Déontologie, procédures, contribution à la justice administrative européenne, rayonnement et responsabilité sociale, gestion des carrières, outils et conditions de travail chacune de ces questions a fait l'objet depuis un an et demi d'intenses réflexions au sein de la juridiction administrative. Objectif : mettre en oeuvre des réformes opérationnelles permettant d'accroître les performances globales de la justice administrative en préservant la qualité de la justice rendue. La réforme du code de justice administrative, tant dans sa partie législative que dans sa partie réglementaire, est en cours.
L'augmentation constante et massive du nombre des justiciables qui s'adressent à elle a justifié l'attribution de moyens supplémentaires à la juridiction administrative. Mais cet effort se double évidemment d'une recherche permanente d'efficacité dans le respect de l'exigence de qualité de la justice rendue.
Ainsi, le code de justice administrative a fait l'objet de plusieurs modifications depuis son adoption en 2000, pour ouvrir l'éventail des procédures mises à la disposition du juge, de telle sorte qu'il puisse proportionner ses efforts à la difficulté des dossiers. Les magistrats administratifs ont aussi appris à travailler avec des collaborateurs, agents de greffe chargés de fonctions d'aide à la décision ou assistants de justice, qui les aident dans la préparation des dossiers. Cela s'est traduit par une progression marquée du nombre d'affaires traitées par magistrat et par agent de greffe, qui explique pour plus de la moitié la progression de près de 50%, depuis 2002, du nombre d'affaires jugées chaque année par la juridiction administrative.
Si le chemin ainsi parcouru par la justice administrative est tout à fait considérable, elle doit et peut encore se moderniser sensiblement pour faire face aux défis qui sont les siens. Pour répondre à la croissance soutenue du contentieux et à sa diversification, la juridiction administrative doit poursuivre l'adaptation de ses méthodes de travail pour gagner encore en efficacité, tout en continuant d'améliorer les délais de jugement.
C'est pourquoi une vaste réflexion a été menée, de manière collégiale (groupes de travail, forum sur les intranets…), au sein du Conseil d'Etat, des Cours administratives d'appel et des Tribunaux administratifs, depuis un an et demi. Cette réflexion débouche maintenant sur des évolutions concrètes.
Une première vague de réformes importantes a ainsi été inscrite dans le décret du 6 mars 2008 relatif à l'organisation et au fonctionnement du Conseil d'Etat. Les étapes suivantes concernent la justice administrative dans son ensemble.
La réforme correspondante du code de justice administrative est en préparation : les principes sont arrêtés, et les projets de textes nécessaires à leur mise en oeuvre sont en cours de rédaction ; ils seront finalisés à l'automne. Ces réformes portent sur l'adaptation des procédures à la diversité des dossiers, une organisation de l'instance plus prévisible et lisible pour les parties, mais aussi le renforcement du statut des magistrats administratifs, la généralisation d'une gestion par objectifs, et l'ouverture de la juridiction administrative sur son environnement.
Adapter les procédures à la diversité des dossiers pour concentrer l'investissement des magistrats sur les questions les plus complexes
Face à la diversification des dossiers, dont la complexité est aujourd'hui assez variable, les efforts de chacun doivent être proportionnés à ce qu'exige réellement la requête. Comment ?
- en développant fortement l'aide à la décision (assistants de justice, assistants du contentieux…) pour permettre aux magistrats de se concentrer avant tout sur les questions juridiques les plus complexes ;
- en poursuivant l'adaptation des procédures, et notamment en élargissant le champ d'intervention du juge unique aux affaires qui ne présentent aucune difficulté sérieuse et pour lesquelles la jurisprudence est solidement établie (étant entendu que si une difficulté particulière se présente, le dossier devra être renvoyé vers une formation collégiale) ;
- on peut aussi envisager de supprimer l'intervention du commissaire du gouvernement, en première instance comme en appel, dans certaines matières juridiquement bien balisées où son intervention n'est manifestement pas indispensable, comme le contentieux du permis à points (dans lequel le juge, en pratique, se borne le plus souvent à un simple constat qui ne requiert pas l'implication d'un deuxième magistrat).
L'ensemble de ces évolutions s'accompagne par ailleurs de réflexions sur l'organisation des juridictions et des formations de jugement et d'un renforcement significatif de l'effort de formation continue des magistrats administratifs (avec notamment, la création du Centre de formation de la juridiction administrative).
Rendre la procédure plus lisible et plus visible
Par ailleurs, l'organisation de la procédure doit être plus lisible et plus prévisible pour les requérants et leurs conseils. Pour cela, il est décidé de :
- donner davantage d'indications sur les échéances et sur le déroulement prévisible de l'instruction et la clôture de l'instruction : les parties et leurs conseils pourront ainsi mieux suivre l'évolution de la procédure et en prévoir les différentes étapes, y compris en recourant aux échanges électroniques (par exemple, avec SAGACE, le serveur informatique développé par la Juridiction administrative pour informer les parties en temps réel de l'avancée de l'instruction) ;
- systématiser (en l'inscrivant dans le code de justice administrative) la communication du sens des conclusions du commissaire du Gouvernement aux parties et à leurs conseils en temps utile, avant l'audience ; ici aussi, les capacités techniques offertes par SAGACE seront mises à profit ;
- autoriser les parties à reprendre la parole après les conclusions du commissaire pour de brèves observations. Après une procédure contradictoire qui est essentiellement écrite, cette possibilité permettra aux parties de porter immédiatement et oralement à la connaissance du juge les observations que suscitent les conclusions du commissaire du gouvernement, là où elles ne pouvaient le faire jusqu'à présent que par le biais d'une « note en délibéré » écrite ;
- enfin, changer l'appellation séculaire de « commissaire du gouvernement ». Celle-ci est abandonnée au profit de Rapporteur public, un titre qui ne laisse plus planer d'ambiguïté sur le rôle qu'il joue dans la procédure : le commissaire du gouvernement est en effet un membre de la juridiction (et non une personnalité extérieure) qui procède à une étude approfondie du dossier, tout comme le rapporteur. Mais dès lors qu'il rend publique la parole sur la solution que doit recevoir la requête, il ne peut participer au délibéré : si le rapporteur public siégeait après s'être publiquement exprimé sur la solution du litige, l'impartialité de la formation de jugement pourrait être contestée.
Renforcer le statut des magistrats administratifs
L'indépendance de la justice administrative, qui n'a jamais été prise à défaut, repose jusqu'à présent largement sur des garanties non écrites. Pour fortifier cette tradition, rendre plus explicites les garanties et répondre ainsi aux exigences légitimes d'indépendance et de déontologie, il faut à la fois faire évoluer le statut des juges administratifs et les règles de déontologie qui s'imposent à eux :
- statutairement, il est proposé que le Code de la justice administrative explicite dorénavant la qualité de magistrats, dans l'exercice de leurs fonctions juridictionnelles, des membres de la juridiction administrative ainsi que, corrélativement, le principe de leur inamovibilité ;
- sur le terrain de la déontologie, un recueil de règles communes à l'ensemble des membres sera publié. Au-delà de la déclaration de principe, ce recueil énoncera de façon synthétique les règles de comportement à adopter face à certaines questions difficiles : déport et prévention des conflits d'intérêt, activités extérieures, activités politiques et devoir de réserve, secret du délibéré et obligations professionnelles…. Le suivi en sera assuré par un collège de déontologie compétent pour l'ensemble de la juridiction administrative et comportant trois membres, dont une personnalité extérieure.
Tout ceci s'inscrit dans un souci d'unité de la juridiction administrative, attesté par ailleurs par le renforcement substantiel du nombre de membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel pouvant être nommés maître des requête ou conseiller d'Etat au tour extérieur.
La juridiction administrative, enfin, s'ouvrira davantage à des compétences d'origine variée, en faisant une plus large place à des fonctionnaires en détachement et en accueillant au Conseil d'Etat, en service extraordinaire, des juristes expérimentés du secteur privé.
Généraliser la démarche de gestion par objectifs
Depuis quelques années, le Conseil d'Etat est l'administrateur général des tribunaux et des cours administratives d'appel. Sous son impulsion, la juridiction administrative va généraliser la gestion par objectifs, expérimentée avec succès dans les cours administratives d'appel depuis 2003. Cette démarche globale responsabilise le gestionnaire garant devant les pouvoirs publics de l'utilisation des moyens alloués et de la réalisation des objectifs comme les juridictions qui participeront à la définition des objectifs et disposeront de plus de souplesse dans l'utilisation de leurs moyens.
Favoriser l'ouverture de la juridiction administrative sur son environnement
Ces évolutions s'accompagnent du souci de la juridiction administrative de développer encore le dialogue qu'elle a engagé avec ses partenaires naturels. Au niveau local, cela signifie davantage d'échanges avec les avocats, les universitaires… et tous ceux qui font vivre la Cité ; au niveau international, la juridiction administrative française entend prendre part activement à la construction du droit public européen et, plus largement, être un acteur déterminé de la globalisation du droit.
Toutes ces innovations ne font pas perdre de vue la mission essentielle de la Juridiction administrative et que comprennent bien les justiciables qui la saisissent en masse. Elles sont même au service de cette mission : protéger les libertés et les droits fondamentaux des personnes - et plus largement, des justiciables -, défendre l'intérêt général, et veiller à la qualité de la gouvernance publique.