Conseil d'État
N° 450879
ECLI:FR:CEORD:2021:450879.20210423
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP SPINOSI, avocats
Lecture du vendredi 23 avril 2021
Vu la procédure suivante :
I. L'association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE) et l'association Médecins du monde ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner, à titre principal, la fermeture immédiate des locaux attenants à ceux de la police aux frontières de Menton-Pont Saint-Louis et, à titre subsidiaire, la suspension de l'exécution de la décision du 29 décembre 2020 du préfet des Alpes-Maritimes portant refus d'accès à ses deux représentantes à ces locaux, et d'enjoindre au préfet, au besoin sous astreinte, de leur garantir immédiatement un accès. Par une ordonnance n° 2101086 du 4 mars 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a enjoint au préfet des Alpes Maritimes de prendre une nouvelle décision, dans le délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, accordant un droit d'accès aux locaux attenants à ceux de la police aux frontières de Menton-Pont Saint-Louis au bénéfice des associations Médecins du monde et de l'ANAFE et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés, sous le n° 450879, les 19 mars et 9 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ANAFE et l'association Médecins du monde demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle a rejeté le surplus des conclusions de leur demande;
2°) d'ordonner toutes mesures qu'il estimera nécessaires afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes enfermées dans les locaux attenants à ceux de la police aux frontières de Menton- Pont Saint-Louis, en particulier, en enjoignant à l'Etat, à titre principal, d'en prononcer la fermeture immédiate et, à titre subsidiaire, d'assurer aux personnes étrangères qui y sont retenues le bénéfice et la jouissance effective de l'ensemble des droits fondamentaux qui doivent leur être garantis et de prendre toute mesure destinée à garantir des conditions dignes de vie au sein de ces locaux, au besoin après un sursis à statuer sur ce point précis afin de demander à l'administration de produire, à brève échéance, un bilan complet sur la situation matérielle dans ces locaux ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite ;
- plusieurs libertés fondamentales sont méconnues en l'espèce, notamment celles tirées de la liberté d'aller et venir ainsi que du droit à la liberté et à la sûreté, ou celles tirées du droit à la dignité de la personne humaine reconnu par la Constitution et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du droit d'asile et de ses corollaires et enfin de la liberté d'aider autrui dans un but humanitaire consacrée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018 et repris à l'article L. 622-4 du code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) modifié ;
- l'installation des locaux de rétention provisoire ainsi que les pratiques privatives de liberté régulières constatées à l'occasion du maintien dans ces locaux ne reposent sur aucune base légale et méconnaissent les droits des personnes ainsi hébergées, notamment le droit d'aller et venir et le droit de recevoir des visites ;
- ces locaux, qui ne répondent pas à la définition légale de zone d'attente ou au régime de rétention administrative visé par le Ceseda, ne peuvent être assimilés à des dispositifs de mise à l'abri au sens du droit à l'hébergement d'urgence organisé par le code de l'action sociale et des familles compte tenu notamment des mesures d'enfermement et de surveillance auxquelles sont soumises les personnes étrangères concernées ;
- les privations de liberté sont systématiques, organisées et régulières et les dépassements importants de la durée de 4 heures de rétention la nuit qui sont régulièrement constatés, résultent de la fermeture du poste italien entre 19h et 8h du matin ainsi que des règles de coordination mises en place entre les deux postes de police aux frontières pour assurer le réacheminent des personnes étrangères aux heures d'ouverture ;
- les mesures de rétention peuvent également être qualifiées de mesures privatives de liberté au regard du f) de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu des modalités d'enfermement dans les constructions modulaires au regard de la durée d'enfermement souvent excessive, de la surveillance constante à laquelle les personnes sont soumises, de l'exiguïté des locaux, du nombre de personnes retenues ensemble, de l'absence d'accès à la nourriture, de l'impossibilité de nouer librement des liens sociaux et de manière générale de l'inconfort physique de cet enfermement ;
- l'ensemble des règles applicables aux situations couvertes par la directive " Retour " n° 2008/115/CE et déclinées notamment à l'article L. 551-1 du Ceseda doivent être respectées, en particulier les garanties relatives au droit d'être assisté par un conseil, de l'accès du Haut comité réfugié et à l'intervention rapide un juge sur la légalité de la rétention, ce qui n'est pas le cas actuellement ;
- le régime de ces rétentions ne respecte pas les dispositions de la directive " Retour " dont l'application aux cas des personnes interpellées aux frontières intérieures, même en cas de réintroduction du contrôle à ces frontières terrestres communes, en vertu de l'article 25 du code frontières Schengen, a été affirmée par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, dans sa décision n° 428178, du 27 novembre 2020 qui rappelle l'interprétation donnée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans sa décision C-444/17 Préfet des Pyrénées orientales c/ Arib e.a. ;
- une distinction entre la situation du ressortissant étranger qui a franchi la frontière intérieure et a été intercepté à proximité immédiate de celle-ci et celle de celui qui se présente à un point de passage autorisé (PPA) n'apparaît, sous réserve d'une question préjudicielle à poser à la CJUE, pertinente ni en droit au regard des dispositions du droit de l'Union ou à leur application en droit interne, ni en fait compte tenu des pratiques d'interception mises en oeuvre le long de la frontière à proximité des PPA ;
- les difficultés que peuvent rencontrer les Etats dans la gestion des flux migratoires ou dans l'accueil des personnes étrangères et des demandeurs d'asile ne peuvent justifier des pratiques incompatibles avec les garanties conventionnelles ;
- les personnes enfermées dans des locaux qui ne répondent à aucun régime légal sont privées de l'ensemble de leurs droits et garanties ;
- il n'est pas non plus tenu compte de manière appropriée de la situation des demandeurs d'asile ou des mineurs isolés ainsi que de leurs droits ;
- le régime de rétention provisoire tel qu'il est organisé en pratique et le défaut de statut légal de ces lieux privent les associations de leur possibilité d'exercer leur droit à porter une aide dans un but humanitaire et à assurer un accompagnement en application du principe de fraternité constitutionnellement garanti ;
- il appartient à l'administration de faire la preuve que les conditions matérielles d'hébergement sont satisfaisantes notamment à l'égard des personnes vulnérables alors que les nombreux témoignages recueillis qui corroborent les constats opérés par le contrôleur général des lieux privatifs de liberté, la commission nationale de contrôle des droits de l'homme et le comité européen pour la prévention contre la torture permettent de constater qu'elles sont indignes, inhumaines et dégradantes compte tenu de la promiscuité entre les personnes, du manque d'hygiène, de confort, de nourriture et d'eau ainsi que du manque de surveillance des bagages.
II. L'ANAFE et l'association Médecins du monde ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner, à titre principal, la fermeture immédiate des locaux attenants à ceux de la police aux frontières de Montgenèvre et, à titre subsidiaire, d'enjoindre à la préfète des Hautes-Alpes e les autoriser à accéder à ces locaux aux fins de permettre une assistance humanitaire des personnes étrangères. Par une ordonnance n° 2102047 du 16 mars 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a, d'une part, enjoint à la préfète des Hautes-Alpes de procéder au réexamen de la demande d'accès de l'ANAFE et de l'association Médecins du monde, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de leur requête.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés, sous le n° 450987, les 23 mars et 9 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ANAFE et l'association Médecins du monde demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle a rejeté le surplus des conclusions de leur demande ;
2°) d'ordonner toutes mesures qu'il estimera nécessaires afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes enfermées dans les locaux attenants à ceux de la police aux frontières de Montgenèvre, en particulier, en enjoignant à l'Etat, à titre principal, d'en prononcer la fermeture immédiate et, à titre subsidiaire, d'assurer aux personnes étrangères qui y sont retenues le bénéfice et la jouissance effective de l'ensemble des droits fondamentaux qui doivent leur être garantis et de prendre toute mesure destinée à garantir des conditions dignes de vie au sein de ces locaux, au besoin après un sursis à statuer sur ce point précis afin de demander à l'administration de produire, à brève échéance, un bilan complet sur la situation matérielle dans ces locaux ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que l'ordonnance du juge des référés du tribunal de Marseille est entachée d'irrégularité en ce qu'il a insuffisamment justifié les raisons pour lesquelles il a estimé qu'il n'était pas compétent pour ordonner la fermeture des locaux en cause et reprennent en substance les moyens exposés dans le premier recours et visés ci-dessus.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 6 avril 2021 sous les n°s 450879 et 450987, le ministre de l'intérieur conclut au rejet des requêtes. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.
Par deux mémoires en intervention, enregistrés le 11 avril 2021 sous les n°s 450879 et 450987, les Avocats de la défense des droits des étrangers (ADDE), le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France (SAF), le Mouvement citoyen tous migrants, l'association la Roya citoyenne, la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen (LDH), la Fédération des associations de solidarité avec tous les immigrés (FASTI), l'association Le paria, l'Alliance des avocats et des praticiens du droit des étrangers pour la défense des droits fondamentaux, l'association Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de faire droit aux conclusions des deux requêtes présentées par l'ANAFE et l'association Médecins du monde. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et s'associent aux moyens des requêtes.
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 14 avril 2021, par lequel le ministre de l'intérieur complète ses écritures ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 15 avril 2021, par lequel l'ANAFE et Médecins du monde complètent leurs écritures ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
- le règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 ;
- le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de procédure pénale ;
- l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'ANAFE et l'association Médecins du monde, et d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 12 avril 2021, à 17 heures :
- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'ANAFE et de l'association Médecins du monde ;
- la représentante de l'ANAFE ;
- le représentant de la CIMADE ;
- les représentantes du ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 15 avril 2021 à 19 heures.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule ordonnance.
2. Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
3. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 précité et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en oeuvre. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.
4. L'association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE) et l'association Médecins du monde ont demandé aux juges des référés du tribunal administratif de Nice, d'une part, et du tribunal administratif de Marseille, d'autre part, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner, à titre principal, la fermeture immédiate des locaux attenants à ceux de la police aux frontières de Menton-Pont Saint-Louis, pour le premier, et de Montgenèvre, pour le second, et, à titre subsidiaire, d'enjoindre aux préfets des Alpes-Maritimes et des Hautes-Alpes, chacun en ce qui le concerne, de les autoriser à accéder à ces locaux afin de leur permettre d'assurer une assistance humanitaire aux personnes étrangères placées dans ces lieux privatifs de liberté. Par deux ordonnances du 4 mars 2021, pour le premier, et du 16 mars 2021, pour le second, les juges des référés des tribunaux administratifs de Nice et de Marseille ont fait droit aux demandes d'accès aux locaux attenants aux deux postes de police aux frontières de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre présentées par les deux associations requérantes en enjoignant à chacun des préfets de réexaminer leur demande et d'organiser les modalités d'accès dans un délai de 8 jours pour l'un et de 15 jours pour l'autre, à compter de la notification de la décision. En revanche, les deux juges des référés ont rejeté le surplus des conclusions des demandes dont ils étaient saisis tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de prononcer la fermeture immédiate des locaux.
Sur les interventions :
5. L'association Avocats pour la défense du droit des étrangers (ADDE), le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France (SAF), le Mouvement citoyen tous migrants (Tous migrants), l'association la Roya citoyenne, la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen (LDH), la Fédération des associations de solidarité avec tou.te.s les immigré.e.s (FASTI), l'association Le paria, l'Alliance des avocats et des praticiens du droit des étrangers pour la défense des droits fondamentaux (l'alliance-DEF), l'association Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des deux requêtes. Ainsi leur intervention est recevable.
Sur la régularité de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille :
6. Contrairement à ce qui est soutenu, pour rejeter la demande de fermeture du local du poste de police de Montgenèvre, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille a suffisamment motivé son ordonnance.
Sur le cadre juridique et le contexte du litige :
7. Il résulte, en premier lieu, de l'instruction que la France a obtenu depuis novembre 2015, sur le fondement de l'article 23 du règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), puis de l'article 25 du règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures notamment aux points de passage autorisés (PPA) de Menton-Pont Saint-Louis (Alpes-Maritimes) et de Montgenèvre (Hautes-Alpes). Prolongé à plusieurs reprises, cette réintroduction a fait l'objet, en dernier lieu, d'une demande de renouvellement adressée à la Commission le 2 octobre 2020 fondée sur l'actualité de la menace terroriste notamment en lien avec les mouvements migratoires, sur la reprise des mouvements secondaires de migrants en lien avec des réseaux criminels de passeurs, favorisant le développement de campements de migrants ainsi que sur les besoins de lutte contre la pandémie de covid-19. Compte tenu de la pression migratoire à la frontière commune franco-italienne, les deux PPA mentionnés ont été maintenus.
8. Selon l'article 32 du code frontières Schengen actuellement en vigueur : " Lorsque le contrôle aux frontières intérieures est réintroduit, les dispositions pertinentes du titre II [" Frontières extérieures "] s'appliquent mutatis mutandis ". Si, parmi les dispositions figurant au titre II, le paragraphe 1 de l'article 13 (" Surveillances des frontières ") dispose que : " (...) Une personne qui a franchi illégalement une frontière et qui n'a pas le droit de séjourner sur le territoire de l'État membre concerné est appréhendée et fait l'objet de procédures respectant la directive 2008/115/CE ", l'article 14 (" Refus d'entrée ") prévoit que : " 1. L'entrée sur le territoire des États membres est refusée au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas l'ensemble des conditions d'entrée énoncées à l'article 6, paragraphe 1, et qui n'appartient pas à l'une des catégories de personnes visées à l'article 6, paragraphe 5. Cette disposition est sans préjudice de l'application des dispositions particulières relatives au droit d'asile et à la protection internationale ou à la délivrance de visas de long séjour. (...) ".
9. L'article 2 (" Champ d'application ") de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive " Retour ", a prévu, à son paragraphe 1, qu'elle s'applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d'un Etat membre, le " séjour irrégulier " étant défini à l'article 3 comme " la présence sur le territoire d'un Etat membre d'un ressortissant d'un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions d'entrée énoncées à l'article 5 du code frontières Schengen [reprises à l'article 6 du code dans sa version actuelle ], ou d'autres conditions d'entrée, de séjour ou de résidence dans cet Etat membre ". Toutefois, le paragraphe 2 de l'article 2 prévoit que : " Les Etats membres peuvent décider de ne pas appliquer la présente directive aux ressortissants de pays tiers : / a) faisant l'objet d'une décision de refus d'entrée conformément à l'article 13 du code frontières Schengen [devenu l'article 14 du code dans sa version actuelle], ou arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l'occasion du franchissement irrégulier par voie terrestre, maritime ou aérienne de la frontière extérieure d'un Etat membre et qui n'ont pas obtenu par la suite l'autorisation ou le droit de séjourner dans ledit Etat membre ; / (...) ".
10. Il résulte, en deuxième lieu, de l'instruction que, dans le cadre de la réintroduction du contrôle aux frontières, la France a décidé, en vertu du a) du paragraphe 2 de l'article 2 précité, de ne pas appliquer la directive " Retour " et a choisi de mettre en oeuvre la procédure de refus d'entrée prévu à l'article 14 du code frontières Schengen, en faisant application des articles L. 213-2 et L. 213-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) dans sa version maintenue en vigueur jusqu'au 1er mai 2021 par l'ordonnance du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ces dispositions sont reprises en substance aux articles L. 332-2 et L. 332-3 du Ceseda dans la version qui entrera en vigueur au 1er mai 2021.
11. L'article L. 213-2 du Ceseda actuellement en vigueur dispose que : " Tout refus d'entrée en France fait l'objet d'une décision écrite motivée prise, sauf en cas de demande d'asile, par un agent relevant d'une catégorie fixée par voie réglementaire. / Cette décision est notifiée à l'intéressé avec mention de son droit d'avertir ou de faire avertir la personne chez laquelle il a indiqué qu'il devait se rendre, son consulat ou le conseil de son choix. En cas de demande d'asile, la décision mentionne également son droit d'introduire un recours en annulation sur le fondement de l'article L. 213-9 et précise les voies et délais de ce recours. La décision et la notification des droits qui l'accompagne doivent lui être communiquées dans une langue qu'il comprend. / L'étranger peut refuser d'être rapatrié avant l'expiration du délai d'un jour franc, ce dont il est fait mention sur la notification prévue au deuxième alinéa. L'étranger mineur non accompagné d'un représentant légal ne peut être rapatrié avant l'expiration du même délai. (...). / Lorsque l'étranger ne parle pas le français, il est fait application de l'article L. 111-7. / La décision prononçant le refus d'entrée peut être exécutée d'office par l'administration. / Une attention particulière est accordée aux personnes vulnérables, notamment aux mineurs, accompagnés ou non d'un adulte. ". Aux termes de l'article L. 213-3 du même code : " Les dispositions de l'article L. 213-2 sont applicables à l'étranger qui n'est pas ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne à qui l'entrée sur le territoire métropolitain a été refusée en application de l'article 6 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen). " L'article L. 332-3 du Ceseda qui entrera en vigueur au 1er mai 2021 qui prévoit que : " La procédure prévue à l'article L. 332-2 est applicable à la décision de refus d'entrée prise à l'encontre de l'étranger en application de l'article 6 du règlement 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016. " précise que " Elle est également applicable lors de vérifications effectuées à une frontière intérieure en cas de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans les conditions prévues au chapitre II du titre III du même règlement ".
12. Le régime du refus d'entrée résultant du livre II du Ceseda actuellement en vigueur diffère de celui des mesures d'éloignement résultant du livre V du même code ainsi que les garanties procédurales associées à chacun de ces régimes, celles prévues au livre V étant plus importantes. Les mesures de réadmission de l'article L. 531-1 ou d'obligation de quitter le territoire de l'article L. 511-1 et suivants étaient mises en oeuvre antérieurement à la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures. En outre, le régime de l'assignation à résidence ou de la rétention administrative qui figurent au livre V afin d'assurer l'éloignement de l'étranger ne s'appliquent pas en cas de refus d'entrée.
13. Il résulte, en dernier lieu, de l'instruction qu'à la suite de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l'Union, ont été aménagés dans une salle du poste de police aux frontières ou dans des constructions modulaires attenantes, tant à Menton-Pont Saint-Louis qu'à Montgenèvre, des locaux où sont maintenus à titre provisoire des étrangers qui font l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire avant leur remise aux autorités italiennes. De tels lieux, au statut qualifié de " sui generis ", qui ne sont pas prévus par un texte, ne sont assimilables ni à des zones d'attente, dont le régime figure au titre II du livre II du Ceseda, et qui sont destinées aux personnes arrivant en France à une frontière extérieure au sens du règlement frontières Schengen par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne, ni à des centres de rétention administrative créés, organisés et utilisés conformément aux dispositions du livre V Ceseda. Ces locaux répondent cependant à un triple objectif, d'une part, de " mise à l'abri " des personnes étrangères dépourvues de lieux d'accueil afin de garantir le respect de leurs droits fondamentaux et de leur dignité dans l'attente d'un réacheminent vers le poste frontière italien le plus proche, d'autre part, de préservation de l'ordre public aux abords de la frontière et, enfin, de mise en place d'une politique efficace d'éloignement. Au cas d'espèce, les modalités de réacheminement sont organisées dans le cadre de l'accord de Chambéry de coopération transfrontalière conclu entre la France et l'Italie. Par une ordonnance n° 411575 du 5 juillet 2017, le juge des référés du Conseil d'Etat a, d'ailleurs, rejeté l'appel formé par l'ANAFE contre une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice rejetant sa demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de la décision informelle de création par le préfet des Alpes-Maritimes d'une zone de rétention provisoire au poste de police aux frontières de Menton, après avoir retenu, d'une part, que les conditions dans lesquelles sont maintenus provisoirement dans ces locaux des ressortissants de pays tiers à l'Union européenne en provenance d'Italie n'appellent pas d'intervention du juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, et, d'autre part, que le respect des droits des intéressés, auquel l'administration ne saurait se soustraire, implique, le cas échéant, si ces droits se trouvaient méconnus de façon grave et manifestement illégale, une saisine dans chaque cas du juge des référés statuant sur ce fondement et non, dans les circonstances de l'espèce, des mesures à caractère général.
Sur les demandes en référé :
14. L'ANAFE et autre qui n'ignorent pas l'état du droit résultant de la position ainsi prise par l'ordonnance du 5 juillet 2017 du juge des référés du Conseil d'Etat, laquelle inspire celle des juges des référés des tribunaux administratifs de Nice et de Marseille et l'action de l'administration, fait valoir que des éléments nouveaux justifient qu'à bref délai, soit prononcée la fermeture immédiate de ces lieux privatifs de liberté, ou qu'il soit enjoint d'y appliquer effectivement l'ensemble des libertés fondamentales et garanties dont bénéficient les ressortissants d'un pays tiers interpellés en situation irrégulière sur notre sol. Elles soutiennent, d'une part, que des évolutions jurisprudentielles récentes remettent en cause la possibilité de prononcer des refus d'entrée aux frontières intérieures de l'espace Schengen même après la réintroduction du contrôle aux frontières communes terrestres et, d'autre part, que des rapports, des observations de militants agissant pour la défense des personnes migrantes ou des témoignages recueillis démontrent que les locaux dits de " mise à l'abri " constituent en réalité des lieux privatifs de liberté dans lesquels sont méconnus les libertés et droits fondamentaux des personnes qui y sont retenues. Le ministre de l'intérieur qui conteste la nécessité d'un réexamen de la position du juge des référés du Conseil d'Etat, fait valoir, d'une part, que l'état actuel du droit permet que des décisions de refus d'entrée soient prises aux PPA de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre et qu'elles soient rapidement exécutées en coopération avec les autorités italiennes et, d'autre part, que les associations requérantes ou intervenantes n'établissent pas l'existence d'une dégradation depuis 2017 des conditions d'accueil dans ces locaux alors que de nombreuses améliorations y ont été apportées en particulier à la suite du dernier rapport du contrôleur général des lieux privatifs de liberté (CGLPL) établi après une visite inopinée en septembre 2018.
En ce qui concerne les refus d'entrée et les conditions légales du maintien d'une rétention provisoire aux postes de police aux frontières de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre :
15. Les associations requérantes soutiennent qu'à la suite de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 19 mars 2019, Préfet des Pyrénées-Orientales contre A. Arib e.a. (C-444/17) et de la décision n° 428178 du 27 novembre 2020, du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, Cimade qui en fait application, il n'est plus possible à l'Etat français, dans le cadre de la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures autorisée en vertu de l'article 25 du code frontières Schengen, de décider de ne pas appliquer la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, dite directive " Retour ", en se fondant sur les dispositions du a) du paragraphe 2 de l'article 2 de cette directive. Elles en tirent la conséquence, d'une part, que l'Etat ne peut plus prendre, sur le fondement des articles L. 213-2 et L. 213-3 du Ceseda, des décisions de refus d'entrée à l'encontre des ressortissants des pays de tiers susceptibles d'être exécutées d'office, selon une procédure simplifiée, et, d'autre part, que le régime de rétention provisoire mis en place aux PPA de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre pour assurer l'effectivité de ces décisions, qui n'a pas de fondement légal, est ainsi privé de toute justification.
16. L'arrêt du 19 mars 2019 C-444/17, a dit pour droit que " l'article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lu en combinaison avec l'article 32 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à la situation d'un ressortissant de pays tiers, arrêté à proximité immédiate d'une frontière intérieure et en séjour irrégulier sur le territoire d'un État membre, même lorsque cet État membre a réintroduit, en vertu de l'article 25 de ce règlement, le contrôle à cette frontière, en raison d'une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure dudit État membre. "
17. Par sa décision du 27 novembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a rappelé, d'une part, que le a) du paragraphe 2 de l'article 2 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 permet aux Etats membres de ne pas appliquer les dispositions de cette directive aux ressortissants de pays tiers faisant l'objet d'une décision de refus d'entrée conformément à l'article 14 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), ou arrêtés ou interceptés à l'occasion du franchissement irrégulier de la frontière extérieure d'un Etat membre. Il a rappelé, d'autre part, que telles qu'interprétées par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 19 mars 2019, Préfet des Pyrénées-Orientales contre Arib e.a. (C-444/17), ces dispositions ne sont pas applicables aux franchissements des frontières intérieures d'un Etat membre lorsque celui-ci a réintroduit le contrôle à ces frontières en vertu de l'article 25 du code frontières Schengen. Il en a déduit qu'" en ce qu'il permet d'opposer un refus d'entrée à un étranger qui a pénétré sur le territoire métropolitain en franchissant une frontière intérieure terrestre alors que lui sont applicables les dispositions, relatives au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier prises pour la transposition de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, les dispositions de l'article L. 213-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont incompatibles avec les objectifs de celle-ci " avant de prononcer l'annulation de l'article 2 du décret n° 2018-1159 du 14 décembre 2018 pris pour l'application de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie et portant diverses dispositions relatives à la lutte contre l'immigration irrégulière et au traitement de la demande d'asile, pris pour l'application de ces dispositions législatives, qui avaient inséré dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile un article R. 213-1-1, pris pour l'application de l'article L. 213-3-1 de ce code.
18. Ainsi que le ministre de l'intérieur le soutient, ni l'arrêt précité de la CJUE, - ni d'ailleurs davantage l'arrêt du 7 juin 2016 Affum (C-47/15) -, ni la décision précitée du Conseil d'Etat n'ont pris formellement position sur le droit applicable à un ressortissant d'un pays tiers faisant l'objet d'un refus d'entrée après s'être présenté à une frontière commune terrestre à la suite de la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures. Selon le ministre, il convient donc de distinguer les deux situations mentionnées sous a) du paragraphe 2 de l'article 2 de la directive " Retour ", c'est-à-dire celle d'un refus d'entrée et celle d'un franchissement illégal de frontière. Il fait en outre valoir que le refus d'entrée prévu par l'article 14 figurant au titre II (" frontières extérieures ") du code frontières Schengen est au nombre des " dispositions pertinentes " dont l'article 32 du même code prévoit qu'elles peuvent être appliquées " mutatis mutandis " en cas de réintroduction des contrôles aux frontières intérieures en vertu de l'article 25 de ce code. Selon lui, l'Etat français pourrait donc, en vertu du a) du paragraphe 2 de l'article 2 de la directive " Retour ", continuer à ne pas appliquer la directive " Retour " lorsqu'il prononce, en vertu des articles L. 213-2 et L. 213-3 du Ceseda, un refus d'entrée d'un ressortissant d'un pays tiers qui se présente à la frontière.
19. Compte tenu de l'interprétation à donner à l'article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, lu en combinaison avec l'article 32 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016 (code frontières Schengen), l'incompatibilité des dispositions des articles L. 213-2 et L. 213-3 du Ceseda avec les règles du droit de l'Union européenne n'apparaît pas manifeste. Par suite, il n'appartient pas, eu égard à son office, au juge des référés du Conseil d'Etat de les écarter.
20. Dans ces conditions, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les locaux aménagés, à titre temporaire, à l'intérieur et à l'extérieur des postes de la police de l'air et des frontières de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre pour la mise à l'abri et le maintien en rétention provisoire des ressortissants des pays tiers faisant l'objet d'un refus d'entrée dans le cadre de la réintroduction, elle-même temporaire, des contrôles aux frontières intérieures, ne répondraient plus à aucune nécessité légale ou pratique alors qu'ils ont encore vocation à répondre aux trois objectifs rappelés au point 13.
En ce qui concerne les modalités pratiques de mise en oeuvre des mesures de mise à l'abri et de rétention dans les locaux de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre :
21. Ainsi que l'ordonnance précitée du 5 juillet 2017 du juge des référés du Conseil d'Etat l'a déjà rappelé, l'administration ne saurait à l'occasion de la rétention provisoire des étrangers appréhendés à la frontière franco-italienne, se soustraire à l'obligation du respect des droits des intéressés. L'objectif de mise à l'abri également visé tend d'ailleurs en principe à assurer le respect notamment des droits à la sécurité et à la dignité de ces personnes. Toutefois, dès lors que la mise à l'abri et la mise en rétention se confondent le plus souvent, il appartient à l'Etat de faire toute diligence pour s'assurer que cette atteinte à la liberté d'aller et venir, et ce alors même qu'une telle liberté ne peut être invoquée pour entrer illégalement sur le territoire, soit la plus réduite possible. Il lui incombe également de porter une attention particulière aux personnes vulnérables. Il lui appartient également de veiller à l'entretien très régulier et à l'hygiène des différents locaux utilisés par les personnes retenues, en particulier en période de pandémie. Il doit pourvoir de manière suffisante aux besoins en nourriture et en eau des personnes retenues. Une attention toute particulière doit être portée à l'aménagement des locaux en période nocturne et, à cette occasion, à une prise en charge adéquate des personnes en état de vulnérabilité manifeste. La sécurité et l'accès aux bagages et effets personnels doivent être assurés. Enfin, l'accès à un conseil et à une assistance, le droit de communiquer avec une personne de son choix, le droit d'effectuer un recours, doivent être garantis de manière adaptée, au cours de la période de la rétention.
22. Il résulte de l'instruction qu'au poste de Menton-Pont Saint-Louis, point unique pour les Alpes-Maritimes de remise aux autorités italiennes des étrangers en situation irrégulière, 22 616 personnes étrangères ont fait l'objet d'une procédure de non-admission en 2020, soit une moyenne de 62 personnes non-admises par jour. Cette moyenne est passée au cours des premières semaines de l'année 2021 à environ 87 personnes par jour non-admises. Ces chiffres sont, pour le poste de Montgenèvre qui agit en collaboration avec le poste aux frontières italien de Bardonecchia, respectivement de 1 576 personnes en 2020, soit environ 4 personnes par jour, moyenne qui s'établit à 7 personnes par jour en 2021. En dépit d'un désaccord persistant des associations sur ce point, il apparaît que les services de la police aux frontières française qui agissent avec leur homologue italien dans le cadre de l'accord de Chambéry, veillent, dans la mesure de leurs moyens, à ne pas dépasser un délai raisonnable de rétention de quatre heures. Les registres tenus par les deux postes de police rendent compte des entrées et sorties avec indication des heures et des durées. Les relevés effectués en période diurne permettent de vérifier qu'en moyenne, cet objectif est pour l'essentiel atteint. Cependant, il n'en va pas de même en période nocturne tout particulièrement au poste de police de Menton-Pont Saint-Louis, compte tenu en particulier des heures d'ouverture de 8h à 19 h du poste italien et de l'examen par petits groupes des étrangers réacheminés vers celui-ci. Le ministre de l'intérieur a produit au cours de l'instruction, qui s'est prolongée après l'audience, des éléments qui attestent des efforts menés actuellement en lien avec les autorités italiennes pour parvenir, dans les meilleurs délais, à une amélioration significative de cette situation préoccupante. En effet, si compte tenu du faible nombre de personnes interpellées à Montgenèvre, localité d'altitude située à 1 860 mètres, le local de rétention a pu être équipé de lits et de couvertures pour la nuit, il n'en va pas de même à Menton-Pont Saint-Louis où, compte tenu de la faible surface des locaux actuellement disponibles et du nombre de personnes habituellement retenues en période nocturne, aucun couchage même sommaire n'est prévu. Il en résulte une situation de grand inconfort qui peut se révéler délicate à supporter pour des personnes en situation de particulière vulnérabilité et est susceptible de porter atteinte à leur dignité. L'évolution de cette situation dépend, au niveau général, des résultats des efforts actuellement entrepris par les parties prenantes à l'accord de Chambéry. En l'absence d'une alternative à bref délai, elle ne justifie pas, en tout état de cause, que les locaux soient fermés en période nocturne ou que ces personnes soient laissées sans protection dans la nuit passé un délai de quatre heures de rétention. En revanche, elle appelle de la part des autorités compétentes la plus grande vigilance pour que soit prise en charge sans attendre de manière la plus appropriée toute situation particulière qui surviendrait.
23. Il résulte par ailleurs de l'instruction, au regard notamment des registres qui retracent les données relatives aux personnes prises en charge, que la situation notamment des femmes, des mineurs et des demandeurs d'asile est prise en compte. Ils font également état de la vérification des situations individuelles qui conduisent à ne pas prendre systématiquement une décision de non-admission. Le ministre de l'intérieur fait état des procédures mises en place notamment dans la période récente pour assurer aux personnes interpellées une information sur leurs droits, dans une langue qu'ils comprennent, à l'aide en particulier d'un service d'interprétariat à distance agréé par l'administration. Il indique que les modèles de formulaire de refus d'entrée sont disponibles en langue française et anglaise et qu'en vertu d'une note de service du 7 mai 2020, est également disponible une notice expliquant les conditions de prise en charge dans l'" espace de mise à l'abri ", rédigée dans les six langues principalement parlées à l'ONU, devant être remise à chaque étranger, accompagnée d'une fiche relative aux gestes barrières.
24. Il résulte encore de l'instruction que les services de police veillent à ce que les femmes, les mineurs et les familles ne soient pas placés avec les autres étrangers de sexe masculin. Un espace distinct a été aménagé au sein du poste de police aux frontières de Menton à l'écart des constructions modulaires. Il est prévu que les femmes enceintes et les personnes malades ou souffrantes soient, si nécessaire, prises en charge par le poste de secours principal des sapeurs-pompiers de Menton et acheminées le cas échéant vers l'hôpital La Palmosa de Menton. Les mineurs non accompagnés pour lesquels la minorité est confirmée ou ceux pour lesquels un doute subsiste, ne sont pas renvoyées vers l'Italie mais pris en charge par une association agréée et les services du département et sont signalés au Parquet. Dans l'attente de l'arrivée de l'éducateur, ils sont maintenus sous la surveillance du poste de police et sont informés oralement de la procédure mise en oeuvre. Un protocole d'accord signé le 31 décembre 2019 par les services de l'Etat, les autorités judiciaires et le conseil départemental des Alpes-Maritimes a permis en outre d'améliorer la coordination des institutions. Dans les Hautes-Alpes, le service de la police aux frontières territorial appelle le numéro d'astreinte des services du conseil départemental pour la prise en charge du mineur non accompagné.
25. Il résulte ensuite de l'instruction que, d'une part, à la suite notamment du dernier rapport du contrôleur général des lieux privatifs de liberté et tout spécialement dans la période récente, l'Etat a renforcé significativement les procédures d'entretien des différents espaces de vie et des sanitaires et que, d'autre part, un effort comparable a été accompli pour fournir des repas plus complets aux personnes retenues ainsi que des kits repas et hygiène bébés.
26. Si enfin, en dépit des éléments complémentaires apportés par le ministre de l'intérieur dans le cadre de l'instruction qui s'est poursuivie après l'audience, les associations requérantes persistent à soutenir que l'administration n'apporte pas des informations suffisamment probantes au regard de leurs propres constats, elles se prévalent pour l'essentiel de situations individuelles qui concernent la procédure de refus d'entrée ou encore celle relative à la prise en charge des demandeurs d'asile ou des mineurs non accompagnés. Cependant, le juge des référés du Conseil d'Etat n'est pas en appel, comme ne l'étaient pas avant lui les juges des référés des tribunaux administratifs de Nice et de Marseille, saisi de cas déterminés sur lesquels il lui appartiendrait de se prononcer. Il résulte, en outre, des échanges à l'audience, complétés par les éléments fournis à l'issue de celle-ci, que les préfets concernés mettent en oeuvre les mesures d'injonction décidées par les juges des référés des tribunaux administratifs de Nice et de Marseille afin de permettre aux associations requérantes de disposer de manière régulière d'un accès aux locaux et aux personnes retenues selon des modalités qui sont en cours d'examen. Il appartiendra dans ce cadre de porter une attention particulière à la situation des personnes vulnérables notamment en période nocturne. Dans ce contexte, il n'apparaît pas qu'il soit nécessaire d'ordonner d'autres mesures générales que celles déjà ordonnées ou prévues.
27. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, que les conditions dans lesquelles sont retenus provisoirement dans les locaux de la police aux frontières de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre, des ressortissants des pays tiers à l'Union européenne en provenance d'Italie, faisant l'objet d'un refus d'entrée en France en attente de leur réacheminement vers l'Italie, ne révèlent pas, en l'état de l'instruction, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées de nature à justifier que le juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonne la fermeture immédiate des locaux de mise à l'abri et de rétention aux postes aux frontières de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre ou une mesure générale complémentaire à très bref délai. Il suit de là que les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par les ordonnances attaquées, les juges des référés des tribunaux administratifs de Nice et de Marseille ont rejeté le surplus de leurs conclusions. Il y a lieu, dès lors, de rejeter leur requête, y compris leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : Les interventions de l'association Avocats pour la défense du droit des étrangers (ADDE), du Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), du Syndicat de la magistrature, du Syndicat des avocats de France (SAF), du Mouvement citoyen tous migrants (Tous migrants), de l'association Roya citoyenne, de la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen (LDH), de la Fédération des associations de solidarité avec tou.te.s les immigré.e.s (FASTI), de l'association Le paria, de l'Alliance des avocats et des praticiens du droit des étrangers pour la défense des droits fondamentaux (l'alliance-DEF) et de l'association Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) sont admises.
Article 2 : Les requêtes de ANAFE et de Médecins du monde sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, à l'association Médecins du monde et au ministre de l'intérieur.
N° 450879
ECLI:FR:CEORD:2021:450879.20210423
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP SPINOSI, avocats
Lecture du vendredi 23 avril 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
I. L'association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE) et l'association Médecins du monde ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner, à titre principal, la fermeture immédiate des locaux attenants à ceux de la police aux frontières de Menton-Pont Saint-Louis et, à titre subsidiaire, la suspension de l'exécution de la décision du 29 décembre 2020 du préfet des Alpes-Maritimes portant refus d'accès à ses deux représentantes à ces locaux, et d'enjoindre au préfet, au besoin sous astreinte, de leur garantir immédiatement un accès. Par une ordonnance n° 2101086 du 4 mars 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a enjoint au préfet des Alpes Maritimes de prendre une nouvelle décision, dans le délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, accordant un droit d'accès aux locaux attenants à ceux de la police aux frontières de Menton-Pont Saint-Louis au bénéfice des associations Médecins du monde et de l'ANAFE et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés, sous le n° 450879, les 19 mars et 9 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ANAFE et l'association Médecins du monde demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle a rejeté le surplus des conclusions de leur demande;
2°) d'ordonner toutes mesures qu'il estimera nécessaires afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes enfermées dans les locaux attenants à ceux de la police aux frontières de Menton- Pont Saint-Louis, en particulier, en enjoignant à l'Etat, à titre principal, d'en prononcer la fermeture immédiate et, à titre subsidiaire, d'assurer aux personnes étrangères qui y sont retenues le bénéfice et la jouissance effective de l'ensemble des droits fondamentaux qui doivent leur être garantis et de prendre toute mesure destinée à garantir des conditions dignes de vie au sein de ces locaux, au besoin après un sursis à statuer sur ce point précis afin de demander à l'administration de produire, à brève échéance, un bilan complet sur la situation matérielle dans ces locaux ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite ;
- plusieurs libertés fondamentales sont méconnues en l'espèce, notamment celles tirées de la liberté d'aller et venir ainsi que du droit à la liberté et à la sûreté, ou celles tirées du droit à la dignité de la personne humaine reconnu par la Constitution et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du droit d'asile et de ses corollaires et enfin de la liberté d'aider autrui dans un but humanitaire consacrée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018 et repris à l'article L. 622-4 du code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) modifié ;
- l'installation des locaux de rétention provisoire ainsi que les pratiques privatives de liberté régulières constatées à l'occasion du maintien dans ces locaux ne reposent sur aucune base légale et méconnaissent les droits des personnes ainsi hébergées, notamment le droit d'aller et venir et le droit de recevoir des visites ;
- ces locaux, qui ne répondent pas à la définition légale de zone d'attente ou au régime de rétention administrative visé par le Ceseda, ne peuvent être assimilés à des dispositifs de mise à l'abri au sens du droit à l'hébergement d'urgence organisé par le code de l'action sociale et des familles compte tenu notamment des mesures d'enfermement et de surveillance auxquelles sont soumises les personnes étrangères concernées ;
- les privations de liberté sont systématiques, organisées et régulières et les dépassements importants de la durée de 4 heures de rétention la nuit qui sont régulièrement constatés, résultent de la fermeture du poste italien entre 19h et 8h du matin ainsi que des règles de coordination mises en place entre les deux postes de police aux frontières pour assurer le réacheminent des personnes étrangères aux heures d'ouverture ;
- les mesures de rétention peuvent également être qualifiées de mesures privatives de liberté au regard du f) de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu des modalités d'enfermement dans les constructions modulaires au regard de la durée d'enfermement souvent excessive, de la surveillance constante à laquelle les personnes sont soumises, de l'exiguïté des locaux, du nombre de personnes retenues ensemble, de l'absence d'accès à la nourriture, de l'impossibilité de nouer librement des liens sociaux et de manière générale de l'inconfort physique de cet enfermement ;
- l'ensemble des règles applicables aux situations couvertes par la directive " Retour " n° 2008/115/CE et déclinées notamment à l'article L. 551-1 du Ceseda doivent être respectées, en particulier les garanties relatives au droit d'être assisté par un conseil, de l'accès du Haut comité réfugié et à l'intervention rapide un juge sur la légalité de la rétention, ce qui n'est pas le cas actuellement ;
- le régime de ces rétentions ne respecte pas les dispositions de la directive " Retour " dont l'application aux cas des personnes interpellées aux frontières intérieures, même en cas de réintroduction du contrôle à ces frontières terrestres communes, en vertu de l'article 25 du code frontières Schengen, a été affirmée par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, dans sa décision n° 428178, du 27 novembre 2020 qui rappelle l'interprétation donnée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans sa décision C-444/17 Préfet des Pyrénées orientales c/ Arib e.a. ;
- une distinction entre la situation du ressortissant étranger qui a franchi la frontière intérieure et a été intercepté à proximité immédiate de celle-ci et celle de celui qui se présente à un point de passage autorisé (PPA) n'apparaît, sous réserve d'une question préjudicielle à poser à la CJUE, pertinente ni en droit au regard des dispositions du droit de l'Union ou à leur application en droit interne, ni en fait compte tenu des pratiques d'interception mises en oeuvre le long de la frontière à proximité des PPA ;
- les difficultés que peuvent rencontrer les Etats dans la gestion des flux migratoires ou dans l'accueil des personnes étrangères et des demandeurs d'asile ne peuvent justifier des pratiques incompatibles avec les garanties conventionnelles ;
- les personnes enfermées dans des locaux qui ne répondent à aucun régime légal sont privées de l'ensemble de leurs droits et garanties ;
- il n'est pas non plus tenu compte de manière appropriée de la situation des demandeurs d'asile ou des mineurs isolés ainsi que de leurs droits ;
- le régime de rétention provisoire tel qu'il est organisé en pratique et le défaut de statut légal de ces lieux privent les associations de leur possibilité d'exercer leur droit à porter une aide dans un but humanitaire et à assurer un accompagnement en application du principe de fraternité constitutionnellement garanti ;
- il appartient à l'administration de faire la preuve que les conditions matérielles d'hébergement sont satisfaisantes notamment à l'égard des personnes vulnérables alors que les nombreux témoignages recueillis qui corroborent les constats opérés par le contrôleur général des lieux privatifs de liberté, la commission nationale de contrôle des droits de l'homme et le comité européen pour la prévention contre la torture permettent de constater qu'elles sont indignes, inhumaines et dégradantes compte tenu de la promiscuité entre les personnes, du manque d'hygiène, de confort, de nourriture et d'eau ainsi que du manque de surveillance des bagages.
II. L'ANAFE et l'association Médecins du monde ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner, à titre principal, la fermeture immédiate des locaux attenants à ceux de la police aux frontières de Montgenèvre et, à titre subsidiaire, d'enjoindre à la préfète des Hautes-Alpes e les autoriser à accéder à ces locaux aux fins de permettre une assistance humanitaire des personnes étrangères. Par une ordonnance n° 2102047 du 16 mars 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a, d'une part, enjoint à la préfète des Hautes-Alpes de procéder au réexamen de la demande d'accès de l'ANAFE et de l'association Médecins du monde, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de leur requête.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés, sous le n° 450987, les 23 mars et 9 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ANAFE et l'association Médecins du monde demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle a rejeté le surplus des conclusions de leur demande ;
2°) d'ordonner toutes mesures qu'il estimera nécessaires afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes enfermées dans les locaux attenants à ceux de la police aux frontières de Montgenèvre, en particulier, en enjoignant à l'Etat, à titre principal, d'en prononcer la fermeture immédiate et, à titre subsidiaire, d'assurer aux personnes étrangères qui y sont retenues le bénéfice et la jouissance effective de l'ensemble des droits fondamentaux qui doivent leur être garantis et de prendre toute mesure destinée à garantir des conditions dignes de vie au sein de ces locaux, au besoin après un sursis à statuer sur ce point précis afin de demander à l'administration de produire, à brève échéance, un bilan complet sur la situation matérielle dans ces locaux ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que l'ordonnance du juge des référés du tribunal de Marseille est entachée d'irrégularité en ce qu'il a insuffisamment justifié les raisons pour lesquelles il a estimé qu'il n'était pas compétent pour ordonner la fermeture des locaux en cause et reprennent en substance les moyens exposés dans le premier recours et visés ci-dessus.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 6 avril 2021 sous les n°s 450879 et 450987, le ministre de l'intérieur conclut au rejet des requêtes. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.
Par deux mémoires en intervention, enregistrés le 11 avril 2021 sous les n°s 450879 et 450987, les Avocats de la défense des droits des étrangers (ADDE), le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France (SAF), le Mouvement citoyen tous migrants, l'association la Roya citoyenne, la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen (LDH), la Fédération des associations de solidarité avec tous les immigrés (FASTI), l'association Le paria, l'Alliance des avocats et des praticiens du droit des étrangers pour la défense des droits fondamentaux, l'association Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de faire droit aux conclusions des deux requêtes présentées par l'ANAFE et l'association Médecins du monde. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et s'associent aux moyens des requêtes.
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 14 avril 2021, par lequel le ministre de l'intérieur complète ses écritures ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 15 avril 2021, par lequel l'ANAFE et Médecins du monde complètent leurs écritures ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
- le règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 ;
- le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de procédure pénale ;
- l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'ANAFE et l'association Médecins du monde, et d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 12 avril 2021, à 17 heures :
- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'ANAFE et de l'association Médecins du monde ;
- la représentante de l'ANAFE ;
- le représentant de la CIMADE ;
- les représentantes du ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 15 avril 2021 à 19 heures.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule ordonnance.
2. Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
3. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 précité et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en oeuvre. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.
4. L'association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE) et l'association Médecins du monde ont demandé aux juges des référés du tribunal administratif de Nice, d'une part, et du tribunal administratif de Marseille, d'autre part, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner, à titre principal, la fermeture immédiate des locaux attenants à ceux de la police aux frontières de Menton-Pont Saint-Louis, pour le premier, et de Montgenèvre, pour le second, et, à titre subsidiaire, d'enjoindre aux préfets des Alpes-Maritimes et des Hautes-Alpes, chacun en ce qui le concerne, de les autoriser à accéder à ces locaux afin de leur permettre d'assurer une assistance humanitaire aux personnes étrangères placées dans ces lieux privatifs de liberté. Par deux ordonnances du 4 mars 2021, pour le premier, et du 16 mars 2021, pour le second, les juges des référés des tribunaux administratifs de Nice et de Marseille ont fait droit aux demandes d'accès aux locaux attenants aux deux postes de police aux frontières de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre présentées par les deux associations requérantes en enjoignant à chacun des préfets de réexaminer leur demande et d'organiser les modalités d'accès dans un délai de 8 jours pour l'un et de 15 jours pour l'autre, à compter de la notification de la décision. En revanche, les deux juges des référés ont rejeté le surplus des conclusions des demandes dont ils étaient saisis tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de prononcer la fermeture immédiate des locaux.
Sur les interventions :
5. L'association Avocats pour la défense du droit des étrangers (ADDE), le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France (SAF), le Mouvement citoyen tous migrants (Tous migrants), l'association la Roya citoyenne, la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen (LDH), la Fédération des associations de solidarité avec tou.te.s les immigré.e.s (FASTI), l'association Le paria, l'Alliance des avocats et des praticiens du droit des étrangers pour la défense des droits fondamentaux (l'alliance-DEF), l'association Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des deux requêtes. Ainsi leur intervention est recevable.
Sur la régularité de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille :
6. Contrairement à ce qui est soutenu, pour rejeter la demande de fermeture du local du poste de police de Montgenèvre, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille a suffisamment motivé son ordonnance.
Sur le cadre juridique et le contexte du litige :
7. Il résulte, en premier lieu, de l'instruction que la France a obtenu depuis novembre 2015, sur le fondement de l'article 23 du règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), puis de l'article 25 du règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures notamment aux points de passage autorisés (PPA) de Menton-Pont Saint-Louis (Alpes-Maritimes) et de Montgenèvre (Hautes-Alpes). Prolongé à plusieurs reprises, cette réintroduction a fait l'objet, en dernier lieu, d'une demande de renouvellement adressée à la Commission le 2 octobre 2020 fondée sur l'actualité de la menace terroriste notamment en lien avec les mouvements migratoires, sur la reprise des mouvements secondaires de migrants en lien avec des réseaux criminels de passeurs, favorisant le développement de campements de migrants ainsi que sur les besoins de lutte contre la pandémie de covid-19. Compte tenu de la pression migratoire à la frontière commune franco-italienne, les deux PPA mentionnés ont été maintenus.
8. Selon l'article 32 du code frontières Schengen actuellement en vigueur : " Lorsque le contrôle aux frontières intérieures est réintroduit, les dispositions pertinentes du titre II [" Frontières extérieures "] s'appliquent mutatis mutandis ". Si, parmi les dispositions figurant au titre II, le paragraphe 1 de l'article 13 (" Surveillances des frontières ") dispose que : " (...) Une personne qui a franchi illégalement une frontière et qui n'a pas le droit de séjourner sur le territoire de l'État membre concerné est appréhendée et fait l'objet de procédures respectant la directive 2008/115/CE ", l'article 14 (" Refus d'entrée ") prévoit que : " 1. L'entrée sur le territoire des États membres est refusée au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas l'ensemble des conditions d'entrée énoncées à l'article 6, paragraphe 1, et qui n'appartient pas à l'une des catégories de personnes visées à l'article 6, paragraphe 5. Cette disposition est sans préjudice de l'application des dispositions particulières relatives au droit d'asile et à la protection internationale ou à la délivrance de visas de long séjour. (...) ".
9. L'article 2 (" Champ d'application ") de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive " Retour ", a prévu, à son paragraphe 1, qu'elle s'applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d'un Etat membre, le " séjour irrégulier " étant défini à l'article 3 comme " la présence sur le territoire d'un Etat membre d'un ressortissant d'un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions d'entrée énoncées à l'article 5 du code frontières Schengen [reprises à l'article 6 du code dans sa version actuelle ], ou d'autres conditions d'entrée, de séjour ou de résidence dans cet Etat membre ". Toutefois, le paragraphe 2 de l'article 2 prévoit que : " Les Etats membres peuvent décider de ne pas appliquer la présente directive aux ressortissants de pays tiers : / a) faisant l'objet d'une décision de refus d'entrée conformément à l'article 13 du code frontières Schengen [devenu l'article 14 du code dans sa version actuelle], ou arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l'occasion du franchissement irrégulier par voie terrestre, maritime ou aérienne de la frontière extérieure d'un Etat membre et qui n'ont pas obtenu par la suite l'autorisation ou le droit de séjourner dans ledit Etat membre ; / (...) ".
10. Il résulte, en deuxième lieu, de l'instruction que, dans le cadre de la réintroduction du contrôle aux frontières, la France a décidé, en vertu du a) du paragraphe 2 de l'article 2 précité, de ne pas appliquer la directive " Retour " et a choisi de mettre en oeuvre la procédure de refus d'entrée prévu à l'article 14 du code frontières Schengen, en faisant application des articles L. 213-2 et L. 213-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) dans sa version maintenue en vigueur jusqu'au 1er mai 2021 par l'ordonnance du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ces dispositions sont reprises en substance aux articles L. 332-2 et L. 332-3 du Ceseda dans la version qui entrera en vigueur au 1er mai 2021.
11. L'article L. 213-2 du Ceseda actuellement en vigueur dispose que : " Tout refus d'entrée en France fait l'objet d'une décision écrite motivée prise, sauf en cas de demande d'asile, par un agent relevant d'une catégorie fixée par voie réglementaire. / Cette décision est notifiée à l'intéressé avec mention de son droit d'avertir ou de faire avertir la personne chez laquelle il a indiqué qu'il devait se rendre, son consulat ou le conseil de son choix. En cas de demande d'asile, la décision mentionne également son droit d'introduire un recours en annulation sur le fondement de l'article L. 213-9 et précise les voies et délais de ce recours. La décision et la notification des droits qui l'accompagne doivent lui être communiquées dans une langue qu'il comprend. / L'étranger peut refuser d'être rapatrié avant l'expiration du délai d'un jour franc, ce dont il est fait mention sur la notification prévue au deuxième alinéa. L'étranger mineur non accompagné d'un représentant légal ne peut être rapatrié avant l'expiration du même délai. (...). / Lorsque l'étranger ne parle pas le français, il est fait application de l'article L. 111-7. / La décision prononçant le refus d'entrée peut être exécutée d'office par l'administration. / Une attention particulière est accordée aux personnes vulnérables, notamment aux mineurs, accompagnés ou non d'un adulte. ". Aux termes de l'article L. 213-3 du même code : " Les dispositions de l'article L. 213-2 sont applicables à l'étranger qui n'est pas ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne à qui l'entrée sur le territoire métropolitain a été refusée en application de l'article 6 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen). " L'article L. 332-3 du Ceseda qui entrera en vigueur au 1er mai 2021 qui prévoit que : " La procédure prévue à l'article L. 332-2 est applicable à la décision de refus d'entrée prise à l'encontre de l'étranger en application de l'article 6 du règlement 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016. " précise que " Elle est également applicable lors de vérifications effectuées à une frontière intérieure en cas de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans les conditions prévues au chapitre II du titre III du même règlement ".
12. Le régime du refus d'entrée résultant du livre II du Ceseda actuellement en vigueur diffère de celui des mesures d'éloignement résultant du livre V du même code ainsi que les garanties procédurales associées à chacun de ces régimes, celles prévues au livre V étant plus importantes. Les mesures de réadmission de l'article L. 531-1 ou d'obligation de quitter le territoire de l'article L. 511-1 et suivants étaient mises en oeuvre antérieurement à la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures. En outre, le régime de l'assignation à résidence ou de la rétention administrative qui figurent au livre V afin d'assurer l'éloignement de l'étranger ne s'appliquent pas en cas de refus d'entrée.
13. Il résulte, en dernier lieu, de l'instruction qu'à la suite de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l'Union, ont été aménagés dans une salle du poste de police aux frontières ou dans des constructions modulaires attenantes, tant à Menton-Pont Saint-Louis qu'à Montgenèvre, des locaux où sont maintenus à titre provisoire des étrangers qui font l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire avant leur remise aux autorités italiennes. De tels lieux, au statut qualifié de " sui generis ", qui ne sont pas prévus par un texte, ne sont assimilables ni à des zones d'attente, dont le régime figure au titre II du livre II du Ceseda, et qui sont destinées aux personnes arrivant en France à une frontière extérieure au sens du règlement frontières Schengen par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne, ni à des centres de rétention administrative créés, organisés et utilisés conformément aux dispositions du livre V Ceseda. Ces locaux répondent cependant à un triple objectif, d'une part, de " mise à l'abri " des personnes étrangères dépourvues de lieux d'accueil afin de garantir le respect de leurs droits fondamentaux et de leur dignité dans l'attente d'un réacheminent vers le poste frontière italien le plus proche, d'autre part, de préservation de l'ordre public aux abords de la frontière et, enfin, de mise en place d'une politique efficace d'éloignement. Au cas d'espèce, les modalités de réacheminement sont organisées dans le cadre de l'accord de Chambéry de coopération transfrontalière conclu entre la France et l'Italie. Par une ordonnance n° 411575 du 5 juillet 2017, le juge des référés du Conseil d'Etat a, d'ailleurs, rejeté l'appel formé par l'ANAFE contre une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice rejetant sa demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de la décision informelle de création par le préfet des Alpes-Maritimes d'une zone de rétention provisoire au poste de police aux frontières de Menton, après avoir retenu, d'une part, que les conditions dans lesquelles sont maintenus provisoirement dans ces locaux des ressortissants de pays tiers à l'Union européenne en provenance d'Italie n'appellent pas d'intervention du juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, et, d'autre part, que le respect des droits des intéressés, auquel l'administration ne saurait se soustraire, implique, le cas échéant, si ces droits se trouvaient méconnus de façon grave et manifestement illégale, une saisine dans chaque cas du juge des référés statuant sur ce fondement et non, dans les circonstances de l'espèce, des mesures à caractère général.
Sur les demandes en référé :
14. L'ANAFE et autre qui n'ignorent pas l'état du droit résultant de la position ainsi prise par l'ordonnance du 5 juillet 2017 du juge des référés du Conseil d'Etat, laquelle inspire celle des juges des référés des tribunaux administratifs de Nice et de Marseille et l'action de l'administration, fait valoir que des éléments nouveaux justifient qu'à bref délai, soit prononcée la fermeture immédiate de ces lieux privatifs de liberté, ou qu'il soit enjoint d'y appliquer effectivement l'ensemble des libertés fondamentales et garanties dont bénéficient les ressortissants d'un pays tiers interpellés en situation irrégulière sur notre sol. Elles soutiennent, d'une part, que des évolutions jurisprudentielles récentes remettent en cause la possibilité de prononcer des refus d'entrée aux frontières intérieures de l'espace Schengen même après la réintroduction du contrôle aux frontières communes terrestres et, d'autre part, que des rapports, des observations de militants agissant pour la défense des personnes migrantes ou des témoignages recueillis démontrent que les locaux dits de " mise à l'abri " constituent en réalité des lieux privatifs de liberté dans lesquels sont méconnus les libertés et droits fondamentaux des personnes qui y sont retenues. Le ministre de l'intérieur qui conteste la nécessité d'un réexamen de la position du juge des référés du Conseil d'Etat, fait valoir, d'une part, que l'état actuel du droit permet que des décisions de refus d'entrée soient prises aux PPA de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre et qu'elles soient rapidement exécutées en coopération avec les autorités italiennes et, d'autre part, que les associations requérantes ou intervenantes n'établissent pas l'existence d'une dégradation depuis 2017 des conditions d'accueil dans ces locaux alors que de nombreuses améliorations y ont été apportées en particulier à la suite du dernier rapport du contrôleur général des lieux privatifs de liberté (CGLPL) établi après une visite inopinée en septembre 2018.
En ce qui concerne les refus d'entrée et les conditions légales du maintien d'une rétention provisoire aux postes de police aux frontières de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre :
15. Les associations requérantes soutiennent qu'à la suite de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 19 mars 2019, Préfet des Pyrénées-Orientales contre A. Arib e.a. (C-444/17) et de la décision n° 428178 du 27 novembre 2020, du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, Cimade qui en fait application, il n'est plus possible à l'Etat français, dans le cadre de la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures autorisée en vertu de l'article 25 du code frontières Schengen, de décider de ne pas appliquer la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, dite directive " Retour ", en se fondant sur les dispositions du a) du paragraphe 2 de l'article 2 de cette directive. Elles en tirent la conséquence, d'une part, que l'Etat ne peut plus prendre, sur le fondement des articles L. 213-2 et L. 213-3 du Ceseda, des décisions de refus d'entrée à l'encontre des ressortissants des pays de tiers susceptibles d'être exécutées d'office, selon une procédure simplifiée, et, d'autre part, que le régime de rétention provisoire mis en place aux PPA de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre pour assurer l'effectivité de ces décisions, qui n'a pas de fondement légal, est ainsi privé de toute justification.
16. L'arrêt du 19 mars 2019 C-444/17, a dit pour droit que " l'article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lu en combinaison avec l'article 32 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à la situation d'un ressortissant de pays tiers, arrêté à proximité immédiate d'une frontière intérieure et en séjour irrégulier sur le territoire d'un État membre, même lorsque cet État membre a réintroduit, en vertu de l'article 25 de ce règlement, le contrôle à cette frontière, en raison d'une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure dudit État membre. "
17. Par sa décision du 27 novembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a rappelé, d'une part, que le a) du paragraphe 2 de l'article 2 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 permet aux Etats membres de ne pas appliquer les dispositions de cette directive aux ressortissants de pays tiers faisant l'objet d'une décision de refus d'entrée conformément à l'article 14 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), ou arrêtés ou interceptés à l'occasion du franchissement irrégulier de la frontière extérieure d'un Etat membre. Il a rappelé, d'autre part, que telles qu'interprétées par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 19 mars 2019, Préfet des Pyrénées-Orientales contre Arib e.a. (C-444/17), ces dispositions ne sont pas applicables aux franchissements des frontières intérieures d'un Etat membre lorsque celui-ci a réintroduit le contrôle à ces frontières en vertu de l'article 25 du code frontières Schengen. Il en a déduit qu'" en ce qu'il permet d'opposer un refus d'entrée à un étranger qui a pénétré sur le territoire métropolitain en franchissant une frontière intérieure terrestre alors que lui sont applicables les dispositions, relatives au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier prises pour la transposition de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, les dispositions de l'article L. 213-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont incompatibles avec les objectifs de celle-ci " avant de prononcer l'annulation de l'article 2 du décret n° 2018-1159 du 14 décembre 2018 pris pour l'application de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie et portant diverses dispositions relatives à la lutte contre l'immigration irrégulière et au traitement de la demande d'asile, pris pour l'application de ces dispositions législatives, qui avaient inséré dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile un article R. 213-1-1, pris pour l'application de l'article L. 213-3-1 de ce code.
18. Ainsi que le ministre de l'intérieur le soutient, ni l'arrêt précité de la CJUE, - ni d'ailleurs davantage l'arrêt du 7 juin 2016 Affum (C-47/15) -, ni la décision précitée du Conseil d'Etat n'ont pris formellement position sur le droit applicable à un ressortissant d'un pays tiers faisant l'objet d'un refus d'entrée après s'être présenté à une frontière commune terrestre à la suite de la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures. Selon le ministre, il convient donc de distinguer les deux situations mentionnées sous a) du paragraphe 2 de l'article 2 de la directive " Retour ", c'est-à-dire celle d'un refus d'entrée et celle d'un franchissement illégal de frontière. Il fait en outre valoir que le refus d'entrée prévu par l'article 14 figurant au titre II (" frontières extérieures ") du code frontières Schengen est au nombre des " dispositions pertinentes " dont l'article 32 du même code prévoit qu'elles peuvent être appliquées " mutatis mutandis " en cas de réintroduction des contrôles aux frontières intérieures en vertu de l'article 25 de ce code. Selon lui, l'Etat français pourrait donc, en vertu du a) du paragraphe 2 de l'article 2 de la directive " Retour ", continuer à ne pas appliquer la directive " Retour " lorsqu'il prononce, en vertu des articles L. 213-2 et L. 213-3 du Ceseda, un refus d'entrée d'un ressortissant d'un pays tiers qui se présente à la frontière.
19. Compte tenu de l'interprétation à donner à l'article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, lu en combinaison avec l'article 32 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016 (code frontières Schengen), l'incompatibilité des dispositions des articles L. 213-2 et L. 213-3 du Ceseda avec les règles du droit de l'Union européenne n'apparaît pas manifeste. Par suite, il n'appartient pas, eu égard à son office, au juge des référés du Conseil d'Etat de les écarter.
20. Dans ces conditions, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les locaux aménagés, à titre temporaire, à l'intérieur et à l'extérieur des postes de la police de l'air et des frontières de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre pour la mise à l'abri et le maintien en rétention provisoire des ressortissants des pays tiers faisant l'objet d'un refus d'entrée dans le cadre de la réintroduction, elle-même temporaire, des contrôles aux frontières intérieures, ne répondraient plus à aucune nécessité légale ou pratique alors qu'ils ont encore vocation à répondre aux trois objectifs rappelés au point 13.
En ce qui concerne les modalités pratiques de mise en oeuvre des mesures de mise à l'abri et de rétention dans les locaux de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre :
21. Ainsi que l'ordonnance précitée du 5 juillet 2017 du juge des référés du Conseil d'Etat l'a déjà rappelé, l'administration ne saurait à l'occasion de la rétention provisoire des étrangers appréhendés à la frontière franco-italienne, se soustraire à l'obligation du respect des droits des intéressés. L'objectif de mise à l'abri également visé tend d'ailleurs en principe à assurer le respect notamment des droits à la sécurité et à la dignité de ces personnes. Toutefois, dès lors que la mise à l'abri et la mise en rétention se confondent le plus souvent, il appartient à l'Etat de faire toute diligence pour s'assurer que cette atteinte à la liberté d'aller et venir, et ce alors même qu'une telle liberté ne peut être invoquée pour entrer illégalement sur le territoire, soit la plus réduite possible. Il lui incombe également de porter une attention particulière aux personnes vulnérables. Il lui appartient également de veiller à l'entretien très régulier et à l'hygiène des différents locaux utilisés par les personnes retenues, en particulier en période de pandémie. Il doit pourvoir de manière suffisante aux besoins en nourriture et en eau des personnes retenues. Une attention toute particulière doit être portée à l'aménagement des locaux en période nocturne et, à cette occasion, à une prise en charge adéquate des personnes en état de vulnérabilité manifeste. La sécurité et l'accès aux bagages et effets personnels doivent être assurés. Enfin, l'accès à un conseil et à une assistance, le droit de communiquer avec une personne de son choix, le droit d'effectuer un recours, doivent être garantis de manière adaptée, au cours de la période de la rétention.
22. Il résulte de l'instruction qu'au poste de Menton-Pont Saint-Louis, point unique pour les Alpes-Maritimes de remise aux autorités italiennes des étrangers en situation irrégulière, 22 616 personnes étrangères ont fait l'objet d'une procédure de non-admission en 2020, soit une moyenne de 62 personnes non-admises par jour. Cette moyenne est passée au cours des premières semaines de l'année 2021 à environ 87 personnes par jour non-admises. Ces chiffres sont, pour le poste de Montgenèvre qui agit en collaboration avec le poste aux frontières italien de Bardonecchia, respectivement de 1 576 personnes en 2020, soit environ 4 personnes par jour, moyenne qui s'établit à 7 personnes par jour en 2021. En dépit d'un désaccord persistant des associations sur ce point, il apparaît que les services de la police aux frontières française qui agissent avec leur homologue italien dans le cadre de l'accord de Chambéry, veillent, dans la mesure de leurs moyens, à ne pas dépasser un délai raisonnable de rétention de quatre heures. Les registres tenus par les deux postes de police rendent compte des entrées et sorties avec indication des heures et des durées. Les relevés effectués en période diurne permettent de vérifier qu'en moyenne, cet objectif est pour l'essentiel atteint. Cependant, il n'en va pas de même en période nocturne tout particulièrement au poste de police de Menton-Pont Saint-Louis, compte tenu en particulier des heures d'ouverture de 8h à 19 h du poste italien et de l'examen par petits groupes des étrangers réacheminés vers celui-ci. Le ministre de l'intérieur a produit au cours de l'instruction, qui s'est prolongée après l'audience, des éléments qui attestent des efforts menés actuellement en lien avec les autorités italiennes pour parvenir, dans les meilleurs délais, à une amélioration significative de cette situation préoccupante. En effet, si compte tenu du faible nombre de personnes interpellées à Montgenèvre, localité d'altitude située à 1 860 mètres, le local de rétention a pu être équipé de lits et de couvertures pour la nuit, il n'en va pas de même à Menton-Pont Saint-Louis où, compte tenu de la faible surface des locaux actuellement disponibles et du nombre de personnes habituellement retenues en période nocturne, aucun couchage même sommaire n'est prévu. Il en résulte une situation de grand inconfort qui peut se révéler délicate à supporter pour des personnes en situation de particulière vulnérabilité et est susceptible de porter atteinte à leur dignité. L'évolution de cette situation dépend, au niveau général, des résultats des efforts actuellement entrepris par les parties prenantes à l'accord de Chambéry. En l'absence d'une alternative à bref délai, elle ne justifie pas, en tout état de cause, que les locaux soient fermés en période nocturne ou que ces personnes soient laissées sans protection dans la nuit passé un délai de quatre heures de rétention. En revanche, elle appelle de la part des autorités compétentes la plus grande vigilance pour que soit prise en charge sans attendre de manière la plus appropriée toute situation particulière qui surviendrait.
23. Il résulte par ailleurs de l'instruction, au regard notamment des registres qui retracent les données relatives aux personnes prises en charge, que la situation notamment des femmes, des mineurs et des demandeurs d'asile est prise en compte. Ils font également état de la vérification des situations individuelles qui conduisent à ne pas prendre systématiquement une décision de non-admission. Le ministre de l'intérieur fait état des procédures mises en place notamment dans la période récente pour assurer aux personnes interpellées une information sur leurs droits, dans une langue qu'ils comprennent, à l'aide en particulier d'un service d'interprétariat à distance agréé par l'administration. Il indique que les modèles de formulaire de refus d'entrée sont disponibles en langue française et anglaise et qu'en vertu d'une note de service du 7 mai 2020, est également disponible une notice expliquant les conditions de prise en charge dans l'" espace de mise à l'abri ", rédigée dans les six langues principalement parlées à l'ONU, devant être remise à chaque étranger, accompagnée d'une fiche relative aux gestes barrières.
24. Il résulte encore de l'instruction que les services de police veillent à ce que les femmes, les mineurs et les familles ne soient pas placés avec les autres étrangers de sexe masculin. Un espace distinct a été aménagé au sein du poste de police aux frontières de Menton à l'écart des constructions modulaires. Il est prévu que les femmes enceintes et les personnes malades ou souffrantes soient, si nécessaire, prises en charge par le poste de secours principal des sapeurs-pompiers de Menton et acheminées le cas échéant vers l'hôpital La Palmosa de Menton. Les mineurs non accompagnés pour lesquels la minorité est confirmée ou ceux pour lesquels un doute subsiste, ne sont pas renvoyées vers l'Italie mais pris en charge par une association agréée et les services du département et sont signalés au Parquet. Dans l'attente de l'arrivée de l'éducateur, ils sont maintenus sous la surveillance du poste de police et sont informés oralement de la procédure mise en oeuvre. Un protocole d'accord signé le 31 décembre 2019 par les services de l'Etat, les autorités judiciaires et le conseil départemental des Alpes-Maritimes a permis en outre d'améliorer la coordination des institutions. Dans les Hautes-Alpes, le service de la police aux frontières territorial appelle le numéro d'astreinte des services du conseil départemental pour la prise en charge du mineur non accompagné.
25. Il résulte ensuite de l'instruction que, d'une part, à la suite notamment du dernier rapport du contrôleur général des lieux privatifs de liberté et tout spécialement dans la période récente, l'Etat a renforcé significativement les procédures d'entretien des différents espaces de vie et des sanitaires et que, d'autre part, un effort comparable a été accompli pour fournir des repas plus complets aux personnes retenues ainsi que des kits repas et hygiène bébés.
26. Si enfin, en dépit des éléments complémentaires apportés par le ministre de l'intérieur dans le cadre de l'instruction qui s'est poursuivie après l'audience, les associations requérantes persistent à soutenir que l'administration n'apporte pas des informations suffisamment probantes au regard de leurs propres constats, elles se prévalent pour l'essentiel de situations individuelles qui concernent la procédure de refus d'entrée ou encore celle relative à la prise en charge des demandeurs d'asile ou des mineurs non accompagnés. Cependant, le juge des référés du Conseil d'Etat n'est pas en appel, comme ne l'étaient pas avant lui les juges des référés des tribunaux administratifs de Nice et de Marseille, saisi de cas déterminés sur lesquels il lui appartiendrait de se prononcer. Il résulte, en outre, des échanges à l'audience, complétés par les éléments fournis à l'issue de celle-ci, que les préfets concernés mettent en oeuvre les mesures d'injonction décidées par les juges des référés des tribunaux administratifs de Nice et de Marseille afin de permettre aux associations requérantes de disposer de manière régulière d'un accès aux locaux et aux personnes retenues selon des modalités qui sont en cours d'examen. Il appartiendra dans ce cadre de porter une attention particulière à la situation des personnes vulnérables notamment en période nocturne. Dans ce contexte, il n'apparaît pas qu'il soit nécessaire d'ordonner d'autres mesures générales que celles déjà ordonnées ou prévues.
27. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, que les conditions dans lesquelles sont retenus provisoirement dans les locaux de la police aux frontières de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre, des ressortissants des pays tiers à l'Union européenne en provenance d'Italie, faisant l'objet d'un refus d'entrée en France en attente de leur réacheminement vers l'Italie, ne révèlent pas, en l'état de l'instruction, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées de nature à justifier que le juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonne la fermeture immédiate des locaux de mise à l'abri et de rétention aux postes aux frontières de Menton-Pont Saint-Louis et de Montgenèvre ou une mesure générale complémentaire à très bref délai. Il suit de là que les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par les ordonnances attaquées, les juges des référés des tribunaux administratifs de Nice et de Marseille ont rejeté le surplus de leurs conclusions. Il y a lieu, dès lors, de rejeter leur requête, y compris leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : Les interventions de l'association Avocats pour la défense du droit des étrangers (ADDE), du Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), du Syndicat de la magistrature, du Syndicat des avocats de France (SAF), du Mouvement citoyen tous migrants (Tous migrants), de l'association Roya citoyenne, de la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen (LDH), de la Fédération des associations de solidarité avec tou.te.s les immigré.e.s (FASTI), de l'association Le paria, de l'Alliance des avocats et des praticiens du droit des étrangers pour la défense des droits fondamentaux (l'alliance-DEF) et de l'association Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) sont admises.
Article 2 : Les requêtes de ANAFE et de Médecins du monde sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, à l'association Médecins du monde et au ministre de l'intérieur.