Conseil d'État
N° 441351
ECLI:FR:CECHR:2022:441351.20220516
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Cédric Fraisseix, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public
Lecture du lundi 16 mai 2022
Vu les procédures suivantes :
I. Sous le n° 441351, par une requête enregistrée le 22 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Réseau " Sortir du nucléaire " et Greenpeace France demandent au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie en tant qu'il décide la prolongation de l'exploitation des réacteurs nucléaires français au-delà de leur quatrième visite décennale ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler ce décret dans son intégralité.
II. Sous le n° 441382, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 juin 2020, 22 septembre 2020 et 1er février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Fédération Environnement durable, Vent de colère !, Vieilles Maisons Françaises, Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, Contribuables associés, l'Association des écologistes pour le nucléaire et l'association Sauvons le climat demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, faite à Aarhus le 25 juin 1998 ;
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;
- le règlement (CE) n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 ;
- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 ;
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- le décret n° 2015-1229 du 2 octobre 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association Fédération Environnement durable et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 141-1 du code de l'énergie : " La programmation pluriannuelle de l'énergie, fixée par décret, définit les modalités d'action des pouvoirs publics pour la gestion de l'ensemble des formes d'énergie sur le territoire métropolitain continental, afin d'atteindre les objectifs définis aux articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 100-4 du présent code ainsi que par la loi prévue à l'article L. 100-1 A. Elle est compatible avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés dans le budget carbone mentionné à l'article L. 222-1 A du code de l'environnement, ainsi qu'avec la stratégie bas-carbone mentionnée à l'article L. 222-1 B du même code. La programmation pluriannuelle de l'énergie fait l'objet d'une synthèse pédagogique accessible au public ". Les articles L. 100-1 à L. 100-5 du code de l'énergie définissent les objectifs de la politique énergétique. En outre, l'article L. 141-2 du même code prévoit que la programmation pluriannuelle de l'énergie se fonde sur des scénarios de besoins énergétiques associés aux activités consommatrices d'énergie, reposant sur différentes hypothèses d'évolution de la démographie, de la situation économique, de la balance commerciale et d'efficacité énergétique. Elle contient des volets relatifs, notamment, à la sécurité d'approvisionnement, à l'amélioration de l'efficacité énergétique et à la baisse de la consommation d'énergie primaire, en particulier fossile, et au développement de l'exploitation des énergies renouvelables et de récupération. Aux termes des articles L. 141-3 et L. 141-4 du même code, elle couvre deux périodes successives de cinq ans. Elle fait l'objet d'une révision au moins tous les cinq ans pour deux périodes de cinq ans et, le cas échéant, les années restant à courir de la période pendant laquelle intervient la révision.
2. Par un décret du 21 avril 2020, le Premier ministre a fixé la programmation pluriannuelle de l'énergie pour la période 2019-2028. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, les associations Réseau " Sortir du nucléaire " et Greenpeace France, d'une part, et l'association Fédération Environnement durable et six autres associations, d'autre part, demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
Sur la requête des associations Réseau " Sortir du nucléaire " et Greenpeace France :
3. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 593-1 du code de l'environnement : " Les installations nucléaires de base énumérées à l'article L. 593-2 sont soumises au régime légal défini par les dispositions du présent chapitre et du chapitre VI du présent titre en raison des risques ou inconvénients qu'elles peuvent présenter pour la sécurité, la santé et la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l'environnement. (...) ". Aux termes de l'article L. 593-18 du même code : " L'exploitant d'une installation nucléaire de base procède périodiquement au réexamen de son installation en prenant en compte les meilleures pratiques internationales. / Ce réexamen doit permettre d'apprécier la situation de l'installation au regard des règles qui lui sont applicables et d'actualiser l'appréciation des risques ou inconvénients que l'installation présente pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1, en tenant compte notamment de l'état de l'installation, de l'expérience acquise au cours de l'exploitation, de l'évolution des connaissances et des règles applicables aux installations similaires. / Ces réexamens ont lieu tous les dix ans. Toutefois, le décret d'autorisation peut fixer une périodicité différente si les particularités de l'installation le justifient. (...) ". Aux termes de l'article L. 593-19 du même code : " L'exploitant adresse à l'Autorité de sûreté nucléaire et au ministre chargé de la sûreté nucléaire un rapport comportant les conclusions de l'examen prévu à l'article L. 593-18 et, le cas échéant, les dispositions qu'il envisage de prendre pour remédier aux anomalies constatées ou pour améliorer la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1. / Après analyse du rapport, l'Autorité de sûreté nucléaire peut imposer de nouvelles prescriptions techniques. Elle communique au ministre chargé de la sûreté nucléaire son analyse du rapport, ainsi que les prescriptions qu'elle prend. / Les dispositions proposées par l'exploitant lors des réexamens au-delà de la trente-cinquième année de fonctionnement d'un réacteur électronucléaire sont soumises, après enquête publique, à la procédure d'autorisation par l'Autorité de sûreté nucléaire mentionnée à l'article L. 593-15, sans préjudice de l'autorisation mentionnée au II de l'article L. 593-14 en cas de modification substantielle. Les prescriptions de l'Autorité de sûreté nucléaire comprennent des dispositions relatives au suivi régulier du maintien dans le temps des équipements importants pour la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1. Cinq ans après la remise du rapport de réexamen, l'exploitant remet un rapport intermédiaire sur l'état de ces équipements, au vu duquel l'Autorité de sûreté nucléaire complète éventuellement ses prescriptions ". En outre, les articles L. 593-20 à L. 593-23 du même code définissent les conditions dans lesquelles, en cas de menace ou de risque pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1, l'Autorité de sûreté nucléaire, le ministre chargé de la sûreté nucléaire ou le Premier ministre peut, selon les cas, prescrire des évaluations et la mise en oeuvre des dispositions rendues nécessaires, suspendre le fonctionnement de l'installation ou la mettre définitivement à l'arrêt afin d'assurer la protection de ces intérêts.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 122-4 du code de l'environnement, constituent des plans et programmes " les plans, schémas, programmes et autres documents de planification élaborés ou adoptés par l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements et les établissements publics en dépendant, ainsi que leur modification, dès lors qu'ils sont prévus par des dispositions législatives ou réglementaires, y compris ceux cofinancés par l'Union européenne ". Aux termes de l'article L. 122-1 du même code, constitue un projet " la réalisation de travaux de construction, d'installations ou d'ouvrages, ou d'autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l'exploitation des ressources du sol ".
5. Si le rapport annexé au décret attaqué pose un principe général de mise à l'arrêt de réacteurs du parc nucléaire français à l'échéance de leur cinquième visite décennale, cette orientation n'a, par elle-même, ni pour objet ni pour effet d'autoriser la prolongation de l'exploitation des réacteurs en cause au-delà de leur quatrième visite décennale, une telle prolongation étant soumise à l'autorisation de l'Autorité de sûreté nucléaire dans les conditions prévues notamment au dernier alinéa de l'article L. 593-19 du code de l'environnement précité. Par suite, les moyens d'irrégularité et d'erreur de droit tirés de ce que cette orientation, fixée par le rapport annexé au décret attaqué, révèlerait un projet au sens de l'article L. 122-1 du code de l'environnement précité, qui aurait dû faire l'objet, pour chacun des réacteurs concernés, d'une évaluation environnementale conforme aux exigences posées par la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, d'une évaluation d'incidences conforme aux exigences posées par la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages et d'une procédure d'information et de participation du public conforme aux exigences posées par la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement doivent être écartés.
6. En deuxième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 141-3 du code de l'énergie, la programmation pluriannuelle de l'énergie " définit les objectifs quantitatifs de la programmation et l'enveloppe maximale indicative des ressources publiques de l'Etat et de ses établissements publics mobilisées pour les atteindre. Cette enveloppe est fixée en engagements et en réalisations. Elle peut être répartie par objectif et par filière industrielle ". Si les associations requérantes font valoir que le rapport annexé au décret attaqué ne donne pas d'indications quant aux ressources publiques mobilisées pour le soutien à la filière nucléaire, contrairement à ce qui y est mentionné s'agissant des énergies renouvelables, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que ce rapport consacre un développement détaillé aux coûts de production de l'électricité nucléaire à la charge des exploitants et, d'autre part, qu'à la différence du secteur des énergies renouvelables, la programmation pluriannuelle de l'énergie ne prévoit pas d'affecter des ressources publiques à l'atteinte des objectifs qu'elle fixe en matière d'électricité nucléaire, leur financement relevant en principe de l'exploitant des centrales. Par suite, le moyen tiré de ce que le rapport annexé au décret attaqué méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 141-3 du code de l'énergie précitées doit être écarté.
7. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le rapport annexé au décret attaqué serait entaché d'une erreur de fait en ce qu'il indique que des investissements lourds seraient nécessaires pour permettre la poursuite de l'exploitation des réacteurs nucléaires au-delà de leur cinquième visite décennale, une telle mention n'impliquant nullement que de tels investissements ne seront pas nécessaires à l'issue de la quatrième visite décennale de ces réacteurs.
8. Enfin, ainsi qu'il a été dit précédemment, le rapport annexé au décret attaqué n'a ni pour objet ni pour effet d'autoriser la prolongation de l'exploitation des réacteurs du parc nucléaire français au-delà de leur quatrième visite décennale. Au surplus, et indépendamment de la procédure applicable aux réexamens décennaux, les articles L. 593-20 à L. 593-23 du code de l'environnement précités prévoient la possibilité pour l'autorité compétente, à tout moment, d'édicter des prescriptions, de suspendre le fonctionnement ou d'ordonner la mise à l'arrêt d'une installation nucléaire de base en cas de risque ou de menace pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 de ce code. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qui entacherait la décision de prolonger la durée d'exploitation des réacteurs composant le parc nucléaire français en raison des problèmes de sûreté que présente ce parc ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
Sur la requête des associations Fédération Environnement durable et autres :
9. En premier lieu, si l'article 1er du décret attaqué se borne à énoncer que " la programmation pluriannuelle de l'énergie est adoptée " sans en exposer la teneur, il est assorti de l'indication selon laquelle cette programmation peut être consultée sur le site internet du ministère de la transition écologique et solidaire, à l'adresse qu'il précise. Contrairement à ce qui est soutenu, cette modalité de publication, adaptée à la nature particulière des documents en cause, ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 141-1 du code de l'énergie exigeant que la programmation pluriannuelle de l'énergie soit " fixée par décret ".
