Conseil d'État
N° 436692
ECLI:FR:CECHR:2022:436692.20220721
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Joachim Bendavid, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats
Lecture du jeudi 21 juillet 2022
Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 12 décembre 2019, le 29 janvier 2021 et les 7 avril, 18 juin et 29 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Redcore demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née le 14 octobre 2019 du silence gardé par le ministre de l'intérieur sur sa demande d'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 relatif au classement de certaines armes et munitions en application du B de l'article 2 et du (a) de l'article 5 du décret n° 95-589 du 6 mai 1995 modifié relatif à l'application du décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'abroger cette disposition dans un délai d'un mois ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2012-304 du 6 mars 2012 ;
- le décret n° 2022-144 du 8 février 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Une séance orale d'instruction a été tenue par la 5ème chambre le 16 mai 2022.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 juillet 2022, présentée par la société Redcore.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Joachim Bendavid, auditeur,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Verney-carron.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 311-2 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction applicable : " Conformément aux dispositions de l'article L. 2331-1 du code de la défense, les matériels de guerre, armes, munitions et leurs éléments désignés par le présent titre sont classés dans les catégories suivantes : / 1° Catégorie A : matériels de guerre et armes interdits à l'acquisition et à la détention (...) ; / 2° Catégorie B : armes soumises à autorisation pour l'acquisition et la détention ; / 3° Catégorie C : armes soumises à déclaration pour l'acquisition et la détention ; / 4° Catégorie D : armes et matériels de guerre dont l'acquisition et la détention sont libres. / (...) / En vue de préserver la sécurité et l'ordre publics, le classement prévu aux 1° à 4° est fondé sur la dangerosité des matériels de guerre et des armes. (...) ". Aux termes de l'article R. 311-2 du même code, dans sa rédaction applicable, issue du décret du 8 février 2022 relatif au compte individualisé des détenteurs d'armes dans le système d'information sur les armes ainsi qu'à la sécurisation et à la simplification des procédures relatives aux armes : " Les matériels de guerre, armes, munitions et éléments désignés par le présent titre sont classés dans les catégories suivantes : / I. - Armes de catégorie A : Les matériels de guerre et armes interdits à l'acquisition et à la détention qui relèvent de la catégorie A sont les suivants : / (...) / Rubrique 2 : Les armes relevant des matériels de guerre, les matériels destinés à porter ou à utiliser au combat les armes à feu, les matériels de protection contre les gaz de combat, qui sont classés en catégorie A2, sont les suivants : / (...) / 4° Canons, obusiers, mortiers, lance-roquettes et lance-grenades, de tous calibres, lance-projectiles et systèmes de projection spécifiquement destinés à l'usage militaire ou au maintien de l'ordre, ainsi que leurs tourelles, affûts, bouches à feu, tubes de lancement, lanceurs à munition intégrée, culasses, traîneaux, freins et récupérateurs ; / 5° Munitions et éléments de munitions pour les armes énumérées au 4° ; / (...) / 18° Armes ou type d'armes, matériels ou type de matériels présentant des caractéristiques techniques équivalentes classés dans cette catégorie pour des raisons d'ordre public ou de sécurité nationale définies par arrêté conjoint des ministres de la défense, de l'intérieur et des ministres chargés des douanes et de l'industrie ". En vertu du II du même article, les armes de catégorie B qui sont soumises à autorisation pour l'acquisition et la détention, sont les suivantes : " (...) / 3° Armes à feu fabriquées pour tirer une balle ou plusieurs projectiles non métalliques et munitions classées dans cette catégorie par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des douanes ; / (...) ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article R. 311-3 du même code, dans sa rédaction applicable : " Les mesures de classement des armes dans les catégories définies à l'article R. 311-2, autres que celles prévues par arrêtés interministériels, sont prises par le ministre de l'intérieur, à l'exclusion de celles des armes et matériels de guerre de la catégorie A2, prises par le ministre de la défense ". Le second alinéa de cet article prévoit que la décision de classement intervient préalablement à la mise sur le marché de l'arme.
2. L'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 relatif au classement de certaines armes et munitions, pris sur le fondement des dispositions de l'article R. 311-3 du code de la sécurité intérieure cité ci-dessus, dispose que : " Sont classés au 3° de la catégorie B : / - les systèmes d'armes fabriqués et commercialisés par la société Alsetex sous les appellations " Cougar " et " Chouka " ainsi que leurs munitions de calibre 56 mm tirant une balle ou plusieurs projectiles non métalliques, à l'exception des grenades à effet uniquement lacrymogène ; / - les armes de calibre 44 mm fabriquées et commercialisées par la société Verney-Carron sous l'appellation " Flash-Ball Pro " dans ses deux versions " Super Pro " et " Mono Pro " ; / - les munitions à projectile non métallique commercialisées par la société Verney-Carron sous les appellations 44/83 et 44/83 P à étui plastique noir ou aluminium comportant soit une balle ou des chevrotines en caoutchouc souple, soit une balle contenant une substance colorante ou lacrymogène ". La société Redcore demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé d'abroger ces dispositions.
Sur la compétence du Conseil d'Etat :
3. La décision par laquelle le ministre de l'intérieur ou le ministre de la défense procède au classement d'une arme dans l'une des catégories définies à l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure présente un caractère réglementaire. Par suite, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, le Conseil d'Etat est compétent, en vertu du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, pour statuer en premier et dernier ressort sur la requête de la société Redcore.
Sur la recevabilité de la requête :
4. Contrairement à ce que soutiennent le ministre de l'intérieur et la société Verney-Carron, la société Redcore, qui fabrique et commercialise des armes de force intermédiaire, dites non létales, telles que celles concernées par les mesures réglementaires contestées, justifie d'un intérêt suffisamment direct et certain lui donnant qualité pour demander l'annulation du refus d'abrogation de l'arrêté du 30 avril 2001.
Sur la légalité du refus d'abrogation :
5. Il résulte des dispositions des articles L. 311-2 et R. 311-2 du code de la sécurité intérieure citées au point 1 que le classement qu'elles prévoient est fondé, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 6 mars 2012 relative à l'établissement d'un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif, sur la dangerosité des matériels de guerre, armes et munitions et peut légalement reposer à ce titre sur la puissance de l'arme, les usages auxquels elle a vocation à servir et les risques qui s'attachent à son utilisation. Saisi d'une demande d'annulation du refus de l'autorité compétente d'abroger une mesure de classement, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la dangerosité de l'arme en tenant compte des circonstances de fait existant à la date à laquelle il statue et liées à son emploi.
En ce qui concerne les armes fabriquées et commercialisées par la société Verney-Carron :
6. Il ressort des pièces du dossier ainsi que des échanges intervenus lors de la séance orale d'instruction qui s'est tenue le 16 mai 2022, d'une part, que le " Flash-Ball Pro " fabriqué et commercialisé par la société Verney-Carron ne doit pas être regardé, contrairement à ce que soutient la société Redcore, comme une arme spécifiquement destinée au maintien de l'ordre au sens des dispositions citées ci-dessus du 4° de la rubrique 2 du I de l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure mais comme une arme que ses caractéristiques destinent à la protection rapprochée des forces de l'ordre à des fins de légitime défense. Il en ressort également, d'autre part, que la puissance de cette arme, qui ne dispose pas d'un canon rayé, mais lisse, et dont les munitions les plus dangereuses avec lesquelles elle est susceptible d'être utilisée, creuses et en caoutchouc souple, ne sont pas de nature, en principe, à causer des lésions graves ou permanentes, diminue rapidement avec la distance de tir, ainsi qu'en attestent les mesures effectuées lors de tests de tirs du lanceur et de ses munitions 44/83 et 44/83 P. Par ailleurs, la circonstance que le " Flash-Ball Pro " ait été à l'origine entre 2005 et 2014, année ayant précédé son retrait de la dotation des forces de la police nationale afin de le remplacer par une arme plus puissante classée en catégorie A, de plusieurs incidents parfois graves, si elle doit être prise en compte dans l'appréciation portée sur sa dangerosité, elle s'explique cependant largement, ainsi qu'il ressort des rapports du Défenseur des droits du 28 mai 2013 et de l'Inspection générale de la police nationale du 19 août 2014, par son utilisation pour des usages auxquels il n'avait pas vocation à servir. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'usage du " Flash-Ball Pro " actuellement en dotation dans certaines unités de police municipale y aurait été à l'origine d'incidents graves. Il résulte de ces éléments que le ministre de l'intérieur, en refusant de procéder à l'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 en tant qu'il classe le " Flash-Ball Pro " et ses munitions 44/83 et 44/83 P en catégorie B3, n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 1.
