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Ariane Web: Conseil d'État 440543, lecture du 31 mars 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:440543.20210331

Décision n° 440543
31 mars 2021
Conseil d'État

N° 440543
ECLI:FR:CECHR:2021:440543.20210331
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Charles-Emmanuel Airy, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public


Lecture du mercredi 31 mars 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 mai et 30 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme C... et Guilhemette B... et Mme A... D... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les paragraphes n° 1, 10, 30, 50, 60, 120 et 130 des commentaires administratifs publiés le 22 novembre 2018 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-PAT-IFI-40-30-10 ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment l'article 1er de son premier protocole additionnel ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016, notamment son article 60 ;
- la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017, notamment son article 31 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, Auditeur,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;




Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B... et autre demandent au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir les paragraphes nos 1, 10, 30, 50, 60, 120 et 130 des commentaires administratifs publiés le 22 novembre 2018 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-PAT-IFI-40-30-10, par lesquels le ministre de l'action et des comptes publics a, notamment, fait connaître son interprétation des dispositions de l'article 979 du code général des impôts relatives au plafonnement de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) et précisé l'incidence, pour le calcul de ce plafonnement au titre de l'année 2019, de l'entrée en vigueur du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu et particulièrement des modalités de prise en compte du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement (CIMR).

2. Aux termes du premier alinéa du I de l'article 979 du code général des impôts : " L'impôt sur la fortune immobilière du redevable ayant son domicile fiscal en France est réduit de la différence entre, d'une part, le total de cet impôt et des impôts dus en France et à l'étranger au titre des revenus et produits de l'année précédente, calculés avant imputation des seuls crédits d'impôt représentatifs d'une imposition acquittée à l'étranger et des retenues non libératoires et, d'autre part, 75 % du total des revenus mondiaux nets de frais professionnels de l'année précédente, après déduction des seuls déficits catégoriels dont l'imputation est autorisée par l'article 156, ainsi que des revenus exonérés d'impôt sur le revenu et des produits soumis à un prélèvement libératoire réalisés au cours de la même année en France ou hors de France (...) ".

3. Aux termes du A du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 susvisée, qui institue, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, un prélèvement à la source des revenus dont le contribuable a disposé au cours de la même année : " Les contribuables bénéficient, à raison des revenus non exceptionnels entrant dans le champ du prélèvement mentionné à l'article 204 A du code général des impôts, tel qu'il résulte de la présente loi, perçus ou réalisés en 2018, d'un crédit d'impôt modernisation du recouvrement destiné à assurer, pour ces revenus, l'absence de double contribution aux charges publiques en 2019 au titre de l'impôt sur le revenu ".

4. Par les moyens qu'ils soulèvent, les requérants doivent être considérés comme ne contestant que le paragraphe 130 des commentaires administratifs litigieux. Ce dernier, qui a pour objet d'interpréter les dispositions législatives mentionnées ci-dessus, indique, s'agissant de l'impact, pour le calcul du plafonnement de l'impôt sur la fortune immobilière, de l'entrée en vigueur en 2019 du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu : " Le mécanisme de plafonnement institué par l'article 979 du CGI s'appuie sur la prise en compte des impôts dus au titre des revenus et produits de l'année précédente. L'entrée en vigueur à compter du 1er janvier 2019 du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, qui conduira, pour la généralité des revenus, à prélever l'impôt dû au titre de ces mêmes revenus l'année de leur perception sous forme de retenue à la source ou d'acompte, n'a pas pour effet de modifier les modalités de calcul du plafonnement. / Ainsi, à compter de 2019, l'impôt pris en considération pour apprécier le seuil de 75 % prévu à l'article 979 du CGI demeurera celui afférent aux revenus de l'année précédente et dont le montant sera définitivement arrêté au moment de la déclaration de régularisation souscrite l'année suivante (i.e., s'agissant des revenus de l'année 2019, en 2020). / Dans le cadre de l'année de transition liée à l'institution du prélèvement à la source, un crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement (CIMR) effacera la fraction d'impôt sur le revenu afférente aux revenus de 2018 relevant des catégories de revenus soumises à imposition contemporaine à compter de 2019. / Au regard des dispositions de l'article 979 du CGI, seul l'impôt sur le revenu effectivement acquitté en 2019 au titre des revenus 2018, c'est-à-dire après imputation du CIMR, sera pris en compte pour le calcul du plafonnement de l'IFI 2019. Les revenus situés dans le champ du CIMR doivent en effet être regardés comme exonérés pour l'application du premier alinéa du I de l'article 979 du CGI, qui a pour objet de prendre en compte les impôts effectivement acquittés. / Pour sa part, l'imposition contemporaine des revenus 2019 sera prise en compte dans le plafonnement de l'IFI 2020 dans les conditions de droit commun. / Les mêmes règles sont applicables, le cas échéant, au CIMR complémentaire accordé au titre de l'impôt dû sur les revenus de 2019 qui viendra donc en diminution des revenus pris en compte pour le plafonnement de l'IFI au titre de l'année 2020. / A compter de l'IFI 2021, ces dispositions transitoires n'impacteront plus le calcul du plafonnement ".

