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Ariane Web: Conseil d'État 455477, lecture du 22 juillet 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:455477.20220722

Décision n° 455477
22 juillet 2022
Conseil d'État

N° 455477
ECLI:FR:CECHR:2022:455477.20220722
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Bruno Delsol, rapporteur
Mme Esther de Moustier, rapporteur public


Lecture du vendredi 22 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le numéro 455477, par une ordonnance n° 2113295 du 10 août 2021, enregistrée le 11 août au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par l'association Défense de la langue française.

Par cette requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris le 23 juin 2021, et par un mémoire en réplique, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 13 juin 2022, l'association Défense de la langue française demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande tendant à la suppression des traductions en langue anglaise des rubriques de la nouvelle carte nationale d'identité ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de faire supprimer ces traductions ou, à défaut, de prévoir des traductions en deux langues ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le numéro 455486, par une ordonnance n° 2113752 du 10 août 2021, enregistrée le 11 août au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par l'association Francophonie Avenir.

Par cette requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2021, et par un mémoire en réplique, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 20 janvier 2022, l'association Francophonie Avenir demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande tendant à la suppression des traductions en langue anglaise dans la nouvelle carte nationale d'identité ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de faire supprimer ces traductions ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son article 2 ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) 2019/1157 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 ;
- la loi n° 94-665 du 4 août 1994 ;
- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 ;
- le décret n° 2021-279 du 13 mars 2021 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme A... de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de l'association Francophonie Avenir ;



Considérant ce qui suit :

1. L'association Défense de la langue française et l'association Francophonie Avenir demandent l'annulation pour excès de pouvoir des décisions implicites par lesquelles le ministre de l'intérieur a rejeté leurs demandes, en date respectivement des 7 avril et 20 mars 2021, tendant à la suppression des traductions en langue anglaise qui figurent sur les nouvelles cartes nationales d'identité. Il y a lieu de joindre leurs requêtes pour statuer par une même décision.

2. Le point 2 du préambule du règlement n° 2019/1157 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relatif au renforcement de la sécurité des cartes d'identité des citoyens de l'Union et des documents de séjour délivrés aux citoyens de l'Union et aux membres de leur famille exerçant leur droit à la libre circulation rappelle que " La liberté de circulation implique le droit de sortir d'un État membre ou d'y entrer avec une carte d'identité ou un passeport en cours de validité ". Aux termes de l'article 3 de ce règlement : " 1. Les cartes d'identité délivrées par les Etats membres sont de format ID-1 et comportent une zone lecture automatique (ZLA). Ces cartes d'identité sont établies suivant les spécifications et les normes minimales de sécurité définies dans le document 9303 de [l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI)] (...) 3. Le document porte le titre " Carte d'identité " ou un autre intitulé national reconnu dans la ou les langues officielles de l'Etat membre de délivrance, ainsi que les mots " Carte d'identité " dans au moins une autre langue officielle des institutions de l'Union ". Aux termes du point 3.3 de la partie 3 du document de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) auquel renvoie l'article 3 du règlement, " les désignations peuvent être dans la langue officielle de l'Etat émetteur. (...) Si la langue officielle de l'Etat émetteur (...) est le français, l'anglais ou l'espagnol, l'Etat émetteur (...) devrait employer une des deux autres langues pour imprimer la langue de désignation (...) ".

3. En premier lieu, il ressort des éléments versés au dossier que le Premier ministre a fait le choix, pour l'application du règlement 2019/1157 et du document de l'OACI auquel il renvoie, d'une traduction en anglais du titre et des désignations de la nouvelle carte nationale d'identité, décision révélée par les courriers des 13 mai 2022 qu'il a adressés aux associations requérantes en leur confirmant " le choix de retenir l'usage du français et de l'anglais pour les rubriques obligatoires de la nouvelle carte d'identité " ainsi que le refus opposé à leur demande d'abrogation. Si ce choix de traduction n'est pas mentionné par le décret du 13 mars 2021 portant diverses dispositions relatives à la carte nationale d'identité et au traitement de données à caractère personnel dénommé " titres électroniques sécurisés ", aucune disposition n'imposait qu'il figure dans ce décret.

4. En deuxième lieu, l'article 2 de la Constitution dispose que " La langue de la République est le français ". Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel, si l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public et si les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage, l'article 2 de la Constitution n'interdit pas, en tout état de cause, l'utilisation de traductions. Il ne fait ainsi pas obstacle à ce que le titre et les désignations des rubriques qui figurent en français sur la carte nationale d'identité, laquelle permet notamment de voyager et d'entrer dans tout Etat membre de l'Union européenne, soient accompagnées de leur traduction dans une ou plusieurs langues étrangères.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française : " Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. / Elle est la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics. / (...) ". Son article 2 rend l'emploi de la langue française obligatoire " dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances ". Aux termes de son article 3 : " Toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun et destinée à l'information du public doit être formulée en langue française (...) " et de son article 4 : " Lorsque des inscriptions ou annonces visées à l'article précédent, apposées ou faites par des personnes morales de droit public ou des personnes privées exerçant une mission de service public font l'objet de traductions, celles-ci sont au moins au nombre de deux (...) ". D'une part, ces dispositions de la loi du 4 août 1994 n'interdisent, en tout état de cause, pas que figurent sur la carte nationale d'identité qui, ainsi qu'il a été dit au point 4, est un document permettant aux citoyens français notamment de voyager dans les pays de l'Union européenne, une traduction des désignations de ses rubriques. D'autre part, l'article 4 de cette loi, qui prévoit que les traductions sont au moins au nombre de deux, ne concerne en tout état de cause que les inscriptions ou annonces apposées ou faites sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun et destinées à l'information du public.

6. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes des associations Défense de la langue française et Francophonie Avenir doivent être rejetées, y compris leurs conclusions à fin d'injonction et leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association Francophonie Avenir et la requête de l'association Défense de la langue française sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Francophonie Avenir, à l'association Défense de la langue française, à la Première ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.