Conseil d'État
N° 416948
ECLI:FR:CECHR:2019:416948.20191106
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
Mme Sophie Baron, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats
Lecture du mercredi 6 novembre 2019
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 29 décembre 2017 et le 11 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite, née le 30 octobre 2017, par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a rejeté sa demande d'abrogation de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique ;
2°) de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle afin de déterminer si les dispositions de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique sont compatibles avec l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en ce qu'elles interdisent tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 56 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- l'arrêt n° C-339/15 du 4 mai 2017 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Baron, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui est médecin, demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite, née le 30 octobre 2017, par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique, aux termes duquel : " La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. / Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale ". Eu égard aux termes de sa demande d'abrogation, M. A... doit être regardé comme n'ayant demandé que l'abrogation du second alinéa de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique.
2. En raison de la permanence de l'acte réglementaire, la légalité des règles qu'il fixe, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment, de telle sorte que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales que cet acte est susceptible de porter à l'ordre juridique. Cette contestation peut prendre la forme d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger l'acte réglementaire, comme l'exprime l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration aux termes duquel : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de faits postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé (... ) ".
3. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, dans l'hypothèse où un changement de circonstances a fait cesser l'illégalité de l'acte réglementaire litigieux à la date à laquelle il statue, le juge de l'excès de pouvoir ne saurait annuler le refus de l'abroger. A l'inverse, si, à la date à laquelle il statue, l'acte réglementaire est devenu illégal en raison d'un changement de circonstances, il appartient au juge d'annuler ce refus d'abroger pour contraindre l'autorité compétente de procéder à son abrogation.
4. Il résulte du point précédent que lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision.
5. En vertu de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation (...) ". Dans son arrêt rendu le 4 mai 2017 dans l'affaire C-339/15, sur renvoi préjudiciel d'une juridiction belge, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que " l'article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation nationale (...) qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires (...) ".
6. S'il incombe au pouvoir réglementaire de définir les conditions d'une utilisation, par les médecins, de procédés de publicité compatibles avec les exigences de protection de la santé publique, de dignité de la profession médicale, de confraternité entre praticiens et de confiance des malades envers les médecins, il résulte des stipulations de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt rendu le 4 mai 2017 dans l'affaire C-339/15, qu'elles s'opposent à des dispositions réglementaires qui interdisent de manière générale et absolue toute publicité, telles que celles qui figurent au second alinéa de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique cité au point 1.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque rejetant sa demande d'abrogation du second alinéa de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La décision implicite de la ministre des solidarités et de la santé refusant d'abroger le second alinéa de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique est annulée.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au Premier ministre et à la ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins.
N° 416948
ECLI:FR:CECHR:2019:416948.20191106
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
Mme Sophie Baron, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats
Lecture du mercredi 6 novembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 29 décembre 2017 et le 11 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite, née le 30 octobre 2017, par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a rejeté sa demande d'abrogation de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique ;
2°) de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle afin de déterminer si les dispositions de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique sont compatibles avec l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en ce qu'elles interdisent tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 56 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- l'arrêt n° C-339/15 du 4 mai 2017 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Baron, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui est médecin, demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite, née le 30 octobre 2017, par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique, aux termes duquel : " La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. / Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale ". Eu égard aux termes de sa demande d'abrogation, M. A... doit être regardé comme n'ayant demandé que l'abrogation du second alinéa de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique.
2. En raison de la permanence de l'acte réglementaire, la légalité des règles qu'il fixe, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment, de telle sorte que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales que cet acte est susceptible de porter à l'ordre juridique. Cette contestation peut prendre la forme d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger l'acte réglementaire, comme l'exprime l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration aux termes duquel : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de faits postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé (... ) ".
3. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, dans l'hypothèse où un changement de circonstances a fait cesser l'illégalité de l'acte réglementaire litigieux à la date à laquelle il statue, le juge de l'excès de pouvoir ne saurait annuler le refus de l'abroger. A l'inverse, si, à la date à laquelle il statue, l'acte réglementaire est devenu illégal en raison d'un changement de circonstances, il appartient au juge d'annuler ce refus d'abroger pour contraindre l'autorité compétente de procéder à son abrogation.
4. Il résulte du point précédent que lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision.
5. En vertu de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation (...) ". Dans son arrêt rendu le 4 mai 2017 dans l'affaire C-339/15, sur renvoi préjudiciel d'une juridiction belge, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que " l'article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation nationale (...) qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires (...) ".
6. S'il incombe au pouvoir réglementaire de définir les conditions d'une utilisation, par les médecins, de procédés de publicité compatibles avec les exigences de protection de la santé publique, de dignité de la profession médicale, de confraternité entre praticiens et de confiance des malades envers les médecins, il résulte des stipulations de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt rendu le 4 mai 2017 dans l'affaire C-339/15, qu'elles s'opposent à des dispositions réglementaires qui interdisent de manière générale et absolue toute publicité, telles que celles qui figurent au second alinéa de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique cité au point 1.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque rejetant sa demande d'abrogation du second alinéa de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision implicite de la ministre des solidarités et de la santé refusant d'abroger le second alinéa de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique est annulée.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au Premier ministre et à la ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins.