[Éclairage] Le décret n° 2024-900 du 4 octobre 2024 relatif à l'Observatoire de Paris

Fiche d'analyse
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Fer de lance de l’astronomie française, l’Observatoire de Paris, établissement public multiséculaire, s’est récemment réorganisé afin que l’exercice de ses missions, portant notamment sur l’acquisition de la connaissance de l’Univers, se poursuive dans des conditions optimales. L’examen du projet de décret portant sur cette réorganisation a donné au Conseil d’Etat l’occasion de se pencher sur la vénérable loi du 7 messidor an III et sur le principe cardinal d’autonomie des établissements publics.

Éclairage de Marie Lehman, rapporteure à la section de l'administration sur le décret n° 2024-900 du 4 octobre 2024.

La section de l’administration a, à l’automne dernier, examiné un projet de décret portant sur un établissement public multiséculaire dont le rayonnement est international : l’Observatoire de Paris. Elle a ainsi eu l’occasion de travailler sur les termes de la loi du 7 messidor an III, toujours en vigueur, et de veiller au plein respect du principe d’autonomie du grand établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, au sens de l’article L. 717-1 du code de l’éducation, qu’est aujourd’hui l’Observatoire de Paris, devenu un établissement-composante de l’Université Paris sciences et lettres, elle-même grand établissement au sens du même article L. 717‑1.

Les missions d’élaborer, diffuser et mettre à disposition du public les calendriers et éphémérides astronomiques au niveau national peuvent-elles être confiées à l’Observatoire de Paris sans méconnaître les termes de la loi du 7 messidor an III, qui en confie la réalisation au bureau des longitudes ?

Des institutions chargées d’observer l’espace depuis des siècles…

Fondé par Colbert en 1667, l’Observatoire de Paris comporte aujourd’hui trois campus : outre ceux de Paris et Meudon, dont l’observatoire lui fut rattaché sous la IIIe République, il est également implanté à Nançay (Cher), où se trouve l’observatoire radioastronomique inauguré en 1965 par le Général de Gaulle. Il est le plus grand pôle national de recherche en astronomie : un quart des astronomes français y poursuivent leurs recherches.

Initialement, l’Observatoire n’était pas indépendant puisqu’il fut rattaché au bureau des longitudes par la loi du 7 messidor an III (24 juin 1795), laquelle s’inscrivait dans la recomposition de la science française impulsée par l’élan révolutionnaire. Créé pour, selon les termes du rapport présenté par l’abbé Grégoire à la Convention, « reprendre aux Anglais la maîtrise des mers », grâce à l’amélioration de la détermination des longitudes en mer, le bureau des longitudes devint très rapidement, par ses liens privilégiés avec l’Observatoire de Paris, l’épicentre de l’astronomie française au début du XIXe siècle. Composé d’astronomes, de navigateurs et de constructeurs d’instruments, il s’érige alors en concurrent français du Board of Longitude britannique.

Organisé par deux textes qui demeurent seuls aujourd’hui en vigueur, la loi du 7 messidor an III et un décret[1] du 15 mai 1874 modifié[2], le bureau des longitudes est juridiquement une ombre. Créé au même moment que l’Institut de France, ce bureau avait le même statut ou plutôt la même absence de statut que ses composantes. C’était en fait une académie, même s’il ne portait pas cette dénomination, qui n’a pas été rattachée à l’Institut de France, bien qu’il y siégeât : une académie de savants chargée de rédiger « la Connaissance des temps à l’usage des astronomes et des navigateurs », les éphémérides nautiques et aéronautiques, d’en assurer la publication trois ans au moins à l’avance, de rédiger et publier un annuaire, « de perfectionner les tables astronomiques et les méthodes des longitudes et de s’occuper de la publication des méthodes astronomiques et météorologiques ».

La Connaissance des temps, dont le premier volume concerne l’année 1679, est la plus ancienne de toutes les éphémérides. La fonction de base des éphémérides est de pouvoir connaître à chaque instant, et plus particulièrement à l'avance, la position des astres (le Soleil, la Lune, les planètes, les étoiles...) dans l'espace et de fournir les éléments propres à la définition des calendriers. A cette fin, il est nécessaire d'établir des modèles théoriques du mouvement des astres avec la plus grande précision possible. La modélisation parfaite de tous les effets physiques mis en jeu et la garantie du maintien de la précision des positions calculées requièrent ainsi les connaissances les plus fines en mécanique céleste et en planétologie ainsi que l’observation très régulière des astres, au sol, depuis l’espace ou à partir de satellites et missions spatiales, qui fournissent des informations très précises sur la position des objets du système solaire. Une fois les modèles théoriques construits, ces positions calculées sont mises à la disposition des utilisateurs. Leurs usages sont en effet multiples : utiles pour l’armée et la navigation maritime, les éphémérides sont également indispensables à la préparation et à l’exploitation des données des missions spatiales dans le système solaire. Des éphémérides ont ainsi été produites spécialement pour la mission spatiale JUICE de l’Agence spatiale européenne, partie en juillet 2023 explorer la planète Jupiter et ses satellites. Les éphémérides sont aussi utiles à la recherche et à l’astronomie, ainsi qu’à la société civile : notamment, les heures de lever et coucher du Soleil déterminent les horaires de pêche et de chasse ; afin d’éviter les éblouissements des pilotes, les aéroports ont besoin de connaître les heures de lever de Soleil et l’azimut au lever.  

… sur lesquelles le temps n’a pas eu la même prise.

L’écoulement du temps n’a pas permis au bureau des longitudes d’acquérir un statut juridique, au contraire de l’Observatoire de Paris, qui en a été détaché et rendu indépendant par le décret du 30 janvier 1854. Selon le rapport fait à Napoléon III, ce décret visait à confier à l’Observatoire de Paris la mission de perfectionner l’astronomie d’observation, le bureau des longitudes endossant quant à lui le rôle de « sanctuaire de l’astronomie théorique, de l’astronomie de calcul ». Actuellement géré par un service du ministère chargé de l’enseignement supérieur, ce bureau n’est aujourd’hui mentionné qu’à l’article D. 112-10 du code de la recherche, parmi les « organismes publics et services à compétences nationale ». Il a cependant conservé un service, son unique service, sans existence juridique propre, resté dans son ombre pendant près de deux siècles, l’institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides. Finalement juridiquement rattaché à l’Observatoire de Paris par le décret n° 98‑446 du 2 juin 1998 qui lui octroyait une certaine autonomie et le maintenait placé sous la maîtrise scientifique du bureau des longitudes, cet institut était chargé d’apporter son concours à l’élaboration des documents que ce bureau a pour mission de publier en vertu de la loi du 7 messidor an III.

Le temps a passé et le décret n° 2024-900 du 4 octobre 2024 est venu fondre l’institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides dans l’Observatoire, non seulement en faisant disparaître toutes ses spécificités organiques mais surtout en ajoutant aux missions de l’Observatoire celles jusqu’alors exercées par l’institut et concurremment confiées au bureau des longitudes par la loi de messidor an III. Il ne s’agissait nullement d’abroger cette vénérable loi ni de faire disparaître le bureau des longitudes, qui a indiscutablement acquis ses lettres de noblesse et demeure chargé de diffuser de l’information scientifique dans le domaine des sciences de l’univers grâce aux travaux de ses membres, éminents scientifiques particulièrement aptes à tracer des perspectives dans leurs domaines et à assurer la mission d’impulsion scientifique du bureau.

La section de l’administration a considéré que, dans la mesure où le bureau des longitudes conservait la responsabilité scientifique de ces missions, les dispositions du décret confiant à  l’Observatoire de Paris la charge d’élaborer, diffuser et mettre à disposition du public les calendriers et éphémérides astronomiques au niveau national ne se heurtaient pas aux termes de la loi du 7 messidor an III – encore que le caractère législatif des dispositions de cette loi n’apparaisse pas absolument certain.

Le respect du principe d’autonomie renforcée des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, objet d’un contrôle vigilant du Conseil d’État.

L’Observatoire de Paris est désormais un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, classé grand établissement au sens de l’article L. 717‑1 du code de l’éducation[3]. Jouissant à ce titre de la personnalité morale et disposant de l'autonomie pédagogique, scientifique, administrative et financière (alinéa 1er de l’article L. 711-1 du code de l’éducation), il bénéficie des responsabilités et compétences élargies en matière budgétaire et de gestion des ressources humaines depuis le 1er janvier 2019[4].   

Au même titre que les autres grands établissements, l’autonomie de l’Observatoire est renforcée, en application des dispositions de l’article L. 717-1 qui permet que les règles relatives à ces établissements, en fonction de leurs caractéristiques propres, puissent déroger à de nombreuses dispositions législatives du code de l’éducation applicables aux universités[5]. En application de ce même article, les caractéristiques propres de ces établissements leur permettent également de déroger, par décret en Conseil d’État, à d’autres dispositions du code de l’éducation qui leur sont applicables de plein droit[6]. Statuant au contentieux, le Conseil d’État exerce un contrôle normal sur le bien-fondé de telles dérogations, au regard des caractéristiques propres de l’établissement (4/5 SSR, 23 juin 2014, Union nationale des étudiants de France (UNEF) et autres, n° 354198, aux Tables sur ce point).

Plus généralement, l’autonomie de l’ensemble des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel relevant des articles L. 711-1 et suivants du code de l’éducation s’exerce sur les plans pédagogique, scientifique, administratif et financier. Ainsi, une fois conclu avec l’État le contrat pluriannuel – généralement quinquennal – d’établissement qui détermine notamment les objectifs de l’établissement, les décisions des présidents et délibérations des conseils de ces établissements ne présentant pas de caractère réglementaire entrent en principe en vigueur sans approbation préalable de l’autorité de tutelle. 

Le Conseil d’État a toujours veillé au plein respect du principe d’autonomie des établissements publics (cf. sur ce point notamment le Rapport d’étude sur les établissements publics de 2009).

Statuant au contentieux, il protège pleinement cette autonomie, en reconnaissant au président ou directeur général d’un établissement public un pouvoir réglementaire d’organisation du service (CE, 4 février 1976, Section syndicale C.F.D.T du centre psychothérapeutique de Thuir, n° 97865, aux Tables sur ce point) et en censurant les décisions de l’État empiétant sur ses compétences (cf. par exemple, pour ce qui est des délocalisations d’établissements, CE, Assemblée, 4 juin 1993, Association des anciens élèves de l’ENA, au Recueil, p. 168).

Dans ses fonctions de conseil au Gouvernement, il contrôle avec la même vigilance le respect de ce principe. A titre d’exemple[7], le Conseil d’État (section des finances) a écarté des dispositions réglementaires renvoyant l’essentiel des pouvoirs de décision d’un tel établissement au ministre de tutelle (10 avril 2007, n° 308156, décret relatif au Fonds de prévoyance militaire et de l’aéronautique, EDCE 2008 p. 104). Il a également affirmé que le pouvoir de tutelle est exclusif de tout pouvoir hiérarchique à l’égard des dirigeants d’un établissement public (section des finances, 28 novembre 2006, n° 373553, décret relatif aux personnels des bibliothèques de l’enseignement supérieur ; section de l’intérieur, note, 23 novembre 1994, n° 356893, décret sur la délégation de signature des ministres, EDCE 1995 p. 213).

S’agissant des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, l’autorité de tutelle n’intervient directement qu’en cas de crise de leur gouvernance. Ainsi, en cas de « difficulté grave dans le fonctionnement des organes statutaires » ou de défaut d’exercice de leurs responsabilités, l’article L. 719-8 du code de l’éducation permet au le ministre chargé de l’enseignement supérieur de prendre les dispositions imposées par les circonstances, tandis que le recteur de région académique, chancelier des universités, est chargé de prendre, à titre provisoire, les mesures conservatoires nécessaires. Le juge de l’excès de pouvoir contrôle le caractère nécessaire des mesures prises par l’autorité de tutelle (CE, Section, 9 avril 1976, Syndicat général de l’Éducation Nationale, n° 98423, au Recueil ; CE, 4/1 CHR, 1er juin 2022, M. B. et Mme A, n° 440370, aux Tables). 

 

Références

[1] Initialement du 9 mars 1852, remplacé par un décret du 30 janvier 1854, lui-même remplacé par le décret du 15 mai 1874.

[2] En dernier lieu par le décret n° 70-30 du 8 janvier 1970 concernant la composition et le fonctionnement du Bureau des longitudes.

[3] L’Observatoire de Paris est classé « grand établissement » depuis le décret de n° 84-723 du 17 juillet 1984 fixant la classification d’EPSCP (article 3) (cette catégorie d’établissement est apparue avec la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 relative à l’enseignement supérieur, dont la substance figure désormais au code de l’éducation).

[4] Arrêté du 21 décembre 2018 attribuant les responsabilités et compétences élargies en matière budgétaire et de gestion des ressources humaines prévues aux articles L. 712-9, L. 712-10 et L. 954-1 à L. 954-3 du code de l'éducation à l'Observatoire de Paris.

[5] Articles L.  711-1, L.  711-4, L.  711-5, L.  711-7, L.  711-8, L. 714-2, L. 719-1, L. 719-2 à L. 719-5, L. 719-7 à L. 719-9.

[6] 4° de l’article L. 712-2, articles L. 712-6-2, L. 811-5, L. 811-6, L. 952-7 à L. 952-9.

[7] Les avis mentionnés à titre d’exemple sont cités dans le Rapport d’étude sur les établissements publics publié par le Conseil d’Etat en 2009, accessible en ligne.