Conseil d'État
N° 446797
ECLI:FR:CEORD:2020:446797.20201217
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL, avocats
Lecture du jeudi 17 décembre 2020
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 23 novembre et 4 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l'épidémie de covid-19, actualisé au 13 novembre 2020, en ce qu'il indique que le télétravail doit être la règle pour l'ensemble des activités qui le permettent ;
2°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'instruction, en date du 3 novembre 2020, relative aux orientations et aux modalités d'intervention du système d'inspection du travail (SIT) dans le cadre du confinement entré en vigueur le 30 octobre 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête est recevable dès lors, d'une part, qu'il justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir et, d'autre part, que les deux documents contestés sont de portée générale, émanent d'autorités publiques et édictent des consignes susceptibles de produire des effets sur des personnes autres que les agents de l'administration ;
- la condition d'urgence est satisfaite en ce que la mesure contestée est de nature à préjudicier de manière suffisamment grave et immédiate aux employeurs et aux salariés concernés, dès lors, d'une part, qu'elle les contraint dans l'exercice de leur activité professionnelle, portant atteinte à leurs libertés et droits fondamentaux respectifs et, d'autre part, qu'elle est susceptible d'entraîner des risques psychosociaux pour les salariés concernés ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité des documents contestés ;
- le protocole contesté est entaché d'un vice de forme, en ce qu'il ne ressort nullement de ses visas l'identité de son auteur, ni qu'il ait été signé par une autorité compétente, et ce en méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- le protocole et l'instruction contestés sont entachés d'incompétence, en ce qu'ils affirment par principe le caractère obligatoire du télétravail dans le cadre de la crise sanitaire relative à l'épidémie de covid-19, alors que seul le législateur est compétent pour ce faire ;
- ils édictent des consignes contraires aux dispositions des articles L. 1222-9 à L. 1222-11 du code du travail, lesquelles ne prévoient aucunement que l'employeur puisse être contraint d'instaurer le télétravail dans son entreprise ;
- ils portent une atteinte disproportionnée aux libertés individuelles des salariés et employeurs concernés, ainsi qu'une atteinte à la liberté d'entreprendre, en ce qu'ils imposent un mode contraignant d'exercice de l'activité coûteux et qui peut bouleverser son bon déroulement ;
- ils méconnaissent les dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail dès lors que le télétravail présente des risques intrinsèques pour la santé mentale des travailleurs, que l'employeur est tenu de prendre en compte en application de son obligation de sécurité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2020, le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens de la requête n'est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des documents contestés.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance et, d'autre part, le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion :
Ont été entendus lors de l'audience publique du 7 décembre 2020, à 16 heures :
- Me Gatineau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance ;
- les représentants du ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 9 décembre 2020 à 18 heures.
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 8 décembre 2020, présenté par le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 9 décembre 2020, présenté par le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son préambule ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
- le décret n° 2020-1365 du 10 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
Sur les circonstances et le cadre juridique du litige :
2. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020 puis, par l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020 inclus. Le législateur a ensuite, par la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence, autorisé le Premier ministre à prendre, à compter du 11 juillet 2020, et jusqu'au 30 octobre 2020 inclus, diverses mesures dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19.
3. Une nouvelle progression de l'épidémie a conduit le Président de la République à prendre, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, le décret du 14 octobre 2020 déclarant l'état d'urgence à compter du 17 octobre à 00 heure sur l'ensemble du territoire national. Le 29 octobre 2020, le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, un décret prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, dont l'article 4 I prohibe les déplacements entre le domicile et le lieu de travail pouvant être différés. Le décret du 10 novembre 2020, définissant les personnes vulnérables, prévoit prioritairement la mise en place du télétravail pour les salariés répondant à l'un des critères de vulnérabilité énoncés dans ce texte. Enfin le législateur, par l'article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 16 février 2021 inclus.
4. Pour accompagner les employeurs et les salariés dans la mise en oeuvre des mesures de protection contre le covid-19 sur les lieux de travail, la ministre du travail a, dans un premier temps, établi plusieurs " fiches conseils métiers " détaillant les précautions à prendre dans différents environnements de travail, publié ces fiches sur le site ministériel (travail-emploi.gouv.fr) et publié sur le même site des guides de bonnes pratiques établis par les organisations professionnelles et syndicales dans certaines branches d'activité. Dans un deuxième temps, un protocole national de déconfinement pour les entreprises pour assurer la sécurité et la santé des salariés a été adopté, le 3 mai 2020. Un nouveau protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l'épidémie de covid-19 a été arrêté le 31 août 2020, et par la suite actualisé en fonction de l'évolution de l'épidémie.
5. Le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance demande, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution du protocole national actualisé en dernier lieu au 13 novembre 2020, en particulier en tant qu'il traite du recours au télétravail. Il demande également la suspension, sur le même fondement, de l'instruction relative aux orientations et aux modalités d'intervention du système d'inspection du travail dans le cadre du confinement entré en vigueur le 30 octobre 2020, prise le 3 novembre 2020 par le directeur général du travail, également en tant qu'elle traite du recours au télétravail.
Sur la demande adressée au juge des référés :
6. Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, relatif aux obligations générales de l'employeur en matière de santé et de sécurité au travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (...). L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. ". L'article L. 4121-2 du même code prévoit que ces mesures doivent être mises en oeuvre " sur le fondement des principes généraux suivants : /1° Eviter les risques ; (...) ". L'article L. 4121-3 dispose que : " L'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris (...) dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations (...). A la suite de cette évaluation, l'employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs (...) ". Par ailleurs, en vertu de l'article L. 4122-2 du code du travail : " Les mesures prises en matière de santé et de sécurité au travail ne doivent entraîner aucune charge financière pour les travailleurs ". Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'employeur est tenu de prendre et doit pouvoir justifier avoir pris toutes les mesures de prévention nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Cette obligation de sécurité impose à l'employeur de revoir, au vu des risques et des modes de contamination induits par le virus du covid-19, l'organisation du travail, la gestion des flux, les conditions de travail et les mesures de protection des salariés. L'appréciation du respect de cette obligation par l'employeur s'effectue nécessairement, en vertu notamment du dernier alinéa de l'article L. 4121-1, en tenant compte de l'état des connaissances scientifiques en la matière, lesquelles sont publiquement diffusées, notamment par le Haut conseil de la santé publique.
7. Le protocole dont la suspension est demandée constitue un ensemble de recommandations pour la déclinaison matérielle de l'obligation de sécurité de l'employeur dans le cadre de l'épidémie de covid-19 en rappelant les obligations qui existent en vertu du code du travail. Si certains termes du protocole sont formulés en termes impératifs, en particulier en ce qu'il est indiqué que " Dans les circonstances exceptionnelles actuelles, liées à la menace de l'épidémie, le télétravail doit être la règle pour l'ensemble des salariés qui le permettent. Dans ce cadre, le temps de travail effectué en télétravail est porté à 100 % pour les salariés qui peuvent effectuer l'ensemble de leurs tâches à distance ", le protocole a pour seul objet d'accompagner les employeurs dans leurs obligations d'assurer la sécurité et la santé de leurs salariés au vue des connaissances scientifiques sur les modes de transmission du SARS-CoV-2 et n'a pas vocation à se substituer à l'employeur dans l'évaluation des risques et la mise en place des mesures de prévention adéquate dans l'entreprise. La fiche Questions-réponses sur le télétravail, publiée sur le site internet du ministère du travail et actualisée au 17 novembre 2020, rappelle ainsi que le protocole formalise, en matière de santé et sécurité au travail, les recommandations du Haut conseil de la santé publique pour se protéger du risque de contamination au covid-19, qu'il appartient à l'employeur de mettre en oeuvre les principes généraux de prévention énoncés à l'article L. 4121-2 du code du travail, qu'il lui incombe dans ce cadre d'évaluer les risques et de mettre en oeuvre des actions et moyens de prévention adaptés, que la mise en place du télétravail pour les activités qui le permettent participe des mesures pouvant être prises par l'employeur dans ce cadre, et que l'employeur, qui reste tenu à une obligation de sécurité à l'égard du salarié placé en télétravail, doit être attentif au risque de situations de souffrance pouvant en résulter pour les salariés isolés et leur permettre le cas échéant de venir travailler sur leur lieu de travail.
8. De la même façon, l'instruction relative aux orientations et aux modalités d'intervention du système d'inspection du travail, adressée le 3 novembre 2020 par le directeur général du travail, rappelle la nécessité pour l'employeur d'évaluer les risques et de mettre en oeuvre des moyens de prévention adaptés, en vertu des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail. C'est sur ce seul fondement légal que peuvent être prononcées les mises en demeure adressées par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.
9. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de ce que le protocole et l'instruction seraient entachés d'incompétence, et méconnaîtraient les dispositions du code du travail en ce qu'ils imposeraient aux employeurs le recours au télétravail et porteraient ce faisant une atteinte excessive aux libertés individuelles des salariés et des employeurs et à la liberté d'entreprendre ne sont pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ce protocole. Aucun des autres moyens soulevés n'est non plus dans ce cas.
10. Il résulte de ce qui précède que la requête du syndicat Alliance Plasturgie et Compagnie du Futur Plastalliance doit être rejetée, ainsi que, par suite, ses conclusions tendant à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête du syndicat Alliance Plasturgie et Compagnie du Futur Plastalliance est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
N° 446797
ECLI:FR:CEORD:2020:446797.20201217
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL, avocats
Lecture du jeudi 17 décembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 23 novembre et 4 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l'épidémie de covid-19, actualisé au 13 novembre 2020, en ce qu'il indique que le télétravail doit être la règle pour l'ensemble des activités qui le permettent ;
2°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'instruction, en date du 3 novembre 2020, relative aux orientations et aux modalités d'intervention du système d'inspection du travail (SIT) dans le cadre du confinement entré en vigueur le 30 octobre 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête est recevable dès lors, d'une part, qu'il justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir et, d'autre part, que les deux documents contestés sont de portée générale, émanent d'autorités publiques et édictent des consignes susceptibles de produire des effets sur des personnes autres que les agents de l'administration ;
- la condition d'urgence est satisfaite en ce que la mesure contestée est de nature à préjudicier de manière suffisamment grave et immédiate aux employeurs et aux salariés concernés, dès lors, d'une part, qu'elle les contraint dans l'exercice de leur activité professionnelle, portant atteinte à leurs libertés et droits fondamentaux respectifs et, d'autre part, qu'elle est susceptible d'entraîner des risques psychosociaux pour les salariés concernés ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité des documents contestés ;
- le protocole contesté est entaché d'un vice de forme, en ce qu'il ne ressort nullement de ses visas l'identité de son auteur, ni qu'il ait été signé par une autorité compétente, et ce en méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- le protocole et l'instruction contestés sont entachés d'incompétence, en ce qu'ils affirment par principe le caractère obligatoire du télétravail dans le cadre de la crise sanitaire relative à l'épidémie de covid-19, alors que seul le législateur est compétent pour ce faire ;
- ils édictent des consignes contraires aux dispositions des articles L. 1222-9 à L. 1222-11 du code du travail, lesquelles ne prévoient aucunement que l'employeur puisse être contraint d'instaurer le télétravail dans son entreprise ;
- ils portent une atteinte disproportionnée aux libertés individuelles des salariés et employeurs concernés, ainsi qu'une atteinte à la liberté d'entreprendre, en ce qu'ils imposent un mode contraignant d'exercice de l'activité coûteux et qui peut bouleverser son bon déroulement ;
- ils méconnaissent les dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail dès lors que le télétravail présente des risques intrinsèques pour la santé mentale des travailleurs, que l'employeur est tenu de prendre en compte en application de son obligation de sécurité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2020, le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens de la requête n'est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des documents contestés.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance et, d'autre part, le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion :
Ont été entendus lors de l'audience publique du 7 décembre 2020, à 16 heures :
- Me Gatineau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance ;
- les représentants du ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 9 décembre 2020 à 18 heures.
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 8 décembre 2020, présenté par le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 9 décembre 2020, présenté par le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son préambule ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
- le décret n° 2020-1365 du 10 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
Sur les circonstances et le cadre juridique du litige :
2. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020 puis, par l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020 inclus. Le législateur a ensuite, par la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence, autorisé le Premier ministre à prendre, à compter du 11 juillet 2020, et jusqu'au 30 octobre 2020 inclus, diverses mesures dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19.
3. Une nouvelle progression de l'épidémie a conduit le Président de la République à prendre, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, le décret du 14 octobre 2020 déclarant l'état d'urgence à compter du 17 octobre à 00 heure sur l'ensemble du territoire national. Le 29 octobre 2020, le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, un décret prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, dont l'article 4 I prohibe les déplacements entre le domicile et le lieu de travail pouvant être différés. Le décret du 10 novembre 2020, définissant les personnes vulnérables, prévoit prioritairement la mise en place du télétravail pour les salariés répondant à l'un des critères de vulnérabilité énoncés dans ce texte. Enfin le législateur, par l'article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 16 février 2021 inclus.
4. Pour accompagner les employeurs et les salariés dans la mise en oeuvre des mesures de protection contre le covid-19 sur les lieux de travail, la ministre du travail a, dans un premier temps, établi plusieurs " fiches conseils métiers " détaillant les précautions à prendre dans différents environnements de travail, publié ces fiches sur le site ministériel (travail-emploi.gouv.fr) et publié sur le même site des guides de bonnes pratiques établis par les organisations professionnelles et syndicales dans certaines branches d'activité. Dans un deuxième temps, un protocole national de déconfinement pour les entreprises pour assurer la sécurité et la santé des salariés a été adopté, le 3 mai 2020. Un nouveau protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l'épidémie de covid-19 a été arrêté le 31 août 2020, et par la suite actualisé en fonction de l'évolution de l'épidémie.
5. Le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance demande, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution du protocole national actualisé en dernier lieu au 13 novembre 2020, en particulier en tant qu'il traite du recours au télétravail. Il demande également la suspension, sur le même fondement, de l'instruction relative aux orientations et aux modalités d'intervention du système d'inspection du travail dans le cadre du confinement entré en vigueur le 30 octobre 2020, prise le 3 novembre 2020 par le directeur général du travail, également en tant qu'elle traite du recours au télétravail.
Sur la demande adressée au juge des référés :
6. Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, relatif aux obligations générales de l'employeur en matière de santé et de sécurité au travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (...). L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. ". L'article L. 4121-2 du même code prévoit que ces mesures doivent être mises en oeuvre " sur le fondement des principes généraux suivants : /1° Eviter les risques ; (...) ". L'article L. 4121-3 dispose que : " L'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris (...) dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations (...). A la suite de cette évaluation, l'employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs (...) ". Par ailleurs, en vertu de l'article L. 4122-2 du code du travail : " Les mesures prises en matière de santé et de sécurité au travail ne doivent entraîner aucune charge financière pour les travailleurs ". Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'employeur est tenu de prendre et doit pouvoir justifier avoir pris toutes les mesures de prévention nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Cette obligation de sécurité impose à l'employeur de revoir, au vu des risques et des modes de contamination induits par le virus du covid-19, l'organisation du travail, la gestion des flux, les conditions de travail et les mesures de protection des salariés. L'appréciation du respect de cette obligation par l'employeur s'effectue nécessairement, en vertu notamment du dernier alinéa de l'article L. 4121-1, en tenant compte de l'état des connaissances scientifiques en la matière, lesquelles sont publiquement diffusées, notamment par le Haut conseil de la santé publique.
7. Le protocole dont la suspension est demandée constitue un ensemble de recommandations pour la déclinaison matérielle de l'obligation de sécurité de l'employeur dans le cadre de l'épidémie de covid-19 en rappelant les obligations qui existent en vertu du code du travail. Si certains termes du protocole sont formulés en termes impératifs, en particulier en ce qu'il est indiqué que " Dans les circonstances exceptionnelles actuelles, liées à la menace de l'épidémie, le télétravail doit être la règle pour l'ensemble des salariés qui le permettent. Dans ce cadre, le temps de travail effectué en télétravail est porté à 100 % pour les salariés qui peuvent effectuer l'ensemble de leurs tâches à distance ", le protocole a pour seul objet d'accompagner les employeurs dans leurs obligations d'assurer la sécurité et la santé de leurs salariés au vue des connaissances scientifiques sur les modes de transmission du SARS-CoV-2 et n'a pas vocation à se substituer à l'employeur dans l'évaluation des risques et la mise en place des mesures de prévention adéquate dans l'entreprise. La fiche Questions-réponses sur le télétravail, publiée sur le site internet du ministère du travail et actualisée au 17 novembre 2020, rappelle ainsi que le protocole formalise, en matière de santé et sécurité au travail, les recommandations du Haut conseil de la santé publique pour se protéger du risque de contamination au covid-19, qu'il appartient à l'employeur de mettre en oeuvre les principes généraux de prévention énoncés à l'article L. 4121-2 du code du travail, qu'il lui incombe dans ce cadre d'évaluer les risques et de mettre en oeuvre des actions et moyens de prévention adaptés, que la mise en place du télétravail pour les activités qui le permettent participe des mesures pouvant être prises par l'employeur dans ce cadre, et que l'employeur, qui reste tenu à une obligation de sécurité à l'égard du salarié placé en télétravail, doit être attentif au risque de situations de souffrance pouvant en résulter pour les salariés isolés et leur permettre le cas échéant de venir travailler sur leur lieu de travail.
8. De la même façon, l'instruction relative aux orientations et aux modalités d'intervention du système d'inspection du travail, adressée le 3 novembre 2020 par le directeur général du travail, rappelle la nécessité pour l'employeur d'évaluer les risques et de mettre en oeuvre des moyens de prévention adaptés, en vertu des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail. C'est sur ce seul fondement légal que peuvent être prononcées les mises en demeure adressées par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.
9. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de ce que le protocole et l'instruction seraient entachés d'incompétence, et méconnaîtraient les dispositions du code du travail en ce qu'ils imposeraient aux employeurs le recours au télétravail et porteraient ce faisant une atteinte excessive aux libertés individuelles des salariés et des employeurs et à la liberté d'entreprendre ne sont pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ce protocole. Aucun des autres moyens soulevés n'est non plus dans ce cas.
10. Il résulte de ce qui précède que la requête du syndicat Alliance Plasturgie et Compagnie du Futur Plastalliance doit être rejetée, ainsi que, par suite, ses conclusions tendant à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête du syndicat Alliance Plasturgie et Compagnie du Futur Plastalliance est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur Plastalliance et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.