Conseil d'État
N° 441397
ECLI:FR:CECHS:2021:441397.20211118
Inédit au recueil Lebon
10ème chambre
Mme Christelle Thomas, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats
Lecture du jeudi 18 novembre 2021
Vu la procédure suivante :
M. D... B... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 7 juin 2016 par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin à son statut de réfugié sur le fondement de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par une décision n° 17001480 du 28 février 2020, la Cour nationale du droit d'asile a annulé la décision de l'OFPRA.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 juin et 23 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'OFPRA demande au Conseil d'Etat d'annuler cette décision.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. D... B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 7 juin 2016, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a, sur le fondement du 2° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mis fin au statut de réfugié de M. B..., de nationalité russe et d'origine tchéchène. L'OFPRA se pourvoit en cassation contre la décision du 28 février 2020 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a annulé cette décision.
2. L'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 10 septembre 2018 applicable au litige, dispose que : " Le statut de réfugié est refusé ou il est mis fin à ce statut lorsque : (...) 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France, dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un Etat tiers figurant sur la liste, fixée par décret en Conseil d'Etat, des Etats dont la France reconnaît les législations et juridictions pénales au vu de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques générales soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société française ".
3. Il résulte des dispositions précitées du 2° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'il appartient à l'OFPRA et, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d'asile, d'une part, de vérifier si l'intéressé a fait l'objet de l'une des condamnations qu'elles visent et, d'autre part, d'apprécier si sa présence sur le territoire français est de nature à constituer, à la date de leur décision, une menace grave pour la société au sens des dispositions précitées, c'est-à-dire si elle est de nature à affecter un intérêt fondamental de la société, compte tenu des infractions pénales commises - lesquelles ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision refusant le statut de réfugié ou y mettant fin - et des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, mais aussi du temps qui s'est écoulé et de l'ensemble du comportement de l'intéressé depuis la commission des infractions ainsi que de toutes les circonstances pertinentes à la date à laquelle ils statuent.
4. Si, ainsi qu'il a été dit au point 3, les infractions pénales commises par un réfugié ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision mettant fin au statut de réfugié, il appartient à l'OFPRA et, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d'asile, d'examiner la gravité de la menace que constitue la présence de l'intéressé en France en tenant compte, parmi d'autres éléments, de la nature des infractions commises, des atteintes aux intérêts fondamentaux de la société auxquels la réitération de ces infractions exposerait celle-ci et du risque d'une telle réitération. La seule circonstance qu'un réfugié, condamné pour des faits qui, lorsqu'ils ont été commis, établissaient que sa présence constituait une menace grave pour la société, se soit abstenu, postérieurement à sa libération, de tout comportement répréhensible, n'implique pas, par elle-même, du moins avant l'expiration d'un certain délai, et en l'absence de tout autre élément positif significatif en ce sens, que cette menace ait disparu.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, d'une part, M. B... a été condamné, le 12 mars 2013, par le tribunal correctionnel de Lyon à une peine de cinq ans d'emprisonnement dont un an avec sursis pour des faits de vol avec violences et de violences en réunion à l'encontre de deux personnes qu'il a agressées à leur domicile, délit qui est puni de dix ans de prison. D'autre part, alors qu'un ses trois frères a été condamné pour des actes de terrorisme ,. M. B... s'est fait remarquer, lors de sa détention, entre juin 2012 et novembre 2015, par une pratique rigoriste de l'islam et par sa proximité avec plusieurs détenus condamnés pour des actes de terrorisme. Il a aussi été soupçonné de participer au recrutement de codétenus pour le " djihad ". Après sa sortie de prison, il a poursuivi ses relations avec des personnes appartenant à des groupements " djihadistes ". S'il a suivi une formation, consulté un médecin psychiatre et commencé à indemniser ses victimes, ces actions répondaient aux obligations de sa mise à l'épreuve de deux ans décidée par le juge pénal pour lui permettre de bénéficier d'un sursis d'un an sur sa peine de prison. Il s'ensuit qu'en estimant que la présence en France de M. B... ne constituait pas, à la date de sa décision, une menace grave pour la société française, au sens du 2° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la cour a entaché sa décision d'inexacte qualification juridique des faits.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'OFPRA est fondé à demander l'annulation de la décision de la Cour nationale du droit d'asile qu'il attaque.
D E C I D E :
----------------
Article 1er : La décision de la Cour nationale du droit d'asile du 28 février 2020 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour nationale du droit d'asile.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à M. D... B....
Délibéré à l'issue de la séance du 25 octobre 2021 où siégeaient : Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat, présidant ; M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat et Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 18 novembre 2021.
La présidente :
Signé : Mme Nathalie Escaut
La rapporteure :
Signé : Mme Christelle Thomas
La secrétaire :
Signé : Mme A... C...
N° 441397
ECLI:FR:CECHS:2021:441397.20211118
Inédit au recueil Lebon
10ème chambre
Mme Christelle Thomas, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats
Lecture du jeudi 18 novembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. D... B... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 7 juin 2016 par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin à son statut de réfugié sur le fondement de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par une décision n° 17001480 du 28 février 2020, la Cour nationale du droit d'asile a annulé la décision de l'OFPRA.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 juin et 23 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'OFPRA demande au Conseil d'Etat d'annuler cette décision.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. D... B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 7 juin 2016, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a, sur le fondement du 2° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mis fin au statut de réfugié de M. B..., de nationalité russe et d'origine tchéchène. L'OFPRA se pourvoit en cassation contre la décision du 28 février 2020 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a annulé cette décision.
2. L'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 10 septembre 2018 applicable au litige, dispose que : " Le statut de réfugié est refusé ou il est mis fin à ce statut lorsque : (...) 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France, dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un Etat tiers figurant sur la liste, fixée par décret en Conseil d'Etat, des Etats dont la France reconnaît les législations et juridictions pénales au vu de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques générales soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société française ".
3. Il résulte des dispositions précitées du 2° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'il appartient à l'OFPRA et, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d'asile, d'une part, de vérifier si l'intéressé a fait l'objet de l'une des condamnations qu'elles visent et, d'autre part, d'apprécier si sa présence sur le territoire français est de nature à constituer, à la date de leur décision, une menace grave pour la société au sens des dispositions précitées, c'est-à-dire si elle est de nature à affecter un intérêt fondamental de la société, compte tenu des infractions pénales commises - lesquelles ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision refusant le statut de réfugié ou y mettant fin - et des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, mais aussi du temps qui s'est écoulé et de l'ensemble du comportement de l'intéressé depuis la commission des infractions ainsi que de toutes les circonstances pertinentes à la date à laquelle ils statuent.
4. Si, ainsi qu'il a été dit au point 3, les infractions pénales commises par un réfugié ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision mettant fin au statut de réfugié, il appartient à l'OFPRA et, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d'asile, d'examiner la gravité de la menace que constitue la présence de l'intéressé en France en tenant compte, parmi d'autres éléments, de la nature des infractions commises, des atteintes aux intérêts fondamentaux de la société auxquels la réitération de ces infractions exposerait celle-ci et du risque d'une telle réitération. La seule circonstance qu'un réfugié, condamné pour des faits qui, lorsqu'ils ont été commis, établissaient que sa présence constituait une menace grave pour la société, se soit abstenu, postérieurement à sa libération, de tout comportement répréhensible, n'implique pas, par elle-même, du moins avant l'expiration d'un certain délai, et en l'absence de tout autre élément positif significatif en ce sens, que cette menace ait disparu.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, d'une part, M. B... a été condamné, le 12 mars 2013, par le tribunal correctionnel de Lyon à une peine de cinq ans d'emprisonnement dont un an avec sursis pour des faits de vol avec violences et de violences en réunion à l'encontre de deux personnes qu'il a agressées à leur domicile, délit qui est puni de dix ans de prison. D'autre part, alors qu'un ses trois frères a été condamné pour des actes de terrorisme ,. M. B... s'est fait remarquer, lors de sa détention, entre juin 2012 et novembre 2015, par une pratique rigoriste de l'islam et par sa proximité avec plusieurs détenus condamnés pour des actes de terrorisme. Il a aussi été soupçonné de participer au recrutement de codétenus pour le " djihad ". Après sa sortie de prison, il a poursuivi ses relations avec des personnes appartenant à des groupements " djihadistes ". S'il a suivi une formation, consulté un médecin psychiatre et commencé à indemniser ses victimes, ces actions répondaient aux obligations de sa mise à l'épreuve de deux ans décidée par le juge pénal pour lui permettre de bénéficier d'un sursis d'un an sur sa peine de prison. Il s'ensuit qu'en estimant que la présence en France de M. B... ne constituait pas, à la date de sa décision, une menace grave pour la société française, au sens du 2° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la cour a entaché sa décision d'inexacte qualification juridique des faits.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'OFPRA est fondé à demander l'annulation de la décision de la Cour nationale du droit d'asile qu'il attaque.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la Cour nationale du droit d'asile du 28 février 2020 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour nationale du droit d'asile.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à M. D... B....
Délibéré à l'issue de la séance du 25 octobre 2021 où siégeaient : Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat, présidant ; M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat et Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 18 novembre 2021.
La présidente :
Signé : Mme Nathalie Escaut
La rapporteure :
Signé : Mme Christelle Thomas
La secrétaire :
Signé : Mme A... C...