Conseil d'État
N° 451085
ECLI:FR:CEORD:2021:451085.20210414
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP SPINOSI, avocats
Lecture du mercredi 14 avril 2021
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 mars et 7 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Comité professionnel des galeries d'art demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension des dispositions du IV de l'article 37 ainsi que du I de l'article 45 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face a` l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, tel que modifié par le décret n° 2021-296 du 19 mars 2021, en ce qu'elles ne prévoient pas, d'une part, que les galeries d'art figurent, au même titre que les salles de vente, parmi les établissements autorisés a` accueillir du public et, d'autre part, que leur activité relève de celles permettant l'accueil du public, au même titre que les librairies et les disquaires, lorsque ces galeries d'art sont situées dans les départements mentionnés à l'annexe 2 du décret du 29 octobre 2020 et concernés par les restrictions instaurées entre 6 heures et 19 heures ;
2°) à titre principal, d'enjoindre au Premier ministre de modifier sans délai le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 afin que les galeries d'art soient intégrées à la liste des établissements autorisés a` accueillir du public au même titre que les salles de vente ;
3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au Premier ministre de modifier sans délai le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 afin d'autoriser les galeries d'art à accueillir du public de façon individualisée et sur rendez-vous aux fins de permettre la présentation des oeuvres et leur commercialisation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors, d'une part, que les dispositions contestées portent une atteinte grave et immédiate à plusieurs libertés fondamentales et, d'autre part, que l'interdiction d'accueillir du public a pour effet d'affecter directement et gravement l'activité économique des exploitants de galeries d'art, dans un secteur très affecteŽ par la crise sanitaire, alors que les salles de ventes, qui exercent une activité concurrente largement comparable, peuvent accueillir du public ;
- les dispositions contestées méconnaissent la liberté de création et de diffusion artistiques dès lors que la vente d'oeuvres, qui constitue la première source de revenus des artistes, implique nécessairement une rencontre physique et directe de l'acquéreur avec l'oeuvre dans la galerie d'art, et ce, en amont de la décision d'achat ;
- elles méconnaissent la liberté d'expression, la libre communication des idées et des opinions ainsi que la liberté d'accès aux oeuvres culturelles et artistiques dès lors que les galeries d'art, qui présentent le caractère d'un commerce essentiel au même titre que les librairies et les magasins de vente de livres d'occasion, permettent un accès ouvert et diversifié à un grand nombre d'oeuvres d'art, même peu connues ;
- elles méconnaissent la liberté d'entreprendre, la liberté du commerce et de l'industrie et le droit au libre exercice d'une profession eu égard à la particularité de la profession d'exploitant de galerie d'art, qui est au service d'une activité essentielle ;
- elles méconnaissent le principe d'égalité dès lors qu'elles instituent une différence manifeste et injustifiée de traitement entre les sociétés de ventes volontaires aux enchères publiques, d'une part, et les galeries d'art, d'autre part, créant ainsi une situation de concurrence déloyale au détriment des secondes, alors qu'elles se trouvent dans une situation rigoureusement identique pour ce qui est de l'activité économique exercée, tout particulièrement dans le domaine des oeuvres d'art ;
- elles ne sauraient être regardées comme adaptées et proportionnées aux objectifs sanitaires dès lors qu'il est manifeste que l'ensemble des précautions sanitaires liées à la lutte contre l'épidémie peuvent être prises par les galeries d'art dans le cadre de leurs activités et, d'autre part, qu'elles autorisent l'accueil du public pour des activités distinctes mais comparables et qui représentent un risque sanitaire bien plus important, telles que le commerce de détail de livres ou d'enregistrements musicaux et vidéos.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 1er avril 2021, le Syndicat national des antiquaires négociants en objet d'art, tableaux anciens et modernes (SNA) demande que le Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de l'association Comité professionnel des galeries d'art. Il soutient que son intervention est recevable et s'associe aux moyens de la requête.
La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 9 avril 2021, présenté par le ministre des solidarités et de la santé qui reprend ses précédentes conclusions par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 12 avril 2021, présenté par l'association Comité professionnel des galeries d'art qui reprend les conclusions de sa requête par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de la santé publique ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 modifié notamment par les décrets n° 2021-296 du 19 mars 2021 et n°2021-384 du 2 avril 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Comité professionnel des galeries d'art, et d'autre part, le ministre des solidarités et de la santé ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 8 avril 2021, à 11 heures :
- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association Comité professionnel des galeries d'art ;
- les représentants de l'association Comité professionnel des galeries d'art ;
- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 12 avril 2021 à 12 heures.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
Sur les circonstances et le cadre du litige :
2. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". L'article L. 3131-13 du même code dispose que : " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (...) / La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 131-19 ". Aux termes du I de l'article L. 3131-15 du même code : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : (...) 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ". Ce même article précise à son III que les mesures prises en application de ses dispositions " sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ".
3. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit les autorités compétentes à prendre diverses mesures destinées à réduire les risques de contagion. Une nouvelle progression de l'épidémie de covid-19 sur le territoire national a conduit le Président de la République à prendre, le 14 octobre 2020, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 sur l'ensemble du territoire de la République. L'article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire modifié par la loi du 15 février 2021 a prorogé l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1err juin 2021 inclus. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'urgence sanitaire, mesures qui ont été adaptées à l'évolution de la situation sanitaire notamment par le décret du 19 mars 2021 qui a décidé de restrictions supplémentaires dans seize départements et du décret du 2 avril 2021 qui a étendu ces restrictions à l'ensemble du territoire métropolitain.
4. Il résulte des dispositions du IV de l'article 37 du décret du 29 octobre 2020 dans sa rédaction issue du décret du 19 mars 2021 que, sauf exceptions au nombre desquelles figurent les librairies et les disquaires mais non les galeries d'art, les établissements recevant du public relevant de la catégorie M mentionnée par le règlement pris en application de l'article R. 123-12 du code de la construction et de l'habitation ne peuvent pas accueillir du public entre 6 heures et 19 heures. Cette fermeture au public de la plupart des commerces, initialement limitée aux seize départements concernés par les restrictions supplémentaires prévues par le décret du 19 mars 2021 a été étendue, en vertu du décret du 2 avril 2021, à l'ensemble du territoire métropolitain. Par ailleurs, en application du I de l'article 45 du décret du 29 octobre 2020, les établissements relevant de la catégorie L ne sont pas autorisés à accueillir du public, à l'exception, notamment, depuis le 28 novembre 2020, des salles de vente.
Sur l'intervention :
5. Le Syndicat national des antiquaires négociants en objet d'art, tableaux anciens et modernes justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête. Ainsi son intervention est recevable.
Sur la requête en référé :
6. L'association Comité professionnel des galeries d'art demande la suspension des dispositions du IV de l'article 37 et du I de l'article 45 du décret du 29 octobre 2020 dans sa rédaction issue du décret du 19 mars 2021 en tant qu'elles n'accordent aux galeries d'art ni le régime dérogatoire d'ouverture au public dont bénéficient les librairies et les disquaires, ni celui accordé aux salles de vente.
7. Ainsi que le soutient à juste titre l'association requérante, la fermeture au public des galeries d'art porte une atteinte grave aux libertés fondamentales que constituent la liberté d'expression et la libre communication des idées, la liberté de création et de diffusion artistique, la liberté d'accès aux oeuvres culturelles, la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie ainsi que le droit au libre exercice d'une profession. Par ailleurs, si la requérante ne peut utilement, au soutien de sa demande tendant à bénéficier du régime dérogatoire d'ouverture au public accordé aux librairies et aux disquaires en application du IV de l'article 37 du décret du 20 octobre 2020, se prévaloir d'une méconnaissance du principe d'égalité, laquelle ne révèle pas, par elle-même, une atteinte à une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, il résulte de l'instruction que la fermeture au public des galeries d'art crée une grave distorsion de concurrence avec les salles de vente, lesquelles sont autorisées par exception, en application du I de l'article 45 du décret précité, à accueillir du public et, par suite, à même d'exercer l'activité d'opérateur de ventes volontaires notamment sur le marché de l'art.
8. Compte tenu de cette atteinte grave portée à plusieurs libertés fondamentales au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la fermeture au public des galeries d'art, sur l'ensemble du territoire national ou sur une partie de celui-ci, ne peut être regardée comme une mesure nécessaire et adaptée, et, ce faisant, proportionnée à l'objectif de préservation de la santé publique qu'elle poursuit qu'en présence d'un contexte sanitaire marqué par un niveau particulièrement élevé de diffusion du virus au sein de la population susceptible de compromettre à court terme la prise en charge, notamment hospitalière, des personnes contaminées et des patients atteints d'autres affections.
9. Il résulte des données scientifiques disponibles à la date du 12 avril 2021, que la situation épidémiologique sur le territoire métropolitain est très préoccupante avec des indicateurs épidémiologiques et hospitaliers très fortement dégradés. Ainsi, au cours de la semaine du 29 au 4 avril 2021, le taux d'incidence, toujours en progression, s'établissait à 404 cas de contamination à la covid-19 pour 100 000 habitants et il était enregistré une moyenne de près de 39 000 de nouveaux cas chaque jour, en augmentation de 4 % par rapport à la semaine précédente. Par ailleurs, la tension hospitalière s'accentuait encore sensiblement cette même semaine et la mortalité était à nouveau en hausse avec des taux d'hospitalisation, d'admission en services de soins critiques et de mortalité en augmentation respectivement de 9 %, 14 % et 10 % par rapport à la semaine précédente, le nombre de personnes hospitalisées s'élevant à 30 671 dont 5 838 patients en services de soins critiques le 11 avril 2021. Eu égard à cette nette aggravation de la crise sanitaire sur le territoire métropolitain et alors qu'est observée en Ile-de-France et dans les Hauts-de-France, au cours de la semaine du 29 au 4 avril 2021, une circulation virale de moindre intensité pouvant traduire les premiers effets bénéfiques des restrictions renforcées prises dans ces régions en application du décret du 19 mars 2021, la fermeture au public des galeries d'art au même titre que la plupart des autres commerces, qui vise à réduire les occasions de déplacements de personnes hors de leur domicile afin de limiter les interactions sociales à l'occasion desquelles la propagation du virus est facilitée, ne porte pas, à la date de la présente ordonnance, une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales dont se prévaut l'association requérante.
10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la condition d'urgence, la requête présentée par l'association Comité professionnel des galeries d'art doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : L'intervention du Syndicat national des antiquaires négociants en objet d'art, tableaux anciens et modernes est admise.
Article 2 : La requête de l'association Comité professionnel des galeries d'art est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Comité professionnel des galeries d'art et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au Syndicat national des antiquaires négociants en objet d'art, tableaux anciens et modernes.
N° 451085
ECLI:FR:CEORD:2021:451085.20210414
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP SPINOSI, avocats
Lecture du mercredi 14 avril 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 mars et 7 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Comité professionnel des galeries d'art demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension des dispositions du IV de l'article 37 ainsi que du I de l'article 45 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face a` l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, tel que modifié par le décret n° 2021-296 du 19 mars 2021, en ce qu'elles ne prévoient pas, d'une part, que les galeries d'art figurent, au même titre que les salles de vente, parmi les établissements autorisés a` accueillir du public et, d'autre part, que leur activité relève de celles permettant l'accueil du public, au même titre que les librairies et les disquaires, lorsque ces galeries d'art sont situées dans les départements mentionnés à l'annexe 2 du décret du 29 octobre 2020 et concernés par les restrictions instaurées entre 6 heures et 19 heures ;
2°) à titre principal, d'enjoindre au Premier ministre de modifier sans délai le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 afin que les galeries d'art soient intégrées à la liste des établissements autorisés a` accueillir du public au même titre que les salles de vente ;
3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au Premier ministre de modifier sans délai le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 afin d'autoriser les galeries d'art à accueillir du public de façon individualisée et sur rendez-vous aux fins de permettre la présentation des oeuvres et leur commercialisation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors, d'une part, que les dispositions contestées portent une atteinte grave et immédiate à plusieurs libertés fondamentales et, d'autre part, que l'interdiction d'accueillir du public a pour effet d'affecter directement et gravement l'activité économique des exploitants de galeries d'art, dans un secteur très affecteŽ par la crise sanitaire, alors que les salles de ventes, qui exercent une activité concurrente largement comparable, peuvent accueillir du public ;
- les dispositions contestées méconnaissent la liberté de création et de diffusion artistiques dès lors que la vente d'oeuvres, qui constitue la première source de revenus des artistes, implique nécessairement une rencontre physique et directe de l'acquéreur avec l'oeuvre dans la galerie d'art, et ce, en amont de la décision d'achat ;
- elles méconnaissent la liberté d'expression, la libre communication des idées et des opinions ainsi que la liberté d'accès aux oeuvres culturelles et artistiques dès lors que les galeries d'art, qui présentent le caractère d'un commerce essentiel au même titre que les librairies et les magasins de vente de livres d'occasion, permettent un accès ouvert et diversifié à un grand nombre d'oeuvres d'art, même peu connues ;
- elles méconnaissent la liberté d'entreprendre, la liberté du commerce et de l'industrie et le droit au libre exercice d'une profession eu égard à la particularité de la profession d'exploitant de galerie d'art, qui est au service d'une activité essentielle ;
- elles méconnaissent le principe d'égalité dès lors qu'elles instituent une différence manifeste et injustifiée de traitement entre les sociétés de ventes volontaires aux enchères publiques, d'une part, et les galeries d'art, d'autre part, créant ainsi une situation de concurrence déloyale au détriment des secondes, alors qu'elles se trouvent dans une situation rigoureusement identique pour ce qui est de l'activité économique exercée, tout particulièrement dans le domaine des oeuvres d'art ;
- elles ne sauraient être regardées comme adaptées et proportionnées aux objectifs sanitaires dès lors qu'il est manifeste que l'ensemble des précautions sanitaires liées à la lutte contre l'épidémie peuvent être prises par les galeries d'art dans le cadre de leurs activités et, d'autre part, qu'elles autorisent l'accueil du public pour des activités distinctes mais comparables et qui représentent un risque sanitaire bien plus important, telles que le commerce de détail de livres ou d'enregistrements musicaux et vidéos.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 1er avril 2021, le Syndicat national des antiquaires négociants en objet d'art, tableaux anciens et modernes (SNA) demande que le Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de l'association Comité professionnel des galeries d'art. Il soutient que son intervention est recevable et s'associe aux moyens de la requête.
La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 9 avril 2021, présenté par le ministre des solidarités et de la santé qui reprend ses précédentes conclusions par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 12 avril 2021, présenté par l'association Comité professionnel des galeries d'art qui reprend les conclusions de sa requête par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de la santé publique ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 modifié notamment par les décrets n° 2021-296 du 19 mars 2021 et n°2021-384 du 2 avril 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Comité professionnel des galeries d'art, et d'autre part, le ministre des solidarités et de la santé ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 8 avril 2021, à 11 heures :
- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association Comité professionnel des galeries d'art ;
- les représentants de l'association Comité professionnel des galeries d'art ;
- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 12 avril 2021 à 12 heures.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
Sur les circonstances et le cadre du litige :
2. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". L'article L. 3131-13 du même code dispose que : " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (...) / La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 131-19 ". Aux termes du I de l'article L. 3131-15 du même code : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : (...) 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ". Ce même article précise à son III que les mesures prises en application de ses dispositions " sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ".
3. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit les autorités compétentes à prendre diverses mesures destinées à réduire les risques de contagion. Une nouvelle progression de l'épidémie de covid-19 sur le territoire national a conduit le Président de la République à prendre, le 14 octobre 2020, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 sur l'ensemble du territoire de la République. L'article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire modifié par la loi du 15 février 2021 a prorogé l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1err juin 2021 inclus. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'urgence sanitaire, mesures qui ont été adaptées à l'évolution de la situation sanitaire notamment par le décret du 19 mars 2021 qui a décidé de restrictions supplémentaires dans seize départements et du décret du 2 avril 2021 qui a étendu ces restrictions à l'ensemble du territoire métropolitain.
4. Il résulte des dispositions du IV de l'article 37 du décret du 29 octobre 2020 dans sa rédaction issue du décret du 19 mars 2021 que, sauf exceptions au nombre desquelles figurent les librairies et les disquaires mais non les galeries d'art, les établissements recevant du public relevant de la catégorie M mentionnée par le règlement pris en application de l'article R. 123-12 du code de la construction et de l'habitation ne peuvent pas accueillir du public entre 6 heures et 19 heures. Cette fermeture au public de la plupart des commerces, initialement limitée aux seize départements concernés par les restrictions supplémentaires prévues par le décret du 19 mars 2021 a été étendue, en vertu du décret du 2 avril 2021, à l'ensemble du territoire métropolitain. Par ailleurs, en application du I de l'article 45 du décret du 29 octobre 2020, les établissements relevant de la catégorie L ne sont pas autorisés à accueillir du public, à l'exception, notamment, depuis le 28 novembre 2020, des salles de vente.
Sur l'intervention :
5. Le Syndicat national des antiquaires négociants en objet d'art, tableaux anciens et modernes justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête. Ainsi son intervention est recevable.
Sur la requête en référé :
6. L'association Comité professionnel des galeries d'art demande la suspension des dispositions du IV de l'article 37 et du I de l'article 45 du décret du 29 octobre 2020 dans sa rédaction issue du décret du 19 mars 2021 en tant qu'elles n'accordent aux galeries d'art ni le régime dérogatoire d'ouverture au public dont bénéficient les librairies et les disquaires, ni celui accordé aux salles de vente.
7. Ainsi que le soutient à juste titre l'association requérante, la fermeture au public des galeries d'art porte une atteinte grave aux libertés fondamentales que constituent la liberté d'expression et la libre communication des idées, la liberté de création et de diffusion artistique, la liberté d'accès aux oeuvres culturelles, la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie ainsi que le droit au libre exercice d'une profession. Par ailleurs, si la requérante ne peut utilement, au soutien de sa demande tendant à bénéficier du régime dérogatoire d'ouverture au public accordé aux librairies et aux disquaires en application du IV de l'article 37 du décret du 20 octobre 2020, se prévaloir d'une méconnaissance du principe d'égalité, laquelle ne révèle pas, par elle-même, une atteinte à une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, il résulte de l'instruction que la fermeture au public des galeries d'art crée une grave distorsion de concurrence avec les salles de vente, lesquelles sont autorisées par exception, en application du I de l'article 45 du décret précité, à accueillir du public et, par suite, à même d'exercer l'activité d'opérateur de ventes volontaires notamment sur le marché de l'art.
8. Compte tenu de cette atteinte grave portée à plusieurs libertés fondamentales au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la fermeture au public des galeries d'art, sur l'ensemble du territoire national ou sur une partie de celui-ci, ne peut être regardée comme une mesure nécessaire et adaptée, et, ce faisant, proportionnée à l'objectif de préservation de la santé publique qu'elle poursuit qu'en présence d'un contexte sanitaire marqué par un niveau particulièrement élevé de diffusion du virus au sein de la population susceptible de compromettre à court terme la prise en charge, notamment hospitalière, des personnes contaminées et des patients atteints d'autres affections.
9. Il résulte des données scientifiques disponibles à la date du 12 avril 2021, que la situation épidémiologique sur le territoire métropolitain est très préoccupante avec des indicateurs épidémiologiques et hospitaliers très fortement dégradés. Ainsi, au cours de la semaine du 29 au 4 avril 2021, le taux d'incidence, toujours en progression, s'établissait à 404 cas de contamination à la covid-19 pour 100 000 habitants et il était enregistré une moyenne de près de 39 000 de nouveaux cas chaque jour, en augmentation de 4 % par rapport à la semaine précédente. Par ailleurs, la tension hospitalière s'accentuait encore sensiblement cette même semaine et la mortalité était à nouveau en hausse avec des taux d'hospitalisation, d'admission en services de soins critiques et de mortalité en augmentation respectivement de 9 %, 14 % et 10 % par rapport à la semaine précédente, le nombre de personnes hospitalisées s'élevant à 30 671 dont 5 838 patients en services de soins critiques le 11 avril 2021. Eu égard à cette nette aggravation de la crise sanitaire sur le territoire métropolitain et alors qu'est observée en Ile-de-France et dans les Hauts-de-France, au cours de la semaine du 29 au 4 avril 2021, une circulation virale de moindre intensité pouvant traduire les premiers effets bénéfiques des restrictions renforcées prises dans ces régions en application du décret du 19 mars 2021, la fermeture au public des galeries d'art au même titre que la plupart des autres commerces, qui vise à réduire les occasions de déplacements de personnes hors de leur domicile afin de limiter les interactions sociales à l'occasion desquelles la propagation du virus est facilitée, ne porte pas, à la date de la présente ordonnance, une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales dont se prévaut l'association requérante.
10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la condition d'urgence, la requête présentée par l'association Comité professionnel des galeries d'art doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention du Syndicat national des antiquaires négociants en objet d'art, tableaux anciens et modernes est admise.
Article 2 : La requête de l'association Comité professionnel des galeries d'art est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Comité professionnel des galeries d'art et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au Syndicat national des antiquaires négociants en objet d'art, tableaux anciens et modernes.