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Ariane Web: CAA PARIS 20PA01272, lecture du 10 juin 2021

Décision n° 20PA01272
10 juin 2021
CAA de PARIS

N° 20PA01272

1ere chambre
M. LAPOUZADE, président
M. Jean-Francois GOBEILL, rapporteur
Mme GUILLOTEAU, rapporteur public


Lecture du jeudi 10 juin 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Voies navigables de France a déféré au tribunal administratif de Melun, comme prévenus d'une contravention de grande voirie, Mme A... E... et M. F..., a demandé à ce qu'ils soient condamnés à une amende de cent-cinquante euros, à ce qu'il leur soit enjoint, sous astreinte, de remettre les lieux en l'état et à ce qu'il soit mis à leur charge la somme de deux-cent-cinquante euros correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal et de signification du jugement.

Par un jugement n° 1900840 du 27 janvier 2020, le tribunal administratif de Melun a condamné M. F... et Mme A... E... à payer une amende de cent-cinquante euros, leur a enjoint de faire cesser l'entrave à la servitude de marchepied au droit de leur propriété dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard à l'expiration de ce délai, l'établissement public Voies navigables de France étant à défaut autorisé à faire procéder d'office à la remise en l'état des lieux aux frais des intéressés et a mis à leur charge la somme de deux-cent-cinquante euros en application de l'article L. 774-6 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 29 avril et 17 novembre 2020, Mme A... E... et M. F... demandent à la Cour d'annuler le jugement n° 1900840 du 27 janvier 2020.

Ils soutiennent que :
- ils n'ont pas reçu les convocations à l'audience du tribunal administratif ;
- le jugement est imprécis sur la nature de l'obstruction ;
- ils ne sont que locataires ;
- la servitude de marchepied n'est pas entravée.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 mars 2021, Voies navigables de France conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :
- la requête est irrecevable pour cause de tardiveté ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 et le décret n° 2020-1406 du même jour portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, notamment son article 5.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique,
- et les observations de M. F....


Considérant ce qui suit :

1. Par un procès-verbal dressé le 17 septembre 2018, a été constatée la réalisation sans autorisation par Mme A... E... et M. F... de travaux sur la servitude de marchepied au point kilométrique 189.850 sur la Marne, rive droite, sur le territoire de la commune de Chenevrières-sur-Marne. Voies navigables de France a déféré Mme A... E... et M. F... au tribunal administratif de Melun, comme prévenus d'une contravention de grande voirie et a demandé leur condamnation à une amende de cent cinquante euros, à ce qu'il leur soit enjoint, sous astreinte, de remettre les lieux en l'état et à ce qu'il soit mis à leur charge la somme de 250 euros correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal et de signification du jugement. Par un jugement n° 1900840 du 27 janvier 2020 dont ils font appel, le tribunal administratif de Melun les a condamnés à payer une amende de 150 euros, leur a enjoint de faire cesser l'entrave à la servitude de marchepied au droit de leur propriété dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai, l'établissement public Voies navigables de France étant à défaut autorisé à faire procéder d'office à la remise en l'état des lieux, aux frais des intéressés et a mis à leur charge la somme de 250 euros correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal et de signification du jugement.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 774-6 du code de justice administrative : " Le jugement est notifié aux parties, à leur domicile réel, dans la forme administrative par les soins des autorités mentionnées à l'article L. 774-2, sans préjudice du droit de la partie de le faire signifier par acte d'huissier de justice. ". Aux termes de l'article L. 774-7 du même code : " Le délai d'appel est de deux mois. Il court contre l'administration du jour du jugement et, contre la partie poursuivie, du jour de la notification du jugement à cette partie. ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période : " Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. " et aux termes de l'article 15 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif: " I.- Les dispositions de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 susvisée relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période sont applicables aux procédures devant les juridictions de l'ordre administratif. ".

4. Si l'établissement public Voies navigables de France soutient que le jugement du 27 janvier 2020 a été notifié par voie d'huissier le 26 février 2020 et qu'ainsi, l'appel introduit le 29 avril 2020 l'a été dans un délai supérieur au délai de deux mois prévu par les dispositions de l'article L. 774-7, il n'établit par aucune pièce la réalité de la notification. En tout état de cause, l'appel, en date du 29 avril était recevable en vertu des dispositions citées au point 3 du présent arrêt. La fin de non-recevoir doit donc être écartée.

Sur la régularité du jugement :

5. L'article L. 774-4 du code de justice administrative, inséré dans le chapitre IV (" Les contraventions de grande voirie ") du titre VII (" dispositions spéciales "), dispose que : " Toute partie doit être avertie du jour où l'affaire sera appelée à l'audience. / Cet avertissement est notifié dans la forme administrative. Il peut être donné par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. ".

6. Les requérants, qui soutiennent qu'ils n'ont pas eu connaissance des convocations à l'audience " par courrier postal ", doivent être entendus comme ayant soulevé le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées. S'il ressort des pièces du dossier que l'avis d'audience leur a été communiqué le 21 novembre 2020 à 18h 37 au moyen de l'application Télérecours, il ne résulte pas de ces dispositions, insérées dans le chapitre IV relatif aux " contraventions de grande voirie " du titre VII intitulé " dispositions spéciales ", qui régissent de façon exclusive les modalités d'envoi des avis d'audience en matière de contraventions de grande voirie, qu'elles permettent une telle transmission au moyen de l'application Télérecours. Aucune pièce n'établissant que l'avis d'audience leur a été communiqué selon les voies prévues par les dispositions précitées, soit dans la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, les requérants sont fondés à soutenir que le jugement a été pris au terme d'une procédure irrégulière et à en demander l'annulation.

7. Il y a lieu de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur la demande de Voies navigables de France.

Sur l'action publique :

8. Aux termes de l'article L. 2131-2 du code général de la propriété de personnes publiques : " Les propriétaires riverains d'un cours d'eau ou d'un lac domanial ne peuvent planter d'arbres ni se clore par haies ou autrement qu'à une distance de 3,25 mètres. Leurs propriétés sont grevées sur chaque rive de cette dernière servitude de 3,25 mètres, dite servitude de marchepied. / Tout propriétaire, locataire, fermier ou titulaire d'un droit réel, riverain d'un cours d'eau ou d'un lac domanial est tenu de laisser les terrains grevés de cette servitude de marchepied à l'usage du gestionnaire de ce cours d'eau ou de ce lac, des pêcheurs et des piétons. (...) ". Aux termes de l'article L. 2132-16 du même code : " En cas de manquements aux dispositions de l'article L. 2131-2, les contrevenants sont tenus de remettre les lieux en état ou, à défaut, de payer les frais de la remise en état d'office à la personne publique propriétaire. / Le contrevenant est également passible de l'amende prévue à l'article L. 2132-26. ". L'article L. 2132-26 dudit code dispose : " Sous réserve des textes spéciaux édictant des amendes d'un montant plus élevé, l'amende prononcée pour les contraventions de grande voirie ne peut excéder le montant prévu par le 5° de l'article 131-13 du code pénal. / Dans tous les textes qui prévoient des peines d'amendes d'un montant inférieur ou ne fixent pas le montant de ces peines, le montant maximum des amendes encourues est celui prévu par le 5° de l'article 131-13. / Dans tous les textes qui ne prévoient pas d'amende, il est institué une peine d'amende dont le montant maximum est celui prévu par le 5° de l'article 131-13. ". Enfin, aux termes de l'article 131-13 du code pénal : " Le montant de l'amende est le suivant : (...) 5° 1 500 euros au plus pour les contraventions de la 5ème classe, montant qui peut être porté à 3 000 euros en cas de récidive lorsque le règlement le prévoit, hors les cas où la loi prévoit que la récidive de la contravention constitue un délit. ". Il résulte de ces dispositions que le marchepied doit être praticable sans danger ni difficulté et que tout obstacle ou construction dans la servitude de marchepied est constitutif d'une contravention de grande voirie, que l'administration a obligation de poursuivre.

9. Le procès-verbal, dressé le 17 septembre 2018 à l'encontre de M. F... et Mme A... E... et notifié le 22 décembre 2018, a constaté que les prévenus ont reprofilé le talus et créé une rampe de mise à l'eau le long de la Marne, au point PK 189.850 de la Marne, rive droite, commune de Chennevières-sur-Marne, dans le Val-de-Marne. Le procès-verbal, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire, établit ces faits qui ne sont au demeurant pas contestés par les intéressés. Il résulte des photographies produites à l'appui du procès-verbal que les constructions constituent un obstacle à la servitude de marchepied dont est grevée leur propriété, la rendant difficilement praticable, et ce alors même que des riverains ont attesté que le passage était désormais libéré. Ces faits, quand bien même les prévenus seraient locataires et non propriétaires, constituent la contravention de grande voirie prévue et réprimée par les dispositions précitées du code général de la propriété des personnes publiques. Il s'ensuit que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner M. F... et Mme A... E... à une amende de 150 euros.

Sur l'action domaniale :

10. Il ressort du dernier rapport de visite établi le 30 juillet 2020 par un agent de Voies navigables de France et non contesté, que les aménagements sont toujours en place. Il y a lieu d'enjoindre à M. F... et Mme A... E... de faire cesser l'entrave à la servitude de marchepied au droit de leur propriété dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, sous astreinte de 50 euros par jour de retard. A défaut, il y a lieu d'autoriser Voies navigables de France à faire procéder d'office à la remise en l'état des lieux, aux frais des intéressés.

Sur les frais exposés pour l'établissement du procès-verbal et résultant de la notification de l'arrêt à intervenir :

11. Aux termes de l'article L. 774-6 du code de justice administrative relatif aux contraventions de grande voirie : " Le jugement est notifié aux parties, à leur domicile réel, dans la forme administrative par les soins des autorités mentionnées à l'article L. 774-2, sans préjudice du droit de la partie de le faire signifier par acte d'huissier de justice. " et aux termes de cet article L. 774-2 : " Dans les dix jours qui suivent la rédaction d'un procès-verbal de contravention, le préfet fait faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal. / Pour le domaine public défini à l'article L. 4314-1 du code des transports, l'autorité désignée à l'article L. 4313-3 du même code est substituée au représentant de l'Etat dans le département. ", enfin aux termes de cet article L. 4313-3 du code des transports : " Dans le cas où des atteintes à l'intégrité et à la conservation du domaine défini par le chapitre IV du présent titre ont été constatées, le directeur général de Voies navigables de France saisit la juridiction territorialement compétente, en lieu et place du préfet, dans les conditions et suivant les procédures prévues par le chapitre IV du titre VII du livre VII du code de justice administrative. ".

12. Si les frais de procès-verbal n'entrent pas dans le cadre des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative dont se prévaut Voies navigables de France, en ce que l'établissement de ce procès-verbal ne peut être considéré comme une mesure d'instruction, dès lors que Mme A... E... et M. F... ont commis une infraction d'occupation sans titre du domaine public fluvial, constitutive d'une contravention de grande voirie constatée par procès-verbal dressé le 17 septembre 2018, il doivent supporter les frais de ce procès-verbal établi dans le cadre de l'action répressive. Il résulte par ailleurs de la combinaison de ces dispositions qu'il appartient au directeur général de Voies navigables de France de procéder à la notification du jugement et qu'il peut le faire par signification d'huissier. Il y a dès lors lieu de mettre à la charge de Mme A... E... et de M. F... une somme à ce titre.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... E... et M. F... le versement à l'établissement public Voies navigables de France de la somme de 250 euros au titre des frais de procès-verbal et des frais liés à l'instance .



DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement n° 1900840 du 27 janvier 2020 du tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : M. F... et Mme A... E... sont condamnés à payer une amende d'un montant de 150 euros.

Article 3 : Il est enjoint à M. F... et Mme A... E... de faire cesser l'entrave à la servitude de marchepied au droit de leur propriété dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai. A défaut, l'établissement public Voies navigables de France est autorisé à faire procéder d'office à la remise en l'état des lieux, aux frais des intéressés.

Article 4 : La somme de 250 euros est mise à la charge de M. F... et Mme A... E... en application des articles L. 761-1, L. 774-6 et R. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... E..., à M. C... F... et à l'établissement public Voies Navigables de France.

Délibéré après l'audience du 20 mai 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président,
- M. D..., premier conseiller,
- M. Doré, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juin 2021.
Le rapporteur,
J.-F. D...Le président,
J. LAPOUZADE
La greffière,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-et-Marne, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

N° 20PA0127