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Ariane Web: Conseil d'État 448067, lecture du 15 décembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:448067.20211215

Décision n° 448067
15 décembre 2021
Conseil d'État

N° 448067
ECLI:FR:CECHR:2021:448067.20211215
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur
Mme Sophie Roussel, rapporteur public


Lecture du mercredi 15 décembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 448067, par une requête, un mémoire complémentaire et trois autres mémoires, enregistrés les 22 décembre 2020, 22 mars 2021, 3 septembre, 5 et 22 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Bouygues Télécom demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision, rendue publique par un communiqué de presse publié le 23 octobre 2020, par laquelle l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) a renoncé à demander une modification de l'avenant du 19 février 2020 au contrat d'itinérance entre les sociétés Free Mobile et Orange prolongeant son exécution pendant deux ans ;

2°) d'enjoindre à l'ARCEP de modifier, en application de l'article L. 34-8-1-1 du code des postes et des communications électroniques, le 9ème avenant au contrat d'itinérance passé entre les sociétés Free Mobile et Orange en précisant les conditions de son extinction définitive dans un délai maximum de trois mois à compter de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




2° Sous le n° 448101, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 décembre 2020, 23 mars 2021 et 18 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Société française du radiotéléphone (SFR) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision, rendue publique par un communiqué de presse publié le 23 octobre 2020, par laquelle l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse a renoncé à demander une modification de l'avenant du 19 février 2020 au contrat d'itinérance entre les sociétés Free Mobile et Orange prolongeant son exécution pendant deux ans ;

2°) d'enjoindre à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de réexaminer l'avenant au contrat d'itinérance entre les sociétés Free et Orange ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de commerce ;
- le code des postes et des communications électroniques ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteure publique,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Société française du radiotéléphone ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 novembre 2021, présentée par la société Bouygues Télécom ;




Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes des sociétés Bouygues Télécom et SFR sont dirigées contre la même décision et présentent à juger des questions similaires. Il y a dès lors lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision.

Sur le cadre juridique applicable au litige :

2. Aux termes de l'article L. 34-8-1-1 du code des postes et des communications électroniques : " Le partage des réseaux radioélectriques ouverts au public fait l'objet d'une convention de droit privé entre opérateurs titulaires d'une autorisation d'utilisation de fréquences radioélectriques pour établir et exploiter un réseau ouvert au public. Cette convention détermine les conditions techniques et financières de fourniture de la prestation, qui peut porter sur des éléments du réseau d'accès radioélectrique ou consister en l'accueil sur le réseau d'un des opérateurs de tout ou partie des clients de l'autre. / (...) / La convention est communiquée, dès sa conclusion, à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse. Lorsque l'autorité constate que cela est nécessaire à la réalisation des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 ou au respect des engagements souscrits au titre des autorisations d'utilisation de fréquences radioélectriques par les opérateurs parties à la convention, elle demande, après avis de l'Autorité de la concurrence, la modification des conventions déjà conclues, en précisant leur périmètre géographique, leur durée ou les conditions de leur extinction. / (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques : " I. - Dans les conditions prévues par les dispositions du présent code : / 1° Les activités de communications électroniques s'exercent librement, dans le respect des dispositions du présent livre, et sous réserve, le cas échéant, des autorisations prévues au titre II et par la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée ; / (...) / II. - Dans le cadre de leurs attributions respectives, le ministre chargé des communications électroniques et l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse prennent, dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées en vue d'atteindre les objectifs suivants : / (...) / 3° Le développement de l'investissement, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques ; / 4° L'aménagement et l'intérêt des territoires et la diversité de la concurrence dans les territoires ; / (...) / 8° Un niveau élevé de protection de l'environnement et de la santé, conjointement avec les ministres chargés de la santé et de l'environnement ; / (...) / III. - Dans le cadre de ses attributions et, le cas échéant, conjointement avec le ministre chargé des communications électroniques, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse prend, dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées en vue d'atteindre les objectifs suivants : / 1° L'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques (...) ; / 7° L'utilisation et la gestion efficaces des fréquences radioélectriques ; / (...) / 10° L'application du régime d'utilisation du spectre radioélectrique le plus approprié et le moins onéreux possible de manière à maximiser la flexibilité, le partage et l'efficacité dans l'utilisation du spectre radioélectrique. / IV. - Sans préjudice des objectifs définis aux II et III, le ministre chargé des communications électroniques et l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse veillent : / (...) / 2° A la promotion des investissements et de l'innovation dans les infrastructures améliorées et de nouvelle génération, en tenant compte, lorsqu'ils fixent des obligations en matière d'accès, du risque assumé par les entreprises qui investissent, et à autoriser des modalités de coopération entre les investisseurs et les personnes recherchant un accès, afin de diversifier le risque d'investissement dans le respect de la concurrence sur le marché et du principe de non-discrimination ; / (...) / 4° A la promotion, lorsque cela est approprié, d'une concurrence fondée sur les infrastructures. / (...) ".

Sur le litige :

4. En application des dispositions de l'article L. 34-8-1-1 du code des postes et des communications électroniques, les sociétés Free Mobile et Orange ont transmis, le 24 février 2020, à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), l'avenant qu'elles ont signé le 19 février 2020, qui prolonge jusqu'au 31 décembre 2022 le contrat conclu le 2 mars 2011 pour permettre l'itinérance des clients de la société Free Mobile sur les réseaux 2G et 3G de la société Orange. L'ARCEP a informé les acteurs du marché de l'existence de cet avenant et de ses principales caractéristiques et les a invités à présenter leurs commentaires. Les sociétés Bouygues Télécom et SFR demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de l'ARCEP de ne pas demander de modification de ce contrat, révélée par un communiqué de presse du 23 octobre 2020.

Sur l'office du juge :

5. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de l'ARCEP de ne pas demander la modification d'une convention de partage des réseaux radioélectriques ouverts au public en application de l'article L. 34-8-1-1 du code des postes et des communications électroniques réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'ARCEP, de procéder au réexamen de cette convention en vue de demander, le cas échéant, de telles modifications.

6. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation d'une décision de l'ARCEP de ne pas demander la modification d'une convention de partage de réseaux radioélectriques ouverts au public, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité d'un telle décision au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

7. En second lieu, dans l'hypothèse où il apparaît que la convention n'est plus en vigueur à la date à laquelle il statue, le juge de l'excès de pouvoir doit constater que le litige porté devant lui a perdu son objet.

Sur la légalité de la décision attaquée :

En ce qui concerne la légalité externe :

8. En premier lieu, il ressort des pièces produites par l'ARCEP que le moyen tiré de la méconnaissance des règles de quorum prévues à l'article L. 130 du code des postes et communications électroniques manque en fait.

9. En second lieu, la décision attaquée, qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est, en tout état de cause, suffisamment motivée.

En ce qui concerne la légalité interne :

10. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 34-8-1-1 du code des postes et des communications électroniques, citées au point 2, que l'ARCEP n'est fondée à demander la modification d'une convention de partage de réseaux entre opérateurs que lorsqu'elle estime que cela est nécessaire à la réalisation des différents objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques ou au respect des engagements souscrits au titre des autorisations d'utilisation de fréquences radioélectriques par les opérateurs parties à la convention.

11. La seule circonstance que les conditions initiales, liées notamment à la qualité alors de nouvel entrant de Free Mobile sur le marché de la téléphonie mobile, ne disposant pas de fréquences 2G, qui avaient justifié que lui soit accordé un droit d'accès inscrit dans les autorisations 3G délivrées aux opérateurs existants, aux réseaux 2G de ces opérateurs, ne seraient plus réunies, n'impose pas que l'ARCEP intervienne en application des dispositions de l'article L. 34-8-1-1 pour demander qu'il soit mis fin à l'accord d'itinérance conclu avec Orange, dès lors que les conditions de cet accord sont par ailleurs compatibles avec la réalisation des objectifs de la régulation. En outre, il ne résulte ni des dispositions du code des postes et communications électroniques, ni des lignes directrices de l'ARCEP relatives au partage de réseaux mobiles publiées le 25 mai 2016, que les accords d'itinérance porteraient par nature atteinte à ces objectifs, au regard desquels ils doivent faire l'objet d'une analyse au cas par cas.

12. Il ressort des pièces des dossiers que l'avenant litigieux prolonge la période d'extinction de la convention d'itinérance en permettant aux clients de Free Mobile d'utiliser, jusqu'au 31 décembre 2022, le réseau 2G de la société Orange ainsi que son réseau 3G, sur l'ensemble du territoire national, avec des débits montants et descendants limités à 384 kbits, ce qui exclut leur utilisation dans des conditions concurrentielles pour le transfert de données. Cette prolongation s'accompagne du plafonnement de la capacité des liens d'interconnexion entre le réseau de Free Mobile et celui d'Orange pour l'écoulement du trafic en itinérance, et de l'introduction en 2022 d'un mécanisme financier incitant à la réduction du nombre de clients utilisant cette itinérance. En outre, il ressort des pièces des dossiers que la société Free Mobile a poursuivi le déploiement de son propre réseau 3G à un rythme soutenu, au-delà du dernier jalon posé par son autorisation d'utilisation de fréquence 3G, pour atteindre à la fin de 2020 un taux de couverture de 98 % de la population. La part du trafic de Free Mobile acheminée en itinérance est en constante baisse et ne représente plus que 1 % du trafic total de ses clients, ramené à une même unité de consommation de ressources radio, selon les dernières données disponibles de l'ARCEP. Enfin, il ressort des pièces du dossier, en particulier des taux de communications réussies sans perturbation audible figurant dans l'enquête annuelle d'évaluation de la qualité de service des opérateurs métropolitains réalisée par l'ARCEP, que ce contrat ne permet pas à Free Mobile de présenter une meilleure qualité de service voix que ses concurrents. Dans ces conditions, il ne ressort pas des éléments versés aux dossiers que, à la date de la présente décision, la prolongation jusqu'au 31 décembre 2022 de l'accord litigieux aurait des effets anticoncurrentiels sur le marché de la téléphonie mobile qui rendraient nécessaire l'intervention de l'ARCEP pour la réalisation des différents objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 de ce code, notamment pour permettre une concurrence effective et loyale entre fournisseurs ou la promotion, lorsque cela est approprié, d'une concurrence fondée sur les infrastructures. Il en résulte que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'ARCEP aurait commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation en s'abstenant d'intervenir sur le fondement de l'article L. 34-8-1-1 du code des postes et communications électroniques.

13. En second lieu, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, la décision litigieuse, par laquelle l'Autorité a décidé de ne pas demander la modification du contrat d'itinérance tel que résultant de l'avenant conclu en 2020 par les sociétés Free mobile et Orange, n'est pas de nature à porter atteinte aux principes de sécurité juridique et, en tout état de cause, de prévisibilité et de confiance légitime.

14. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation des sociétés Bouygues Télécom et SFR et, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des sociétés Bouygues Télécom et SFR la somme de 1 500 euros à verser à chacune des sociétés Free Mobile et Orange sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la société Bouygues Télécom et SFR sont rejetées.
Article 2 : Les sociétés Bouygues Télécom et SFR verseront, chacune, la somme de 1 500 euros à la société Free Mobile et la somme de 1 500 euros à la Société Orange sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Bouygues Télécom, à la Société française du radiotéléphone, à la société Free Mobile, à la société Orange et à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.


Voir aussi