En ce qui concerne les armes fabriquées et commercialisées par la société Alsetex :
7. Il ressort des pièces du dossier que, compte tenu de leur dangerosité, les lanceurs de grenades " Cougar " et " Chouka " commercialisés par la société Alsetex et leurs munitions de calibre 56 mm, qui sont spécifiquement destinés au maintien de l'ordre, relèvent respectivement, ainsi que l'ont reconnu le ministre de l'intérieur et la société Alsetex au cours des échanges intervenus lors de la séance orale d'instruction qui s'est tenue le 16 mai 2022, des 4° et 5° de la catégorie A2. Par suite, en refusant de procéder à l'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 en tant qu'il classe cette arme et ces munitions en catégorie B3, le ministre de l'intérieur a fait une inexacte application des dispositions citées au point 1.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Redcore est seulement fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque dans la limite indiquée au point 7.
9. L'annulation prononcée implique nécessairement que le ministre de l'intérieur abroge l'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 en tant qu'il classe les lanceurs " Cougar " et " Chouka " et leurs munitions de calibre 56 mm en catégorie B3. Il y a donc lieu, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'ordonner l'abrogation de ces dispositions dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Redcore au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu également, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette société une somme de 3 000 euros à verser à la société Verney-Caron au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1 : La décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé d'abroger l'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 relatif au classement de certaines armes et munitions en application du B de l'article 2 et du (a) de l'article 5 du décret du 6 mai 1995 modifié relatif à l'application du décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions en tant qu'il classe les lanceurs " Cougar " et " Chouka " et leurs munitions de calibre 56 mm en catégorie B3 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de prononcer, dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, l'abrogation mentionnée à l'article 1er.
Article 3 : L'Etat versera à la société Redcore la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La société Redcore versera à la société Verney-Caron la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Redcore est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Redcore, à la société Verney-Carron, à la société Alsetex, au ministre des armées et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 juillet 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat ; Mme Isabelle de Silva, présente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et M. Joachim Bendavid, auditeur-rapporteur.
Rendu le 21 juillet 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Joachim Bendavid
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras
N° 436692
ECLI:FR:CECHR:2022:436692.20220721
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Joachim Bendavid, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats
Lecture du jeudi 21 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 12 décembre 2019, le 29 janvier 2021 et les 7 avril, 18 juin et 29 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Redcore demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née le 14 octobre 2019 du silence gardé par le ministre de l'intérieur sur sa demande d'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 relatif au classement de certaines armes et munitions en application du B de l'article 2 et du (a) de l'article 5 du décret n° 95-589 du 6 mai 1995 modifié relatif à l'application du décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'abroger cette disposition dans un délai d'un mois ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2012-304 du 6 mars 2012 ;
- le décret n° 2022-144 du 8 février 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Une séance orale d'instruction a été tenue par la 5ème chambre le 16 mai 2022.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 juillet 2022, présentée par la société Redcore.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Joachim Bendavid, auditeur,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Verney-carron.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 311-2 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction applicable : " Conformément aux dispositions de l'article L. 2331-1 du code de la défense, les matériels de guerre, armes, munitions et leurs éléments désignés par le présent titre sont classés dans les catégories suivantes : / 1° Catégorie A : matériels de guerre et armes interdits à l'acquisition et à la détention (...) ; / 2° Catégorie B : armes soumises à autorisation pour l'acquisition et la détention ; / 3° Catégorie C : armes soumises à déclaration pour l'acquisition et la détention ; / 4° Catégorie D : armes et matériels de guerre dont l'acquisition et la détention sont libres. / (...) / En vue de préserver la sécurité et l'ordre publics, le classement prévu aux 1° à 4° est fondé sur la dangerosité des matériels de guerre et des armes. (...) ". Aux termes de l'article R. 311-2 du même code, dans sa rédaction applicable, issue du décret du 8 février 2022 