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Ariane Web: Conseil d'État 443911, lecture du 28 juillet 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:443911.20220728

Décision n° 443911
28 juillet 2022
Conseil d'État

N° 443911
ECLI:FR:CECHR:2022:443911.20220728
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Airelle Niepce, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET, avocats


Lecture du jeudi 28 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La SARL Centrale Moulin Neuf a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 11 décembre 2015 par lequel le préfet de l'Indre a fixé des prescriptions supplémentaires à l'autorisation d'exploiter l'énergie hydroélectrique sur le barrage de Moulin Neuf dont elle est titulaire.

Par un jugement n° 1600212 du 26 avril 2018, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18BX02572 du 9 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté son appel formé contre ce jugement ainsi que sa demande tendant à ce qu'il lui soit donné acte de ce que les ouvrages de la centrale hydroélectrique du Moulin Neuf sont en situation administrative régulière pour une puissance de 184 kW compte tenu des droits tirés d'une ordonnance royale du 11 mars 1842.

Par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 septembre et 7 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SARL Centrale Moulin Neuf demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 ;
- la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 ;
- la loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la SARL Centrale Moulin Neuf ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 juillet 2022, présentée par la SARL Centrale Moulin Neuf ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SARL Centrale Moulin Neuf exploite une centrale hydroélectrique alimentée par les eaux de la Creuse, sur le territoire de la commune du Menoux (Indre). Par un arrêté du 11 décembre 2015, le préfet de l'Indre a fixé des prescriptions supplémentaires à l'autorisation d'exploiter l'énergie hydroélectrique sur le barrage de Moulin Neuf dont la société est titulaire. Par un jugement du 26 avril 2018, le tribunal administratif de Limoges a rejeté la demande d'annulation de cet arrêté formée par la SARL Centrale Moulin Neuf. Cette dernière se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 9 juillet 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté son appel contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable en l'espèce : " I.- Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : / 1° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux parmi ceux qui sont en très bon état écologique ou identifiés par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique. / Le renouvellement de la concession ou de l'autorisation des ouvrages existants, régulièrement installés sur ces cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux, est subordonné à des prescriptions permettant de maintenir le très bon état écologique des eaux, de maintenir ou d'atteindre le bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou d'assurer la protection des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée ; / 2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant. / II.- Les listes visées aux 1° et 2° du I sont établies par arrêté de l'autorité administrative compétente, après étude de l'impact des classements sur les différents usages de l'eau visés à l'article L. 211-1. Elles sont mises à jour lors de la révision des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux pour tenir compte de l'évolution des connaissances et des enjeux propres aux différents usages. / III.- Les obligations résultant du I s'appliquent à la date de publication des listes. Celles découlant du 2° du I s'appliquent, à l'issue d'un délai de cinq ans après la publication des listes, aux ouvrages existants régulièrement installés. Lorsque les travaux permettant l'accomplissement des obligations résultant du 2° du I n'ont pu être réalisés dans ce délai, mais que le dossier relatif aux propositions d'aménagement ou de changement de modalités de gestion de l'ouvrage a été déposé auprès des services chargés de la police de l'eau, le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant de l'ouvrage dispose d'un délai supplémentaire de cinq ans pour les réaliser. / Le cinquième alinéa de l'article 2 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique et l'article L. 432-6 du présent code demeurent applicables jusqu'à ce que ces obligations y soient substituées, dans le délai prévu à l'alinéa précédent. A l'expiration du délai précité, et au plus tard le 1er janvier 2014, le cinquième alinéa de l'article 2 de la loi du 16 octobre 1919 précitée est supprimé et l'article L. 432-6 précité est abrogé. / Les obligations résultant du I du présent article n'ouvrent droit à indemnité que si elles font peser sur le propriétaire ou l'exploitant de l'ouvrage une charge spéciale et exorbitante. / (...) ". Aux termes de l'article L. 214-18-1 du même code, dans sa rédaction issue de l'article 15 de la loi du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances du 27 juillet 2016 relative à l'autoconsommation d'électricité, et du 3 août 2016 relative à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d'électricité et de gaz et aux énergies renouvelables : " Les moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l'électricité, régulièrement installés sur les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux mentionnés au 2° du I de l'article L. 214-17, ne sont pas soumis aux règles définies par l'autorité administrative mentionnées au même 2°. Le présent article ne s'applique qu'aux moulins existant à la date de publication de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l'autoconsommation d'électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d'électricité et de gaz et aux énergies renouvelables. "

