090.20220801

Décision n° 457090
1 août 2022
Conseil d'État

N° 457090
ECLI:FR:CECHR:2022:457090.20220801
Inédit au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET, avocats


Lecture du lundi 1 août 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 457090, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 septembre et 23 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale des syndicats autonomes - Régie autonome des transports parisiens (UNSA-RATP) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1027 du 30 juillet 2021 relatif à l'information, à l'accompagnement et au transfert des salariés de l'établissement public à caractère industriel et commercial de la Régie autonome des transports parisiens en cas de changement d'exploitant d'un service régulier de transport public par autobus ou autocar en Ile-de-France en ce qu'il crée les articles R. 3111-36-7 et R. 3111-36-8 du code des transports, en particulier en ce que l'article R. 3111-36-7 emploie les termes : " un cinquième de mois de salaire jusqu'à cinq ans d'ancienneté " et en ce que l'article R. 3111-36-8 comporte un III disposant que : " L'indemnité différentielle est réduite à due concurrence de la progression du salaire dont le salarié a bénéficié depuis son transfert, que cette progression résulte d'augmentations générales ou individuelles " ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de remplacer, à l'article R. 3111-36-7 du code des transports, les mots : " un cinquième de mois de salaire jusqu'à cinq ans d'ancienneté " par les mots : " un quart de mois de salaire jusqu'à dix ans d'ancienneté " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 457187, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er octobre et 28 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale des transports et de la logistique Force ouvrière - UNCP demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1027 du 30 juillet 2021 relatif à l'information, à l'accompagnement et au transfert des salariés de l'établissement public à caractère industriel et commercial de la Régie autonome des transports parisiens en cas de changement d'exploitant d'un service régulier de transport public par autobus ou autocar en Ile-de-France ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole addititionnel ;
- le code des transports ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 ;
- l'arrêté du 5 octobre 2017 fixant la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs (n° 1424) ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'Union nationale des syndicats autonomes - Régie autonome des transports parisiens et à Me Haas, avocat de la Fédération nationale des transports et de la logistique Force ouvrière - UNCP ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes par lesquelles l'Union nationale des syndicats autonomes - Régie autonome des transports parisiens (UNSA-RATP) et la Fédération nationale des transports et de la logistique Force ouvrière - UNCP demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 30 juillet 2021 relatif à l'information, à l'accompagnement et au transfert des salariés de l'établissement public à caractère industriel et commercial de la Régie autonome des transports parisiens en cas de changement d'exploitant d'un service régulier de transport public par autobus ou autocar en Ile-de-France sont dirigées contre le même acte. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur le cadre du litige :

2. Aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail : " Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ".

3. L'article L. 3111-16-1 du code des transports dispose toutefois que : " Lorsque survient un changement d'exploitant d'un service ou d'une partie de service régulier de transport public par autobus ou autocar dans la région d'Ile-de-France opéré par l'établissement public à caractère industriel et commercial de la Régie autonome des transports parisiens, les contrats de travail en cours des salariés concourant à l'exploitation et à la continuité du service public concerné sont transférés au nouvel employeur./ Le présent article s'applique également lorsque l'autorité organisatrice décide :/ 1° De fournir elle-même un service régulier de transport public par autobus ou par autocar portant sur un service ou une partie de service régulier de transport public par autobus ou par autocar ou d'en attribuer l'exécution à une entité juridiquement distincte sur laquelle elle exerce un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services ; / 2° D'attribuer directement à un opérateur un contrat de service public portant sur un service ou une partie de service régulier de transport public par autobus ou par autocar. "

4. Il résulte de ces dispositions et des autres dispositions, figurant aux articles L. 3111-16-2 à L. 3111-16-12 du code des transports, issues de l'article 158 de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, éclairées par les travaux parlementaires, que le législateur a entendu régir par des dispositions propres le transfert des contrats de travail des salariés en cas de changement d'exploitant d'un service ou d'une partie de service régulier de transport public par autobus ou autocar dans la région d'Ile-de-France opéré par l'établissement public à caractère industriel et commercial de la Régie autonome des transports parisiens (RATP), en vue de garantir que le transfert des contrats de travail des salariés concernés s'accompagne du transfert des garanties sociales de haut niveau dont ils bénéficient.

Sur la légalité externe :

5. Il ressort des pièces du dossier, notamment des visas du décret attaqué, qu'il a fait l'objet, conformément aux dispositions de l'article L. 3111-16-2 du code des transports, de la consultation préalable des représentants, d'une part, des organisations professionnelles et des organisations syndicales représentatives au niveau de la convention collective de la branche du transport public urbain, mentionnées à l'article 1er de l'arrêté du 5 octobre 2017 fixant la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs et, d'autre part, des organisations syndicales représentatives de la Régie autonome des transports parisiens à la date de publication du décret attaqué. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris sans que ces consultations aient été effectuées manque en fait.

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne l'indemnité de rupture du contrat de travail :

6. D'une part, aux termes de l'article L. 1234-9 du code du travail : " Le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement. / Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire. " Aux termes de l'article R. 1234-2 du même code, pris pour l'application de cet article : " L'indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants : / 1° Un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans ; / 2° Un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans. "

7. D'autre part, en vertu de l'article L. 3111-16-5 du code des transports, lorsqu'un salarié de la RATP dont le contrat de travail est transféré à la suite d'un changement d'exploitant d'un service ou d'une partie de service régulier de transport public par autobus ou autocar dans la région d'Île de France fait connaître à son employeur son refus de la modification que l'employeur entend apporter à ce contrat, ce refus constitue le motif de rupture de son contrat de travail, qui repose sur ce motif spécifique et constitue une cause réelle et sérieuse. Aux termes du IV de cet article : " En cas de rupture du contrat de travail (...) suite au refus d'une modification d'un élément de son contrat de travail ayant un impact conséquent sur ses conditions de travail, le salarié, quelle que soit son ancienneté, a le droit à une indemnité versée par le cessionnaire qui se substitue à l'indemnité prévue à l'article L. 1234-9 du code du travail. / Le montant ainsi que les modalités de calcul et de versement de cette indemnité peuvent être modulés, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, en fonction de la situation du salarié au regard de l'emploi. Le montant de cette indemnité ne peut excéder celui que le salarié aurait perçu en application du même article L. 1234-9. "

8. Il résulte des dispositions de l'article L. 3111-16-5 du code des transports citées ci-dessus, éclairées par les travaux parlementaires, que l'indemnité de rupture du contrat de travail propre aux salariés de la RATP qu'elles prévoient, en lieu et place de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9 du code du travail, est destinée à compenser le préjudice subi par le salarié du fait de la perte de son emploi, mais qu'en ouvrant la possibilité d'en moduler le montant en fonction de la situation du salarié au regard de l'emploi, dans des conditions qu'il revient au pouvoir règlementaire de fixer, le législateur a entendu tenir compte de la nécessité de garantir la continuité du service public et d'éviter d'éventuels détournements du dispositif.

9. Pour l'application de ces dispositions, l'article R. 3111-36-7 du code des transports, créé par l'article 1er du décret attaqué, prévoit les modalités de calcul et de versement dans le temps de l'indemnité de rupture du contrat de travail due en cas de refus par un salarié de la RATP du transfert de son contrat de travail à un nouvel exploitant. Les dispositions contestées prévoient une indemnité de rupture du contrat de travail composée de deux parts. La première part, versée à la suite de la rupture du contrat de travail, est d'un montant égal à un cinquième de mois de salaire pour les salariés jusqu'à cinq ans d'ancienneté, à un quart de mois de salaire entre six et dix ans d'ancienneté, à un tiers de mois de salaire entre onze et quinze ans d'ancienneté et à une moitié d'un mois de salaire au-delà. La seconde part, versée les mois suivants sous réserve que l'intéressé n'ait pas repris un emploi salarié ou indépendant, est d'un montant mensuel égal à un cinquième de mois de salaire. Elles prévoient en outre que la somme des montants versés au titre de ces deux parts est plafonnée par le montant que l'intéressé aurait perçu dans les conditions fixées par l'article R. 1234-2 du code du travail.

10. En premier lieu, en prévoyant que l'ancienneté prise en compte pour calculer la première part de l'indemnité en cause est la même pour tous les salariés ayant une ancienneté comprise entre un et cinq ans d'ancienneté, puis entre six et dix ans d'ancienneté, puis entre dix et quinze ans d'ancienneté, puis à partir de seize ans d'ancienneté, et que la seconde part peut varier entre zéro, dans le cas où le salarié retrouve immédiatement un emploi salarié ou indépendant, et un montant significativement supérieur à la première part, augmentant progressivement tant que l'intéressé n'a pas repris un emploi salarié ou indépendant, les dispositions attaquées de l'article R. 3111-36-7 du code des transports n'opèrent pas, contrairement à ce qui est soutenu, de modulation du montant total de l'indemnité en cause en fonction d'autres critères que celui prévu à l'article L. 3111-16-5 de ce code.

11. En second lieu, si les dispositions attaquées prévoient des modalités de calcul de l'indemnité en cause différentes de celles de l'article R. 1234-2 du code du travail qui déterminent, en vertu de l'article L. 1234-9 du même code, le montant minimum de l'indemnité légale de licenciement, il résulte comme il a été dit des termes mêmes de l'article L. 3111-16-5 du code des transports que le législateur a entendu que l'indemnité versée se substitue à l'indemnité légale de licenciement et n'a pas exclu que son montant puisse être inférieur, le montant de l'indemnité légale de licenciement constituant au contraire un plafond. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions attaquées méconnaîtraient le principe d'égalité.

En ce qui concerne la garantie de maintien de la rémunération :

12. Aux termes de l'article L. 3111-16-7 du code des transports : " Le niveau de rémunération des salariés mentionnés à l'article L. 3311-16-1 dont le contrat de travail se poursuit auprès d'un nouvel exploitant ne peut être inférieur au montant annuel, pour une durée de travail équivalente, correspondant à l'ensemble des éléments de rémunération au sens de l'article L. 3221-3 du code du travail, hors éléments exceptionnels, versés lors des douze mois précédant la date de changement effectif d'employeur. "

13. Pour l'application de ces dispositions, l'article R. 3111-16-8 du code des transports, créé par le décret attaqué, prévoit les modalités de calcul et de versement de la rémunération des salariés transférés, dont le maintien au niveau antérieur à leur transfert est garanti par le versement d'une indemnité différentielle, le III de cet article précisant toutefois qu'elle est " réduite à due concurrence de la progression du salaire dont le salaire a bénéficié depuis son transfert, que cette progression résulte d'augmentations générales ou individuelles ".

14. D'une part, s'il est soutenu qu'en privant d'effet pour les salariés concernés le bénéfice d'augmentations futures tant que celles-ci n'auront pas porté leur rémunération au niveau garanti, ces dispositions méconnaîtraient les dispositions de l'article L. 3111-16-7 du code des transports, il ne résulte pas des dispositions de cet article, citées au point 12, que le maintien qu'elles imposent du niveau de la rémunération des salariés transférés au minimum au niveau antérieur à leur transfert emporterait l'obligation de garantir en outre à ces salariés le maintien du montant de l'indemnité différentielle servie en dépit d'augmentations ultérieures de salaire.

15. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 4, les dispositions des articles L. 3111-16-1 à L. 3111-16-12 du code des transports instaurant un régime propre de transfert des contrats des salariés en cas de changement d'exploitant d'un service ou d'une partie de service régulier de transport public par autobus ou autocar dans la région d'Ile-de-France opéré par la RATP, prévoyant le transfert des garanties sociales de haut niveau, dont la garantie du maintien du niveau de la rémunération, les salariés concernés se trouvent dans une situation différente des salariés qui ne bénéficient pas des mêmes garanties. Il ne peut par suite être utilement soutenu que la réduction contestée de l'indemnité différentielle jusqu'à ce que la rémunération qui résulterait d'éventuelles augmentations de salaire atteigne le niveau assuré par la garantie de la rémunération antérieure, qui figure au nombre des garanties des salariés concernés, serait contraire au principe d'égalité. En outre et en tout état de cause, il ne résulte de ce dispositif aucune atteinte au principe de sécurité juridique ou au droit à la protection des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

16. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de l'Union nationale des syndicats autonomes RATP et de la Fédération nationale des transports et de la logistique Force ouvrière - UNCP doivent être rejetées. Leurs conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent dès lors que l'être également.



D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de l'Union nationale des syndicats autonomes - Régie autonome des transports parisiens et de la Fédération nationale des transports et de la logistique Force ouvrière - UNCP sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union nationale des syndicats autonomes Régie autonome des transports parisiens, à la Fédération nationale des transports et de la logistique Force ouvrière - UNCP et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 juillet 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, Mme Sophie-Justine Lieber, M. Pierre Boussaroque, M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat et Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 1er août 2022.


La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir
La secrétaire :
Signé : Mme Anne Lagorce