relatif au compte individualisé des détenteurs d'armes dans le système d'information sur les armes ainsi qu'à la sécurisation et à la simplification des procédures relatives aux armes : " Les matériels de guerre, armes, munitions et éléments désignés par le présent titre sont classés dans les catégories suivantes : / I. - Armes de catégorie A : Les matériels de guerre et armes interdits à l'acquisition et à la détention qui relèvent de la catégorie A sont les suivants : / (...) / Rubrique 2 : Les armes relevant des matériels de guerre, les matériels destinés à porter ou à utiliser au combat les armes à feu, les matériels de protection contre les gaz de combat, qui sont classés en catégorie A2, sont les suivants : / (...) / 4° Canons, obusiers, mortiers, lance-roquettes et lance-grenades, de tous calibres, lance-projectiles et systèmes de projection spécifiquement destinés à l'usage militaire ou au maintien de l'ordre, ainsi que leurs tourelles, affûts, bouches à feu, tubes de lancement, lanceurs à munition intégrée, culasses, traîneaux, freins et récupérateurs ; / 5° Munitions et éléments de munitions pour les armes énumérées au 4° ; / (...) / 18° Armes ou type d'armes, matériels ou type de matériels présentant des caractéristiques techniques équivalentes classés dans cette catégorie pour des raisons d'ordre public ou de sécurité nationale définies par arrêté conjoint des ministres de la défense, de l'intérieur et des ministres chargés des douanes et de l'industrie ". En vertu du II du même article, les armes de catégorie B qui sont soumises à autorisation pour l'acquisition et la détention, sont les suivantes : " (...) / 3° Armes à feu fabriquées pour tirer une balle ou plusieurs projectiles non métalliques et munitions classées dans cette catégorie par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des douanes ; / (...) ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article R. 311-3 du même code, dans sa rédaction applicable : " Les mesures de classement des armes dans les catégories définies à l'article R. 311-2, autres que celles prévues par arrêtés interministériels, sont prises par le ministre de l'intérieur, à l'exclusion de celles des armes et matériels de guerre de la catégorie A2, prises par le ministre de la défense ". Le second alinéa de cet article prévoit que la décision de classement intervient préalablement à la mise sur le marché de l'arme.
2. L'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 relatif au classement de certaines armes et munitions, pris sur le fondement des dispositions de l'article R. 311-3 du code de la sécurité intérieure cité ci-dessus, dispose que : " Sont classés au 3° de la catégorie B : / - les systèmes d'armes fabriqués et commercialisés par la société Alsetex sous les appellations " Cougar " et " Chouka " ainsi que leurs munitions de calibre 56 mm tirant une balle ou plusieurs projectiles non métalliques, à l'exception des grenades à effet uniquement lacrymogène ; / - les armes de calibre 44 mm fabriquées et commercialisées par la société Verney-Carron sous l'appellation " Flash-Ball Pro " dans ses deux versions " Super Pro " et " Mono Pro " ; / - les munitions à projectile non métallique commercialisées par la société Verney-Carron sous les appellations 44/83 et 44/83 P à étui plastique noir ou aluminium comportant soit une balle ou des chevrotines en caoutchouc souple, soit une balle contenant une substance colorante ou lacrymogène ". La société Redcore demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé d'abroger ces dispositions.
Sur la compétence du Conseil d'Etat :
3. La décision par laquelle le ministre de l'intérieur ou le ministre de la défense procède au classement d'une arme dans l'une des catégories définies à l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure présente un caractère réglementaire. Par suite, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, le Conseil d'Etat est compétent, en vertu du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, pour statuer en premier et dernier ressort sur la requête de la société Redcore.
Sur la recevabilité de la requête :
4. Contrairement à ce que soutiennent le ministre de l'intérieur et la société Verney-Carron, la société Redcore, qui fabrique et commercialise des armes de force intermédiaire, dites non létales, telles que celles concernées par les mesures réglementaires contestées, justifie d'un intérêt suffisamment direct et certain lui donnant qualité pour demander l'annulation du refus d'abrogation de l'arrêté du 30 avril 2001.
Sur la légalité du refus d'abrogation :
5. Il résulte des dispositions des articles L. 311-2 et R. 311-2 du code de la sécurité intérieure citées au point 1 que le classement qu'elles prévoient est fondé, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 6 mars 2012 relative à l'établissement d'un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif, sur la dangerosité des matériels de guerre, armes et munitions et peut légalement reposer à ce titre sur la puissance de l'arme, les usages auxquels elle a vocation à servir et les risques qui s'attachent à son utilisation. Saisi d'une demande d'annulation du refus de l'autorité compétente d'abroger une mesure de classement, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la dangerosité de l'arme en tenant compte des circonstances de fait existant à la date à laquelle il statue et liées à son emploi.
En ce qui concerne les armes fabriquées et commercialisées par la société Verney-Carron :
6. Il ressort des pièces du dossier ainsi que des échanges intervenus lors de la séance orale d'instruction qui s'est tenue le 16 mai 2022, d'une part, que le " Flash-Ball Pro " fabriqué et commercialisé par la société Verney-Carron ne doit pas être regardé, contrairement à ce que soutient la société Redcore, comme une arme spécifiquement destinée au maintien de l'ordre au sens des dispositions citées ci-dessus du 4° de la rubrique 2 du I de l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure mais comme une arme que ses caractéristiques destinent à la protection rapprochée des forces de l'ordre à des fins de légitime défense. Il en ressort également, d'autre part, que la puissance de cette arme, qui ne dispose pas d'un canon rayé, mais lisse, et dont les munitions les plus dangereuses avec lesquelles elle est susceptible d'être utilisée, creuses et en caoutchouc souple, ne sont pas de nature, en principe, à causer des lésions graves ou permanentes, diminue rapidement avec la distance de tir, ainsi qu'en attestent les mesures effectuées lors de tests de tirs du lanceur et de ses munitions 44/83 et 44/83 P. Par ailleurs, la circonstance que le " Flash-Ball Pro " ait été à l'origine entre 2005 et 2014, année ayant précédé son retrait de la dotation des forces de la police nationale afin de le remplacer par une arme plus puissante classée en catégorie A, de plusieurs incidents parfois graves, si elle doit être prise en compte dans l'appréciation portée sur sa dangerosité, elle s'explique cependant largement, ainsi qu'il ressort des rapports du Défenseur des droits du 28 mai 2013 et de l'Inspection générale de la police nationale du 19 août 2014, par son utilisation pour des usages auxquels il n'avait pas vocation à servir. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'usage du " Flash-Ball Pro " actuellement en dotation dans certaines unités de police municipale y aurait été à l'origine d'incidents graves. Il résulte de ces éléments que le ministre de l'intérieur, en refusant de procéder à l'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 en tant qu'il classe le " Flash-Ball Pro " et ses munitions 44/83 et 44/83 P en catégorie B3, n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 1.
En ce qui concerne les armes fabriquées et commercialisées par la société Alsetex :
7. Il ressort des pièces du dossier que, compte tenu de leur dangerosité, les lanceurs de grenades " Cougar " et " Chouka " commercialisés par la société Alsetex et leurs munitions de calibre 56 mm, qui sont spécifiquement destinés au maintien de l'ordre, relèvent respectivement, ainsi que l'ont reconnu le ministre de l'intérieur et la société Alsetex au cours des échanges intervenus lors de la séance orale d'instruction qui s'est tenue le 16 mai 2022, des 4° et 5° de la catégorie A2. Par suite, en refusant de procéder à l'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 en tant qu'il classe cette arme et ces munitions en catégorie B3, le ministre de l'intérieur a fait une inexacte application des dispositions citées au point 1.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Redcore est seulement fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque dans la limite indiquée au point 7.
9. L'annulation prononcée implique nécessairement que le ministre de l'intérieur abroge l'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 en tant qu'il classe les lanceurs " Cougar " et " Chouka " et leurs munitions de calibre 56 mm en catégorie B3. Il y a donc lieu, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'ordonner l'abrogation de ces dispositions dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Redcore au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu également, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette société une somme de 3 000 euros à verser à la société Verney-Caron au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1 : La décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé d'abroger l'article 1er de l'arrêté du 30 avril 2001 relatif au classement de certaines armes et munitions en application du B de l'article 2 et du (a) de l'article 5 du décret du 6 mai 1995 modifié relatif à l'application du décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions en tant qu'il classe les lanceurs " Cougar " et " Chouka " et leurs munitions de calibre 56 mm en catégorie B3 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de prononcer, dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, l'abrogation mentionnée à l'article 1er.
Article 3 : L'Etat versera à la société Redcore la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La société Redcore versera à la société Verney-Caron la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Redcore est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Redcore, à la société Verney-Carron, à la société Alsetex, au ministre des armées et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 juillet 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat ; Mme Isabelle de Silva, présente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et M. Joachim Bendavid, auditeur-rapporteur.
Rendu le 21 juillet 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Joachim Bendavid
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras