Conseil d'État
N° 446873
ECLI:FR:CEORD:2020:446873.20201215
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP BUK LAMENT - ROBILLOT, avocats
Lecture du mardi 15 décembre 2020
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 446873, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 25 novembre et le 11 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Renaloo, la Ligue nationale contre l'obésité, l'Association nationale de défense contre l'arthrite rhumatoïde (ANDAR), l'association France lymphome espoir, l'association Cancer contribution, l'association AIDES, l'association Plateforme 3AP (Aider à aider), l'association Roseup association, l'association Coopération santé et M. A... B... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2020-1365 du 10 novembre 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, sauf en ce qu'il étend la liste des personnes vulnérables par rapport au décret n° 2020-521 du 5 mai 2020 et en ce qu'il permet de faire travailler à distance les personnes vulnérables plutôt que de les faire bénéficier d'un arrêt de travail ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre, au ministre chargé de la santé et au ministre chargé du travail d'adopter un nouveau décret qui qualifie de vulnérables au sens de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 les femmes enceintes à tous les stades de la grossesse, les personnes souffrant d'une quelconque pathologie rénale et les trisomiques ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable ;
- la condition d'urgence est remplie eu égard à la rapidité de la circulation du virus ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et au droit à la santé ;
- le décret litigieux méconnaît l'autorité de chose jugée par l'ordonnance n° 444425, 444916, 444919, 445029, 445030 du 15 octobre 2020 du juge des référés du Conseil d'Etat ;
- il méconnaît l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 en ce que, par le critère qu'il fixe au 2° de son article 1er, il subordonne le bénéfice de l'activité partielle à une condition non prévue par la loi ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce que, en premier lieu, le retour des personnes vulnérables sur leur lieu de travail qu'il permet sera la cause de contaminations graves, conduisant à de nombreux décès, à l'engorgement des hôpitaux et à la prolongation du confinement, en deuxième lieu, à titre subsidiaire, les mesures de protection renforcées qu'il prévoit en faveur des personnes vulnérables sont insuffisantes et, en dernier lieu, il n'inclut pas parmi les personnes vulnérables les insuffisants rénaux non dyalisés, les femmes enceintes pendant leurs deux premiers trimestres de grossesse et les personnes atteintes de trisomie ;
- les critères permettant de faire travailler les personnes vulnérables sur leur lieu de travail ne sont pas énoncés de façon claire et intelligible ;
- le décret litigieux fait peser sur le salarié vulnérable la charge d'apporter la preuve, impossible, que les conditions pour qu'il soit dérogé au principe de l'arrêt de travail des salariés vulnérables ne sont pas satisfaites par son employeur ;
- les salariés vulnérables n'ont aucun recours contre une décision défavorable du médecin du travail relatif à la possibilité de travailler sans risque sur leur lieu de travail, en méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif ;
- il méconnaît les articles 221-6 et 222-19 du code pénal réprimant respectivement l'homicide involontaire et les blessures involontaires graves.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que l'urgence n'est pas établie et que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, qui n'ont pas produit d'observations.
2° Sous le n° 446876, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 25 novembre et le 11 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Renaloo, la Ligue nationale contre l'obésité, l'Association nationale de défense contre l'arthrite rhumatoïde (ANDAR), l'association France lymphome espoir, l'association Cancer contribution, l'association AIDES, l'association Plateforme 3AP (Aider à aider), l'association Roseup association, l'association Coopération santé et M. A... B... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2020-1365 du 10 novembre 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, sauf en ce qu'il étend la liste des personnes vulnérables par rapport au décret n° 2020-521 du 5 mai 2020 et en ce qu'il permet de faire travailler à distance les personnes vulnérables plutôt que de les faire bénéficier d'un arrêt de travail ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'adopter provisoirement un décret qui qualifie de vulnérables au sens de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 les insuffisants rénaux non dyalisés, les femmes enceintes lors des deux premiers trimestres de grossesse et les trisomiques ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable ;
- la condition d'urgence est remplie eu égard à la rapidité de la circulation du virus ;
- il existe un doute quant à la légalité du décret contesté ;
- le décret litigieux méconnaît l'autorité de chose jugée par l'ordonnance n° 444425, 444916, 444919, 445029, 445030 du 15 octobre 2020 du juge des référés du Conseil d'Etat ;
- il méconnaît l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 en ce que, par le critère qu'il fixe au 2° de son article 1er, il subordonne le bénéfice de l'activité partielle à une condition non prévue par la loi ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce que, en premier lieu, le retour des personnes vulnérables sur leur lieu de travail qu'il permet sera la cause de contaminations graves, conduisant à de nombreux décès, à l'engorgement des hôpitaux et à la prolongation du confinement, en deuxième lieu, à titre subsidiaire, les mesures de protection renforcées qu'il prévoit en faveur des personnes vulnérables sont insuffisantes et, en dernier lieu, il n'inclut pas parmi les personnes vulnérables les insuffisants rénaux non dyalisés, les femmes enceintes pendant leurs deux premiers trimestres de grossesse et les personnes atteintes de trisomie ;
- les critères permettant de faire travailler les personnes vulnérables sur leur lieu de travail ne sont pas énoncés de façon claire et intelligible ;
- le décret litigieux fait peser sur le salarié vulnérable la charge d'apporter la preuve, impossible, que les conditions pour qu'il soit dérogé au principe de l'arrêt de travail des salariés vulnérables ne sont pas satisfaites par son employeur ;
- les salariés vulnérables n'ont aucun recours contre une décision défavorable du médecin du travail relatif à la possibilité de travailler sans risque sur leur lieu de travail, en méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif ;
- il méconnaît les articles 221-6 et 222-19 du code pénal réprimant respectivement l'homicide involontaire et les blessures involontaires graves.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que l'urgence n'est pas établie et que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, qui n'ont pas produit d'observations.
3° Sous le n° 447162, par une requête, enregistrée le 2 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé (UNAASS) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2020-1365 du 10 novembre 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle dispose d'un intérêt lui donnant qualité pour agir ;
- la condition d'urgence est remplie eu égard au risque de développement d'une forme grave de covid-19 par les personnes présentant des pathologies qui n'ont pas été retenues par le décret contesté et à l'impossibilité pour ces personnes d'être placées en arrêt de maladie de droit commun ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret litigieux ;
- le décret litigieux méconnaît l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il ne retient pas comme critère de vulnérabilité l'ensemble des pathologies mentionnées par le Haut Conseil de la santé publique et, notamment, les syndromes démentiels, la polyarthrite rhumatoïde, le lupus systématique et le psoriasis.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que l'urgence n'est pas établie et que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, qui n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code pénal ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2020-1365 du 10 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-521 du 5 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-1365 du 10 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Renaloo, la Ligue nationale contre l'obésité, l'Association nationale de défense contre l'arthrite rhumatoïde, l'association France lymphome espoir, l'association Cancer contribution, l'association AIDES, l'association Plateforme 3AP, l'association Roseup association, l'association Coopération santé et M. A... B..., ainsi que l'Union nationale des associations agrées d'usagers du système de santé et, d'autre part, le Premier ministre, le ministre des solidarités et de la santé et le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 11 décembre 2020, à 11heures :
- Me Robillot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association Renaloo et autres ;
- Me Balat, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Union nationale des associations agrées d'usagers du système de santé ;
- les représentants de l'association Renaloo et autres ;
- le représentant de l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé ;
- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.
Considérant ce qui suit
1. Les requêtes visées ci-dessus, qui sont présentées, pour l'une, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, pour les deux autres, sur le fondement de l'article L. 521-1 du même code, tendent à la suspension de l'exécution du même décret. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.
Sur le cadre juridique du litige
2. Le I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 dispose que : " Sont placés en position d'activité partielle les salariés de droit privé se trouvant dans l'impossibilité de continuer à travailler pour l'un des motifs suivants : / - le salarié est une personne vulnérable présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2, selon des critères définis par voie réglementaire ; / - le salarié partage le même domicile qu'une personne vulnérable au sens du deuxième alinéa du présent I ; (...) ", le III de cet article précisant que : " (...) / Pour les salariés mentionnés aux deuxième et troisième alinéas du (...) I, celui-ci s'applique jusqu'à une date fixée par décret et au plus tard le 31 décembre 2020. / (...) / Les modalités d'application du présent article sont définies par voie réglementaire ".
3. Pour l'application de ces dispositions, le décret du 5 mai 2020 a défini les critères permettant d'identifier les salariés vulnérables présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2. Puis, par un décret du 29 août 2020, le Premier ministre a modifié ces critères à compter du 1er septembre 2020, fixé au 31 août 2020 la date jusqu'à laquelle le I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 s'applique aux salariés partageant le même domicile qu'une personne vulnérable et abrogé en conséquence le décret du 5 mai 2020 à compter du 1er septembre 2020, sous réserve de son application dans les départements de Guyane et de Mayotte tant que l'état d'urgence sanitaire y est en vigueur. L'exécution de ce décret a été suspendue par une ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat du 15 octobre 2020, à l'exception des dispositions de son article 1er relatives aux salariés partageant le même domicile qu'une personne vulnérable. Enfin, le décret attaqué du 10 novembre 2020, abrogeant le décret du 5 mai 2020 et les articles 2 à 4 du décret du 29 août 2020, fixe de nouveaux critères pour l'application de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020. Sont désormais placés à leur demande en position d'activité partielle au titre de ces dispositions, sur présentation d'un certificat établi par un médecin, les salariés répondant à deux critères cumulatifs. Le premier critère se rapporte, soit à leur âge, d'au moins soixante-cinq ans, soit à leur état de grossesse, à partir du troisième trimestre, soit à la pathologie dont ils sont atteints, dont une liste est dressée. Le second critère tient à leur impossibilité à la fois de recourir au télétravail et de bénéficier de mesures de protections renforcées, que le décret énumère, s'agissant de leur poste de travail et de leur trajet entre leur domicile et leur lieu de travail, notamment pour prendre en compte l'utilisation des moyens de transports collectifs. En cas de désaccord du salarié sur la mise en oeuvre par l'employeur de ces mesures de protection renforcées, le salarié saisit le médecin du travail et est placé en activité partielle dans l'attente de son avis. L'association Renaloo et autres demandent la suspension de l'exécution ce décret, sauf en ce qu'il étend la liste des personnes vulnérables du 5 mai 2020 et sauf en ce qu'il subordonne le placement des salariés vulnérables en activité partielle à leur impossibilité de télétravailler, et concluent à ce qu'il soit enjoint au Premier ministre d'adopter un décret étendant la liste des personnes vulnérables. Eu égard aux moyens qu'elle invoque, l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé doit être regardée comme demandant la suspension de l'exécution du même décret en tant seulement qu'il ne retient pas certaines pathologies au titre du premier des deux critères mentionnés ci-dessus.
Sur les référés suspension :
4. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
5. En premier lieu, les dispositions de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 laissent au Premier ministre un large pouvoir d'appréciation pour définir les critères selon lesquels un salarié doit être regardé comme une personne vulnérable présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, ces critères peuvent tenir tant à des pathologies ou des situations associées à un risque élevé, en cas d'infection, d'en développer une forme grave, le cas échéant appréciées par un médecin, qu'aux conditions concrètes de transport vers le lieu de travail et d'exercice des fonctions et au risque associé de contamination. Il incombe seulement au Premier ministre, dans la mise en oeuvre de ce pouvoir réglementaire, de justifier de critères pertinents et cohérents au regard de l'objet de la mesure. Par suite, le moyen tiré de ce que le deuxième des critères fixés par le décret méconnaîtrait l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 en subordonnant le bénéfice de l'activité partielle à une condition qu'elle ne prévoit pas n'est pas, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité.
6. En deuxième lieu, s'agissant du premier des deux critères fixés par le décret, se rapportant à la situation d'âge, de grossesse ou d'état de santé de la personne, il résulte de l'instruction que l'administration a entendu retenir la liste des situations que le Haut Conseil de la santé publique désigne dans son avis du 29 octobre 2020 relatif à l'actualisation de la liste des facteurs de risque de forme grave de covid-19 comme " préalablement identifiées " par ses avis précédents et dont il confirme qu'il recommande de les considérer comme " à risque de forme grave de covid-19 ", en y ajoutant, au vu des préconisations de cet avis, les femmes au troisième trimestre de la grossesse et les personnes atteintes d'une maladie rare.
7. Les requérants font valoir que le Haut Conseil de la santé publique a, dans ce même avis, complété cette liste par une autre liste plus large, incluant " toutes les situations comportant un sur-risque significatif identifié " et précisant, au vu de l'ensemble des données récentes qu'il a examinées, " une gradation du risque ", selon qu'il est " significatif ", " significatif élevé " ou " significatif très élevé ". D'une part, le Premier ministre pouvait, sans erreur manifeste d'appréciation, ne pas retenir l'ensemble des situations couvertes par cette liste plus large, notamment celles dont le sur-risque est seulement " significatif ", parmi lesquelles l'insuffisance rénale stade 3 à 5, la polyarthrite rhumatoïde, le lupus systématique et le psoriasis. D'autre part, si le risque " significatif très élevé " associé au syndrome de Down (trisomie 21) et aux syndromes démentiels impose que les personnes atteintes de ces pathologies fassent l'objet d'une protection au moins équivalente à celle dont bénéficient celles relevant du décret litigieux, l'administration fait valoir que la particularité de la situation de ces personnes justifie, lorsqu'elles travaillent, un examen au cas par cas, auquel ne se prête pas l'application des dispositions générales du décret litigieux, pour déterminer si et dans quelles conditions particulières, le cas échéant plus exigeantes que celles en litige, elles peuvent continuer à travailler ou doivent bénéficier d'un arrêt de travail. Enfin, le Haut Conseil de la santé publique a rappelé, dans son avis du 29 octobre 2020, les termes de son avis du 6 octobre 2020 relatif à l'activité professionnelle des femmes enceintes en période de circulation du SARS-CoV-2, dont il résulte que les données actuelles de la littérature ne permettent pas de grader le risque de covid-19 grave en fonction de la grossesse chez une femme sans comorbidité, mais que la grossesse au troisième trimestre chez une femme sans comorbidité représente néanmoins un facteur de risque théorique de covid-19 grave par analogie avec d'autres infections respiratoires. Dans ces conditions, en l'état de l'instruction, n'est pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité du décret litigieux le moyen tiré de ce que ce décret serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en tant qu'il ne retient pas comme critère de vulnérabilité l'ensemble des situations comportant un sur-risque significatif identifié selon l'avis du Haut Conseil de la santé publique du 29 octobre 2020 et, notamment, l'insuffisance rénale non dyalisée, la polyarthrite rhumatoïde, le lupus systématique, le psoriasis, la grossesse quel que soit son terme, la trisomie 21 et les syndromes démentiels.
8. En troisième lieu, s'agissant du second des deux critères fixés par le décret, se rapportant à l'impossibilité pour les intéressés de bénéficier, lorsqu'ils ne peuvent télétravailler, de mesures de protection renforcées attachées à leur poste de travail et à leur trajet entre leur domicile et leur lieu de travail, il ne résulte pas de l'instruction que les mesures énumérées, qui correspondent à celles préconisées par le Haut Conseil de la santé publique de façon constante depuis son avis du 20 avril 2020 relatif aux personnes à risque de forme grave de covid-19 et aux mesures barrières spécifiques à ces publics, seraient insuffisamment claires et intelligibles pour être effectivement opposables. En outre, contrairement à ce qui est soutenu, la circonstance qu'en cas de désaccord entre le salarié et l'employeur sur l'appréciation portée par ce dernier sur la mise en oeuvre de ces mesures de protection renforcée, le salarié puisse, à tout moment, saisir le médecin du travail, dans l'attente de l'avis duquel il est placé en position d'activité partielle, est de nature à assurer l'effectivité de cette protection renforcée et ouvre au salarié le recours juridictionnel prévu à l'article L. 4624-7 du code du travail. Par suite, les moyens tirés de ce que ce critère ne serait pas énoncé de façon claire et intelligible, ferait indûment peser sur le salarié vulnérable une preuve impossible et qui ne lui incombe pas ou méconnaîtrait son droit à un recours juridictionnel effectif ne sont pas de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret litigieux.
9. Aucun des autres moyens soulevés n'est propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret litigieux. Il en résulte que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'urgence ni d'examiner la recevabilité des requêtes, les requérants ne sont pas fondés à demander la suspension de l'exécution du décret du 10 novembre 2020 sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. Leurs conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par suite qu'être également rejetées.
Sur le référé liberté :
10. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. "
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que seule la situation des personnes atteintes de trisomie 21 ou de syndromes démentiels est susceptible de caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, compte tenu de leur sur-risque significatif très élevé de contracter une forme grave de covid-19, imposant que les personnes atteintes de ces pathologies fassent l'objet d'une protection au moins équivalente à celle dont bénéficient celles relevant du décret litigieux. Il ne résulte toutefois pas, à ce jour, de l'instruction, que ces personnes ne bénéficieraient pas d'une telle protection et, en particulier, de l'examen au cas par cas, dont l'administration s'est prévalue au cours de l'audience et dont il lui incombe de s'assurer de l'effectivité, pour déterminer si et dans quelles conditions particulières, le cas échéant plus exigeantes que celles en litige, elles peuvent continuer à travailler ou doivent bénéficier d'un arrêt de travail.
12. Il y a lieu, dans ces conditions, de rejeter les conclusions présentées par les requérants au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ainsi, par suite, que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du même code.
O R D O N N E :
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Article 1er : Les requêtes de l'association Renaloo et autres et de l'Union nationale des associations agrées d'usagers du système de santé sont rejetées.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Renaloo, représentant unique désigné, à l'Union nationale des associations agrées d'usagers du système de santé et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
N° 446873
ECLI:FR:CEORD:2020:446873.20201215
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP BUK LAMENT - ROBILLOT, avocats
Lecture du mardi 15 décembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 446873, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 25 novembre et le 11 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Renaloo, la Ligue nationale contre l'obésité, l'Association nationale de défense contre l'arthrite rhumatoïde (ANDAR), l'association France lymphome espoir, l'association Cancer contribution, l'association AIDES, l'association Plateforme 3AP (Aider à aider), l'association Roseup association, l'association Coopération santé et M. A... B... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2020-1365 du 10 novembre 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, sauf en ce qu'il étend la liste des personnes vulnérables par rapport au décret n° 2020-521 du 5 mai 2020 et en ce qu'il permet de faire travailler à distance les personnes vulnérables plutôt que de les faire bénéficier d'un arrêt de travail ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre, au ministre chargé de la santé et au ministre chargé du travail d'adopter un nouveau décret qui qualifie de vulnérables au sens de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 les femmes enceintes à tous les stades de la grossesse, les personnes souffrant d'une quelconque pathologie rénale et les trisomiques ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable ;
- la condition d'urgence est remplie eu égard à la rapidité de la circulation du virus ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et au droit à la santé ;
- le décret litigieux méconnaît l'autorité de chose jugée par l'ordonnance n° 444425, 444916, 444919, 445029, 445030 du 15 octobre 2020 du juge des référés du Conseil d'Etat ;
- il méconnaît l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 en ce que, par le critère qu'il fixe au 2° de son article 1er, il subordonne le bénéfice de l'activité partielle à une condition non prévue par la loi ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce que, en premier lieu, le retour des personnes vulnérables sur leur lieu de travail qu'il permet sera la cause de contaminations graves, conduisant à de nombreux décès, à l'engorgement des hôpitaux et à la prolongation du confinement, en deuxième lieu, à titre subsidiaire, les mesures de protection renforcées qu'il prévoit en faveur des personnes vulnérables sont insuffisantes et, en dernier lieu, il n'inclut pas parmi les personnes vulnérables les insuffisants rénaux non dyalisés, les femmes enceintes pendant leurs deux premiers trimestres de grossesse et les personnes atteintes de trisomie ;
- les critères permettant de faire travailler les personnes vulnérables sur leur lieu de travail ne sont pas énoncés de façon claire et intelligible ;
- le décret litigieux fait peser sur le salarié vulnérable la charge d'apporter la preuve, impossible, que les conditions pour qu'il soit dérogé au principe de l'arrêt de travail des salariés vulnérables ne sont pas satisfaites par son employeur ;
- les salariés vulnérables n'ont aucun recours contre une décision défavorable du médecin du travail relatif à la possibilité de travailler sans risque sur leur lieu de travail, en méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif ;
- il méconnaît les articles 221-6 et 222-19 du code pénal réprimant respectivement l'homicide involontaire et les blessures involontaires graves.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que l'urgence n'est pas établie et que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, qui n'ont pas produit d'observations.
2° Sous le n° 446876, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 25 novembre et le 11 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Renaloo, la Ligue nationale contre l'obésité, l'Association nationale de défense contre l'arthrite rhumatoïde (ANDAR), l'association France lymphome espoir, l'association Cancer contribution, l'association AIDES, l'association Plateforme 3AP (Aider à aider), l'association Roseup association, l'association Coopération santé et M. A... B... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2020-1365 du 10 novembre 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, sauf en ce qu'il étend la liste des personnes vulnérables par rapport au décret n° 2020-521 du 5 mai 2020 et en ce qu'il permet de faire travailler à distance les personnes vulnérables plutôt que de les faire bénéficier d'un arrêt de travail ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'adopter provisoirement un décret qui qualifie de vulnérables au sens de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 les insuffisants rénaux non dyalisés, les femmes enceintes lors des deux premiers trimestres de grossesse et les trisomiques ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable ;
- la condition d'urgence est remplie eu égard à la rapidité de la circulation du virus ;
- il existe un doute quant à la légalité du décret contesté ;
- le décret litigieux méconnaît l'autorité de chose jugée par l'ordonnance n° 444425, 444916, 444919, 445029, 445030 du 15 octobre 2020 du juge des référés du Conseil d'Etat ;
- il méconnaît l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 en ce que, par le critère qu'il fixe au 2° de son article 1er, il subordonne le bénéfice de l'activité partielle à une condition non prévue par la loi ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce que, en premier lieu, le retour des personnes vulnérables sur leur lieu de travail qu'il permet sera la cause de contaminations graves, conduisant à de nombreux décès, à l'engorgement des hôpitaux et à la prolongation du confinement, en deuxième lieu, à titre subsidiaire, les mesures de protection renforcées qu'il prévoit en faveur des personnes vulnérables sont insuffisantes et, en dernier lieu, il n'inclut pas parmi les personnes vulnérables les insuffisants rénaux non dyalisés, les femmes enceintes pendant leurs deux premiers trimestres de grossesse et les personnes atteintes de trisomie ;
- les critères permettant de faire travailler les personnes vulnérables sur leur lieu de travail ne sont pas énoncés de façon claire et intelligible ;
- le décret litigieux fait peser sur le salarié vulnérable la charge d'apporter la preuve, impossible, que les conditions pour qu'il soit dérogé au principe de l'arrêt de travail des salariés vulnérables ne sont pas satisfaites par son employeur ;
- les salariés vulnérables n'ont aucun recours contre une décision défavorable du médecin du travail relatif à la possibilité de travailler sans risque sur leur lieu de travail, en méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif ;
- il méconnaît les articles 221-6 et 222-19 du code pénal réprimant respectivement l'homicide involontaire et les blessures involontaires graves.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que l'urgence n'est pas établie et que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, qui n'ont pas produit d'observations.
3° Sous le n° 447162, par une requête, enregistrée le 2 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé (UNAASS) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2020-1365 du 10 novembre 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle dispose d'un intérêt lui donnant qualité pour agir ;
- la condition d'urgence est remplie eu égard au risque de développement d'une forme grave de covid-19 par les personnes présentant des pathologies qui n'ont pas été retenues par le décret contesté et à l'impossibilité pour ces personnes d'être placées en arrêt de maladie de droit commun ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret litigieux ;
- le décret litigieux méconnaît l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il ne retient pas comme critère de vulnérabilité l'ensemble des pathologies mentionnées par le Haut Conseil de la santé publique et, notamment, les syndromes démentiels, la polyarthrite rhumatoïde, le lupus systématique et le psoriasis.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que l'urgence n'est pas établie et que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, qui n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code pénal ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2020-1365 du 10 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-521 du 5 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-1365 du 10 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Renaloo, la Ligue nationale contre l'obésité, l'Association nationale de défense contre l'arthrite rhumatoïde, l'association France lymphome espoir, l'association Cancer contribution, l'association AIDES, l'association Plateforme 3AP, l'association Roseup association, l'association Coopération santé et M. A... B..., ainsi que l'Union nationale des associations agrées d'usagers du système de santé et, d'autre part, le Premier ministre, le ministre des solidarités et de la santé et le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 11 décembre 2020, à 11heures :
- Me Robillot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association Renaloo et autres ;
- Me Balat, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Union nationale des associations agrées d'usagers du système de santé ;
- les représentants de l'association Renaloo et autres ;
- le représentant de l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé ;
- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.
Considérant ce qui suit
1. Les requêtes visées ci-dessus, qui sont présentées, pour l'une, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, pour les deux autres, sur le fondement de l'article L. 521-1 du même code, tendent à la suspension de l'exécution du même décret. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.
Sur le cadre juridique du litige
2. Le I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 dispose que : " Sont placés en position d'activité partielle les salariés de droit privé se trouvant dans l'impossibilité de continuer à travailler pour l'un des motifs suivants : / - le salarié est une personne vulnérable présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2, selon des critères définis par voie réglementaire ; / - le salarié partage le même domicile qu'une personne vulnérable au sens du deuxième alinéa du présent I ; (...) ", le III de cet article précisant que : " (...) / Pour les salariés mentionnés aux deuxième et troisième alinéas du (...) I, celui-ci s'applique jusqu'à une date fixée par décret et au plus tard le 31 décembre 2020. / (...) / Les modalités d'application du présent article sont définies par voie réglementaire ".
3. Pour l'application de ces dispositions, le décret du 5 mai 2020 a défini les critères permettant d'identifier les salariés vulnérables présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2. Puis, par un décret du 29 août 2020, le Premier ministre a modifié ces critères à compter du 1er septembre 2020, fixé au 31 août 2020 la date jusqu'à laquelle le I de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 s'applique aux salariés partageant le même domicile qu'une personne vulnérable et abrogé en conséquence le décret du 5 mai 2020 à compter du 1er septembre 2020, sous réserve de son application dans les départements de Guyane et de Mayotte tant que l'état d'urgence sanitaire y est en vigueur. L'exécution de ce décret a été suspendue par une ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat du 15 octobre 2020, à l'exception des dispositions de son article 1er relatives aux salariés partageant le même domicile qu'une personne vulnérable. Enfin, le décret attaqué du 10 novembre 2020, abrogeant le décret du 5 mai 2020 et les articles 2 à 4 du décret du 29 août 2020, fixe de nouveaux critères pour l'application de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020. Sont désormais placés à leur demande en position d'activité partielle au titre de ces dispositions, sur présentation d'un certificat établi par un médecin, les salariés répondant à deux critères cumulatifs. Le premier critère se rapporte, soit à leur âge, d'au moins soixante-cinq ans, soit à leur état de grossesse, à partir du troisième trimestre, soit à la pathologie dont ils sont atteints, dont une liste est dressée. Le second critère tient à leur impossibilité à la fois de recourir au télétravail et de bénéficier de mesures de protections renforcées, que le décret énumère, s'agissant de leur poste de travail et de leur trajet entre leur domicile et leur lieu de travail, notamment pour prendre en compte l'utilisation des moyens de transports collectifs. En cas de désaccord du salarié sur la mise en oeuvre par l'employeur de ces mesures de protection renforcées, le salarié saisit le médecin du travail et est placé en activité partielle dans l'attente de son avis. L'association Renaloo et autres demandent la suspension de l'exécution ce décret, sauf en ce qu'il étend la liste des personnes vulnérables du 5 mai 2020 et sauf en ce qu'il subordonne le placement des salariés vulnérables en activité partielle à leur impossibilité de télétravailler, et concluent à ce qu'il soit enjoint au Premier ministre d'adopter un décret étendant la liste des personnes vulnérables. Eu égard aux moyens qu'elle invoque, l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé doit être regardée comme demandant la suspension de l'exécution du même décret en tant seulement qu'il ne retient pas certaines pathologies au titre du premier des deux critères mentionnés ci-dessus.
Sur les référés suspension :
4. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
5. En premier lieu, les dispositions de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 laissent au Premier ministre un large pouvoir d'appréciation pour définir les critères selon lesquels un salarié doit être regardé comme une personne vulnérable présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, ces critères peuvent tenir tant à des pathologies ou des situations associées à un risque élevé, en cas d'infection, d'en développer une forme grave, le cas échéant appréciées par un médecin, qu'aux conditions concrètes de transport vers le lieu de travail et d'exercice des fonctions et au risque associé de contamination. Il incombe seulement au Premier ministre, dans la mise en oeuvre de ce pouvoir réglementaire, de justifier de critères pertinents et cohérents au regard de l'objet de la mesure. Par suite, le moyen tiré de ce que le deuxième des critères fixés par le décret méconnaîtrait l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 en subordonnant le bénéfice de l'activité partielle à une condition qu'elle ne prévoit pas n'est pas, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité.
6. En deuxième lieu, s'agissant du premier des deux critères fixés par le décret, se rapportant à la situation d'âge, de grossesse ou d'état de santé de la personne, il résulte de l'instruction que l'administration a entendu retenir la liste des situations que le Haut Conseil de la santé publique désigne dans son avis du 29 octobre 2020 relatif à l'actualisation de la liste des facteurs de risque de forme grave de covid-19 comme " préalablement identifiées " par ses avis précédents et dont il confirme qu'il recommande de les considérer comme " à risque de forme grave de covid-19 ", en y ajoutant, au vu des préconisations de cet avis, les femmes au troisième trimestre de la grossesse et les personnes atteintes d'une maladie rare.
7. Les requérants font valoir que le Haut Conseil de la santé publique a, dans ce même avis, complété cette liste par une autre liste plus large, incluant " toutes les situations comportant un sur-risque significatif identifié " et précisant, au vu de l'ensemble des données récentes qu'il a examinées, " une gradation du risque ", selon qu'il est " significatif ", " significatif élevé " ou " significatif très élevé ". D'une part, le Premier ministre pouvait, sans erreur manifeste d'appréciation, ne pas retenir l'ensemble des situations couvertes par cette liste plus large, notamment celles dont le sur-risque est seulement " significatif ", parmi lesquelles l'insuffisance rénale stade 3 à 5, la polyarthrite rhumatoïde, le lupus systématique et le psoriasis. D'autre part, si le risque " significatif très élevé " associé au syndrome de Down (trisomie 21) et aux syndromes démentiels impose que les personnes atteintes de ces pathologies fassent l'objet d'une protection au moins équivalente à celle dont bénéficient celles relevant du décret litigieux, l'administration fait valoir que la particularité de la situation de ces personnes justifie, lorsqu'elles travaillent, un examen au cas par cas, auquel ne se prête pas l'application des dispositions générales du décret litigieux, pour déterminer si et dans quelles conditions particulières, le cas échéant plus exigeantes que celles en litige, elles peuvent continuer à travailler ou doivent bénéficier d'un arrêt de travail. Enfin, le Haut Conseil de la santé publique a rappelé, dans son avis du 29 octobre 2020, les termes de son avis du 6 octobre 2020 relatif à l'activité professionnelle des femmes enceintes en période de circulation du SARS-CoV-2, dont il résulte que les données actuelles de la littérature ne permettent pas de grader le risque de covid-19 grave en fonction de la grossesse chez une femme sans comorbidité, mais que la grossesse au troisième trimestre chez une femme sans comorbidité représente néanmoins un facteur de risque théorique de covid-19 grave par analogie avec d'autres infections respiratoires. Dans ces conditions, en l'état de l'instruction, n'est pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité du décret litigieux le moyen tiré de ce que ce décret serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en tant qu'il ne retient pas comme critère de vulnérabilité l'ensemble des situations comportant un sur-risque significatif identifié selon l'avis du Haut Conseil de la santé publique du 29 octobre 2020 et, notamment, l'insuffisance rénale non dyalisée, la polyarthrite rhumatoïde, le lupus systématique, le psoriasis, la grossesse quel que soit son terme, la trisomie 21 et les syndromes démentiels.
8. En troisième lieu, s'agissant du second des deux critères fixés par le décret, se rapportant à l'impossibilité pour les intéressés de bénéficier, lorsqu'ils ne peuvent télétravailler, de mesures de protection renforcées attachées à leur poste de travail et à leur trajet entre leur domicile et leur lieu de travail, il ne résulte pas de l'instruction que les mesures énumérées, qui correspondent à celles préconisées par le Haut Conseil de la santé publique de façon constante depuis son avis du 20 avril 2020 relatif aux personnes à risque de forme grave de covid-19 et aux mesures barrières spécifiques à ces publics, seraient insuffisamment claires et intelligibles pour être effectivement opposables. En outre, contrairement à ce qui est soutenu, la circonstance qu'en cas de désaccord entre le salarié et l'employeur sur l'appréciation portée par ce dernier sur la mise en oeuvre de ces mesures de protection renforcée, le salarié puisse, à tout moment, saisir le médecin du travail, dans l'attente de l'avis duquel il est placé en position d'activité partielle, est de nature à assurer l'effectivité de cette protection renforcée et ouvre au salarié le recours juridictionnel prévu à l'article L. 4624-7 du code du travail. Par suite, les moyens tirés de ce que ce critère ne serait pas énoncé de façon claire et intelligible, ferait indûment peser sur le salarié vulnérable une preuve impossible et qui ne lui incombe pas ou méconnaîtrait son droit à un recours juridictionnel effectif ne sont pas de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret litigieux.
9. Aucun des autres moyens soulevés n'est propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret litigieux. Il en résulte que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'urgence ni d'examiner la recevabilité des requêtes, les requérants ne sont pas fondés à demander la suspension de l'exécution du décret du 10 novembre 2020 sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. Leurs conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par suite qu'être également rejetées.
Sur le référé liberté :
10. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. "
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que seule la situation des personnes atteintes de trisomie 21 ou de syndromes démentiels est susceptible de caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, compte tenu de leur sur-risque significatif très élevé de contracter une forme grave de covid-19, imposant que les personnes atteintes de ces pathologies fassent l'objet d'une protection au moins équivalente à celle dont bénéficient celles relevant du décret litigieux. Il ne résulte toutefois pas, à ce jour, de l'instruction, que ces personnes ne bénéficieraient pas d'une telle protection et, en particulier, de l'examen au cas par cas, dont l'administration s'est prévalue au cours de l'audience et dont il lui incombe de s'assurer de l'effectivité, pour déterminer si et dans quelles conditions particulières, le cas échéant plus exigeantes que celles en litige, elles peuvent continuer à travailler ou doivent bénéficier d'un arrêt de travail.
12. Il y a lieu, dans ces conditions, de rejeter les conclusions présentées par les requérants au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ainsi, par suite, que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du même code.
O R D O N N E :
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Article 1er : Les requêtes de l'association Renaloo et autres et de l'Union nationale des associations agrées d'usagers du système de santé sont rejetées.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Renaloo, représentant unique désigné, à l'Union nationale des associations agrées d'usagers du système de santé et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.