5. D'une part, M. et Mme B... et autre soutiennent que les énonciations du paragraphe 130 des commentaires attaqués, en tant qu'elles indiquent que l'impôt sur le revenu retenu pour la mise en oeuvre du plafonnement de l'impôt sur la fortune immobilière dû en 2019 est calculé après imputation du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement, lequel neutralise en 2019, dans le cadre de la première année de mise en oeuvre du prélèvement de l'impôt à la source, la cotisation d'impôt sur le revenu due en 2019 sur les revenus de l'année 2018, méconnaîtraient la volonté du législateur quant à l'effectivité du plafonnement de l'impôt sur la fortune immobilière et seraient ainsi contraires au principe d'égalité devant les charges publiques, garanti par l'article 13 de la Déclaration de 1789, en grevant leur capacité contributive d'une charge de nature confiscatoire.

6. Toutefois, il résulte des termes mêmes des dispositions précitées du I de l'article 979 du code général des impôts, issues de l'article 31 de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, que le mécanisme de plafonnement de l'impôt sur la fortune immobilière qu'elles instituent s'applique en déduisant de l'impôt brut dû au titre des revenus de l'année précédente l'ensemble des crédits d'impôts dont bénéficie le contribuable, à l'exception de ceux représentatifs d'une imposition acquittée à l'étranger. Ces dispositions prévoient ainsi que l'impôt sur le revenu retenu à ce titre est calculé après imputation du " crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement " institué par l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.

7. Les énonciations contestées se bornant ainsi à réitérer, sans y ajouter, le contenu des dispositions législatives qu'elles ont pour objet d'éclairer, le moyen tiré de ce qu'elles méconnaîtraient la volonté du législateur ne peut qu'être écarté. Le moyen tiré de ce qu'elles porteraient atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par la Constitution ne peut en outre être utilement soulevé qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre ces dispositions législatives, présentée dans les formes prescrites par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et l'article R. 771-13 du code de justice administrative. Faute d'être soulevé à l'appui d'une telle question présentée par mémoire distinct, il ne peut qu'être écarté.

8. D'autre part, les requérants soutiennent que les commentaires administratifs attaqués réitèreraient des dispositions législatives qui, en ce qu'elles ne prévoient pas, pour le calcul du plafonnement de la cotisation d'impôt sur la fortune immobilière due au titre de l'année 2019, la possibilité d'inclure les acomptes d'impôt sur le revenu payés en 2019 sur les revenus perçus au titre de cette même année tout en prévoyant qu'il y a lieu, pour ce même calcul, d'imputer sur l'impôt sur le revenu dû au titre de 2018, acquitté en 2019, le crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement dont ils ont bénéficié, auraient pour effet de porter le total des impôts effectivement acquittés en 2019 à un niveau excessif, constituant ainsi une charge spéciale et exorbitante méconnaissant les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Aux termes des stipulations de l'article 1er de ce protocole : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour règlementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ".

10. En instituant le plafonnement de l'impôt sur la fortune immobilière, le législateur a entendu permettre que la créance due au titre d'une année donnée puisse, sans grever de façon excessive les capacités contributives du redevable, être acquittée au moyen des revenus acquis au cours de l'année précédente. L'institution du prélèvement à la source en 2019 n'a eu ni pour objet, ni pour effet de porter atteinte à cet objectif dès lors que l'impôt sur le revenu grevant les revenus de 2018, qui doivent permettre d'acquitter la cotisation d'impôt sur la fortune immobilière due au titre de 2019, est pris en compte pour le calcul du plafonnement de cette cotisation, tandis que les revenus perçus en 2019 doivent servir au paiement de l'impôt sur la fortune immobilière dû au titre de 2020, lequel est plafonné en fonction de l'impôt dû au titre de ces revenus.

11. Si, à titre transitoire, se cumule au cours de l'année 2019 le paiement, d'une part, par voie d'acomptes, de la cotisation d'impôt sur le revenu due au titre des revenus de 2019, qui sera définitivement établie en 2020, et, d'autre part, la cotisation d'impôt sur la fortune immobilière dû au titre de 2019, plafonnée en fonction de l'impôt sur le revenu dû au titre de 2018 après imputation du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement, les conséquences en trésorerie de l'instauration d'un mode de recouvrement de l'impôt sur le revenu contemporain de la perception des revenus qui y sont soumis sont indifférentes pour l'appréciation de la capacité contributive des contribuables concernés.

12. Il s'en déduit que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions qu'ils contestent porteraient une atteinte excessive à leur droit au respect de leurs biens.

13. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... et autre ne sont pas fondés à demander l'annulation des commentaires administratifs qu'ils attaquent. Leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-l du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.




D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. et Mme B... et autre est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme C... et Guilhemette B..., à Mme A... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


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