Conseil d'État
N° 423628
ECLI:FR:CECHR:2019:423628.20190724
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème et 1ère chambres réunies
Mme Yaël Treille, rapporteur
Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; BOUTHORS, avocats
Lecture du mercredi 24 juillet 2019
Vu la procédure suivante :
Le Conseil national de l'ordre des médecins a porté plainte contre M. A... B... devant la chambre disciplinaire de première instance de Languedoc-Roussillon de l'ordre des médecins. Par une décision du 8 juillet 2016, la chambre disciplinaire de première instance lui a infligé la sanction de la radiation.
Par une décision du 26 juin 2018, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appels de M. B...et du conseil départemental de l'Hérault de l'ordre des médecins, annulé la décision de première instance et rejeté la plainte formée par le Conseil national de l'ordre des médecins.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 27 août et 27 novembre 2018 et les 22 mars et 29 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) de mettre à la charge de M. B...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Yaël Treille, auditeur,
- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins et à Me Bouthors, avocat de M.B....
Vu la note en délibérée présentée par M.B..., enregistrée le 19 juillet 2019.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins que, par une décision du 8 juillet 2016, la chambre disciplinaire de première instance de Languedoc-Roussillon de l'ordre des médecins a, sur la plainte du Conseil national de l'ordre des médecins, infligé à M.B..., médecin spécialiste en chirurgie viscérale et digestive et professeur honoraire de la faculté de médecine de Montpellier, la sanction de la radiation, en raison de ce qu'il avait largement diffusé par voie électronique, à compter de l'année 2014, des messages critiquant la vaccination obligatoire, notamment sous la forme de deux invitations à signer des pétitions respectivement intitulées " NON à la vaccination massive des enfants contre les papillomavirus " et " Vaccin obligatoire : les Français piégés par la loi et par les laboratoires ! ". Par une décision du 26 juin 2018, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appel de M.B..., annulé cette décision et rejeté la plainte du Conseil national de l'ordre des médecins. Celui-ci se pourvoit en cassation contre cette décision.
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 4127-12 du code de la santé publique : " Le médecin doit apporter son concours à l'action entreprise par les autorités compétentes en vue de la protection de la santé et de l'éducation sanitaire ". En vertu des dispositions de l'article L. 1411-4 du même code, dans sa rédaction alors applicable, le Haut Conseil de la santé publique a, notamment, pour mission de " (...) fournir aux pouvoirs publics, en liaison avec les agences sanitaires, l'expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires ainsi qu'à la conception et à l'évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire " et de concourir à ce titre par ses avis, en vertu de l'article L. 3111-1 du même code, à la politique de vaccination. Dès lors, en jugeant que le Haut Conseil de la santé publique n'était pas une " autorité compétente " au sens des dispositions citées ci-dessus de l'article R. 4127-12, la chambre disciplinaire a entaché sa décision d'une erreur de droit.
3. En deuxième lieu, en estimant, alors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que M. B...avait, notamment, pris l'initiative et assuré la promotion des deux pétitions mentionnées au point 1, que, dans les documents en question relatifs à ces deux pétitions, l'intéressé ne s'opposait pas aux vaccinations et se bornait à en " préconiser l'usage avec prudence et discernement ", la chambre disciplinaire nationale a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 4127-13 du code de la santé publique : " Lorsque le médecin participe à une action d'information du public de caractère éducatif et sanitaire, quel qu'en soit le moyen de diffusion, il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public". En jugeant, alors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que la pétition contre les vaccins contre les papillomavirus, qui comportait des termes polémiques, avait été adressée par M.B..., non seulement aux milieux professionnels mais également au public non spécialiste, notamment des parents de jeunes filles concernées par ce vaccin, que ce comportement n'avait pas méconnu les obligations de prudence et de souci de répercussion des propos auprès du public fixées par ces dispositions, la chambre disciplinaire nationale a, eu égard aux obligations particulières que sa notoriété imposait à l'intéressé, inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
5. En quatrième lieu, par sa décision n° 397151 du 8 février 2017, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a jugé que les articles L. 3111-2 et L. 3111-3 du code de la santé publique, dans leur rédaction alors en vigueur, impliquaient que les personnes tenues à l'exécution des trois obligations vaccinales prévues par ces dispositions (antidiphtérique, antitétanique et antipoliomyélitique) soient mises à même d'y satisfaire sans être contraintes de soumettre leur enfant à d'autres vaccinations que celles imposées par le législateur. En se fondant, pour annuler la sanction prononcée à l'encontre de M.B..., sur ce que les affirmations contenues dans la pétition, intitulée " Vaccin obligatoire : les Français piégés par la loi et par les laboratoires ! " auraient été corroborées par cette décision du Conseil d'Etat, alors que la pétition en question comporte des critiques virulentes sur les vaccins contenant de l'aluminium et ceux comportant plusieurs valences, au sujet desquels la décision en question ne juge rien en ce sens et relève d'ailleurs que les requérants n'apportent aucun élément sérieux quant aux risques pour la santé des vaccins comportant des adjuvants aluminiques ou des valences non obligatoires, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a entaché sa décision d'une erreur de droit.
6. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, le Conseil national de l'ordre des médecins est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.
7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le Conseil national de l'ordre des médecins au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande, à ce titre, M.B....
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins du 26 juin 2018 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins.
Article 3 : Les conclusions du Conseil national de l'ordre des médecins présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions de M. B...présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l'ordre des médecins et à M. A... B....
Copie en sera adressée au conseil départemental de l'Hérault de l'ordre des médecins et à la ministre des solidarités et de la santé.
N° 423628
ECLI:FR:CECHR:2019:423628.20190724
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème et 1ère chambres réunies
Mme Yaël Treille, rapporteur
Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; BOUTHORS, avocats
Lecture du mercredi 24 juillet 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Le Conseil national de l'ordre des médecins a porté plainte contre M. A... B... devant la chambre disciplinaire de première instance de Languedoc-Roussillon de l'ordre des médecins. Par une décision du 8 juillet 2016, la chambre disciplinaire de première instance lui a infligé la sanction de la radiation.
Par une décision du 26 juin 2018, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appels de M. B...et du conseil départemental de l'Hérault de l'ordre des médecins, annulé la décision de première instance et rejeté la plainte formée par le Conseil national de l'ordre des médecins.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 27 août et 27 novembre 2018 et les 22 mars et 29 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) de mettre à la charge de M. B...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Yaël Treille, auditeur,
- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins et à Me Bouthors, avocat de M.B....
Vu la note en délibérée présentée par M.B..., enregistrée le 19 juillet 2019.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins que, par une décision du 8 juillet 2016, la chambre disciplinaire de première instance de Languedoc-Roussillon de l'ordre des médecins a, sur la plainte du Conseil national de l'ordre des médecins, infligé à M.B..., médecin spécialiste en chirurgie viscérale et digestive et professeur honoraire de la faculté de médecine de Montpellier, la sanction de la radiation, en raison de ce qu'il avait largement diffusé par voie électronique, à compter de l'année 2014, des messages critiquant la vaccination obligatoire, notamment sous la forme de deux invitations à signer des pétitions respectivement intitulées " NON à la vaccination massive des enfants contre les papillomavirus " et " Vaccin obligatoire : les Français piégés par la loi et par les laboratoires ! ". Par une décision du 26 juin 2018, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appel de M.B..., annulé cette décision et rejeté la plainte du Conseil national de l'ordre des médecins. Celui-ci se pourvoit en cassation contre cette décision.
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 4127-12 du code de la santé publique : " Le médecin doit apporter son concours à l'action entreprise par les autorités compétentes en vue de la protection de la santé et de l'éducation sanitaire ". En vertu des dispositions de l'article L. 1411-4 du même code, dans sa rédaction alors applicable, le Haut Conseil de la santé publique a, notamment, pour mission de " (...) fournir aux pouvoirs publics, en liaison avec les agences sanitaires, l'expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires ainsi qu'à la conception et à l'évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire " et de concourir à ce titre par ses avis, en vertu de l'article L. 3111-1 du même code, à la politique de vaccination. Dès lors, en jugeant que le Haut Conseil de la santé publique n'était pas une " autorité compétente " au sens des dispositions citées ci-dessus de l'article R. 4127-12, la chambre disciplinaire a entaché sa décision d'une erreur de droit.
3. En deuxième lieu, en estimant, alors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que M. B...avait, notamment, pris l'initiative et assuré la promotion des deux pétitions mentionnées au point 1, que, dans les documents en question relatifs à ces deux pétitions, l'intéressé ne s'opposait pas aux vaccinations et se bornait à en " préconiser l'usage avec prudence et discernement ", la chambre disciplinaire nationale a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 4127-13 du code de la santé publique : " Lorsque le médecin participe à une action d'information du public de caractère éducatif et sanitaire, quel qu'en soit le moyen de diffusion, il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public". En jugeant, alors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que la pétition contre les vaccins contre les papillomavirus, qui comportait des termes polémiques, avait été adressée par M.B..., non seulement aux milieux professionnels mais également au public non spécialiste, notamment des parents de jeunes filles concernées par ce vaccin, que ce comportement n'avait pas méconnu les obligations de prudence et de souci de répercussion des propos auprès du public fixées par ces dispositions, la chambre disciplinaire nationale a, eu égard aux obligations particulières que sa notoriété imposait à l'intéressé, inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
5. En quatrième lieu, par sa décision n° 397151 du 8 février 2017, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a jugé que les articles L. 3111-2 et L. 3111-3 du code de la santé publique, dans leur rédaction alors en vigueur, impliquaient que les personnes tenues à l'exécution des trois obligations vaccinales prévues par ces dispositions (antidiphtérique, antitétanique et antipoliomyélitique) soient mises à même d'y satisfaire sans être contraintes de soumettre leur enfant à d'autres vaccinations que celles imposées par le législateur. En se fondant, pour annuler la sanction prononcée à l'encontre de M.B..., sur ce que les affirmations contenues dans la pétition, intitulée " Vaccin obligatoire : les Français piégés par la loi et par les laboratoires ! " auraient été corroborées par cette décision du Conseil d'Etat, alors que la pétition en question comporte des critiques virulentes sur les vaccins contenant de l'aluminium et ceux comportant plusieurs valences, au sujet desquels la décision en question ne juge rien en ce sens et relève d'ailleurs que les requérants n'apportent aucun élément sérieux quant aux risques pour la santé des vaccins comportant des adjuvants aluminiques ou des valences non obligatoires, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a entaché sa décision d'une erreur de droit.
6. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, le Conseil national de l'ordre des médecins est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.
7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le Conseil national de l'ordre des médecins au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande, à ce titre, M.B....
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins du 26 juin 2018 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins.
Article 3 : Les conclusions du Conseil national de l'ordre des médecins présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions de M. B...présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l'ordre des médecins et à M. A... B....
Copie en sera adressée au conseil départemental de l'Hérault de l'ordre des médecins et à la ministre des solidarités et de la santé.