Immatriculation des véhicules Mercedes

Décision de justice
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Le juge des référés du Conseil d'État suspend le refus du ministre d'immatriculer les Mercedes classes A, B, CLA et SL et enjoint de permettre cette immatriculation dans les deux jours.

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L'essentiel

  • Le 26 juillet dernier, le ministre chargé des transports a pris, sur le fondement d'une clause de sauvegarde prévue par le droit de l'Union européenne, une décision refusant provisoirement, et pour six mois au plus, l’immatriculation sur le territoire français des véhicules Mercedes classes A, B, CLA et SL produits par Daimler.

 

  • Saisi par la société Mercedes-Benz France d'une demande de suspension en urgence de cette décision, le juge des référés du Conseil d'État juge qu'un doute sérieux existe sur la légalité de cette mise en œuvre de la clause de sauvegarde, la mise en circulation en France des véhicules concernés par la décision contestée ne pouvant notamment pas être regardée, en l'état de l’instruction, comme étant de nature, par elle-même, à nuire gravement à l’environnement.

 

  • Estimant par ailleurs que l'urgence justifie que soient ordonnées des mesures provisoires en référé, le juge des référés enjoint à titre conservatoire au ministre de délivrer les codes d’identification des types de véhicules concernés afin de permettre leur immatriculation en France dans les deux jours suivant le prononcé de son ordonnance.

 

Le cadre juridique du litige

En vue de faciliter l'immatriculation, la vente et la mise en service des voitures dans toute l’Union européenne, la directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 septembre 2007 établit un cadre harmonisé pour la réception des véhicules neufs à moteur ainsi que des systèmes, des composants et des entités techniques destinés à ces véhicules. A cette fin, elle organise des procédures de réception CE par type de véhicules : les autorités compétentes désignées par chaque Etat membre accordent ou refusent la réception CE par type au vu des exigences de la directive, réception qui peut être étendue ou modifiée. Les autres Etats membres ne peuvent s’opposer à l’immatriculation, à la vente ou à la mise en service de véhicules accompagnés d’un certificat de conformité au modèle en cours de validité qu’en vertu des clauses de sauvegarde figurant aux articles 29 et 30 de la directive. L’article 29 permet de faire obstacle à l’immatriculation si des véhicules, systèmes, composants ou entités techniques compromettent gravement la sécurité routière ou nuisent fortement à l’environnement ou à la santé publique.

D'autre part, la directive 2006/40/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2006 concernant les émissions provenant des systèmes de climatisation des véhicules à moteur a prévu que les Etats membres n’accordent plus la réception CE d’un type de véhicule équipé d’un système de climatisation conçu pour contenir des gaz à effet de serre fluorés dont le potentiel de réchauffement planétaire est supérieur à 150 à compter du 1er janvier 2011, cette date ayant été reportée au 1er janvier 2013 en raison des difficultés d’approvisionnement. Elle a par ailleurs retenu la date du 1er janvier 2017 pour imposer à l’ensemble des véhicules neufs, qu’ils relèvent ou non d’un nouveau type de véhicules, l’utilisation d’un gaz au potentiel de réchauffement planétaire inférieur à 150.

 

Les faits à l'origine de l'affaire

En 2011 et 2012, l'autorité compétente en matière de réception désignée par l'Allemagne (Kraftfahrt-Bundesamt - KBA), a délivré la réception CE demandée par la société Daimler AG pour différents types de véhicules Mercedes à la dénomination commerciale de classe A, classe B, classe CLA et classe SL. Le système de climatisation de ces véhicules devait utiliser un nouveau gaz, dénommé R 1234 yf, dont le potentiel de réchauffement planétaire est inférieur à 150, en lieu et place du gaz dénommé R 134 a, utilisé antérieurement et dont le potentiel de réchauffement est de 1 300.

Après avoir procédé à des tests complémentaires révélant selon elle la dangerosité de ce nouveau gaz, la société Daimler AG a demandé au KBA une modification, sous forme d’extension, des réceptions CE antérieurement délivrées pour les classes A, B, CLA et SL, afin de pouvoir commercialiser des véhicules utilisant le gaz utilisé précédemment. Le KBA a accédé à ces demandes.

Malgré ces décisions, le ministre français de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, par une décision non formalisée, a donné instruction, au cours du mois de juin 2013, à l’Organisme technique central français de ne pas délivrer les codes nationaux d’identification du type (CNIT) de ces véhicules, avec pour conséquence de faire obstacle à l’immatriculation en France de ces véhicules. L'exécution de cette décision a été suspendue par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Versailles du 25 juillet 2013.

Le 26 juillet, le ministre a pris une nouvelle décision, de portée équivalente mais fondée sur les dispositions de l’article R. 321-14 du code de la route, traduisant la mise en œuvre de la clause de sauvegarde prévue par l’article 29 de la directive 2007/46/CE du 5 septembre 2007. Cette décision refuse l’immatriculation sur le territoire français des véhicules produits par la société Daimler AG jusqu’à l’intervention d’une décision de la Commission européenne ou au plus tard pour une durée de six mois, au motif que l’extension des réceptions communautaires résultant des décisions du KBA des 3 et 6 juin 2013 constitue un détournement permettant au constructeur de s’exonérer des exigences de la directive 2006/40/CE du 17 mai 2006, en contournant l’application de l’article 5 § 4 de cette directive ainsi que les principes de la réception par type de la directive 2007/46/CE du 5 septembre 2007, que cette opération porte préjudice à l’environnement et aux efforts de réduction des gaz à effet de serre et qu’elle crée une distorsion manifeste de concurrence entre les constructeurs automobiles sur le marché européen.

La société Mercedes Benz France a saisi le Conseil d'Etat d'une demande d'annulation de cette décision, et a assorti cette requête d'une demande de référé, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.

 

 La décision du Conseil d'État

La procédure de référé suspension permet de demander au juge administratif la suspension provisoire de l'exécution d'une décision, le temps que l'affaire soit jugée au fond, dès lors que deux conditions sont remplies : il faut, d'une part, que l'urgence le justifie, et, d'autre part, qu'il soit fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

En l'espèce, le juge des référés du Conseil d'Etat a jugé que ces deux conditions étaient remplies et a donc suspendu l'exécution de la décision du ministre empêchant les immatriculations des Mercedes classes A, B, CLA et SL.

D'une part, le juge des référés a jugé qu'était de nature, en l’état de l’instruction, à faire sérieusement douter de la légalité de cette décision le moyen tiré de ce que la décision contestée fait une inexacte application des dispositions de l’article R. 321-14 du code de la route, qui ne permet au ministre chargé des transports de déroger temporairement à la libre commercialisation et à la libre mise en circulation des véhicules qu’aux seuls motifs qu’il soit établi que les véhicules, systèmes ou équipements en cause, ayant fait l’objet d'une réception CE et accompagnés d’un certificat de conformité, « compromettent gravement la sécurité routière ou nuisent gravement à l'environnement ou à la santé publique ».

Il a d'abord estimé que les motifs énoncés par la décision attaquée et tirés de ce que l’extension des réceptions CE résultant des décisions du KBA constituerait un détournement permettant de contourner les exigences de la directive 2006/40/CE du 17 mai 2006 et les principes de la directive 2007/46/CE du 5 septembre 2007 et qu’elle créerait une distorsion manifeste de concurrence entre les constructeurs automobiles sur le marché européen sont étrangers aux motifs limitativement énumérés par l’article R. 321-14, seuls susceptibles de justifier des refus d’immatriculation temporaires en application de cette clause de sauvegarde.

Prenant en compte la faible proportion de nouveaux modèles (moins de 6%) et de véhicules (seulement 1,74%) immatriculés en France en 2013 équipés du nouveau gaz, la part infime de ces véhicules parmi ceux circulant en France, la faible part du parc automobile français représentée par les véhicules Mercedes, et enfin le caractère très étalé dans le temps (jusqu’à 2017) du passage prévu par la directive à des gaz faiblement polluants, uniquement pour les véhicules neufs, le juge des référés du Conseil d'Etat a ensuite estimé, qu'en l’état de l’instruction, la mise en circulation en France des véhicules concernés par la décision contestée ne peut être regardée comme étant de nature, par elle-même, à nuire gravement à l’environnement 

D'autre part, le juge des référés a estimé, au vu de la part que représentent les véhicules concernés dans son activité et de la situation commerciale dans laquelle la décision litigieuse la plaçait, qu’il n'était pas douteux que la persistance du blocage ne pouvait qu’exposer la société ainsi que le réseau de ses distributeurs à des annulations des commandes ainsi que des pertes de ventes et de clients, leur occasionnant ainsi, de manière suffisamment certaine et alors même que la décision contestée n’a qu’une portée temporaire, un grave préjudice commercial, financier et d’image. Il en a déduit que la condition d'urgence était remplie.

En conséquence, le juge des référés du Conseil d'État a prononcé la suspension de la décision du ministre et a enjoint à titre provisoire à ce dernier, dans l’attente de la décision que rendra le Conseil d’Etat au fond, de délivrer les codes d’identification des types de véhicules visés par la décision du 26 juillet 2013 afin de permettre leur immatriculation en France dans les deux jours suivant le prononcé de son ordonnance.