3. Il résulte des dispositions de l'article L. 214-18-1 du code de l'environnement, éclairées par les travaux préparatoires relatifs à la loi du 24 février 2017 précitée, qu'afin de préserver le patrimoine hydraulique que constituent les moulins à eau et de favoriser la production d'énergie hydroélectrique, le législateur a entendu exonérer l'ensemble des ouvrages pouvant recevoir cette qualification et bénéficiant d'un droit de prise d'eau fondé en titre ou d'une autorisation d'exploitation à la date de publication de la loi, des obligations mentionnées au 2° du I de l'article L. 214-17 du même code destinées à assurer la continuité écologique des cours d'eau. Les dispositions de l'article L. 214-18-1 du code de l'environnement ne peuvent donc être interprétées comme limitant le bénéfice de cette exonération aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement ayant le même objet.

4. D'une part, si la ministre de la transition écologique soutient en défense que ces dispositions méconnaissent les objectifs et exigences tant de la directive du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau que du règlement du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes, un tel moyen, qui n'est pas d'ordre public, est nouveau en cassation et ne peut, par suite, qu'être écarté comme inopérant.

5. D'autre part, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué, non contestées sur ce point en cassation, que la centrale hydroélectrique du Moulin Neuf bénéficie d'un droit fondé en titre à hauteur de 48 kW et, par ordonnance royale du 11 mars 1842, d'une autorisation d'exploiter dont la puissance a été évaluée à 136 kW, de sorte qu'à la date de publication de la loi du 24 février 2017, la société requérante était régulièrement autorisée à exploiter une puissance de 184 kW. Pour juger qu'elle n'était pas fondée à se prévaloir des dispositions dérogatoires de l'article L. 214-18-1 du code de l'environnement citées au point 2, la cour administrative d'appel a retenu que seuls les moulins dont les installations sont exploitées dans le respect des obligations de mise en conformité prévues par les dispositions antérieurement applicables de l'article L. 232-6 du code rural, devenu l'article L. 432-6 du code de l'environnement, étaient exonérés des prescriptions définies par l'autorité administrative sur le fondement des dispositions du 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement. En statuant ainsi, la cour, pour les motifs indiqués au point 3, a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que la SARL Centrale Moulin Neuf est fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux qu'elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions d'appel :

8. Les conclusions tendant à ce qu'il soit donné acte à la société requérante de ce que les ouvrages de la centrale Moulin Neuf qu'elle exploite sont en situation régulière pour une puissance de 184 kW sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables.

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté attaqué du 11 décembre 2015 :

9. Il appartient au juge du plein contentieux de la police de l'eau d'apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d'autorisation, parmi lesquelles figurent celles relatives au contenu du dossier de demande d'autorisation, au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation. En revanche, le respect des règles de fond qui s'imposent à l'autorisation s'apprécie en fonction des considérations de droit et de fait en vigueur à la date de la présente décision.

S'agissant de la régularité de la procédure d'adoption de l'arrêté :

10. Aux termes de l'article R. 214-17 du code de l'environnement, en vigueur à la date de l'arrêté litigieux : " A la demande du bénéficiaire de l'autorisation ou à sa propre initiative, le préfet peut prendre des arrêtés complémentaires après avis du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques. Ces arrêtés peuvent fixer toutes les prescriptions additionnelles que la protection des éléments mentionnés à l'article L. 211-1 rend nécessaires, ou atténuer celles des prescriptions primitives dont le maintien n'est plus justifié. Ils peuvent prescrire en particulier la fourniture des informations prévues à l'article R. 214-6 ou leur mise à jour. / Le bénéficiaire de l'autorisation peut se faire entendre et présenter ses observations dans les conditions prévues au second alinéa de l'article R. 214-11 et au premier alinéa de l'article R. 214-12. (...) ". Aux termes du second alinéa de l'article R. 214-11 du même code, alors en vigueur : " Le pétitionnaire a la faculté de se faire entendre par ce conseil ou de désigner à cet effet un mandataire. Il est informé, par le préfet, au moins huit jours à l'avance, de la date et du lieu de la réunion du conseil et reçoit simultanément un exemplaire des propositions mentionnées à l'alinéa précédent ". En vertu du premier alinéa de l'article R. 214-12 de ce code, alors en vigueur : " Le projet d'arrêté statuant sur la demande est porté, par le préfet, à la connaissance du pétitionnaire, auquel un délai de quinze jours est accordé pour présenter éventuellement ses observations, par écrit, au préfet, directement ou par mandataire ".

11. Il résulte de l'instruction que par un procès-verbal établi le 23 janvier 2013, les agents de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) ont relevé diverses non-conformité de la centrale Moulin Neuf, et notamment estimé à 22 % le taux de mortalité théorique des anguilles sur l'ensemble de l'ouvrage en se fondant en particulier sur une expertise technique et une synthèse appliquée à la centrale, par ailleurs jointes au procès-verbal. Ce procès-verbal a été communiqué à la propriétaire de la centrale à cette date. Faisant notamment suite aux non-conformités relevées, un projet d'arrêté fixant des prescriptions complémentaires a été transmis à la SARL Centrale Moulin Neuf, nouvelle propriétaire de la centrale, par courrier du 26 février 2015. Son conseil a présenté des observations par lettre du 10 avril 2015 et le projet a été soumis à l'avis du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques lors de sa réunion du 13 avril 2015, à l'occasion de laquelle le gérant de la société et son conseil ont été entendus. Le projet d'arrêté a ensuite été porté à la connaissance du gérant par lettre du 18 août 2015 l'informant de la possibilité de présenter des observations et par courriers des 2 et 10 septembre 2015, l'intéressé a fait usage de cette faculté. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu, le caractère contradictoire de la procédure préalable à l'adoption de l'arrêté attaqué, exigé par les dispositions citées au point 10, n'a pas été méconnu.

S'agissant de l'applicabilité des dispositions des articles L. 214-17 et L. 214-18-1 du code de l'environnement aux ouvrages de la centrale :

12. D'une part, l'article 4 de la directive du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire fixe les objectifs environnementaux de la politique communautaire intégrée dans le domaine de l'eau. A cet égard, concernant les eaux de surface, le a) du 1 de cet article prévoit que les Etats membres doivent protéger, améliorer et restaurer les masses d'eau de surface afin de parvenir à un bon état des eaux au plus tard quinze ans après l'entrée en vigueur de la directive. S'agissant plus particulièrement des rivières, l'annexe V retient la continuité comme l'un des principaux éléments de qualité permettant d'apprécier l'état des eaux et précise qu'un très bon état est caractérisé par une continuité qui " n'est pas perturbée par des activités anthropogéniques et permet une migration non perturbée des organismes aquatiques et le transport de sédiments ". Les dispositions de la directive du 23 octobre 2020 ont été transposées notamment au titre Ier du livre II du code de l'environnement. Ainsi, aux termes de l'article L. 211-1 de ce code, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " I.- Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : / (...) / 3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ; / (...) / 7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques / (...) III.- La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme. "

13. D'autre part, aux termes de l'article 2 du règlement 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes : " 1. Les États membres recensent et définissent les différents bassins hydrographiques situés sur leur territoire national qui constituent l'habitat naturel de l'anguille européenne (ci-après dénommés " bassins hydrographiques de l'anguille ") ; / (...) / 3. Les Etats membres élaborent un plan de gestion de l'anguille pour chaque bassin hydrographique tel que défini au paragraphe 1. 4. L'objectif de chaque plan de gestion est de réduire la mortalité anthropique afin d'assurer avec une grande probabilité un taux d'échappement vers la mer d'au moins 40 % de la biomasse d'anguilles argentées correspondant à la meilleure estimation possible du taux d'échappement qui aurait été observé si le stock n'avait subi aucune influence anthropique. Le plan de gestion des anguilles est établi dans le but de réaliser cet objectif à long terme. / (...) / 7. Chaque plan de gestion de l'anguille comprend des mesures visant à atteindre, à suivre et à vérifier la réalisation de l'objectif fixé au paragraphe 4. Les États membres peuvent définir les moyens à mettre en oeuvre en fonction des conditions locales et régionales. " Sur ce fondement, le plan de gestion de l'anguille de la France a été établi et approuvé par la Commission européenne le 16 février 2010 en vertu de l'article 5 du règlement. Afin d'atteindre l'objectif à long terme d'un taux d'échappement de 40 % des anguilles argentées, ce plan (partie VI.6) prévoit des mesures de gestion des ouvrages affectant les mouvements migratoires des anguilles qui reposent sur les mesures de classement de cours d'eau prévues au I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement précité, ainsi que sur les prescriptions susceptibles d'être imposées aux ouvrages identifiés comme susceptibles d'affecter les mouvements migratoires des anguilles installés sur ces cours d'eau sur le même fondement.

14. En premier lieu, il résulte des dispositions de cet article L. 214-17 du code de l'environnement citées au point 2, telles qu'éclairées par les travaux parlementaires relatifs à la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, que si un délai de cinq ans après la publication des listes prévues au 2° du I du même article L. 214-17 est accordé aux exploitants d'" ouvrages existants régulièrement installés " pour mettre en oeuvre les obligations qu'il instaure, ce délai n'est pas ouvert aux exploitants d'ouvrages antérieurement soumis à une obligation de mise en conformité en application de l'article L. 232-6 du code rural, devenu l'article L. 432-6 du code de l'environnement, qui n'auraient pas respecté le délai de cinq ans octroyé par ces dispositions pour mettre en oeuvre cette obligation. Ces ouvrages existants ne peuvent ainsi être regardés comme " régulièrement installés ", au sens du III de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, et sont donc soumis aux obligations résultant du I de cet article dès la publication des listes qu'il prévoit.

15. Il résulte de l'instruction que la SARL Centrale du Moulin Neuf bénéficie d'un droit fondé en titre à hauteur de 48 kW et que l'installation concernée a également bénéficié, par ordonnance royale du 11 mars 1842, d'une autorisation d'exploiter une installation hydraulique dont la puissance a été évaluée, par un arrêté du préfet de l'Indre en date du 12 novembre 1973, à 136 kW. Cette autorisation, qui concernait une installation ayant une puissance inférieure à 150 kW, est toujours en vigueur en application des dispositions de l'article L. 511-9 du code de l'énergie. Toutefois, il résulte également de l'instruction et il n'est pas contesté qu'à la date de publication de l'arrêté du 10 juillet 2012, en vertu duquel la section de la Creuse sur laquelle est située son installation a été classée sur la liste des cours d'eau, tronçons de cours d'eau ou canaux classés au titre du 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, la société requérante n'avait mis en place aucun dispositif permettant la circulation des poissons migrateurs, en méconnaissance des exigences de la législation antérieure à ces dispositions. Son installation ne constitue donc pas un ouvrage existant régulièrement installé, au sens du III de cet article, de sorte que les obligations posées par son I lui étaient immédiatement applicables à compter de la publication de l'arrêté du 10 juillet 2012.

16. En deuxième lieu, l'ouvrage de la société requérante ne pouvant être regardé, ainsi qu'il vient être dit, comme régulièrement installé au sens du III de l'article L. 214-17 du code de l'environnement à la date de publication de l'arrêté du 10 juillet 2012, cette dernière ne peut utilement se prévaloir du délai supplémentaire de cinq ans prévu à la troisième phrase de ce III au bénéfice des propriétaires ou exploitants d'un ouvrage régulièrement installé qui ont déposé un dossier relatif aux propositions d'aménagement ou de changement de modalités de gestion de l'ouvrage auprès des services chargés de la police de l'eau mais n'ont pas été en mesure de réaliser les travaux afférents dans le délai de cinq ans imparti initialement.

17. En troisième lieu, il résulte des dispositions citées aux points 12 et 13 et de l'article L. 214-17 du code de l'environnement que les mesures de classements prévues au I de cet article ainsi que les prescriptions susceptibles d'être imposées aux ouvrages installés sur les cours d'eau ainsi classés, d'une part, apportent un concours essentiel aux objectifs définis par la directive du 23 octobre 2000 ainsi qu'à l'article L. 211-1 du même code, d'autre part, constituent l'unique dispositif prévu par le plan de gestion de l'anguille adopté par la France en application du règlement du 18 septembre 2007 concernant les ouvrages identifiés comme susceptibles d'affecter les mouvements migratoires des anguilles aux fins d'atteindre l'objectif fixé au paragraphe 4 de l'article 2 de ce règlement.

18. Si la société requérante invoque les dispositions de l'article L. 214-18-1 du code de l'environnement cité au point 2 pour soutenir qu'aucune obligation résultant du 2° du I de l'article 214-17-1 du même code ne peut être imposée à son installation, ces dispositions, en tant qu'elles exonèrent les moulins à eau existant à la date de publication de la loi du 24 février 2017 des obligations mentionnées au 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, indépendamment de leur incidence sur la continuité écologique des cours d'eau concernés et de leur capacité à affecter les mouvements migratoires des anguilles, méconnaissent les objectifs de la directive du 23 octobre 2000 ainsi que le règlement du 18 septembre 2007. Par suite, eu égard aux exigences inhérentes à la hiérarchie des normes dans l'ordre juridique interne telles qu'elles découlent de l'article 55 de la Constitution, il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire de s'abstenir d'adopter les mesures réglementaires destinées à permettre la mise en oeuvre de ces dispositions et, le cas échéant, aux autorités administratives nationales, sous le contrôle du juge, de donner instruction à leurs services de n'en point faire application tant que ces dispositions n'ont pas été modifiées. Il suit de là que la requérante n'est pas fondée à se prévaloir de ces dispositions exonératoires et que le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions par l'arrêté attaqué ne peut être qu'écarté.

S'agissant du caractère proportionné des prescriptions imposées par l'arrêté:

Quant aux prescriptions relatives à la montaison et la dévalaison :

19. L'article 1er de l'arrêté attaqué prévoit que dans l'attente de la mise en place des dispositifs permanents destinés à remplir les obligations découlant de l'article L. 214-17 du code de l'environnement et pour une durée de deux ans, les installations de la centrale de la société requérante ne pourront faire usage de la force motrice de l'eau pendant les mois de mai et juin qu'à la condition expresse de laisser se déverser sur le seuil une lame d'eau d'une épaisseur minimale de 20 cm afin de faciliter le franchissement du seuil à la montaison par les espèces migratrices. Son article 2 impose pour la même période à la société requérante de mettre la turbine de la centrale à l'arrêt entre les 1er septembre et 1er mars, pendant 5 nuits consécutives, et cela à 8 reprises maximum dont au maximum 4 fois entre le 1er novembre et le 1er mars. Enfin, son article 8 prévoit que, dans un délai de trois mois, la société requérante doit installer sur chaque rive du cours d'eau une échelle limnimétrique afin de s'assurer du respect des dispositions de l'article 1er.

20. Il résulte de l'instruction, notamment du procès-verbal établi par l'ONEMA le 21 janvier 2013 et des différentes pièces qu'il comporte que les installations de la centrale Moulin Neuf ne sont pas franchissables en montaison par plusieurs espèces migratrices, la grande alose, la lamproie marine, la lamproie fluviatile, la truite fario, l'anguille et le brochet, et présentent un risque avéré, notamment pour les anguilles. Compte tenu de cette étude et des caractéristiques de l'installation, l'ONEMA retient ainsi un taux de mortalité théorique des anguilles de 22 % sur l'ensemble de l'ouvrage, alors que la centrale est située au sein de la zone d'action prioritaire pour la mise en conformité des ouvrages représentant un obstacle à la libre circulation des anguilles prévue par le plan de gestion pour l'anguille adopté par la France en application du règlement du 18 septembre 2007 précité. Contrairement à ce que soutient la société requérante, ce taux de mortalité estimé n'est pas fondé sur une hypothèse où la totalité des poissons dévalant le cours d'eau transiteraient dans la turbine, mais repose sur un taux de mortalité théorique de 50 % des anguilles passant dans la turbine. Par ailleurs, il résulte de l'étude relative aux dommages subis par les anguilles lors de leur passage au travers des turbines, versée à la procédure par le ministre, que " toutes ouvertures confondues, le taux de mortalité moyen est de 51,9 % dans ce type de turbines, l'importance des dommages augmentant avec la taille de l'anguille et les taux de mortalité étant plus élevés sur les petites turbines à vitesses de rotation élevées que sur les turbines à grands diamètres ". Si la société requérante soutient que cette étude ne serait pas pertinente pour établir le caractère nécessaire des mesures prévues par l'arrêté attaqué au regard du type de turbines constituant l'échantillon d'essai, il résulte des termes même de cette étude que celle-ci se fonde sur un échantillon d'installations comportant " une bonne représentation " des turbines comportant quatre pales, telle que celle qui équipe la centrale Moulin Neuf. Enfin, si aucune étude n'a été réalisée sur le site même de la centrale, il n'est pas sérieusement contesté que les turbines du type employé par celle-ci créent un risque avéré pour les espèces migratrices, notamment pour les anguilles lorsque l'ouvrage ne comporte aucun dispositif d'évitement.

21. Par suite, les mesures imposées à la société, qui ont pour objet de réduire l'impact de l'ouvrage sur la migration des poissons dans l'attente de la réalisation des dispositifs de franchissement obligatoires, ne peuvent pas être regardées comme disproportionnées eu égard aux objectifs poursuivis.

Quant aux prescriptions relatives au débit minimum biologique :

22. Il résulte de l'article L. 214-18 du code de l'environnement que tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage. Ce débit minimal est fixé, selon les cours d'eau, au dixième ou au vingtième du module du cours d'eau. Pour les ouvrages existant à la date de promulgation de la loi du 30 décembre 2006 précitée, les obligations qu'elle institue sont substituées, dès le renouvellement de leur concession ou autorisation et au plus tard le 1er janvier 2014, aux obligations qui leur étaient précédemment faites. Cette substitution ne donne lieu à indemnité que dans les conditions prévues au III de l'article L. 214-17 du code de l'environnement précité.

23. Il résulte de l'instruction que pour imposer l'augmentation du débit minimal biologique, d'une valeur de 3,25 m3/s à 5 m3/s entre le 1er décembre et le 30 juin, le préfet s'est fondé sur une étude relative aux impacts des écluses sur la Creuse en aval du complexe hydro-électrique d'Eguzon concluant à un débit de base inter-éclusées de 8m3/s de l'automne à la fin du printemps, ou à défaut à un débit de base inter-éclusée de 5m3/s de la mi-novembre à la fin du printemps et sur les conclusions du comité technique, institué par l'arrêté du 18 juin 2013 portant règlement d'eau de la chute hydroélectrique concédée d'Eguzon/Roche-au-moine, qui a retenu à titre provisoire un débit minimal de 5m3/s en aval de Roche-aux-Moines entre le 1er décembre et le 30 juin.

24. Si la société requérante soutient que les éléments ainsi retenus ne sont pas suffisants pour établir la nécessité de porter le débit minimal à 5 m3/s entre le 1er décembre et le 30 juin, alors que l'impact économique d'une telle augmentation du débit réservé équivaut à une baisse de production de presque 20 %, elle n'apporte aucun élément permettant de remettre en cause la pertinence des prescriptions imposées. Par suite, ces mesures ne peuvent pas être regardées comme disproportionnées eu égard aux objectifs poursuivis.

25. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Centrale Moulin Neuf n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 code de l'environnement :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 9 juillet 2020 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé.
Article 2 : La requête en appel de la SARL Centrale Moulin Neuf est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la SARL Centrale Moulin Neuf est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SARL Centrale Moulin Neuf et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 juin 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, et M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat ; Mme Airelle Niepce, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 28 juillet 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :
Signé : Mme Airelle Niepce

La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse