Conseil d'État
N° 461694
ECLI:FR:CESEC:2022:461694.20220603
Publié au recueil Lebon
Section
M. Bruno Delsol, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
Lecture du vendredi 3 juin 2022
Vu les procédures suivantes :
1° Sous les n°s 461694 et 461695, par un jugement n° 2105520 - 2105521 du 17 février 2022, enregistré le 18 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Versailles, avant de statuer sur les demandes de La Cimade, du Syndicat des avocats de France, de la Ligue des droits de l'homme, du Groupe d'information et de soutien des immigrés, de l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers et du Secours catholique tendant à l'annulation des décisions du préfet des Yvelines et du préfet de l'Essonne rendant obligatoire, pour certaines demandes de titre de séjour, la saisine de l'administration par voie électronique pour obtenir un rendez-vous ou déposer la demande, à l'annulation des décisions implicites par lesquelles les mêmes préfets ont rejeté leurs demandes tendant à la mise en oeuvre de modalités alternatives, et à ce qu'il leur soit enjoint de proposer aux usagers des modalités alternatives, a décidé, par application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre les dossiers de ces demandes au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) Un module dématérialisé de prise de rendez-vous en préfecture ou une saisine de l'administration par courriel à une adresse internet dédiée en vue du dépôt de demandes de titres de séjour, constituent-ils des téléservices au sens des dispositions de l'article 1er de l'ordonnance du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives '
2°) A supposer que cela soit le cas, de tels téléservices entrent-ils dans le champ des dispositions de l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Saisine par voie électronique de l'administration " (SVE) ou dans celui de l'article 1er du décret du 27 mai 2016 autorisant les téléservices tendant à la mise en oeuvre du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique '
3°) Si ces téléservices n'entrent pas dans le champ de l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015, ces procédures dématérialisées de prise de rendez-vous sont-elles détachables des procédures de demandes de titres de séjour ou d'actes pour la délivrance desquels la prise de rendez-vous est sollicitée '
Des observations, enregistrées le 22 avril 2022, ont été présentées par le ministre de l'intérieur.
2° Sous le n° 461922, par un jugement n° 2104333 du 25 février 2022, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Montreuil, avant de statuer sur la demande de La Cimade, du Syndicat des avocats de France, de la Ligue des droits de l'homme, du Groupe d'information et de soutien des immigrés, de l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers et du Secours catholique, tendant à l'annulation des décisions par lesquelles le préfet de la Seine-Saint-Denis a créé un téléservice et rendu obligatoire son utilisation pour obtenir un rendez-vous et déposer certaines demandes concernant la situation des étrangers, à l'annulation de la décision par laquelle il a refusé de proposer des modalités alternatives, et à ce qu'il lui soit enjoint de supprimer ce téléservice, de le rendre conforme aux dispositions légales et réglementaires et de proposer aux usagers des modalités alternatives, a décidé, par application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) a) La prise de rendez-vous en ligne en vue de se voir convoquer par l'autorité administrative pour faire enregistrer une demande présente-t-elle le caractère d'une démarche ou d'une formalité administrative et, en conséquence, d'un téléservice, au sens des dispositions de l'article 1er de l'ordonnance du 8 décembre 2005 '
b) En outre, le dépôt de pièces sur une plateforme en ligne en vue de la présentation d'une demande présente-t-il le caractère d'une démarche ou d'une formalité administrative et, en conséquence, d'un téléservice, au sens des mêmes dispositions '
2°) Dans le cas où les premières questions appelleraient une réponse positive, l'administration peut-elle légalement mettre en place un téléservice en l'absence de fondement législatif ou réglementaire et rendre obligatoire son usage '
Des observations, enregistrées le 22 avril 2022, ont été présentées par le ministre de l'intérieur.
....................................................................................
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 ;
- l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 ;
- le décret n° 2015-1423 du 5 novembre 2015 ;
- le décret n° 2016-685 du 27 mai 2016 ;
- le décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 ;
- l'arrêté du 23 décembre 2015 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Saisine par voie électronique de l'administration " (SVE) ;
- l'arrêté 27 avril 2021 pris en application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif aux titres de séjour dont la demande s'effectue au moyen d'un téléservice ;
- le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
REND L'AVIS SUIVANT :
1. Le tribunal administratif de Versailles et le tribunal administratif de Montreuil, avant de statuer sur des demandes tendant à l'annulation de décisions préfectorales imposant aux étrangers qui sollicitent certaines catégories de titres de séjour de saisir l'administration par la voie électronique pour obtenir un rendez-vous ou déposer certaines pièces, ont transmis au Conseil d'Etat des demandes d'avis, sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative. Les deux tribunaux soumettent au Conseil d'Etat la question de savoir, en premier lieu, si de tels services constituent des " téléservices " au sens de l'article 1er de l'ordonnance du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives. Le tribunal administratif de Versailles demande, en deuxième lieu, si, dans l'affirmative, ces téléservices entrent dans le champ de l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Saisine par voie électronique de l'administration " (SVE) ou dans celui de l'article 1er du décret du 27 mai 2016 autorisant les téléservices tendant à la mise en oeuvre du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique. En troisième lieu, le tribunal administratif de Montreuil demande si l'administration peut, sans y être habilitée par un texte législatif ou règlementaire, créer de tels téléservices et rendre leur usage obligatoire. Enfin, le tribunal administratif de Versailles demande, dans l'éventualité où les procédures dématérialisées de demandes de rendez-vous ne rentreraient pas dans le champ de l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015, si elles sont détachables des procédures de demandes de titres. Il y a lieu de joindre ces questions pour qu'elles fassent l'objet d'un même avis.
Sur le cadre juridique applicable :
En ce qui concerne les dispositions relatives aux demandes de titres de séjour :
2. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vigueur jusqu'au 30 avril 2021 : " Tout étranger, âgé de plus de dix-huit ans ou qui sollicite un titre de séjour en application de l'article L. 311-3, est tenu de se présenter, à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour y souscrire une demande de titre de séjour du type correspondant à la catégorie à laquelle il appartient. / Toutefois, le préfet peut prescrire que les demandes de titre de séjour soient déposées au commissariat de police ou, à défaut de commissariat, à la mairie de la résidence du requérant. / Le préfet peut également prescrire : / 1° Que les demandes de titre de séjour appartenant aux catégories qu'il détermine soient adressées par voie postale ; / 2° Que les demandes de cartes de séjour prévues aux articles L. 313-7 et L. 313-27 soient déposées auprès des établissements d'enseignement ayant souscrit à cet effet une convention avec l'Etat. (...) ".
3. Le décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour a modifié notamment les dispositions réglementaires du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la délivrance des titres de séjour. Son article R. 431-2, dans sa rédaction issue de ce décret, prévoit désormais que, pour les catégories de titres de séjour figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l'immigration, les demandes s'effectuent au moyen d'un téléservice à compter de la date fixée par le même arrêté.
4. En revanche, en vertu de l'article R. 431-3 du même code, également issu du décret du 24 mars 2021, la demande de titre de séjour, lorsqu'elle ne relève pas de l'obligation de recourir au téléservice prévue à l'article R. 431-2, " est effectuée à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture. / Le préfet peut également prescrire que les demandes de titre de séjour appartenant aux catégories qu'il détermine soient adressées par voie postale ".
5. Les dispositions de l'article R. 311-1 ne faisaient pas obstacle, et celles de l'article R. 431-3 ne font pas davantage obstacle aujourd'hui, à ce que le préfet permette aux étrangers concernés de demander un rendez-vous en préfecture par voie électronique. En revanche, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, le préfet, s'il pouvait autoriser le dépôt de pièces par la voie électronique, ne pouvait déroger à l'obligation de présentation personnelle de l'étranger dans un des services énumérés à l'article R. 311-1 précité pour effectuer sa demande. De même, à compter de l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, et pour les demandes qui ne relèvent pas du téléservice créé par l'article R. 431-2, il peut autoriser le dépôt de pièces par la voie électronique, mais sans déroger à l'obligation de présentation personnelle de l'étranger dans un des services mentionnés à l'article R. 431-3 pour effectuer sa demande.
En ce qui concerne les dispositions relatives aux téléservices :
6. En premier lieu, aux termes du II de l'article 1er de l'ordonnance du 8 décembre 2005 : " Sont considérés, au sens de la présente ordonnance : / 1° Comme système d'information, tout ensemble de moyens destinés à élaborer, traiter, stocker ou transmettre des informations faisant l'objet d'échanges par voie électronique entre autorités administratives et usagers ainsi qu'entre autorités administratives ; (...) / 4° Comme téléservice, tout système d'information permettant aux usagers de procéder par voie électronique à des démarches ou formalités administratives ".
7. Il résulte de ces dispositions que doit être regardé comme un téléservice au sens de cette ordonnance, non seulement un système permettant à un usager de procéder par voie électronique à l'intégralité d'une démarche ou formalité administrative, mais aussi un système destiné à recevoir, par voie électronique et dans le cadre d'une telle démarche ou formalité, une demande de rendez-vous ou un dépôt de pièces.
8. En deuxième lieu, l'article L. 112-8 du code des relations entre le public et l'administration, relatif au droit de saisir l'administration par voie électronique, dispose que, sous certaines conditions, toute personne peut adresser à une administration, par voie électronique, une demande, une déclaration, un document ou une information, ou lui répondre par la même voie, et que l'administration est ainsi régulièrement saisie. L'article L. 112-9 prévoit notamment que " lorsqu'elle met en place un ou plusieurs téléservices, l'administration rend accessibles leurs modalités d'utilisation, notamment les modes de communication possibles. Ces modalités s'imposent au public. / Lorsqu'elle a mis en place un téléservice réservé à l'accomplissement de certaines démarches administratives, une administration n'est régulièrement saisie par voie électronique que par l'usage de ce téléservice ". Aux termes de l'article L. 112-10 : " L'application des articles L. 112-8 et L. 112-9 à certaines démarches administratives peut être écartée, par décret en Conseil d'Etat, pour des motifs d'ordre public, de défense et de sécurité nationale, de bonne administration, ou lorsque la présence personnelle du demandeur apparaît nécessaire ".
9. Le décret du 5 novembre 2015 relatif aux exceptions à l'application du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique (ministère de l'intérieur), qui a été pris sur le fondement de l'article L. 112-10 du code des relations entre le public et l'administration, prévoyait, dans sa rédaction initiale, que les dispositions des articles L. 112-8 et L. 112-9 du même code ne s'appliquaient pas aux démarches ayant pour objet les documents de séjour et titres de voyage. Ce décret a été modifié par l'article 9 du décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour, mentionné au point 3. Le décret du 5 novembre 2015 prévoit désormais que les exceptions à l'application du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique ne concernent pas les demandes de titres de séjour figurant sur la liste fixée par l'arrêté prévu par l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. Il en résulte que les étrangers ne pouvaient en aucun cas, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, se prévaloir d'un droit à la saisine de l'administration par voie électronique pour demander un rendez-vous ou déposer des pièces en vue de l'obtention de documents de séjour ou de titres de voyage. Ils ne peuvent, depuis l'entrée en vigueur de ce texte, se prévaloir d'un tel droit que pour les demandes de titres de séjour entrant dans le champ d'application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, c'est-à-dire celles figurant sur la liste fixée par l'arrêté prévu par cet article.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 27 mai 2016 autorisant les téléservices tendant à la mise en oeuvre du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique : " Les services de l'Etat et les établissements publics à caractère administratif de l'Etat sont autorisés, par le présent acte réglementaire unique, à créer des téléservices destinés à la mise en oeuvre du droit des usagers à les saisir par voie électronique tel qu'il résulte des articles L. 112-8 et suivants du code des relations entre le public et l'administration. (...). " Il résulte de ces dispositions que cette autorisation ne s'applique pas aux téléservices exclus du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique.
12. En dernier lieu, les dispositions relatives au droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique, et notamment celles du décret du 5 novembre 2015, n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet, ni pour effet, d'interdire à l'administration de mettre des téléservices à la disposition des usagers pour les démarches administratives qui sont exclues de ce droit.
En ce qui concerne les dispositions relatives à la protection des données personnelles :
13. Jusqu'au 24 mai 2018, le II de l'article 27 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés disposait que : " Sont autorisés par arrêté ou, en cas de traitement opéré pour le compte d'un établissement public ou d'une personne morale de droit privé gérant un service public, par décision de l'organe délibérant chargé de leur organisation, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés : / (...) / 4° Les traitements mis en oeuvre par l'Etat ou les personnes morales mentionnées au I aux fins de mettre à la disposition des usagers de l'administration un ou plusieurs téléservices de l'administration électronique, si ces traitements portent sur des données parmi lesquelles figurent le numéro d'inscription des personnes au répertoire national d'identification ou tout autre identifiant des personnes physiques ". En vertu de l'article 11 de la loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, entré en vigueur le 25 mai 2018, qui avait notamment pour objet d'adapter la loi du 6 janvier 1978 au règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, dit " A... ", ces exigences, et notamment celle tenant à l'intervention d'un arrêté, ont cessé d'être applicables. A compter de cette date, les traitements mis en oeuvre pour mettre des téléservices à la disposition des usagers doivent être conformes au A... et à la loi du 6 janvier 1978 dans sa version applicable ou, si besoin, mis en conformité.
Sur la qualification juridique des procédures imposant aux étrangers qui sollicitent certaines catégories de titres de séjour de saisir l'administration par la voie électronique pour obtenir un rendez-vous ou de déposer certaines pièces en ligne :
14. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que les services permettant aux demandeurs de titre de séjour, par la voie électronique, de solliciter un rendez-vous en préfecture et, le cas échéant, de déposer les pièces nécessaires à l'examen de leur demande constituent des " téléservices " au sens de l'article 1er de l'ordonnance du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives.
Sur la possibilité, pour les préfets, de créer des téléservices en vue de faciliter le dépôt des demandes de titre de séjour et de rendre leur usage obligatoire :
En ce qui concerne l'application du décret du 27 mai 2016 autorisant les téléservices tendant à la mise en oeuvre du droit des usages de saisir l'administration par voie électronique :
15. Il résulte de ce qui été dit aux points 10 et 11 que les téléservices destinés à traiter les demandes de titres de séjour qui n'entrent pas dans le champ d'application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne relèvent pas du droit des usagers à saisir les administrations par voie électronique. Par suite, le décret du 27 mai 2016 ne constitue pas la base juridique des décisions préfectorales prévoyant, pour les démarches de ces étrangers, le recours à un téléservice et les préfets n'ont pas à se conformer à ses dispositions. Pour les demandes entrant dans le champ d'application de l'article R. 431-2, le fondement juridique du recours à un téléservice réside dans cet article.
En ce qui concerne la question de savoir si les préfets peuvent, sans y être habilités par un texte législatif ou règlementaire, créer un téléservice destiné à la prise de rendez-vous et au dépôt de pièces en vue de la présentation d'une demande, et s'ils peuvent rendre obligatoire son usage :
16. Il appartient aux préfets, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous leur autorité. Ils peuvent ainsi prendre des dispositions relatives au dépôt des demandes qui leur sont adressées, dans la mesure où l'exige l'intérêt du service, dans le respect des règles ou principes supérieurs et dans la mesure où de telles règles n'y ont pas pourvu. Il en résulte que, sauf dispositions spéciales, les préfets peuvent créer des téléservices pour l'accomplissement de tout ou partie des démarches administratives des usagers.
17. Ils pouvaient ainsi, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, mettre à la disposition des étrangers des téléservices leur permettant de déposer des pièces, à condition de respecter l'exigence de présentation personnelle rappelée au point 5. Cette possibilité est maintenue, depuis l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, pour les demandes de titres de séjour qui ne relèvent pas du téléservice prévu par l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
18. En revanche, les obligations qui s'imposent aux étrangers quant aux modes de présentation de leurs demandes étaient fixées par les dispositions de l'article R. 311-1 du même code, rappelées au point 2, et sont aujourd'hui fixées par celles de ses articles R. 431-2 et R. 431-3, rappelées aux points 3 et 4. En particulier, l'obligation d'avoir recours à un téléservice résulte de l'article R. 431-2, et s'applique aux seules demandes entrant dans son champ d'application. Dans ces conditions, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, les préfets ne tenaient pas de leurs pouvoirs d'organisation de leurs services la compétence pour rendre l'emploi de téléservices obligatoire pour le traitement des demandes de titres de séjour et ne tiennent pas aujourd'hui de ces mêmes pouvoirs la compétence pour édicter une telle obligation pour les catégories de titres de séjour ne relevant pas désormais de l'article R. 431-2.
En ce qui concerne l'application de l'arrêté du 23 décembre 2015 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Saisine par voie électronique de l'administration " (SVE) :
19. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Saisine par voie électronique de l'administration " (SVE) : " Il est créé au ministère de l'intérieur un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " SVE " ayant pour finalité la mise à disposition d'un ou plusieurs téléservices. / Ce traitement automatisé permet aux usagers d'effectuer des démarches administratives dématérialisées en renseignant un formulaire de dépôt de demande d'information ou d'envoi de dossier lié à une démarche administrative, d'y joindre des pièces justificatives le cas échéant et de le transmettre aux services compétents de l'administration territoriale (...) ".
20. L'arrêté du 23 décembre 2015 a été pris pour satisfaire aux exigences, rappelées au point 13, qui résultaient du II de l'article 27, alors en vigueur, de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Les nouvelles dispositions de cette loi, entrées en vigueur le 25 mai 2018, n'ont toutefois pas eu pour effet de rendre illégal ou d'abroger l'arrêté du 23 décembre 2015. Les préfets pouvaient donc, pour les besoins des téléservices mis à la disposition des usagers, utiliser un traitement de données à caractère personnel sur la base de cet arrêté et ont toujours cette faculté, depuis le 25 mai 2018, sous réserve des règles propres au traitement de certaines données et dans le respect des dispositions du A... et de la loi du 6 janvier 1978. En revanche, l'article 1er du même arrêté dispose que " cette saisine de l'administration par voie électronique est facultative ". Lorsqu'un préfet utilise ce traitement, il ne saurait donc légalement rendre obligatoire sa saisine par voie électronique.
Sur la dernière question du tribunal administratif de Versailles :
21. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents, d'une part que les préfets peuvent autoriser les étrangers à prendre rendez-vous par voie électronique et, d'autre part, qu'ils peuvent utiliser à cette fin un traitement de données à caractère personnel dans les conditions rappelées et notamment sur la base de l'arrêté du 23 décembre 2015. Compte tenu des réponses ainsi apportées, il n'y a pas lieu de répondre à la dernière question posée par le tribunal administratif de Versailles et tendant, dans l'éventualité où les téléservices concernés ne rentreraient pas dans le champ de l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015, à savoir si les procédures dématérialisées de prise de rendez-vous sont détachables des procédures de demandes de titres de séjour ou d'actes pour la délivrance desquels la prise de rendez-vous est sollicitée.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Montreuil, au tribunal administratif de Versailles, à La Cimade, premier requérant dénommé, et au ministre de l'intérieur.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.
N° 461694
ECLI:FR:CESEC:2022:461694.20220603
Publié au recueil Lebon
Section
M. Bruno Delsol, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
Lecture du vendredi 3 juin 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
1° Sous les n°s 461694 et 461695, par un jugement n° 2105520 - 2105521 du 17 février 2022, enregistré le 18 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Versailles, avant de statuer sur les demandes de La Cimade, du Syndicat des avocats de France, de la Ligue des droits de l'homme, du Groupe d'information et de soutien des immigrés, de l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers et du Secours catholique tendant à l'annulation des décisions du préfet des Yvelines et du préfet de l'Essonne rendant obligatoire, pour certaines demandes de titre de séjour, la saisine de l'administration par voie électronique pour obtenir un rendez-vous ou déposer la demande, à l'annulation des décisions implicites par lesquelles les mêmes préfets ont rejeté leurs demandes tendant à la mise en oeuvre de modalités alternatives, et à ce qu'il leur soit enjoint de proposer aux usagers des modalités alternatives, a décidé, par application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre les dossiers de ces demandes au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) Un module dématérialisé de prise de rendez-vous en préfecture ou une saisine de l'administration par courriel à une adresse internet dédiée en vue du dépôt de demandes de titres de séjour, constituent-ils des téléservices au sens des dispositions de l'article 1er de l'ordonnance du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives '
2°) A supposer que cela soit le cas, de tels téléservices entrent-ils dans le champ des dispositions de l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Saisine par voie électronique de l'administration " (SVE) ou dans celui de l'article 1er du décret du 27 mai 2016 autorisant les téléservices tendant à la mise en oeuvre du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique '
3°) Si ces téléservices n'entrent pas dans le champ de l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015, ces procédures dématérialisées de prise de rendez-vous sont-elles détachables des procédures de demandes de titres de séjour ou d'actes pour la délivrance desquels la prise de rendez-vous est sollicitée '
Des observations, enregistrées le 22 avril 2022, ont été présentées par le ministre de l'intérieur.
2° Sous le n° 461922, par un jugement n° 2104333 du 25 février 2022, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Montreuil, avant de statuer sur la demande de La Cimade, du Syndicat des avocats de France, de la Ligue des droits de l'homme, du Groupe d'information et de soutien des immigrés, de l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers et du Secours catholique, tendant à l'annulation des décisions par lesquelles le préfet de la Seine-Saint-Denis a créé un téléservice et rendu obligatoire son utilisation pour obtenir un rendez-vous et déposer certaines demandes concernant la situation des étrangers, à l'annulation de la décision par laquelle il a refusé de proposer des modalités alternatives, et à ce qu'il lui soit enjoint de supprimer ce téléservice, de le rendre conforme aux dispositions légales et réglementaires et de proposer aux usagers des modalités alternatives, a décidé, par application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) a) La prise de rendez-vous en ligne en vue de se voir convoquer par l'autorité administrative pour faire enregistrer une demande présente-t-elle le caractère d'une démarche ou d'une formalité administrative et, en conséquence, d'un téléservice, au sens des dispositions de l'article 1er de l'ordonnance du 8 décembre 2005 '
b) En outre, le dépôt de pièces sur une plateforme en ligne en vue de la présentation d'une demande présente-t-il le caractère d'une démarche ou d'une formalité administrative et, en conséquence, d'un téléservice, au sens des mêmes dispositions '
2°) Dans le cas où les premières questions appelleraient une réponse positive, l'administration peut-elle légalement mettre en place un téléservice en l'absence de fondement législatif ou réglementaire et rendre obligatoire son usage '
Des observations, enregistrées le 22 avril 2022, ont été présentées par le ministre de l'intérieur.
....................................................................................
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 ;
- l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 ;
- le décret n° 2015-1423 du 5 novembre 2015 ;
- le décret n° 2016-685 du 27 mai 2016 ;
- le décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 ;
- l'arrêté du 23 décembre 2015 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Saisine par voie électronique de l'administration " (SVE) ;
- l'arrêté 27 avril 2021 pris en application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif aux titres de séjour dont la demande s'effectue au moyen d'un téléservice ;
- le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
REND L'AVIS SUIVANT :
1. Le tribunal administratif de Versailles et le tribunal administratif de Montreuil, avant de statuer sur des demandes tendant à l'annulation de décisions préfectorales imposant aux étrangers qui sollicitent certaines catégories de titres de séjour de saisir l'administration par la voie électronique pour obtenir un rendez-vous ou déposer certaines pièces, ont transmis au Conseil d'Etat des demandes d'avis, sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative. Les deux tribunaux soumettent au Conseil d'Etat la question de savoir, en premier lieu, si de tels services constituent des " téléservices " au sens de l'article 1er de l'ordonnance du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives. Le tribunal administratif de Versailles demande, en deuxième lieu, si, dans l'affirmative, ces téléservices entrent dans le champ de l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Saisine par voie électronique de l'administration " (SVE) ou dans celui de l'article 1er du décret du 27 mai 2016 autorisant les téléservices tendant à la mise en oeuvre du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique. En troisième lieu, le tribunal administratif de Montreuil demande si l'administration peut, sans y être habilitée par un texte législatif ou règlementaire, créer de tels téléservices et rendre leur usage obligatoire. Enfin, le tribunal administratif de Versailles demande, dans l'éventualité où les procédures dématérialisées de demandes de rendez-vous ne rentreraient pas dans le champ de l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015, si elles sont détachables des procédures de demandes de titres. Il y a lieu de joindre ces questions pour qu'elles fassent l'objet d'un même avis.
Sur le cadre juridique applicable :
En ce qui concerne les dispositions relatives aux demandes de titres de séjour :
2. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vigueur jusqu'au 30 avril 2021 : " Tout étranger, âgé de plus de dix-huit ans ou qui sollicite un titre de séjour en application de l'article L. 311-3, est tenu de se présenter, à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour y souscrire une demande de titre de séjour du type correspondant à la catégorie à laquelle il appartient. / Toutefois, le préfet peut prescrire que les demandes de titre de séjour soient déposées au commissariat de police ou, à défaut de commissariat, à la mairie de la résidence du requérant. / Le préfet peut également prescrire : / 1° Que les demandes de titre de séjour appartenant aux catégories qu'il détermine soient adressées par voie postale ; / 2° Que les demandes de cartes de séjour prévues aux articles L. 313-7 et L. 313-27 soient déposées auprès des établissements d'enseignement ayant souscrit à cet effet une convention avec l'Etat. (...) ".
3. Le décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour a modifié notamment les dispositions réglementaires du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la délivrance des titres de séjour. Son article R. 431-2, dans sa rédaction issue de ce décret, prévoit désormais que, pour les catégories de titres de séjour figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l'immigration, les demandes s'effectuent au moyen d'un téléservice à compter de la date fixée par le même arrêté.
4. En revanche, en vertu de l'article R. 431-3 du même code, également issu du décret du 24 mars 2021, la demande de titre de séjour, lorsqu'elle ne relève pas de l'obligation de recourir au téléservice prévue à l'article R. 431-2, " est effectuée à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture. / Le préfet peut également prescrire que les demandes de titre de séjour appartenant aux catégories qu'il détermine soient adressées par voie postale ".
5. Les dispositions de l'article R. 311-1 ne faisaient pas obstacle, et celles de l'article R. 431-3 ne font pas davantage obstacle aujourd'hui, à ce que le préfet permette aux étrangers concernés de demander un rendez-vous en préfecture par voie électronique. En revanche, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, le préfet, s'il pouvait autoriser le dépôt de pièces par la voie électronique, ne pouvait déroger à l'obligation de présentation personnelle de l'étranger dans un des services énumérés à l'article R. 311-1 précité pour effectuer sa demande. De même, à compter de l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, et pour les demandes qui ne relèvent pas du téléservice créé par l'article R. 431-2, il peut autoriser le dépôt de pièces par la voie électronique, mais sans déroger à l'obligation de présentation personnelle de l'étranger dans un des services mentionnés à l'article R. 431-3 pour effectuer sa demande.
En ce qui concerne les dispositions relatives aux téléservices :
6. En premier lieu, aux termes du II de l'article 1er de l'ordonnance du 8 décembre 2005 : " Sont considérés, au sens de la présente ordonnance : / 1° Comme système d'information, tout ensemble de moyens destinés à élaborer, traiter, stocker ou transmettre des informations faisant l'objet d'échanges par voie électronique entre autorités administratives et usagers ainsi qu'entre autorités administratives ; (...) / 4° Comme téléservice, tout système d'information permettant aux usagers de procéder par voie électronique à des démarches ou formalités administratives ".
7. Il résulte de ces dispositions que doit être regardé comme un téléservice au sens de cette ordonnance, non seulement un système permettant à un usager de procéder par voie électronique à l'intégralité d'une démarche ou formalité administrative, mais aussi un système destiné à recevoir, par voie électronique et dans le cadre d'une telle démarche ou formalité, une demande de rendez-vous ou un dépôt de pièces.
8. En deuxième lieu, l'article L. 112-8 du code des relations entre le public et l'administration, relatif au droit de saisir l'administration par voie électronique, dispose que, sous certaines conditions, toute personne peut adresser à une administration, par voie électronique, une demande, une déclaration, un document ou une information, ou lui répondre par la même voie, et que l'administration est ainsi régulièrement saisie. L'article L. 112-9 prévoit notamment que " lorsqu'elle met en place un ou plusieurs téléservices, l'administration rend accessibles leurs modalités d'utilisation, notamment les modes de communication possibles. Ces modalités s'imposent au public. / Lorsqu'elle a mis en place un téléservice réservé à l'accomplissement de certaines démarches administratives, une administration n'est régulièrement saisie par voie électronique que par l'usage de ce téléservice ". Aux termes de l'article L. 112-10 : " L'application des articles L. 112-8 et L. 112-9 à certaines démarches administratives peut être écartée, par décret en Conseil d'Etat, pour des motifs d'ordre public, de défense et de sécurité nationale, de bonne administration, ou lorsque la présence personnelle du demandeur apparaît nécessaire ".
9. Le décret du 5 novembre 2015 relatif aux exceptions à l'application du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique (ministère de l'intérieur), qui a été pris sur le fondement de l'article L. 112-10 du code des relations entre le public et l'administration, prévoyait, dans sa rédaction initiale, que les dispositions des articles L. 112-8 et L. 112-9 du même code ne s'appliquaient pas aux démarches ayant pour objet les documents de séjour et titres de voyage. Ce décret a été modifié par l'article 9 du décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour, mentionné au point 3. Le décret du 5 novembre 2015 prévoit désormais que les exceptions à l'application du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique ne concernent pas les demandes de titres de séjour figurant sur la liste fixée par l'arrêté prévu par l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. Il en résulte que les étrangers ne pouvaient en aucun cas, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, se prévaloir d'un droit à la saisine de l'administration par voie électronique pour demander un rendez-vous ou déposer des pièces en vue de l'obtention de documents de séjour ou de titres de voyage. Ils ne peuvent, depuis l'entrée en vigueur de ce texte, se prévaloir d'un tel droit que pour les demandes de titres de séjour entrant dans le champ d'application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, c'est-à-dire celles figurant sur la liste fixée par l'arrêté prévu par cet article.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 27 mai 2016 autorisant les téléservices tendant à la mise en oeuvre du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique : " Les services de l'Etat et les établissements publics à caractère administratif de l'Etat sont autorisés, par le présent acte réglementaire unique, à créer des téléservices destinés à la mise en oeuvre du droit des usagers à les saisir par voie électronique tel qu'il résulte des articles L. 112-8 et suivants du code des relations entre le public et l'administration. (...). " Il résulte de ces dispositions que cette autorisation ne s'applique pas aux téléservices exclus du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique.
12. En dernier lieu, les dispositions relatives au droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique, et notamment celles du décret du 5 novembre 2015, n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet, ni pour effet, d'interdire à l'administration de mettre des téléservices à la disposition des usagers pour les démarches administratives qui sont exclues de ce droit.
En ce qui concerne les dispositions relatives à la protection des données personnelles :
13. Jusqu'au 24 mai 2018, le II de l'article 27 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés disposait que : " Sont autorisés par arrêté ou, en cas de traitement opéré pour le compte d'un établissement public ou d'une personne morale de droit privé gérant un service public, par décision de l'organe délibérant chargé de leur organisation, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés : / (...) / 4° Les traitements mis en oeuvre par l'Etat ou les personnes morales mentionnées au I aux fins de mettre à la disposition des usagers de l'administration un ou plusieurs téléservices de l'administration électronique, si ces traitements portent sur des données parmi lesquelles figurent le numéro d'inscription des personnes au répertoire national d'identification ou tout autre identifiant des personnes physiques ". En vertu de l'article 11 de la loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, entré en vigueur le 25 mai 2018, qui avait notamment pour objet d'adapter la loi du 6 janvier 1978 au règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, dit " A... ", ces exigences, et notamment celle tenant à l'intervention d'un arrêté, ont cessé d'être applicables. A compter de cette date, les traitements mis en oeuvre pour mettre des téléservices à la disposition des usagers doivent être conformes au A... et à la loi du 6 janvier 1978 dans sa version applicable ou, si besoin, mis en conformité.
Sur la qualification juridique des procédures imposant aux étrangers qui sollicitent certaines catégories de titres de séjour de saisir l'administration par la voie électronique pour obtenir un rendez-vous ou de déposer certaines pièces en ligne :
14. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que les services permettant aux demandeurs de titre de séjour, par la voie électronique, de solliciter un rendez-vous en préfecture et, le cas échéant, de déposer les pièces nécessaires à l'examen de leur demande constituent des " téléservices " au sens de l'article 1er de l'ordonnance du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives.
Sur la possibilité, pour les préfets, de créer des téléservices en vue de faciliter le dépôt des demandes de titre de séjour et de rendre leur usage obligatoire :
En ce qui concerne l'application du décret du 27 mai 2016 autorisant les téléservices tendant à la mise en oeuvre du droit des usages de saisir l'administration par voie électronique :
15. Il résulte de ce qui été dit aux points 10 et 11 que les téléservices destinés à traiter les demandes de titres de séjour qui n'entrent pas dans le champ d'application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne relèvent pas du droit des usagers à saisir les administrations par voie électronique. Par suite, le décret du 27 mai 2016 ne constitue pas la base juridique des décisions préfectorales prévoyant, pour les démarches de ces étrangers, le recours à un téléservice et les préfets n'ont pas à se conformer à ses dispositions. Pour les demandes entrant dans le champ d'application de l'article R. 431-2, le fondement juridique du recours à un téléservice réside dans cet article.
En ce qui concerne la question de savoir si les préfets peuvent, sans y être habilités par un texte législatif ou règlementaire, créer un téléservice destiné à la prise de rendez-vous et au dépôt de pièces en vue de la présentation d'une demande, et s'ils peuvent rendre obligatoire son usage :
16. Il appartient aux préfets, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous leur autorité. Ils peuvent ainsi prendre des dispositions relatives au dépôt des demandes qui leur sont adressées, dans la mesure où l'exige l'intérêt du service, dans le respect des règles ou principes supérieurs et dans la mesure où de telles règles n'y ont pas pourvu. Il en résulte que, sauf dispositions spéciales, les préfets peuvent créer des téléservices pour l'accomplissement de tout ou partie des démarches administratives des usagers.
17. Ils pouvaient ainsi, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, mettre à la disposition des étrangers des téléservices leur permettant de déposer des pièces, à condition de respecter l'exigence de présentation personnelle rappelée au point 5. Cette possibilité est maintenue, depuis l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, pour les demandes de titres de séjour qui ne relèvent pas du téléservice prévu par l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
18. En revanche, les obligations qui s'imposent aux étrangers quant aux modes de présentation de leurs demandes étaient fixées par les dispositions de l'article R. 311-1 du même code, rappelées au point 2, et sont aujourd'hui fixées par celles de ses articles R. 431-2 et R. 431-3, rappelées aux points 3 et 4. En particulier, l'obligation d'avoir recours à un téléservice résulte de l'article R. 431-2, et s'applique aux seules demandes entrant dans son champ d'application. Dans ces conditions, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, les préfets ne tenaient pas de leurs pouvoirs d'organisation de leurs services la compétence pour rendre l'emploi de téléservices obligatoire pour le traitement des demandes de titres de séjour et ne tiennent pas aujourd'hui de ces mêmes pouvoirs la compétence pour édicter une telle obligation pour les catégories de titres de séjour ne relevant pas désormais de l'article R. 431-2.
En ce qui concerne l'application de l'arrêté du 23 décembre 2015 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Saisine par voie électronique de l'administration " (SVE) :
19. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Saisine par voie électronique de l'administration " (SVE) : " Il est créé au ministère de l'intérieur un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " SVE " ayant pour finalité la mise à disposition d'un ou plusieurs téléservices. / Ce traitement automatisé permet aux usagers d'effectuer des démarches administratives dématérialisées en renseignant un formulaire de dépôt de demande d'information ou d'envoi de dossier lié à une démarche administrative, d'y joindre des pièces justificatives le cas échéant et de le transmettre aux services compétents de l'administration territoriale (...) ".
20. L'arrêté du 23 décembre 2015 a été pris pour satisfaire aux exigences, rappelées au point 13, qui résultaient du II de l'article 27, alors en vigueur, de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Les nouvelles dispositions de cette loi, entrées en vigueur le 25 mai 2018, n'ont toutefois pas eu pour effet de rendre illégal ou d'abroger l'arrêté du 23 décembre 2015. Les préfets pouvaient donc, pour les besoins des téléservices mis à la disposition des usagers, utiliser un traitement de données à caractère personnel sur la base de cet arrêté et ont toujours cette faculté, depuis le 25 mai 2018, sous réserve des règles propres au traitement de certaines données et dans le respect des dispositions du A... et de la loi du 6 janvier 1978. En revanche, l'article 1er du même arrêté dispose que " cette saisine de l'administration par voie électronique est facultative ". Lorsqu'un préfet utilise ce traitement, il ne saurait donc légalement rendre obligatoire sa saisine par voie électronique.
Sur la dernière question du tribunal administratif de Versailles :
21. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents, d'une part que les préfets peuvent autoriser les étrangers à prendre rendez-vous par voie électronique et, d'autre part, qu'ils peuvent utiliser à cette fin un traitement de données à caractère personnel dans les conditions rappelées et notamment sur la base de l'arrêté du 23 décembre 2015. Compte tenu des réponses ainsi apportées, il n'y a pas lieu de répondre à la dernière question posée par le tribunal administratif de Versailles et tendant, dans l'éventualité où les téléservices concernés ne rentreraient pas dans le champ de l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015, à savoir si les procédures dématérialisées de prise de rendez-vous sont détachables des procédures de demandes de titres de séjour ou d'actes pour la délivrance desquels la prise de rendez-vous est sollicitée.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Montreuil, au tribunal administratif de Versailles, à La Cimade, premier requérant dénommé, et au ministre de l'intérieur.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.