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 122-4 du code de l'environnement, les plans et programmes élaborés, notamment, dans le domaine de l'énergie font l'objet d'une évaluation environnementale systématique. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 122-7 du même code : " La personne responsable de l'élaboration d'un plan ou d'un programme soumis à évaluation environnementale en application de l'article L. 122-4 transmet pour avis à l'autorité environnementale le projet de plan ou de programme accompagné du rapport sur les incidences environnementales ". Le IV de l'article R. 122-17 du même code prévoit que, pour les plans et programmes mentionnés au I de ce même article, parmi lesquels figure la programmation pluriannuelle de l'énergie prévue aux articles L. 141-1 à L. 141-5 du code de l'énergie, l'autorité environnementale est la formation d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable.
11. Il résulte de l'interprétation des dispositions de l'article 6 de la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement donnée par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt rendu le 20 octobre 2011 dans l'affaire C-474/10 que, si ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'autorité publique compétente pour élaborer et adopter un plan ou un programme soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu'une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le plan ou programme concerné.
12. Il résulte des dispositions du décret du 2 octobre 2015 relatif au Conseil général de l'environnement et du développement durable, dans sa version applicable au litige, et notamment de son article 11, d'une part, que si les membres de la formation d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable sont désignés parmi les membres permanents de ce dernier ou, pour un tiers au plus, parmi ses membres associés, par le ministre chargé de l'environnement, ils le sont sur proposition du vice-président formulée après concertation avec le commissaire général au développement durable et avis du bureau en raison de leurs compétences en matière d'environnement, et, d'autre part, que cette autorité environnementale dispose de services propres placés sous sa direction. Cette autorité doit donc être regardée, dans ces conditions, comme disposant d'une autonomie réelle, la mettant en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur les projets, plans et programmes qui lui sont soumis. Le moyen tiré de ce que l'avis rendu par l'Autorité environnementale sur l'évaluation environnementale stratégique de la programmation pluriannuelle de l'énergie ne l'aurait pas été par une autorité compétente pour ce faire doit, dès lors, être écarté.
13. En troisième lieu, le rapport annexé au décret attaqué présente les hypothèses et coûts budgétaires liés au soutien de la filière éolienne, en distinguant, d'une part, les coûts déjà engagés, correspondant aux appels d'offres attribués, aux contrats qui ont été signés avant le 31 décembre 2018 et aux projets pouvant bénéficier d'une obligation d'achat et, d'autre part, les coûts qui pourraient résulter de la mise en oeuvre des objectifs fixés par la programmation pluriannuelle de l'énergie en matière de développement de la filière éolienne en fonction des coûts prévisionnels des filières et des projections d'évolution du prix de vente de l'électricité produite par les énergies renouvelables. Contrairement à ce qui est soutenu, ces hypothèses et projections présentent, à ce stade, un caractère purement prévisionnel et ne sont pas de nature à engager des ressources d'Etat. Dès lors, les moyens tirés de ce que l'augmentation du niveau des aides liées au soutien de la filière éolienne prévue par le rapport annexé au décret attaqué imposait la notification de ce dernier à la Commission européenne, en application de l'article 4 du règlement de la Commission européenne du 21 avril 2004 disposant que l'augmentation de plus de 20 % du budget initial d'un régime d'aides existant constitue une modification de ce régime d'aides devant lui être notifiée, et de ce que le Premier ministre aurait méconnu les décisions C (2017) 3127 du 5 mai 2017 et C (2017) 6685 du 29 septembre 2017 par lesquelles la Commission européenne a approuvé le dispositif français de soutien à la filière éolienne, doivent être écartés.
14. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 122-6 du code de l'environnement : " L'évaluation environnementale comporte l'établissement d'un rapport qui identifie, décrit et évalue les effets notables que peut avoir la mise en oeuvre du plan ou du programme sur l'environnement ainsi que les solutions de substitution raisonnables tenant compte des objectifs et du champ d'application géographique du plan ou du programme. Ce rapport présente les mesures prévues pour éviter les incidences négatives notables que l'application du plan ou du programme peut entraîner sur l'environnement, les mesures prévues pour réduire celles qui ne peuvent être évitées et les mesures prévues pour compenser celles qui ne peuvent être évitées ni réduites. Il expose les autres solutions envisagées et les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue de la protection de l'environnement, le projet a été retenu. Il définit les critères, indicateurs et modalités retenus pour suivre les effets du plan ou du programme sur l'environnement afin d'identifier notamment, à un stade précoce, les impacts négatifs imprévus et envisager, si nécessaire, les mesures appropriées. / Le rapport sur les incidences environnementales contient les informations qui peuvent être raisonnablement exigées, compte tenu des connaissances et des méthodes d'évaluation existant à la date à laquelle est élaboré ou révisé le plan ou le programme, de son contenu et de son degré de précision et, le cas échéant, de l'existence d'autres plans ou programmes relatifs à tout ou partie de la même zone géographique ou de procédures d'évaluation environnementale prévues à un stade ultérieur ".
15. La circonstance que, dans l'avis qu'elle a rendu sur l'évaluation environnementale stratégique de la programmation pluriannuelle de l'énergie, l'Autorité environnementale ait relevé des insuffisances, notamment en matière d'indicateurs de suivi, et formulé des recommandations tendant à une meilleure explicitation des engagements pris pour la mise en oeuvre de cette programmation, s'agissant notamment de la qualification des impacts des éoliennes terrestres et marines sur l'environnement, n'est pas de nature, à elle seule, à établir que le décret attaqué serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
16. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que les scénarii et hypothèses macro-économiques sur lesquels a été établie la programmation pluriannuelle de l'énergie pour la période 2019-2028 seraient devenus, à la date à laquelle le décret attaqué a été adopté, obsolètes sous l'effet de la crise de la covid-19, les éléments produits par les requérantes concernant les premières semaines de la pandémie étant à cet égard insuffisants pour établir que la production et la consommation d'énergie en France pourraient être durablement affectés par les effets de cette crise. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait, pour ce motif, entaché d'une erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.
17. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 311-5-7 du code de l'énergie : " Tout exploitant produisant plus du tiers de la production nationale d'électricité établit un plan stratégique, qui présente les actions qu'il s'engage à mettre en oeuvre pour respecter les objectifs de sécurité d'approvisionnement et de diversification de la production d'électricité fixés dans la programmation pluriannuelle de l'énergie en application de l'article L. 141-3. / Ce plan propose, si besoin, les évolutions des installations de production d'électricité, en particulier d'origines nucléaire et thermique à flamme, nécessaires pour atteindre les objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie (...) ".
18. En outre, aux termes de l'article L. 593-26 du code de l'environnement, qui est relatif à l'arrêt définitif d'une installation nucléaire de base : " Lorsque l'exploitant prévoit d'arrêter définitivement le fonctionnement de son installation ou d'une partie de son installation, il le déclare au ministre chargé de la sûreté nucléaire et à l'Autorité de sûreté nucléaire. Il indique dans sa déclaration la date à laquelle cet arrêt doit intervenir et précise, en les justifiant, les opérations qu'il envisage de mener, compte tenu de cet arrêt et dans l'attente de l'engagement du démantèlement, pour réduire les risques ou inconvénients pour les intérêts protégés mentionnés à l'article L. 593-1. La déclaration est portée à la connaissance de la commission locale d'information prévue à l'article L. 125-17. Elle est mise à la disposition du public par voie électronique par l'exploitant. (...) ".
19. Si, aux termes du rapport annexé au décret attaqué, il est prévu, afin d'atteindre l'objectif de 50 % de la production d'électricité d'origine nucléaire d'ici 2035, de mettre à l'arrêt quatorze réacteurs nucléaires, dont ceux de la centrale de Fessenheim, d'ici 2035, il est précisé qu'il s'agit d'une orientation dont les modalités de mise en oeuvre devront être décidées de concert avec la société Electricité de France. Contrairement à ce qui est soutenu, ces dispositions du rapport annexé n'ont ni pour objet, ni pour effet d'empiéter sur les prérogatives reconnues à l'exploitant par l'article L. 311-5-7 du code de l'énergie précité, le plan stratégique que cet article impose à ce dernier d'établir ayant précisément pour objet de traduire les orientations fixées dans la programmation pluriannuelle de l'énergie, ni, en tout état de cause, de décider la mise à l'arrêt des réacteurs en cause, une telle mise à l'arrêt ne pouvant être mise en oeuvre que dans les conditions prévues par l'article L. 593-26 du code de l'environnement. Par suite, le moyen tiré de ce que l'auteur de la programmation pluriannuelle de l'énergie aurait excédé sa compétence en méconnaissance des prérogatives reconnues à l'exploitant par l'article L. 311-5-7 du code de l'énergie doit être écarté.
20. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'objectif d'une réduction de la part de l'énergie nucléaire dans le mix énergétique français à 59 % en 2028 tel que le prévoit le rapport annexé au décret attaqué, qui vise une mise en oeuvre par étapes de l'objectif d'une limitation de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2035 résultant des dispositions du 5° du I de l'article L. 100-4 du code de l'énergie, dispositions que les requérants ne contestent d'ailleurs pas, serait manifestement incompatible avec les objectifs, énoncés au même article et à l'article L. 100-1 du même code, de sécurité d'approvisionnement et de réduction de la dépendance aux importations, de réduction des émissions de gaz à effet de serre résultant de la production énergétique, de promotion d'une économie compétitive et riche en emplois et d'un droit d'accès de tous les ménages à l'énergie sans coût excessif. Par suite, les moyens tirés de ce que le décret attaqué serait pour ce motif entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
21. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir soulevées par la ministre de la transition écologique, que les associations Réseau " Sortir du nucléaire " et autre et les associations Fédération Environnement durable et autres ne sont pas fondées à demander l'annulation du décret qu'elles attaquent. Leurs requêtes doivent, par suite, être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes présentées par les associations Réseau " Sortir du nucléaire " et autre et par les associations Fédération Environnement durable et autres sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Réseau " Sortir du nucléaire ", représentante désignée pour l'ensemble des requérants sous le n° 441351, à l'association Fédération Environnement durable, représentante désignée pour l'ensemble des requérants sous le n° 441382, au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 avril 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Denis Piveteau, M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Jean-Philippe Mochon, Mme Suzanne von Coester, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 16 mai 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Cédric Fraisseix
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain
N° 441351
ECLI:FR:CECHR:2022:441351.20220516
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Cédric Fraisseix, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public
Lecture du lundi 16 mai 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
I. Sous le n° 441351, par une requête enregistrée le 22 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Réseau " Sortir du nucléaire " et Greenpeace France demandent au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie en tant qu'il décide la prolongation de l'exploitation des réacteurs nucléaires français au-delà de leur quatrième visite décennale ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler ce décret dans son intégralité.
II. Sous le n° 441382, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 juin 2020, 22 septembre 2020 et 1er février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Fédération Environnement durable, Vent de colère !, Vieilles Maisons Françaises, Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, Contribuables associés, l'Association des écologistes pour le nucléaire et l'association Sauvons le climat demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, faite à Aarhus le 25 juin 1998 ;
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;
- le règlement (CE) n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 ;
- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 ;
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- le décret n° 2015-1229 du 2 octobre 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association Fédération Environnement durable et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 141-1 du code de l'énergie : " La programmation pluriannuelle de l'énergie, fixée par décret, définit les modalités d'action des pouvoirs publics pour la gestion de l'ensemble des formes d'énergie sur le territoire métropolitain continental, afin d'atteindre les objectifs définis aux articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 100-4 du présent code ainsi que par la loi prévue à l'article L. 100-1 A. Elle est compatible avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés dans le budget carbone mentionné à l'article L. 222-1 A du code de l'environnement, ainsi qu'avec la stratégie bas-carbone mentionnée à l'article L. 222-1 B du même code. La programmation pluriannuelle de l'énergie fait l'objet d'une synthèse pédagogique accessible au public ". Les articles L. 100-1 à L. 100-5 du code de l'énergie définissent les objectifs de la politique énergétique. En outre, l'article L. 141-2 du même code prévoit que la programmation pluriannuelle de l'énergie se fonde sur des scénarios de besoins énergétiques associés aux activités consommatrices d'énergie, reposant sur différentes hypothèses d'évolution de la démographie, de la situation économique, de la balance commerciale et d'efficacité énergétique. Elle contient des volets relatifs, notamment, à la sécurité d'approvisionnement, à l'amélioration de l'efficacité énergétique et à la baisse de la consommation d'énergie primaire, en particulier fossile, et au développement de l'exploitation des énergies renouvelables et de récupération. Aux termes des articles L. 141-3 et L. 141-4 du même code, elle couvre deux périodes successives de cinq ans. Elle fait l'objet d'une révision au moins tous les cinq ans pour deux périodes de cinq ans et, le cas échéant, les années restant à courir de la période pendant laquelle intervient la révision.
2. Par un décret du 21 avril 2020, le Premier ministre a fixé la programmation pluriannuelle de l'énergie pour la période 2019-2028. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, les associations Réseau " Sortir du nucléaire " et Greenpeace France, d'une part, et l'association Fédération Environnement durable et six autres associations, d'autre part, demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
Sur la requête des associations Réseau " Sortir du nucléaire " et Greenpeace France :
3. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 593-1 du code de l'environnement : " Les installations nucléaires de base énumérées à l'article L. 593-2 sont soumises au régime légal défini par les dispositions du présent chapitre et du chapitre VI du présent titre en raison des risques ou inconvénients qu'elles peuvent présenter pour la sécurité, la santé et la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l'environnement. (...) ". Aux termes de l'article L. 593-18 du même code : " L'exploitant d'une installation nucléaire de base procède périodiquement au réexamen de son installation en prenant en compte les meilleures pratiques internationales. / Ce réexamen doit permettre d'apprécier la situation de l'installation au regard des règles qui lui sont applicables et d'actualiser l'appréciation des risques ou inconvénients que l'installation présente pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1, en tenant compte notamment de l'état de l'installation, de l'expérience acquise au cours de l'exploitation, de l'évolution des connaissances et des règles applicables aux installations similaires. / Ces réexamens ont lieu tous les dix ans. Toutefois, le décret d'autorisation peut fixer une périodicité différente si les particularités de l'installation le justifient. (...) ". Aux termes de l'article L. 593-19 du même code : " L'exploitant adresse à l'Autorité de sûreté nucléaire et au ministre chargé de la sûreté nucléaire un rapport comportant les conclusions de l'examen prévu à l'article L. 593-18 et, le cas échéant, les dispositions qu'il envisage de prendre pour remédier aux anomalies constatées ou pour améliorer la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1. / Après analyse du rapport, l'Autorité de sûreté nucléaire peut imposer de nouvelles prescriptions techniques. Elle communique au ministre chargé de la sûreté nucléaire son analyse du rapport, ainsi que les prescriptions qu'elle prend. / Les dispositions proposées par l'exploitant lors des réexamens au-delà de la trente-cinquième année de fonctionnement d'un réacteur électronucléaire sont soumises, après enquête publique, à la procédure d'autorisation par l'Autorité de sûreté nucléaire mentionnée à l'article L. 593-15, sans préjudice de l'autorisation mentionnée au II de l'article L. 593-14 en cas de modification substantielle. Les prescriptions de l'Autorité de sûreté nucléaire comprennent des dispositions relatives au suivi régulier du maintien dans le temps des équipements importants pour la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1. Cinq ans après la remise du rapport de réexamen, l'exploitant remet un rapport intermédiaire sur l'état de ces équipements, au vu duquel l'Autorité de sûreté nucléaire complète éventuellement ses prescriptions ". En outre, les articles L. 593-20 à L. 593-23 du même code définissent les conditions dans lesquelles, en cas de menace ou de risque pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1, l'Autorité de sûreté nucléaire, le ministre chargé de la sûreté nucléaire ou le Premier ministre peut, selon les cas, prescrire des évaluations et la mise en oeuvre des dispositions rendues nécessaires, suspendre le fonctionnement de l'installation ou la mettre définitivement à l'arrêt afin d'assurer la protection de ces intérêts.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 122-4 du code de l'environnement, constituent des plans et programmes " les plans, schémas, programmes et autres documents de planification élaborés ou adoptés par l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements et les établissements publics en dépendant, ainsi que leur modification, dès lors qu'ils sont prévus par des dispositions législatives ou réglementaires, y compris ceux cofinancés par l'Union européenne ". Aux termes de l'article L. 122-1 du même code, constitue un projet " la réalisation de travaux de construction, d'installations ou d'ouvrages, ou d'autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l'exploitation des ressources du sol ".
5. Si le rapport annexé au décret attaqué pose un principe général de mise à l'arrêt de réacteurs du parc nucléaire français à l'échéance de leur cinquième visite décennale, cette orientation n'a, par elle-même, ni pour objet ni pour effet d'autoriser la prolongation de l'exploitation des réacteurs en cause au-delà de leur quatrième visite décennale, une telle prolongation étant soumise à l'autorisation de l'Autorité de sûreté nucléaire dans les conditions prévues notamment au dernier alinéa de l'article L. 593-19 du code de l'environnement précité. Par suite, les moyens d'irrégularité et d'erreur de droit tirés de ce que cette orientation, fixée par le rapport annexé au décret attaqué, révèlerait un projet au sens de l'article L. 122-1 du code de l'environnement précité, qui aurait dû faire l'objet, pour chacun des réacteurs concernés, d'une évaluation environnementale conforme aux exigences posées par la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, d'une évaluation d'incidences conforme aux exigences posées par la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages et d'une procédure d'information et de participation du public conforme aux exigences posées par la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement doivent être écartés.
6. En deuxième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 141-3 du code de l'énergie, la programmation pluriannuelle de l'énergie " définit les objectifs quantitatifs de la programmation et l'enveloppe maximale indicative des ressources publiques de l'Etat et de ses établissements publics mobilisées pour les atteindre. Cette enveloppe est fixée en engagements et en réalisations. Elle peut être répartie par objectif et par filière industrielle ". Si les associations requérantes font valoir que le rapport annexé au décret attaqué ne donne pas d'indications quant aux ressources publiques mobilisées pour le soutien à la filière nucléaire, contrairement à ce qui y est mentionné s'agissant des énergies renouvelables, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que ce rapport consacre un développement détaillé aux coûts de production de l'électricité nucléaire à la charge des exploitants et, d'autre part, qu'à la différence du secteur des énergies renouvelables, la programmation pluriannuelle de l'énergie ne prévoit pas d'affecter des ressources publiques à l'atteinte des objectifs qu'elle fixe en matière d'électricité nucléaire, leur financement relevant en principe de l'exploitant des centrales. Par suite, le moyen tiré de ce que le rapport annexé au décret attaqué méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 141-3 du code de l'énergie précitées doit être écarté.
7. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le rapport annexé au décret attaqué serait entaché d'une erreur de fait en ce qu'il indique que des investissements lourds seraient nécessaires pour permettre la poursuite de l'exploitation des réacteurs nucléaires au-delà de leur cinquième visite décennale, une telle mention n'impliquant nullement que de tels investissements ne seront pas nécessaires à l'issue de la quatrième visite décennale de ces réacteurs.
8. Enfin, ainsi qu'il a été dit précédemment, le rapport annexé au décret attaqué n'a ni pour objet ni pour effet d'autoriser la prolongation de l'exploitation des réacteurs du parc nucléaire français au-delà de leur quatrième visite décennale. Au surplus, et indépendamment de la procédure applicable aux réexamens décennaux, les articles L. 593-20 à L. 593-23 du code de l'environnement précités prévoient la possibilité pour l'autorité compétente, à tout moment, d'édicter des prescriptions, de suspendre le fonctionnement ou d'ordonner la mise à l'arrêt d'une installation nucléaire de base en cas de risque ou de menace pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 de ce code. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qui entacherait la décision de prolonger la durée d'exploitation des réacteurs composant le parc nucléaire français en raison des problèmes de sûreté que présente ce parc ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
Sur la requête des associations Fédération Environnement durable et autres :
9. En premier lieu, si l'article 1er du décret attaqué se borne à énoncer que " la programmation pluriannuelle de l'énergie est adoptée " sans en exposer la teneur, il est assorti de l'indication selon laquelle cette programmation peut être consultée sur le site internet du ministère de la transition écologique et solidaire, à l'adresse qu'il précise. Contrairement à ce qui est soutenu, cette modalité de publication, adaptée à la nature particulière des documents en cause, ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 141-1 du code de l'énergie exigeant que la programmation pluriannuelle de l'énergie soit " fixée par décret ".
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 122-4 du code de l'environnement, les plans et programmes élaborés, notamment, dans le domaine de l'énergie font l'objet d'une évaluation environnementale systématique. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 122-7 du même code : " La personne responsable de l'élaboration d'un plan ou d'un programme soumis à évaluation environnementale en application de l'article L. 122-4 transmet pour avis à l'autorité environnementale le projet de plan ou de programme accompagné du rapport sur les incidences environnementales ". Le IV de l'article R. 122-17 du même code prévoit que, pour les plans et programmes mentionnés au I de ce même article, parmi lesquels figure la programmation pluriannuelle de l'énergie prévue aux articles L. 141-1 à L. 141-5 du code de l'énergie, l'autorité environnementale est la formation d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable.
11. Il résulte de l'interprétation des dispositions de l'article 6 de la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement donnée par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt rendu le 20 octobre 2011 dans l'affaire C-474/10 que, si ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'autorité publique compétente pour élaborer et adopter un plan ou un programme soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu'une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le plan ou programme concerné.
12. Il résulte des dispositions du décret du 2 octobre 2015 relatif au Conseil général de l'environnement et du développement durable, dans sa version applicable au litige, et notamment de son article 11, d'une part, que si les membres de la formation d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable sont désignés parmi les membres permanents de ce dernier ou, pour un tiers au plus, parmi ses membres associés, par le ministre chargé de l'environnement, ils le sont sur proposition du vice-président formulée après concertation avec le commissaire général au développement durable et avis du bureau en raison de leurs compétences en matière d'environnement, et, d'autre part, que cette autorité environnementale dispose de services propres placés sous sa direction. Cette autorité doit donc être regardée, dans ces conditions, comme disposant d'une autonomie réelle, la mettant en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur les projets, plans et programmes qui lui sont soumis. Le moyen tiré de ce que l'avis rendu par l'Autorité environnementale sur l'évaluation environnementale stratégique de la programmation pluriannuelle de l'énergie ne l'aurait pas été par une autorité compétente pour ce faire doit, dès lors, être écarté.
13. En troisième lieu, le rapport annexé au décret attaqué présente les hypothèses et coûts budgétaires liés au soutien de la filière éolienne, en distinguant, d'une part, les coûts déjà engagés, correspondant aux appels d'offres attribués, aux contrats qui ont été signés avant le 31 décembre 2018 et aux projets pouvant bénéficier d'une obligation d'achat et, d'autre part, les coûts qui pourraient résulter de la mise en oeuvre des objectifs fixés par la programmation pluriannuelle de l'énergie en matière de développement de la filière éolienne en fonction des coûts prévisionnels des filières et des projections d'évolution du prix de vente de l'électricité produite par les énergies renouvelables. Contrairement à ce qui est soutenu, ces hypothèses et projections présentent, à ce stade, un caractère purement prévisionnel et ne sont pas de nature à engager des ressources d'Etat. Dès lors, les moyens tirés de ce que l'augmentation du niveau des aides liées au soutien de la filière éolienne prévue par le rapport annexé au décret attaqué imposait la notification de ce dernier à la Commission européenne, en application de l'article 4 du règlement de la Commission européenne du 21 avril 2004 disposant que l'augmentation de plus de 20 % du budget initial d'un régime d'aides existant constitue une modification de ce régime d'aides devant lui être notifiée, et de ce que le Premier ministre aurait méconnu les décisions C (2017) 3127 du 5 mai 2017 et C (2017) 6685 du 29 septembre 2017 par lesquelles la Commission européenne a approuvé le dispositif français de soutien à la filière éolienne, doivent être écartés.
14. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 122-6 du code de l'environnement : " L'évaluation environnementale comporte l'établissement d'un rapport qui identifie, décrit et évalue les effets notables que peut avoir la mise en oeuvre du plan ou du programme sur l'environnement ainsi que les solutions de substitution raisonnables tenant compte des objectifs et du champ d'application géographique du plan ou du programme. Ce rapport présente les mesures prévues pour éviter les incidences négatives notables que l'application du plan ou du programme peut entraîner sur l'environnement, les mesures prévues pour réduire celles qui ne peuvent être évitées et les mesures prévues pour compenser celles qui ne peuvent être évitées ni réduites. Il expose les autres solutions envisagées et les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue de la protection de l'environnement, le projet a été retenu. Il définit les critères, indicateurs et modalités retenus pour suivre les effets du plan ou du programme sur l'environnement afin d'identifier notamment, à un stade précoce, les impacts négatifs imprévus et envisager, si nécessaire, les mesures appropriées. / Le rapport sur les incidences environnementales contient les informations qui peuvent être raisonnablement exigées, compte tenu des connaissances et des méthodes d'évaluation existant à la date à laquelle est élaboré ou révisé le plan ou le programme, de son contenu et de son degré de précision et, le cas échéant, de l'existence d'autres plans ou programmes relatifs à tout ou partie de la même zone géographique ou de procédures d'évaluation environnementale prévues à un stade ultérieur ".
15. La circonstance que, dans l'avis qu'elle a rendu sur l'évaluation environnementale stratégique de la programmation pluriannuelle de l'énergie, l'Autorité environnementale ait relevé des insuffisances, notamment en matière d'indicateurs de suivi, et formulé des recommandations tendant à une meilleure explicitation des engagements pris pour la mise en oeuvre de cette programmation, s'agissant notamment de la qualification des impacts des éoliennes terrestres et marines sur l'environnement, n'est pas de nature, à elle seule, à établir que le décret attaqué serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
16. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que les scénarii et hypothèses macro-économiques sur lesquels a été établie la programmation pluriannuelle de l'énergie pour la période 2019-2028 seraient devenus, à la date à laquelle le décret attaqué a été adopté, obsolètes sous l'effet de la crise de la covid-19, les éléments produits par les requérantes concernant les premières semaines de la pandémie étant à cet égard insuffisants pour établir que la production et la consommation d'énergie en France pourraient être durablement affectés par les effets de cette crise. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait, pour ce motif, entaché d'une erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.
17. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 311-5-7 du code de l'énergie : " Tout exploitant produisant plus du tiers de la production nationale d'électricité établit un plan stratégique, qui présente les actions qu'il s'engage à mettre en oeuvre pour respecter les objectifs de sécurité d'approvisionnement et de diversification de la production d'électricité fixés dans la programmation pluriannuelle de l'énergie en application de l'article L. 141-3. / Ce plan propose, si besoin, les évolutions des installations de production d'électricité, en particulier d'origines nucléaire et thermique à flamme, nécessaires pour atteindre les objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie (...) ".
18. En outre, aux termes de l'article L. 593-26 du code de l'environnement, qui est relatif à l'arrêt définitif d'une installation nucléaire de base : " Lorsque l'exploitant prévoit d'arrêter définitivement le fonctionnement de son installation ou d'une partie de son installation, il le déclare au ministre chargé de la sûreté nucléaire et à l'Autorité de sûreté nucléaire. Il indique dans sa déclaration la date à laquelle cet arrêt doit intervenir et précise, en les justifiant, les opérations qu'il envisage de mener, compte tenu de cet arrêt et dans l'attente de l'engagement du démantèlement, pour réduire les risques ou inconvénients pour les intérêts protégés mentionnés à l'article L. 593-1. La déclaration est portée à la connaissance de la commission locale d'information prévue à l'article L. 125-17. Elle est mise à la disposition du public par voie électronique par l'exploitant. (...) ".
19. Si, aux termes du rapport annexé au décret attaqué, il est prévu, afin d'atteindre l'objectif de 50 % de la production d'électricité d'origine nucléaire d'ici 2035, de mettre à l'arrêt quatorze réacteurs nucléaires, dont ceux de la centrale de Fessenheim, d'ici 2035, il est précisé qu'il s'agit d'une orientation dont les modalités de mise en oeuvre devront être décidées de concert avec la société Electricité de France. Contrairement à ce qui est soutenu, ces dispositions du rapport annexé n'ont ni pour objet, ni pour effet d'empiéter sur les prérogatives reconnues à l'exploitant par l'article L. 311-5-7 du code de l'énergie précité, le plan stratégique que cet article impose à ce dernier d'établir ayant précisément pour objet de traduire les orientations fixées dans la programmation pluriannuelle de l'énergie, ni, en tout état de cause, de décider la mise à l'arrêt des réacteurs en cause, une telle mise à l'arrêt ne pouvant être mise en oeuvre que dans les conditions prévues par l'article L. 593-26 du code de l'environnement. Par suite, le moyen tiré de ce que l'auteur de la programmation pluriannuelle de l'énergie aurait excédé sa compétence en méconnaissance des prérogatives reconnues à l'exploitant par l'article L. 311-5-7 du code de l'énergie doit être écarté.
20. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'objectif d'une réduction de la part de l'énergie nucléaire dans le mix énergétique français à 59 % en 2028 tel que le prévoit le rapport annexé au décret attaqué, qui vise une mise en oeuvre par étapes de l'objectif d'une limitation de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2035 résultant des dispositions du 5° du I de l'article L. 100-4 du code de l'énergie, dispositions que les requérants ne contestent d'ailleurs pas, serait manifestement incompatible avec les objectifs, énoncés au même article et à l'article L. 100-1 du même code, de sécurité d'approvisionnement et de réduction de la dépendance aux importations, de réduction des émissions de gaz à effet de serre résultant de la production énergétique, de promotion d'une économie compétitive et riche en emplois et d'un droit d'accès de tous les ménages à l'énergie sans coût excessif. Par suite, les moyens tirés de ce que le décret attaqué serait pour ce motif entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
21. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir soulevées par la ministre de la transition écologique, que les associations Réseau " Sortir du nucléaire " et autre et les associations Fédération Environnement durable et autres ne sont pas fondées à demander l'annulation du décret qu'elles attaquent. Leurs requêtes doivent, par suite, être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes présentées par les associations Réseau " Sortir du nucléaire " et autre et par les associations Fédération Environnement durable et autres sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Réseau " Sortir du nucléaire ", représentante désignée pour l'ensemble des requérants sous le n° 441351, à l'association Fédération Environnement durable, représentante désignée pour l'ensemble des requérants sous le n° 441382, au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 avril 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Denis Piveteau, M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Jean-Philippe Mochon, Mme Suzanne von Coester, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 16 mai 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Cédric Fraisseix
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain