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Ariane Web: CAA VERSAILLES 12VE03691, lecture du 21 juin 2016

Décision n° 12VE03691
21 juin 2016
CAA de VERSAILLES

N° 12VE03691

3ème chambre
Mme SIGNERIN-ICRE, président
M. Patrick BRESSE, rapporteur
M. COUDERT, rapporteur public
CABINET ARSENE TAXAND, avocats


Lecture du mardi 21 juin 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 14 novembre 2012, présentée pour la société GROUPE STERIA, ayant son siège 43/45 quai Président Roosevelt à Issy-les-Moulineaux (92130), par Me Schneider, avocat ; la société GROUPE STERIA demande à la Cour :

- à titre principal :

1° d'annuler le jugement n° 1103063 en date du 4 octobre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la restitution d'une fraction de l'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles à cet impôt auxquels elle a été assujettie au titre des années 2005 à 2008 ;

2° de prononcer la restitution demandée, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux dépens ;

- à titre subsidiaire :

4° de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suivante : l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose aux règles établies par la loi française qui permettent la déduction de la quote-part de frais et charges se rapportant aux dividendes perçus par une société mère d'une filiale lorsque les deux sociétés appartiennent à un même groupe fiscal, ce qui implique nécessairement que la filiale soit établie en France, alors que la quote-part de frais et charges se rapportant aux dividendes perçus par cette société mère d'une filiale établie dans un autre Etat membre de l'Union européenne n'est pas déductible, et ce, alors même que cette filiale est détenue à... '

Elle soutient que :

- l'imposition de la quote-part de frais et charges à raison de dividendes reçus de filiales établies dans d'autres Etats de l'Union européenne alors qu'une telle quote-part est exonérée lorsqu'elle se rapporte à des dividendes versés par des sociétés membres d'un groupe intégré, lequel ne concerne que des sociétés ayant leur siège en France, révèle une différence de traitement constituant une restriction à la liberté d'établissement prohibée par les articles 43 et 48 du traité instituant la Communauté européenne (TCE) devenus articles 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) alors qu'aucune raison impérieuse d'intérêt général ne peut justifier une telle restriction ;
- la neutralisation de la réintégration de la quote-part des frais et charges n'est pas inhérente au régime de l'intégration fiscale dès lors qu'elle n'a pas pour effet d'éliminer la double imposition des bénéfices de la filiale, élimination qui résulte en réalité de l'application de la directive dite mère-fille, mais constitue un avantage consenti, sans justification, aux groupes intégrés comme le constatent plusieurs rapports émanant d'institutions de l'Etat ou du Parlement ; en outre, elle ne se rapporte pas nécessairement à des dividendes prélevés sur des bénéfices réalisés en France ;
- dans son arrêt du 25 février 2010 aff. 337/08 X Holding BV, dont la portée est limitée à la question de la consolidation des résultats des sociétés étrangères avec ceux des sociétés résidentes, la Cour de justice de l'Union européenne n'a nullement tranché la question de la conformité au droit communautaire des autres avantages réservés aux sociétés membres d'un groupe fiscal ; alors qu'elle ne demande pas la consolidation de ses résultats avec ceux de ses filiales européennes, aucune règle n'interdit d'appliquer partiellement les règles de l'intégration fiscale dans les relations intracommunautaires ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 29 janvier 2013, présenté par le ministre de l'économie et des finances, qui conclut au rejet de la requête ;

Il fait valoir que :

- la directive dite mère-fille prévoit la possibilité d'une réintégration d'une quote-part forfaitaire correspondant aux frais et charges engagés pour la perception de dividendes dans les mêmes conditions pour les dividendes versés par les sociétés étrangères que pour ceux versés par des sociétés françaises ; dès lors, une telle réintégration ne peut constituer une restriction à la liberté d'établissement ;
- la différence de traitement fiscal contestée par la requérante n'est pas liée à l'Etat d'implantation de la filiale mais à l'appartenance ou non à un groupe fiscalement intégré au sens de l'article 223 A du code général des impôts ; la circonstance que la neutralisation de la quote-part ne se rapporte pas nécessairement à des dividendes prélevés sur des bénéfices imposés en France est inopérante ; les filiales de la requérante intégrées au groupe fiscal ne sont pas dans une situation comparable à celle des filiales européennes, par nature non intégrées, de sorte qu'aucune discrimination ne peut être invoquée ;
- l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 25 février 2010 aff. 337/08 X Holding BV tranche clairement la question de la compatibilité du régime de l'intégration fiscale avec l'article 43 du traité CE ;
- accorder certains des avantages du régime de l'intégration fiscale à des sociétés étrangères n'appartenant pas au groupe créerait une discrimination par rapport aux sociétés françaises non intégrées et remettrait en cause la cohérence du système fiscal français lié au régime de l'intégration fiscale ;
- en l'absence de litige né et actuel, la demande tendant au versement d'intérêts moratoires est irrecevable ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 5 février 2013, présenté pour la société GROUPE STERIA, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ; elle soutient, en outre, que :

- si la neutralisation de la réintégration de la quote-part des frais et charges est une règle incluse dans le régime de l'intégration fiscale, elle n'est, en aucun cas, inhérente à ce régime ;
- les sociétés mères françaises ont la possibilité d'inclure leurs filiales françaises dans le groupe afin de bénéficier de la neutralisation, ce qui n'est pas le cas pour leurs filiales établies dans d'autres Etats membres de l'Union européenne ;

Vu le mémoire, enregistré le 7 février 2014, présenté par le ministre de l'économie et des finances, qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire, par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filles d'Etats membres différents ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 25 février 2010, X Holding BV (C-337/08) ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 mai 2014 :

- le rapport de M. Bresse, président assesseur,
- et les conclusions de M. Locatelli, rapporteur public ;

1. Considérant que la société GROUPE STERIA, société mère d'un groupe fiscal intégré au sens de l'article 223 A du code général des impôts, a demandé en vain à l'administration fiscale la restitution d'une fraction de l'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles à cet impôt qu'elle a spontanément acquittée au titre des exercices clos de 2005 à 2008 et correspondant à l'imposition de la quote-part de frais et charges réintégrée en application de l'article 216 du code général des impôts dans ses résultats à raison des produits de participations reçus par sa filiale Steria de filiales établies dans d'autres pays de l'Union européenne ; qu'elle fait appel du jugement en date du 4 octobre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de restitution de ces impositions ;

2. Considérant que, pour demander la restitution des impositions en litige, la société GROUPE STERIA soutient que l'imposition de la quote-part de frais et charges réintégrée dans ses résultats à raison des dividendes reçus de filiales établies dans d'autres Etats membres de l'Union européenne que la France, alors qu'une telle quote-part est exonérée lorsqu'elle se rapporte à des dividendes versés par des sociétés membres d'un groupe intégré, lequel ne concerne que des sociétés ayant leur siège en France, révèle une différence de traitement constituant une restriction disproportionnée à la liberté d'établissement et, par suite, contraire aux articles 43 et 48 du traité instituant la Communauté européenne dès lors qu'aucune raison impérieuse d'intérêt général ne peut justifier une telle restriction ;

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne (TCE), applicable au litige et devenu l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : " Dans le cadre des dispositions visées
ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre. La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 48, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux " ; qu'aux termes de l'article 48 du TCE, devenu l'article 54 du TFUE : " Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union sont assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres. Par sociétés, on entend les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, et les autres personnes morales relevant du droit public ou privé, à l'exception des sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif " ;

4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 216 du code général des impôts : " I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. La quote-part de frais et charges (...) est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d'impôt compris (...) " ; qu'aux termes de l'article 223 A du même code, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " Une société peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 p. 100 au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés du groupe. (...) / Seules peuvent être membres du groupe les sociétés (...) dont les résultats sont soumis à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun (...) " ; qu'aux termes de l'article 223 B du code précité, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " Le résultat d'ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun (...) / En ce qui concerne la détermination des résultats des exercices ouverts avant le 1er janvier 1993, ou clos à compter du 31 décembre 1998, le résultat d'ensemble est diminué de la quote-part de frais et charges comprise dans ses résultats par une société du groupe à raison de sa participation dans une autre société du groupe (...) " ;

5. Considérant qu'en application des dispositions précitées du 2ème alinéa de l'article 223 B du code général des impôts, la neutralisation de la réintégration de la quote-part de frais et charges est limitée aux dividendes perçus de filiales faisant partie d'un groupe fiscalement intégré au sens des articles 223 A et suivants de ce code, lequel ne peut inclure que les filiales de la mère résidente détenues à 95 % et qui sont soumises à l'impôt sur les sociétés françaises au taux de droit commun, c'est-à-dire aux seules filiales établies en France ; que la société GROUPE STERIA soutient que ce mécanisme de neutralisation constitue un avantage fiscal consenti aux sociétés concernées qui n'est pas intrinsèquement lié au régime d'intégration fiscale en ce qu'il ne constitue pas une mesure technique permettant d'éviter une double déduction ou une double imposition qui serait générée par l'intégration et qu'en particulier, il ne permet pas d'éviter la double imposition économique résultant de la taxation du bénéfice de la filiale et du dividende distribué à la mère, laquelle est, en réalité, évitée par l'application du régime-mère fille résultant de l'application de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 visée ci-dessus ; que la société requérante en déduit que l'exclusion d'un tel avantage d'une société mère résidente de France qui détient, à 95 %, une filiale établie dans un autre État membre et exclue à ce titre du régime de l'intégration fiscale, est de nature à constituer une restriction à la liberté d'établissement qui n'est justifiée par aucune raison impérieuse telle que la nécessité de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les États membres ou la cohérence interne du système fiscal français ; qu'elle ajoute, enfin, qu'elle ne demande pas la consolidation de ses résultats avec ceux de ses filiales européennes et relève que si, dans son arrêt du 25 février 2010, rendu dans l'affaire 337/08, X Holding BV, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que les articles 43 CE et 48 CE ne s'opposent pas à la législation d'un Etat membre qui ouvre la possibilité, pour une société mère, de constituer une entité fiscale unique avec sa filiale résidente, mais empêche la constitution d'une telle entité fiscale unique avec une filiale non-résidente dès lors que les bénéfices de cette dernière ne sont pas soumis à la loi fiscale de cet Etat membre, la Cour n'a, en revanche, pas tranché la question de la conformité au droit communautaire des autres avantages réservés aux sociétés membres d'un groupe fiscal intégré ;

6. Considérant que la réponse au moyen ainsi soulevé dépend de la question de savoir si l'article 43 du traité CE devenu l'article 49 du TFUE relatif à la liberté d'établissement doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce que la législation relative au régime français de l'intégration fiscale accorde à une société mère intégrante la neutralisation de la réintégration de la quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des seules sociétés résidentes parties à l'intégration, alors qu'un tel droit lui est refusé, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales implantées dans un autre Etat membre qui, si elles avaient été résidentes, auraient été objectivement éligibles, sur option, au régime d'intégration ;

7. Considérant que cette question est déterminante pour la solution du litige que doit trancher la Cour ; qu'elle présente une difficulté sérieuse ; qu'il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur la requête de la société GROUPE STERIA ;

DECIDE :
Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête présentée par la société GROUPE STERIA jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question suivante : l'article 43 du traité CE devenu l'article 49 du TFUE relatif à la liberté d'établissement doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce que la législation relative au régime français de l'intégration fiscale accorde à une société mère intégrante la neutralisation de la réintégration de la quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des seules sociétés résidentes partie à l'intégration, alors qu'un tel droit lui est refusé, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales implantées dans un autre Etat membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option '
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société GROUPE STERIA, au ministre des finances et des comptes publics et au président de la Cour de justice de l'Union européenne.
Délibéré après l'audience du 13 mai 2014, où siégeaient :

Mme Signerin-Icre, président ;
M. Bresse, président assesseur ;
M. Huon, premier conseiller ;

Lu en audience publique, le 29 juillet 2014.

Le rapporteur,
P. BRESSELe président,
C. SIGNERIN-ICRELe greffier,
A. FOULON
La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme
Le greffier,
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