Conseil d'État
N° 435562
ECLI:FR:CECHR:2020:435562.20200123
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Guillaume de LA TAILLE LOLAINVILLE, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
Lecture du jeudi 23 janvier 2020
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 25 octobre et 10 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... A... et Mme B... C... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le dernier alinéa du paragraphe n° 20 des commentaires administratifs publiés le 19 mai 2014 au Bulletin officiel des finances publiques - impôts (BOFiP-impôts) sous la référence BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts, notamment son article 787 B ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Guillaume de La Taille Lolainville, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Par une instruction publiée au BOFiP-impôts sous la référence BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 le 19 mai 2014, l'administration a commenté les dispositions de l'article 787 B du code général des impôts, qui exonèrent partiellement de droits de mutation à titre gratuit les parts ou actions de certaines sociétés définies par la nature de leur activité. Dans sa partie " I. Mutations et biens concernés ", et sous le titre " A. Sociétés concernées et nature de l'activité ", le paragraphe n° 10 de cette instruction rappelle que les biens susceptibles d'en bénéficier sont les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. A son paragraphe n° 20, énonçant qu'il n'est pas exigé, néanmoins, que la société exerce à titre exclusif ces activités, l'instruction en conclut que : " le bénéfice du régime de faveur ne pourra pas être refusé aux parts ou actions d'une société qui exerce à la fois une activité civile, autre qu'agricole ou libérale, et une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale dans la mesure où cette activité civile n'est pas prépondérante. " Enfin, au dernier alinéa de son paragraphe n° 20, elle précise que : " Le caractère prépondérant de l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale s'apprécie au regard de deux critères cumulatifs que sont le chiffre d'affaires procuré par cette activité (au moins 50 % du montant du chiffre d'affaires total) et le montant de l'actif brut immobilisé (au moins 50 % du montant total de l'actif brut)". Eu égard à leurs écritures, M. A... et Mme C... doivent être regardés comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir de ce dernier alinéa.
2. Le recours formé à l'encontre des dispositions impératives de circulaires ou d'instructions par lesquelles l'autorité administrative interprète les lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en oeuvre doit être accueilli s'il est soutenu à bon droit que l'interprétation qu'elles prescrivent d'adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article 787 B du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 28 de la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, et à la condition que ces parts ou actions aient fait l'objet d'un engagement collectif de conservation présentant certaines caractéristiques, sont " exonérées de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur, les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès ou entre vifs ". Il résulte de ces dispositions que sont susceptibles de bénéficier, dans les conditions et limites qu'elles prévoient, de la mesure d'exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit ainsi instituée, les parts ou actions d'une société qui, ayant également une activité civile autre qu'agricole ou libérale, exerce principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, cette prépondérance s'appréciant en considération d'un faisceau d'indices déterminés d'après la nature de l'activité et les conditions de son exercice. Par suite, et alors de surcroît que la faiblesse du taux d'immobilisation de l'actif brut n'est pas davantage l'indice d'une activité civile autre qu'agricole ou libérale, que son importance celui d'une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, ces dispositions ne subordonnent pas l'avantage qu'elles instituent, s'agissant des parts et actions d'une société d'activité mixte, à la condition que le montant de l'actif brut immobilisé représente au moins 50 % du montant total de l'actif brut.
4. Dès lors, il ne saurait être fait grief à ces dispositions, en ce qu'elles subordonneraient l'entrée dans le champ de la mesure d'exonération à une telle condition, de méconnaître les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, qui consacrent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques. Il en résulte que la question prioritaire de constitutionnalité que soulèvent M. A... et Mme C..., qui n'est pas nouvelle, n'est pas non plus sérieuse et que les conditions prévues au premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ne sont pas réunies.
5. Mais pour les mêmes motifs, l'interprétation que ces commentaires administratifs prescrivent d'adopter méconnaît le sens et la portée des dispositions du premier alinéa de l'article 787 B du code général des impôts.
6. Il résulte de ce qui précède que M. A... et Mme C... sont fondés à demander l'annulation du dernier alinéa du paragraphe n° 20 de l'instruction publiée au BOFiP-impôts sous la référence BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... et Mme C....
Article 2 : Le dernier alinéa du paragraphe n° 20 de l'instruction publiée au BOFiP-impôts sous la référence BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 est annulé.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... et Mme C... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. D... A... et Mme B... C... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au Conseil constitutionnel.
N° 435562
ECLI:FR:CECHR:2020:435562.20200123
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Guillaume de LA TAILLE LOLAINVILLE, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
Lecture du jeudi 23 janvier 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 25 octobre et 10 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... A... et Mme B... C... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le dernier alinéa du paragraphe n° 20 des commentaires administratifs publiés le 19 mai 2014 au Bulletin officiel des finances publiques - impôts (BOFiP-impôts) sous la référence BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts, notamment son article 787 B ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Guillaume de La Taille Lolainville, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Par une instruction publiée au BOFiP-impôts sous la référence BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 le 19 mai 2014, l'administration a commenté les dispositions de l'article 787 B du code général des impôts, qui exonèrent partiellement de droits de mutation à titre gratuit les parts ou actions de certaines sociétés définies par la nature de leur activité. Dans sa partie " I. Mutations et biens concernés ", et sous le titre " A. Sociétés concernées et nature de l'activité ", le paragraphe n° 10 de cette instruction rappelle que les biens susceptibles d'en bénéficier sont les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. A son paragraphe n° 20, énonçant qu'il n'est pas exigé, néanmoins, que la société exerce à titre exclusif ces activités, l'instruction en conclut que : " le bénéfice du régime de faveur ne pourra pas être refusé aux parts ou actions d'une société qui exerce à la fois une activité civile, autre qu'agricole ou libérale, et une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale dans la mesure où cette activité civile n'est pas prépondérante. " Enfin, au dernier alinéa de son paragraphe n° 20, elle précise que : " Le caractère prépondérant de l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale s'apprécie au regard de deux critères cumulatifs que sont le chiffre d'affaires procuré par cette activité (au moins 50 % du montant du chiffre d'affaires total) et le montant de l'actif brut immobilisé (au moins 50 % du montant total de l'actif brut)". Eu égard à leurs écritures, M. A... et Mme C... doivent être regardés comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir de ce dernier alinéa.
2. Le recours formé à l'encontre des dispositions impératives de circulaires ou d'instructions par lesquelles l'autorité administrative interprète les lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en oeuvre doit être accueilli s'il est soutenu à bon droit que l'interprétation qu'elles prescrivent d'adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article 787 B du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 28 de la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, et à la condition que ces parts ou actions aient fait l'objet d'un engagement collectif de conservation présentant certaines caractéristiques, sont " exonérées de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur, les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès ou entre vifs ". Il résulte de ces dispositions que sont susceptibles de bénéficier, dans les conditions et limites qu'elles prévoient, de la mesure d'exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit ainsi instituée, les parts ou actions d'une société qui, ayant également une activité civile autre qu'agricole ou libérale, exerce principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, cette prépondérance s'appréciant en considération d'un faisceau d'indices déterminés d'après la nature de l'activité et les conditions de son exercice. Par suite, et alors de surcroît que la faiblesse du taux d'immobilisation de l'actif brut n'est pas davantage l'indice d'une activité civile autre qu'agricole ou libérale, que son importance celui d'une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, ces dispositions ne subordonnent pas l'avantage qu'elles instituent, s'agissant des parts et actions d'une société d'activité mixte, à la condition que le montant de l'actif brut immobilisé représente au moins 50 % du montant total de l'actif brut.
4. Dès lors, il ne saurait être fait grief à ces dispositions, en ce qu'elles subordonneraient l'entrée dans le champ de la mesure d'exonération à une telle condition, de méconnaître les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, qui consacrent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques. Il en résulte que la question prioritaire de constitutionnalité que soulèvent M. A... et Mme C..., qui n'est pas nouvelle, n'est pas non plus sérieuse et que les conditions prévues au premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ne sont pas réunies.
5. Mais pour les mêmes motifs, l'interprétation que ces commentaires administratifs prescrivent d'adopter méconnaît le sens et la portée des dispositions du premier alinéa de l'article 787 B du code général des impôts.
6. Il résulte de ce qui précède que M. A... et Mme C... sont fondés à demander l'annulation du dernier alinéa du paragraphe n° 20 de l'instruction publiée au BOFiP-impôts sous la référence BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... et Mme C....
Article 2 : Le dernier alinéa du paragraphe n° 20 de l'instruction publiée au BOFiP-impôts sous la référence BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 est annulé.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... et Mme C... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. D... A... et Mme B... C... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au Conseil constitutionnel.