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Ariane Web: Conseil d'État 138874, lecture du 28 juin 1996, ECLI:FR:CESJS:1996:138874.19960628

Décision n° 138874
28 juin 1996
Conseil d'État

N° 138874
ECLI:FR:CESJS:1996:138874.19960628
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Gentot, président
M. Ollier, rapporteur
M. Combrexelle, commissaire du gouvernement
Me Choucroy, Avocat, avocats


Lecture du 28 juin 1996
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juillet 1992 et 29 octobre 1992 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Georges X..., demeurant ... ; M. X... demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule l'arrêt en date du 30 avril 1992 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé, sur demande de l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre mer (ANIFOM), la décision du 28 avril 1989 par laquelle la commission d'indemnisation de Paris avait annulé la décision du directeur général de l'ANIFOM affectant le complément d'indemnisation dû à M. X... au remboursement du prêt consenti à son frère M. Y... X... ;
2°) renvoie l'affaire devant la cour administrative d'appel de Paris ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil, notamment ses articles 1326 et 2037 ;
Vu la loi n° 69-992 du 6 novembre 1969 instituant des mesures de protection juridique en faveur des rapatriés et de personnes dépossédées de leurs biens outre-mer ;
Vu la loi n° 70-632 du 15 juillet 1970 relative à une contribution nationale à l'indemnisation des Français dépossédés de biens situés dans un territoire antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France ;
Vu la loi n° 84-148 du 1er mars 1984 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 88-905 du 2 septembre 1988 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Ollier, Auditeur,
- les observations de Me Choucroy, avocat de M. X...,
- les conclusions de M. Combrexelle, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, le 11 juin 1969, M. Y... X... a contracté un prêt auprès de la caisse centrale de crédit hôtelier, commercial et industriel, qui agissait au nom et pour le compte de l'Etat dans le cadre du service public de l'accueil et du reclassement des Français d'outre-mer ; que son frère, M. Georges X..., s'est le même jour porté caution solidaire de ce prêt, en indiquant de sa main sur le contrat "lu et approuvé, bon pour caution solidaire" ; que l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre-mer, par décision du 19 février 1986, a affecté le complément d'indemnisation revenant à M. Georges X... au remboursement dudit prêt ; que, la commission du contentieux de l'indemnisation ayant, à la demande du requérant, annulé cette décision, l'Agence a fait appel devant la cour administrative d'appel, laquelle, par l'arrêt attaqué, en date du 30 avril 1992, a fait droit à ses conclusions et annulé la décision de la commission du contentieux de l'indemnisation ;
Considérant, en premier lieu, que, devant la cour administrative d'appel, M. X..., intimé, a notamment fait valoir que sa caution était nulle, d'une part pour n'avoir pas, en violation de l'article 1326 du code civil, porté la mention manuscrite en toutes lettres du montant de la somme pour laquelle il s'engageait, d'autre part, pour n'avoir, plus généralement, pas exprimé qu'il avait connaissance de l'étendue de son engagement ; que, dans sa rédaction en vigueur au 11 juin 1969, ledit article prescrit que "le billet ou la promesse sous seing privé par lequel une seule partie s'engage envers l'autre à lui payer une somme d'argent doit être écrit en entier de la main de celui qui le souscrit ; ou du moins il faut qu'outre sa signature, il ait écrit de sa main un bon ou un approuvé, portant en toutes lettres la somme ..." ; que, pour écarter cette exception, la cour, après avoir exactement qualifié de contrat administratif le prêt consenti au frère du requérant et donné exactement, fût-ce de façon implicite, la même qualification au cautionnement litigieux, qui est l'accessoire dudit prêt, a estimé que "M. Georges X... a clairement manifesté son accord pour l'engagement qu'il avait souscrit et qu'il ne saurait utilement soutenir que cet engagement serait frappé de nullité à défaut tant d'une mention manuscrite du montant en toutes lettres de la somme ... que d'une connaissance suffisante de l'étendue de l'obligation ainsi contractée" ;
Considérant qu'il résulte du principe dont s'inspire l'article 1326 du code civil que toute convention comportant un engagement unilatéral de payer une somme d'argent doit, dans l'intérêt de la personne qui le souscrit, exprimer de façon non équivoque la connaissance qu'a celle-ci de la nature et de l'étendue de son obligation ; qu'ainsi, par la motivation susreproduite, la cour d'appel de Paris n'a pas entaché sa décision d'erreur de droit, ni omis de répondre au moyen, pris en ses deux branches ; qu'elle a, par une appréciation souveraine des faits, estimé que M. Georges X... connaissait la nature et l'étendue de son obligation ;

Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 2037 du code civil : "La caution est déchargée, lorsque la subrogation, aux droits, hypothèques et privilèges du créancier ne peut plus, par le fait du créancier, s'opérer en faveur de la caution" ; que si, en vertu du deuxième alinéa de cet article, toute clause contraire est réputée non écrite, ces dispositions n'ont été introduites dans ledit code que par la loi susvisée du 1er mars 1984, d'ailleurs entrée en vigueur un an après sa promulgation, et qu'elles ne présentent pas un caractère interprétatif ; que dès lors, en écartant leur application aux cautionnements consentis antérieurement à l'entrée en vigueur de ladite loi, tels que l'engagement souscrit le 11 juin 1969 par M. Georges X..., la cour administrative d'appel de Paris n'a pas davantage entaché son arrêt d'erreur de droit ;
Considérant, en troisième lieu, que le cautionnement accordé par M. Georges X... ne venait, lors de la conclusion du contrat de prêt qu'en second rang par rapport à la garantie principale constituée par le nantissement du fonds de commerce, et que, en application de l'article 6 de la loi susvisée du 6 novembre 1969, la mainlevée du nantissement a pu être opérée et le fonds a pu être vendu ; que, toutefois, contrairement à ce que soutient le requérant, la cour a pu, sans commettre d'erreur de droit et sans entacher son arrêt d'insuffisance de motivation, écarter l'argumentation tirée de ce qu'il se serait ainsi mépris sur la portée de son engagement, dès lors que la loi du 6 novembre 1969 est postérieure à celui-ci et est par suite sans incidence sur la validité du consentement exprimé par le requérant le 11 juin 1969 ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. Georges X... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué, qui est suffisamment motivé, en date du 30 avril 1992 ;
Article 1er : La requête de M. Georges X... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Georges X..., au directeur général de l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre-mer et au ministre de l'économie et des finances.


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