Conseil d'État
N° 383110
ECLI:FR:Code Inconnu:2016:383110.20160404
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème SSR
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur
Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public
SCP ROUSSEAU, TAPIE, avocats
Lecture du lundi 4 avril 2016
Vu la procédure suivante :
Par une décision n° 383110 du 23 décembre 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête de la société Bouygues Télécom, a annulé la décision implicite par laquelle le Premier ministre avait refusé de prendre les mesures réglementaires qu'implique nécessairement l'application de l'article 14 de la loi du 12 juin 2009 et lui a enjoint de prendre ces mesures dans un délai de six mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, mais a sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la requête.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code des postes et des communications électroniques ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 ;
- la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 ;
- l'ordonnance n° 2011-1012 du 24 août 2011 ;
- le décret n° 2006-358 du 24 mars 2006 ;
- le décret n° 2010-236 du 5 mars 2010 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Barrois de Sarigny, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de la société Bouygues Télécom ;
1. Considérant que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, par décision du 23 décembre 2015, annulé pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'édicter le décret prévu à la deuxième phrase du III de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, relatif à la compensation des surcoûts identifiables et spécifiques des prestations assurées à la demande de l'autorité mentionnée à l'article L. 331-12 du code de la propriété intellectuelle, c'est-à-dire la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet, au motif que le délai raisonnable au terme duquel aurait dû intervenir ce décret, qu'implique nécessairement l'application de l'article L. 34-1 dans sa rédaction résultant de la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, avait été dépassé ; que par la même décision, il a sursis à statuer sur les conclusions à fin d'indemnité présentées par la société Bouygues Télécom ainsi que sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
En ce qui concerne les conclusions à fin d'indemnité :
2. Considérant que la société Bouygues Télécom demande à être indemnisée du préjudice résultant pour elle du défaut d'édiction du décret précisant les modalités d'application de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques à compter du mois de septembre 2010, date à laquelle elle a commencé à satisfaire les demandes de communication de données qui lui ont été adressées par la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet ;
Sur la responsabilité :
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'après la publication de la loi du 12 juin 2009, l'autorité instituée par ce texte a été mise en place, notamment sa commission de protection des droits qui peut être saisie des faits susceptibles de constituer un manquement à l'obligation définie à l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle ; qu'un décret est intervenu le 5 mars 2010 pour fixer les règles régissant le traitement automatisé de données à caractère personnel autorisé par l'article L. 331-29 du code de la propriété intellectuelle, dénommé " Système de gestion des mesures pour la protection des oeuvres sur internet ", permettant la mise en oeuvre, par la commission de protection des droits, des mesures de protection des oeuvres et objets auxquels est attaché un droit d'auteur ou un droit voisin prévues aux articles L. 331-24 et suivants du code de la propriété intellectuelle ; que la commission de protection des droits a effectivement sollicité les opérateurs de communications électroniques pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des manquements à l'obligation définie à l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle à compter du mois de septembre 2010 ;
4. Considérant qu'à cette date, il s'était écoulé un délai de quinze mois depuis la publication de la loi ; qu'eu égard à la nature des mesures à prendre et à la circonstance que la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet commençait alors à adresser des demandes aux opérateurs, le délai raisonnable pour prendre le décret nécessaire à l'application du III de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques était alors dépassé dans des conditions qui ont présenté un caractère fautif ; que la responsabilité de l'Etat à l'égard de la société Bouygues Télécom est ainsi engagée à compter de cette date ;
Sur le préjudice :
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet a refusé de procéder au paiement des factures qui lui ont été adressées par la société Bouygues Télécom au motif qu'aucun décret n'avait été pris pour permettre l'indemnisation des prestations effectuées par la société ; que pour assurer, au bénéfice de l'autorité, les prestations réclamées pour l'application de la loi du 12 juin 2009, la société Bouygues Télécom a été conduite à mettre en place des traitements particuliers et à utiliser des ressources techniques et des moyens humains, entraînant pour elle des surcoûts spécifiques ; qu'au titre des prestations fournies, elle a notamment traité plus de 2 400 000 demandes d'identification d'adresses IP entre septembre 2010 et novembre 2015 ; qu'à défaut de disposer de montants tarifaires en l'absence de décret d'application de la loi, la société requérante a estimé le coût des prestations qu'elle a facturées à l'autorité, et dont elle demande l'indemnisation pour un montant de 1 263 846,40 euros pour la période courant de septembre 2010 à novembre 2015, par référence aux tarifs applicables aux prestations de même type, fixés par les arrêtés du 22 août 2006, du 21 mars 2012 et du 21 août 2013 pris en application de l'article R. 213-1 du code de procédure pénale, applicables aux données mises à disposition de l'autorité judiciaire ; que, s'agissant de la prestation relative à l'identification des adresses IP, qui constitue la principale prestation facturée, la société Bouygues Télécom a retenu le tarif relatif aux prestations requises des opérateurs de téléphonie mobile pour l'identification d'un abonné à partir de son numéro de ligne ou de sa carte SIM, fixé respectivement à 0,65 puis 0,80 euros hors taxes par les arrêtés du 22 août 2006 et du 21 mars 2012, et, à compter de l'intervention de l'arrêté du 21 août 2013, qui a prévu pour la première fois un tarif spécifique pour les demandes d'identification à partir d'adresses IP, le tarif fixé par ce texte, au dessus de 20 demandes, à 0,28 euros hors taxes par adresse IP ; que la société requérante produit en outre, pour justifier de la réalité et de l'étendue de son préjudice, des éléments extraits du système interne de son contrôle de gestion relatifs aux investissements et charges courantes liés au traitement des demandes de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation, au regard de ces éléments, du préjudice causé par l'abstention fautive à prendre le décret nécessaire à l'application du III de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, en condamnant l'Etat à verser à la société Bouygues Télécom une indemnité d'un montant de 900 000 euros, y compris tous intérêts et intérêts des intérêts échus au jour de la présente décision, au titre des prestations fournies au cours de la période courant de septembre 2010 à novembre 2015 ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à la société Bouygues Télécom la somme de 900 000 euros, y compris tous intérêts et intérêts des intérêts échus au jour de la présente décision.
Article 2 : L'Etat versera à la société Bouygues Télécom la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Bouygues Télécom, au Premier ministre et à la ministre de la culture et de la communication.
N° 383110
ECLI:FR:Code Inconnu:2016:383110.20160404
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème SSR
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur
Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public
SCP ROUSSEAU, TAPIE, avocats
Lecture du lundi 4 avril 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une décision n° 383110 du 23 décembre 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête de la société Bouygues Télécom, a annulé la décision implicite par laquelle le Premier ministre avait refusé de prendre les mesures réglementaires qu'implique nécessairement l'application de l'article 14 de la loi du 12 juin 2009 et lui a enjoint de prendre ces mesures dans un délai de six mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, mais a sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la requête.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code des postes et des communications électroniques ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 ;
- la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 ;
- l'ordonnance n° 2011-1012 du 24 août 2011 ;
- le décret n° 2006-358 du 24 mars 2006 ;
- le décret n° 2010-236 du 5 mars 2010 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Barrois de Sarigny, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de la société Bouygues Télécom ;
1. Considérant que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, par décision du 23 décembre 2015, annulé pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'édicter le décret prévu à la deuxième phrase du III de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, relatif à la compensation des surcoûts identifiables et spécifiques des prestations assurées à la demande de l'autorité mentionnée à l'article L. 331-12 du code de la propriété intellectuelle, c'est-à-dire la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet, au motif que le délai raisonnable au terme duquel aurait dû intervenir ce décret, qu'implique nécessairement l'application de l'article L. 34-1 dans sa rédaction résultant de la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, avait été dépassé ; que par la même décision, il a sursis à statuer sur les conclusions à fin d'indemnité présentées par la société Bouygues Télécom ainsi que sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
En ce qui concerne les conclusions à fin d'indemnité :
2. Considérant que la société Bouygues Télécom demande à être indemnisée du préjudice résultant pour elle du défaut d'édiction du décret précisant les modalités d'application de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques à compter du mois de septembre 2010, date à laquelle elle a commencé à satisfaire les demandes de communication de données qui lui ont été adressées par la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet ;
Sur la responsabilité :
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'après la publication de la loi du 12 juin 2009, l'autorité instituée par ce texte a été mise en place, notamment sa commission de protection des droits qui peut être saisie des faits susceptibles de constituer un manquement à l'obligation définie à l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle ; qu'un décret est intervenu le 5 mars 2010 pour fixer les règles régissant le traitement automatisé de données à caractère personnel autorisé par l'article L. 331-29 du code de la propriété intellectuelle, dénommé " Système de gestion des mesures pour la protection des oeuvres sur internet ", permettant la mise en oeuvre, par la commission de protection des droits, des mesures de protection des oeuvres et objets auxquels est attaché un droit d'auteur ou un droit voisin prévues aux articles L. 331-24 et suivants du code de la propriété intellectuelle ; que la commission de protection des droits a effectivement sollicité les opérateurs de communications électroniques pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des manquements à l'obligation définie à l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle à compter du mois de septembre 2010 ;
4. Considérant qu'à cette date, il s'était écoulé un délai de quinze mois depuis la publication de la loi ; qu'eu égard à la nature des mesures à prendre et à la circonstance que la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet commençait alors à adresser des demandes aux opérateurs, le délai raisonnable pour prendre le décret nécessaire à l'application du III de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques était alors dépassé dans des conditions qui ont présenté un caractère fautif ; que la responsabilité de l'Etat à l'égard de la société Bouygues Télécom est ainsi engagée à compter de cette date ;
Sur le préjudice :
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet a refusé de procéder au paiement des factures qui lui ont été adressées par la société Bouygues Télécom au motif qu'aucun décret n'avait été pris pour permettre l'indemnisation des prestations effectuées par la société ; que pour assurer, au bénéfice de l'autorité, les prestations réclamées pour l'application de la loi du 12 juin 2009, la société Bouygues Télécom a été conduite à mettre en place des traitements particuliers et à utiliser des ressources techniques et des moyens humains, entraînant pour elle des surcoûts spécifiques ; qu'au titre des prestations fournies, elle a notamment traité plus de 2 400 000 demandes d'identification d'adresses IP entre septembre 2010 et novembre 2015 ; qu'à défaut de disposer de montants tarifaires en l'absence de décret d'application de la loi, la société requérante a estimé le coût des prestations qu'elle a facturées à l'autorité, et dont elle demande l'indemnisation pour un montant de 1 263 846,40 euros pour la période courant de septembre 2010 à novembre 2015, par référence aux tarifs applicables aux prestations de même type, fixés par les arrêtés du 22 août 2006, du 21 mars 2012 et du 21 août 2013 pris en application de l'article R. 213-1 du code de procédure pénale, applicables aux données mises à disposition de l'autorité judiciaire ; que, s'agissant de la prestation relative à l'identification des adresses IP, qui constitue la principale prestation facturée, la société Bouygues Télécom a retenu le tarif relatif aux prestations requises des opérateurs de téléphonie mobile pour l'identification d'un abonné à partir de son numéro de ligne ou de sa carte SIM, fixé respectivement à 0,65 puis 0,80 euros hors taxes par les arrêtés du 22 août 2006 et du 21 mars 2012, et, à compter de l'intervention de l'arrêté du 21 août 2013, qui a prévu pour la première fois un tarif spécifique pour les demandes d'identification à partir d'adresses IP, le tarif fixé par ce texte, au dessus de 20 demandes, à 0,28 euros hors taxes par adresse IP ; que la société requérante produit en outre, pour justifier de la réalité et de l'étendue de son préjudice, des éléments extraits du système interne de son contrôle de gestion relatifs aux investissements et charges courantes liés au traitement des demandes de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation, au regard de ces éléments, du préjudice causé par l'abstention fautive à prendre le décret nécessaire à l'application du III de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, en condamnant l'Etat à verser à la société Bouygues Télécom une indemnité d'un montant de 900 000 euros, y compris tous intérêts et intérêts des intérêts échus au jour de la présente décision, au titre des prestations fournies au cours de la période courant de septembre 2010 à novembre 2015 ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'Etat est condamné à verser à la société Bouygues Télécom la somme de 900 000 euros, y compris tous intérêts et intérêts des intérêts échus au jour de la présente décision.
Article 2 : L'Etat versera à la société Bouygues Télécom la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Bouygues Télécom, au Premier ministre et à la ministre de la culture et de la communication.