Conseil d'État
N° 440244
ECLI:FR:CECHR:2021:440244.20210128
Inédit au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Manon Chonavel, rapporteur
M. Vincent Villette, rapporteur public
Lecture du jeudi 28 janvier 2021
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés le 24 avril et le 13 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... D... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 19 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-337 du 26 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme B... C..., auditrice,
- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique :
1. En premier lieu, l'article L. 5121-8 du code de la santé publique dispose que : " Toute spécialité pharmaceutique (...) doit faire l'objet, avant sa mise sur le marché ou sa distribution à titre gratuit, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. L'autorisation peut être assortie de conditions appropriées (...) ". L'article L. 5121-12-1 du même code prévoit que : " I.- Une spécialité pharmaceutique peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l'absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, sous réserve qu'une recommandation temporaire d'utilisation établie par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sécurise l'utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d'utilisation. (...) / En l'absence de recommandation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. / (...) ". Aux termes de l'article R. 4127-8 de ce code : " Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance. / Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins. / Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles ".
2. En deuxième lieu, le paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (UE) n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain et abrogeant la directive 2001/20/CE prévoit que : " Un essai clinique ne peut être conduit que si l'ensemble des conditions suivantes sont respectées : / a) les bénéfices escomptés pour les participants ou la santé publique justifient les risques et inconvénients prévisibles et le respect de cette condition est contrôlé en permanence (...) ".
3. En troisième lieu, l'article L. 3131-12 inséré dans le code de la santé publique par la loi du 23 mars 2020 prévoit que : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire (...) en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". D'une part, aux termes du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) / 9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l'éradication de la catastrophe sanitaire ; / 10° En tant que de besoin, prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d'entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12 du présent code. ". Aux termes du III du même article : " Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. ". D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le ministre chargé de la santé peut prescrire, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l'exception des mesures prévues à l'article L. 3131-15, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12. ". Aux termes du troisième alinéa du même article : " Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ". Ces dispositions, dans leur rédaction initiale issue de la loi du 23 mars 2020, puis dans leur rédaction citée ci-dessus issue de la loi du 11 mai 2020, qui s'est bornée à en réorganiser la présentation, étaient applicables à la date d'édiction du décret attaqué par l'effet de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 puis de l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, qui ont déclaré puis prorogé l'état d'urgence sanitaire.
Sur les circonstances :
4. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020, puis, par l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020 inclus. Au vu de l'évolution de la situation sanitaire, de nouvelles mesures générales ont été adoptées par deux décrets du 11 mai 2020 pour assouplir progressivement les sujétions imposées afin de faire face à l'épidémie.
5. Le sulfate d'hydroxychloroquine est commercialisé par le laboratoire Sanofi sous le nom de marque de Plaquenil, en vertu d'une autorisation de mise sur le marché initialement délivrée le 27 mai 2004, avec pour indications thérapeutiques le traitement symptomatique d'action lente de la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux discoïde, le lupus érythémateux subaigu, le traitement d'appoint ou prévention des rechutes des lupus systémiques et la prévention des lucites.
6. A la suite d'un avis sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du covid-19 du 23 mars 2020 du Haut Conseil de la santé publique, le Premier ministre, par un décret du 25 mars 2020, modifié par un décret du 26 mars, a complété d'un article 12-2 le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, pour prévoir notamment les conditions dans lesquelles l'hydroxychloroquine peut être prescrite, dispensée et administrée aux patients atteints de covid-19, en dehors des indications de l'autorisation de mise sur le marché du Plaquenil. A ce titre, d'une part, par dérogation aux dispositions du code de la santé publique relatives aux autorisations de mise sur le marché, il a autorisé la prescription, la dispensation et l'administration sous la responsabilité d'un médecin, de l'hydroxychloroquine aux patients atteints de covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile, en précisant que ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique et, en particulier, de l'indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d'une défaillance d'organe. D'autre part, il a prévu, au cinquième alinéa de cet article 12-2, que : " La spécialité pharmaceutique Plaquenil (c), dans le respect des indications de son autorisation de mise sur le marché, et les préparations à base d'hydroxychloroquine ne peuvent être dispensées par les pharmacies d'officine que dans le cadre d'une prescription initiale émanant exclusivement de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie ou dans le cadre d'un renouvellement de prescription émanant de tout médecin ".
7. Ces dispositions ont été reprises à l'identique à l'article 17 du décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, qui abroge notamment l'article 12-2 du décret du 23 mars 2020, puis à l'article 19 du décret n° 2020-548 du même jour ayant le même objet, qui abroge le précédent et est entré en vigueur dès sa publication au Journal officiel de la République française le 12 mai 2020.
8. Eu égard aux moyens qu'il soulève, le requérant doit être regardé comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 19 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, en tant que ces dispositions limitent la prescription, la dispensation et l'administration de l'hydroxychloroquine aux patients atteints de covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, dans les indications de pneumonie oxygéno-requérante et de défaillance d'organe.
Sur les données acquises de la science à la date des dispositions contestées :
9. Il ressort des pièces du dossier qu'une étude chinoise publiée au début du mois de mars 2020 a documenté l'activité in vitro de l'hydroxychloroquine sur le virus responsable du covid-19. Une recherche a ensuite été conduite, du 5 au 16 mars 2020, par une équipe de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection en utilisant l'hydroxychloroquine en association avec un antibiotique, l'azithromycine, chez vingt-six patients, dont les auteurs déduisent que le traitement par hydroxychloroquine est associé à une réduction ou une disparition de la charge virale chez des patients atteints du covid-19 et que cet effet est renforcé par l'azithromycine. A la demande de la direction générale de la santé, le Haut Conseil de la santé publique a rendu, le 23 mars 2020, un avis sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du covid-19. Il estime que les résultats de l'étude menée au sein de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection, qui doivent être considérés avec prudence en raison du faible effectif de l'étude, incluant en partie des patients asymptomatiques, de l'absence de bras témoin, du critère de jugement uniquement virologique, ne permettent pas de conclure à l'efficacité clinique de l'hydroxychloroquine ou de l'association hydroxychloroquine et azithromycine, justifient, du fait de son très faible niveau de preuve, la poursuite de la recherche clinique. Par ailleurs cet avis souligne que ce médicament comporte des contre-indications, notamment en cas d'association à d'autres médicaments, et qu'un surdosage peut entraîner des effets indésirables graves pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Il indique qu'il est impératif de bien prendre connaissance de ces contre-indications avant toute prescription et que le patient en soit éclairé. Enfin, il recommande de surveiller les concentrations plasmatiques et d'assurer un monitoring cardiaque chez les patients recevant ce traitement pour covid-19.
10. Si le requérant se prévaut de plusieurs études rendues publiques entre le 25 mars et 11 mai 2020, il ressort des pièces du dossier que celles-ci souffrent d'insuffisances méthodologiques et ne permettent pas de conclure à l'efficacité clinique de l'hydroxychloroquine pour les patients atteints du covid-19. En particulier, si le requérant se prévaut tout d'abord d'une étude publiée dans le journal scientifique " Travel medicine and infectious disease " portant sur 80 patients pris en charge dans la période du 3 au 31 mars 2020 par l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection, cette étude observationnelle, menée sans groupe contrôle, ne permet pas de comparer les résultats obtenus avec ceux d'une population présentant les mêmes caractéristiques, pour laquelle l'évolution est le plus souvent favorable, même sans traitement. Il met ensuite en avant une étude rétrospective réalisée par une équipe de l'hôpital Raymond Poincaré de Garches, conduite du 2 mars au 17 avril 2020 sur 132 patients hospitalisés, dont 45 ont été traités par hydroxychloroquine et azithromycine pendant deux jours ou plus. Toutefois, cette étude ne permet pas de comparer les résultats obtenus entre les patients traités par cette combinaison et le groupe témoin dès lors que celui-ci rassemble des patients ayant reçu divers traitements, comme de l'azythromycine seule ou l'association lopinavir / ritonavir. Enfin, si le requérant met en avant un document daté du 30 avril 2020, présenté comme une étude rétrospective chez 88 sujets, il s'agit en réalité d'un retour d'expérience de différents médecins ayant prescrit de l'hydroxychloroquine à leurs proches et à eux-mêmes.
Sur la légalité des dispositions attaquées :
En ce qui concerne la compétence du Premier ministre :
11. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'article 2 de la loi du 23 mars 2020 : " En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. Le ministre peut également prendre de telles mesures après la fin de l'état d'urgence sanitaire prévu au chapitre Ier bis du présent titre, afin d'assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire ".
12. Par les dispositions citées au point 3, et ainsi qu'il ressort des travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 23 mars 2020, le législateur a entendu permettre l'adoption par le pouvoir exécutif de mesures plus contraignantes que celles susceptibles d'être adoptées en cas de " menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence " sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. A cette fin, il a entendu, d'une part, permettre au Premier ministre de prendre certaines mesures limitant la liberté d'aller et venir, la liberté d'entreprendre et la liberté de réunion ou procédant à des réquisitions et, d'autre part, permettre au ministre chargé de la santé de prendre les mesures générales touchant au dispositif de santé, notamment aux établissements et services, aux professionnels, aux actes et aux produits de santé, qui ne relèvent pas de la compétence du Premier ministre, ainsi que les mesures individuelles d'application des mesures prescrites par ce dernier, sous réserve, dans tous les cas, que ces mesures soient nécessaires pour garantir la santé publique dans la situation de catastrophe sanitaire, strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il suit de là que les dispositions du 9° de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique et celles de l'article L. 3131-16 du même code doivent être interprétées, en ce qui concerne les mesures susceptibles d'être adoptées en matière de médicaments, comme réservant au Premier ministre les mesures restreignant la liberté d'entreprendre ou le droit de propriété pour assurer la disponibilité des médicaments nécessaires pour faire face à la catastrophe sanitaire et comme habilitant le ministre chargé de la santé à prendre les autres mesures générales nécessaires pour que les patients puissent bénéficier des soins dont ils ont besoin pendant la catastrophe sanitaire, sous réserve qu'elles soient strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu, le cas échéant en dérogeant sur des points limités à des dispositions législatives.
13. Une mesure visant à permettre la prescription, la dispensation et l'administration d'une spécialité pharmaceutique, en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché, aux patients atteints de covid-19, alors même qu'elle ne s'applique que dans les établissements de santé qui les prennent en charge, sous certaines conditions, ainsi qu'à domicile, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, entre dans le champ de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique.
14. Lorsqu'il est prévu par les dispositions en vigueur qu'une décision administrative doit être prise par voie d'arrêté ministériel, il est satisfait auxdites dispositions lorsque cette mesure est prise par un décret contresigné par le ministre compétent. Ainsi, les mesures prévues à l'article L. 3131-16 du code de la santé publique, au nombre desquelles figurent les dispositions contestées par le requérant, ont en tout état de cause pu être légalement prises, non par l'arrêté du ministre chargé de la santé prévu par cet article, mais par le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, dès lors que ce décret a été contresigné par le ministre des solidarités et de la santé, sur le rapport duquel il a été pris.
15. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les dispositions qu'il attaque auraient été prises par une autorité incompétente. En outre, ces dispositions n'ayant pas été édictées sur le fondement de l'article L. 5121-8 du code de la santé publique, le moyen tiré de ce qu'elles se fonderaient à tort sur cet article ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la méconnaissance de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique :
16. Il résulte des dispositions de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique citées au point 1 qu'une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. Par suite, en l'absence de toute recommandation temporaire d'utilisation et en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation, le Plaquenil ne pouvait être prescrit pour une autre indication que celles de son autorisation de mise sur le marché, rappelées au point 5, qu'à la condition qu'en l'état des données acquises de la science, le prescripteur juge indispensable le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient.
17. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9 et 10 qu'au 11 mai 2020, date d'édiction des dispositions contestées, les données acquises de la science ne permettaient pas de conclure, au-delà des essais cliniques ou du cadre hospitalier prévu par les dispositions critiquées, au caractère indispensable du recours à l'utilisation de l'hydroxychloroquine, en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché et en l'absence d'une autorisation temporaire d'utilisation, pour améliorer ou stabiliser l'état clinique des patients atteints par le covid-19. En outre, si de nombreux essais cliniques ont été autorisés, dans des délais particulièrement brefs, pour apprécier l'efficacité et la tolérance de l'hydroxychloroquine, à différents stades de la maladie, y compris pour des patients pris en charge en médecine de ville, le requérant ne peut déduire des autorisations délivrées à cette seule fin que les données acquises de la science justifieraient la prescription de cette molécule en dehors du cadre des essais cliniques ou du cadre hospitalier prévu par les mesures réglementaires qu'il critique. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que les dispositions contestées méconnaissent l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique.
En ce qui concerne la méconnaissance du principe de liberté de prescription des médecins:
18. Il résulte de ce qui été dit ci-dessus qu'en autorisant la prescription de l'hydroxychloroquine aux patients atteints de covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile, le ministre de la santé a pu légalement préciser, sur le fondement notamment des dispositions de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique citées au point 3, les conditions très limitées dans lesquelles, au regard des données acquises de la science indiquées ci-dessus, le Plaquenil était susceptible d'être prescrit en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées méconnaitraient la liberté de prescription des médecins ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la méconnaissance du droit à la protection de la santé et le droit à recevoir les traitements les plus appropriés :
19. Si le droit à la protection de la santé, découlant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et rappelé par les articles L. 1110-1 et L. 1110-5 du code de la santé publique, garantit à toute personne le droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés, tel qu'appréciés par le médecin, les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ainsi réalisés ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, faire courir au patient de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté.
20. Comme il a été dit au point 9, il ressort des pièces du dossier et notamment de l'avis du Haut conseil de la santé publique du 23 mars 2020 que si, comme le fait valoir le requérant, l'usage de l'hydroxychloroquine dans les indications de son autorisation de mise sur le marché est bien documenté, il peut provoquer des hypoglycémies sévères et entraîner des anomalies ou une irrégularité du rythme cardiaque susceptibles d'engager le pronostic vital et présente des risques importants en cas d'interaction médicamenteuse. Son administration, si elle peut être le fait de médecins de ville, suppose ainsi, non seulement le respect de précautions particulières, mais également un suivi spécifique des patients, notamment sur le plan cardiaque. Par suite, au regard des données acquises de la science à la date d'édiction des dispositions attaquées, celles-ci ne peuvent être regardées comme méconnaissant le droit à la protection de la santé et le droit des patients à recevoir les traitements et les soins appropriés à leur état de santé.
En ce qui concerne les autres moyens:
21. En premier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
22. Si le pouvoir réglementaire a entendu autoriser la prescription, la dispensation et l'administration de l'hydroxychloroquine en dehors de son autorisation de mise sur le marché aux seuls patients atteints du covid-19 accueillis dans les établissements de santé qui les prennent en charge ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile, il n'en résulte pas une différence de traitement manifestement disproportionnée entre patients, dès lors les dispositions contestées se bornent à imposer, compte tenu des indications pour lesquelles ces traitements sont autorisés et donc de l'état de santé du patient pris en charge, ainsi que des risques associés et de la surveillance particulière que ce traitement impliquent, que celui-ci soit initialement prescrit, dispensé et administré en établissement de santé. Le requérant n'est pas davantage fondé à soutenir qu'un tel encadrement constituerait une discrimination dans l'accès à la prévention et aux soins au sens de l'article L. 1110-3 du code de la santé publique. En outre, s'il en résulte une différence de traitement entre les médecins exerçant en établissement de santé et les autres, celle-ci n'est pas manifestement disproportionnée au regard de ces motifs et le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit par suite être écarté.
23. En second lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
24. Il résulte de tout ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à demander l'annulation des dispositions qu'il attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... D... et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
N° 440244
ECLI:FR:CECHR:2021:440244.20210128
Inédit au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Manon Chonavel, rapporteur
M. Vincent Villette, rapporteur public
Lecture du jeudi 28 janvier 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés le 24 avril et le 13 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... D... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 19 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-337 du 26 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme B... C..., auditrice,
- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique :
1. En premier lieu, l'article L. 5121-8 du code de la santé publique dispose que : " Toute spécialité pharmaceutique (...) doit faire l'objet, avant sa mise sur le marché ou sa distribution à titre gratuit, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. L'autorisation peut être assortie de conditions appropriées (...) ". L'article L. 5121-12-1 du même code prévoit que : " I.- Une spécialité pharmaceutique peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l'absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, sous réserve qu'une recommandation temporaire d'utilisation établie par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sécurise l'utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d'utilisation. (...) / En l'absence de recommandation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. / (...) ". Aux termes de l'article R. 4127-8 de ce code : " Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance. / Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins. / Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles ".
2. En deuxième lieu, le paragraphe 1 de l'article 28 du règlement (UE) n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain et abrogeant la directive 2001/20/CE prévoit que : " Un essai clinique ne peut être conduit que si l'ensemble des conditions suivantes sont respectées : / a) les bénéfices escomptés pour les participants ou la santé publique justifient les risques et inconvénients prévisibles et le respect de cette condition est contrôlé en permanence (...) ".
3. En troisième lieu, l'article L. 3131-12 inséré dans le code de la santé publique par la loi du 23 mars 2020 prévoit que : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire (...) en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". D'une part, aux termes du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) / 9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l'éradication de la catastrophe sanitaire ; / 10° En tant que de besoin, prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d'entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12 du présent code. ". Aux termes du III du même article : " Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. ". D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le ministre chargé de la santé peut prescrire, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l'exception des mesures prévues à l'article L. 3131-15, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12. ". Aux termes du troisième alinéa du même article : " Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ". Ces dispositions, dans leur rédaction initiale issue de la loi du 23 mars 2020, puis dans leur rédaction citée ci-dessus issue de la loi du 11 mai 2020, qui s'est bornée à en réorganiser la présentation, étaient applicables à la date d'édiction du décret attaqué par l'effet de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 puis de l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, qui ont déclaré puis prorogé l'état d'urgence sanitaire.
Sur les circonstances :
4. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020, puis, par l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020 inclus. Au vu de l'évolution de la situation sanitaire, de nouvelles mesures générales ont été adoptées par deux décrets du 11 mai 2020 pour assouplir progressivement les sujétions imposées afin de faire face à l'épidémie.
5. Le sulfate d'hydroxychloroquine est commercialisé par le laboratoire Sanofi sous le nom de marque de Plaquenil, en vertu d'une autorisation de mise sur le marché initialement délivrée le 27 mai 2004, avec pour indications thérapeutiques le traitement symptomatique d'action lente de la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux discoïde, le lupus érythémateux subaigu, le traitement d'appoint ou prévention des rechutes des lupus systémiques et la prévention des lucites.
6. A la suite d'un avis sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du covid-19 du 23 mars 2020 du Haut Conseil de la santé publique, le Premier ministre, par un décret du 25 mars 2020, modifié par un décret du 26 mars, a complété d'un article 12-2 le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, pour prévoir notamment les conditions dans lesquelles l'hydroxychloroquine peut être prescrite, dispensée et administrée aux patients atteints de covid-19, en dehors des indications de l'autorisation de mise sur le marché du Plaquenil. A ce titre, d'une part, par dérogation aux dispositions du code de la santé publique relatives aux autorisations de mise sur le marché, il a autorisé la prescription, la dispensation et l'administration sous la responsabilité d'un médecin, de l'hydroxychloroquine aux patients atteints de covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile, en précisant que ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique et, en particulier, de l'indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d'une défaillance d'organe. D'autre part, il a prévu, au cinquième alinéa de cet article 12-2, que : " La spécialité pharmaceutique Plaquenil (c), dans le respect des indications de son autorisation de mise sur le marché, et les préparations à base d'hydroxychloroquine ne peuvent être dispensées par les pharmacies d'officine que dans le cadre d'une prescription initiale émanant exclusivement de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie ou dans le cadre d'un renouvellement de prescription émanant de tout médecin ".
7. Ces dispositions ont été reprises à l'identique à l'article 17 du décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, qui abroge notamment l'article 12-2 du décret du 23 mars 2020, puis à l'article 19 du décret n° 2020-548 du même jour ayant le même objet, qui abroge le précédent et est entré en vigueur dès sa publication au Journal officiel de la République française le 12 mai 2020.
8. Eu égard aux moyens qu'il soulève, le requérant doit être regardé comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 19 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, en tant que ces dispositions limitent la prescription, la dispensation et l'administration de l'hydroxychloroquine aux patients atteints de covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, dans les indications de pneumonie oxygéno-requérante et de défaillance d'organe.
Sur les données acquises de la science à la date des dispositions contestées :
9. Il ressort des pièces du dossier qu'une étude chinoise publiée au début du mois de mars 2020 a documenté l'activité in vitro de l'hydroxychloroquine sur le virus responsable du covid-19. Une recherche a ensuite été conduite, du 5 au 16 mars 2020, par une équipe de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection en utilisant l'hydroxychloroquine en association avec un antibiotique, l'azithromycine, chez vingt-six patients, dont les auteurs déduisent que le traitement par hydroxychloroquine est associé à une réduction ou une disparition de la charge virale chez des patients atteints du covid-19 et que cet effet est renforcé par l'azithromycine. A la demande de la direction générale de la santé, le Haut Conseil de la santé publique a rendu, le 23 mars 2020, un avis sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du covid-19. Il estime que les résultats de l'étude menée au sein de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection, qui doivent être considérés avec prudence en raison du faible effectif de l'étude, incluant en partie des patients asymptomatiques, de l'absence de bras témoin, du critère de jugement uniquement virologique, ne permettent pas de conclure à l'efficacité clinique de l'hydroxychloroquine ou de l'association hydroxychloroquine et azithromycine, justifient, du fait de son très faible niveau de preuve, la poursuite de la recherche clinique. Par ailleurs cet avis souligne que ce médicament comporte des contre-indications, notamment en cas d'association à d'autres médicaments, et qu'un surdosage peut entraîner des effets indésirables graves pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Il indique qu'il est impératif de bien prendre connaissance de ces contre-indications avant toute prescription et que le patient en soit éclairé. Enfin, il recommande de surveiller les concentrations plasmatiques et d'assurer un monitoring cardiaque chez les patients recevant ce traitement pour covid-19.
10. Si le requérant se prévaut de plusieurs études rendues publiques entre le 25 mars et 11 mai 2020, il ressort des pièces du dossier que celles-ci souffrent d'insuffisances méthodologiques et ne permettent pas de conclure à l'efficacité clinique de l'hydroxychloroquine pour les patients atteints du covid-19. En particulier, si le requérant se prévaut tout d'abord d'une étude publiée dans le journal scientifique " Travel medicine and infectious disease " portant sur 80 patients pris en charge dans la période du 3 au 31 mars 2020 par l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection, cette étude observationnelle, menée sans groupe contrôle, ne permet pas de comparer les résultats obtenus avec ceux d'une population présentant les mêmes caractéristiques, pour laquelle l'évolution est le plus souvent favorable, même sans traitement. Il met ensuite en avant une étude rétrospective réalisée par une équipe de l'hôpital Raymond Poincaré de Garches, conduite du 2 mars au 17 avril 2020 sur 132 patients hospitalisés, dont 45 ont été traités par hydroxychloroquine et azithromycine pendant deux jours ou plus. Toutefois, cette étude ne permet pas de comparer les résultats obtenus entre les patients traités par cette combinaison et le groupe témoin dès lors que celui-ci rassemble des patients ayant reçu divers traitements, comme de l'azythromycine seule ou l'association lopinavir / ritonavir. Enfin, si le requérant met en avant un document daté du 30 avril 2020, présenté comme une étude rétrospective chez 88 sujets, il s'agit en réalité d'un retour d'expérience de différents médecins ayant prescrit de l'hydroxychloroquine à leurs proches et à eux-mêmes.
Sur la légalité des dispositions attaquées :
En ce qui concerne la compétence du Premier ministre :
11. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'article 2 de la loi du 23 mars 2020 : " En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. Le ministre peut également prendre de telles mesures après la fin de l'état d'urgence sanitaire prévu au chapitre Ier bis du présent titre, afin d'assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire ".
12. Par les dispositions citées au point 3, et ainsi qu'il ressort des travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 23 mars 2020, le législateur a entendu permettre l'adoption par le pouvoir exécutif de mesures plus contraignantes que celles susceptibles d'être adoptées en cas de " menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence " sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. A cette fin, il a entendu, d'une part, permettre au Premier ministre de prendre certaines mesures limitant la liberté d'aller et venir, la liberté d'entreprendre et la liberté de réunion ou procédant à des réquisitions et, d'autre part, permettre au ministre chargé de la santé de prendre les mesures générales touchant au dispositif de santé, notamment aux établissements et services, aux professionnels, aux actes et aux produits de santé, qui ne relèvent pas de la compétence du Premier ministre, ainsi que les mesures individuelles d'application des mesures prescrites par ce dernier, sous réserve, dans tous les cas, que ces mesures soient nécessaires pour garantir la santé publique dans la situation de catastrophe sanitaire, strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il suit de là que les dispositions du 9° de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique et celles de l'article L. 3131-16 du même code doivent être interprétées, en ce qui concerne les mesures susceptibles d'être adoptées en matière de médicaments, comme réservant au Premier ministre les mesures restreignant la liberté d'entreprendre ou le droit de propriété pour assurer la disponibilité des médicaments nécessaires pour faire face à la catastrophe sanitaire et comme habilitant le ministre chargé de la santé à prendre les autres mesures générales nécessaires pour que les patients puissent bénéficier des soins dont ils ont besoin pendant la catastrophe sanitaire, sous réserve qu'elles soient strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu, le cas échéant en dérogeant sur des points limités à des dispositions législatives.
13. Une mesure visant à permettre la prescription, la dispensation et l'administration d'une spécialité pharmaceutique, en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché, aux patients atteints de covid-19, alors même qu'elle ne s'applique que dans les établissements de santé qui les prennent en charge, sous certaines conditions, ainsi qu'à domicile, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, entre dans le champ de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique.
14. Lorsqu'il est prévu par les dispositions en vigueur qu'une décision administrative doit être prise par voie d'arrêté ministériel, il est satisfait auxdites dispositions lorsque cette mesure est prise par un décret contresigné par le ministre compétent. Ainsi, les mesures prévues à l'article L. 3131-16 du code de la santé publique, au nombre desquelles figurent les dispositions contestées par le requérant, ont en tout état de cause pu être légalement prises, non par l'arrêté du ministre chargé de la santé prévu par cet article, mais par le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, dès lors que ce décret a été contresigné par le ministre des solidarités et de la santé, sur le rapport duquel il a été pris.
15. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les dispositions qu'il attaque auraient été prises par une autorité incompétente. En outre, ces dispositions n'ayant pas été édictées sur le fondement de l'article L. 5121-8 du code de la santé publique, le moyen tiré de ce qu'elles se fonderaient à tort sur cet article ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la méconnaissance de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique :
16. Il résulte des dispositions de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique citées au point 1 qu'une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. Par suite, en l'absence de toute recommandation temporaire d'utilisation et en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation, le Plaquenil ne pouvait être prescrit pour une autre indication que celles de son autorisation de mise sur le marché, rappelées au point 5, qu'à la condition qu'en l'état des données acquises de la science, le prescripteur juge indispensable le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient.
17. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9 et 10 qu'au 11 mai 2020, date d'édiction des dispositions contestées, les données acquises de la science ne permettaient pas de conclure, au-delà des essais cliniques ou du cadre hospitalier prévu par les dispositions critiquées, au caractère indispensable du recours à l'utilisation de l'hydroxychloroquine, en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché et en l'absence d'une autorisation temporaire d'utilisation, pour améliorer ou stabiliser l'état clinique des patients atteints par le covid-19. En outre, si de nombreux essais cliniques ont été autorisés, dans des délais particulièrement brefs, pour apprécier l'efficacité et la tolérance de l'hydroxychloroquine, à différents stades de la maladie, y compris pour des patients pris en charge en médecine de ville, le requérant ne peut déduire des autorisations délivrées à cette seule fin que les données acquises de la science justifieraient la prescription de cette molécule en dehors du cadre des essais cliniques ou du cadre hospitalier prévu par les mesures réglementaires qu'il critique. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que les dispositions contestées méconnaissent l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique.
En ce qui concerne la méconnaissance du principe de liberté de prescription des médecins:
18. Il résulte de ce qui été dit ci-dessus qu'en autorisant la prescription de l'hydroxychloroquine aux patients atteints de covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile, le ministre de la santé a pu légalement préciser, sur le fondement notamment des dispositions de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique citées au point 3, les conditions très limitées dans lesquelles, au regard des données acquises de la science indiquées ci-dessus, le Plaquenil était susceptible d'être prescrit en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées méconnaitraient la liberté de prescription des médecins ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la méconnaissance du droit à la protection de la santé et le droit à recevoir les traitements les plus appropriés :
19. Si le droit à la protection de la santé, découlant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et rappelé par les articles L. 1110-1 et L. 1110-5 du code de la santé publique, garantit à toute personne le droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés, tel qu'appréciés par le médecin, les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ainsi réalisés ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, faire courir au patient de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté.
20. Comme il a été dit au point 9, il ressort des pièces du dossier et notamment de l'avis du Haut conseil de la santé publique du 23 mars 2020 que si, comme le fait valoir le requérant, l'usage de l'hydroxychloroquine dans les indications de son autorisation de mise sur le marché est bien documenté, il peut provoquer des hypoglycémies sévères et entraîner des anomalies ou une irrégularité du rythme cardiaque susceptibles d'engager le pronostic vital et présente des risques importants en cas d'interaction médicamenteuse. Son administration, si elle peut être le fait de médecins de ville, suppose ainsi, non seulement le respect de précautions particulières, mais également un suivi spécifique des patients, notamment sur le plan cardiaque. Par suite, au regard des données acquises de la science à la date d'édiction des dispositions attaquées, celles-ci ne peuvent être regardées comme méconnaissant le droit à la protection de la santé et le droit des patients à recevoir les traitements et les soins appropriés à leur état de santé.
En ce qui concerne les autres moyens:
21. En premier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
22. Si le pouvoir réglementaire a entendu autoriser la prescription, la dispensation et l'administration de l'hydroxychloroquine en dehors de son autorisation de mise sur le marché aux seuls patients atteints du covid-19 accueillis dans les établissements de santé qui les prennent en charge ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile, il n'en résulte pas une différence de traitement manifestement disproportionnée entre patients, dès lors les dispositions contestées se bornent à imposer, compte tenu des indications pour lesquelles ces traitements sont autorisés et donc de l'état de santé du patient pris en charge, ainsi que des risques associés et de la surveillance particulière que ce traitement impliquent, que celui-ci soit initialement prescrit, dispensé et administré en établissement de santé. Le requérant n'est pas davantage fondé à soutenir qu'un tel encadrement constituerait une discrimination dans l'accès à la prévention et aux soins au sens de l'article L. 1110-3 du code de la santé publique. En outre, s'il en résulte une différence de traitement entre les médecins exerçant en établissement de santé et les autres, celle-ci n'est pas manifestement disproportionnée au regard de ces motifs et le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit par suite être écarté.
23. En second lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
24. Il résulte de tout ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à demander l'annulation des dispositions qu'il attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... D... et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.