CE 21 juin 1895 Cames

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Responsabilité sans faute pour risque

Les faits

M. Cames était ouvrier à l'arsenal de Tarbes. Il fut gravement blessé à la main par un éclat de métal projeté sous le choc d'un marteau-pilon et ne put continuer à travailler de ce fait. Une indemnité lui fut allouée par le ministre de la guerre mais M. Cames demanda au Conseil d’Etat d’en augmenter le montant. En l’espèce, aucune faute ne pouvait lui être reprochée, non plus qu’à son employeur, c’est-à-dire l’Etat.

Le sens et la portée de la décision

En se fondant sur la spécificité du droit administratif de la responsabilité, affirmée par l'arrêt Blanco (T.C. 8 février 1873, Blanco, n°00012), le commissaire du gouvernement Romieu proposa de reconnaître la responsabilité de l'État, en considérant qu'il devait garantir ses ouvriers contre le risque résultant des travaux qu'il leur fait exécuter dans le cadre du service public.

Le Conseil d'État, suivant le commissaire du gouvernement, admit pour la première fois la possibilité d'une responsabilité sans faute, sur le seul fondement du risque auquel peuvent être exposés les agents de l’Etat. Les juridictions judiciaires et le législateur adoptèrent par la suite la même position. La loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail, aujourd'hui remplacée par des dispositions du code de la sécurité sociale, a ainsi étendu le bénéfice de ce système à tous les ouvriers.

La jurisprudence Cames ne trouve plus guère à s'appliquer aujourd'hui aux agents permanents du service public car des régimes législatifs de pension organisent dans la plupart des cas les conditions de l'indemnisation en cas d'accident. Les codes des pensions civiles et militaires de retraite et des pensions militaires d'invalidité s’appliquent ainsi aux fonctionnaires et aux militaires : en cas d'incapacité permanente résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées au service, ils perçoivent une rente viagère d'invalidité. Les autres agents permanents des personnes publiques, quant à eux, relèvent du régime des accidents du travail inauguré par la loi de 1898.

Le bénéfice d'un régime légal exclut l'indemnisation sur tout autre fondement. Il n'existe d'exception à ce principe que si la loi le prévoit, comme pour les appelés du contingent, ou si l'agent a subi des dommages non couverts par la législation sur les pensions ou les accidents du travail, résultant d'un risque exceptionnel.
En effet, les dispositions légales qui déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions ne font cependant pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique.
Elles ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du préjudice soit engagée contre la collectivité, à un titre autre que la garantie des risques courus dans l'exercice des fonctions, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien incombait à celle-ci (CE, 4 juillet 2003, Mme Moya-Caville, n°211106 ; solution abandonnée en tant qu’elle excluait la réparation complémentaire de tout préjudice patrimonial au titre de la garantie des risques par CE, 16 décembre 2013, Centre hospitalier de Royan, n° 353798 ; voir s’agissant du préjudice d’anxiété due au risque de développer une pathologie grave (CE, 3 mars 2017, Ministre de la défense, n°401395)

La jurisprudence sur la responsabilité pour risque s'applique aux collaborateurs occasionnels de l'administration, qu'ils soient requis, sollicités ou spontanés, puisque ceux-ci ne sont protégés par aucun régime légal (CE, Assemblée, 22 novembre 1946, Commune de Saint-Priest-la-Plaine, n°74725, 74726). Le juge applique les mêmes règles à la responsabilité des collectivités territoriales pour les accidents subis par les élus locaux dans leurs fonctions, dont seul le principe est prévu par la loi.
La théorie de la responsabilité pour risque a connu des prolongements importants et trouve désormais essentiellement à s'appliquer dans les cas où des activités de l'administration créent un risque spécial, du fait du recours à des installations, activités et armes dangereuses,(CE, 28 mars 1919, Regnault-Desroziers, n°62273), certains actes médicaux (CE, Assemblée, 9 avril 1993, Bianchi, n°69336) ou encore des produits dangereux (CE, 9 juillet 2003, Assistance publique-Hôpitaux de Paris c/ Mme Marzouk, n° 220437) et dans les cas où des tiers sont victimes d'accidents de travaux publics (par exemple : CE, Assemblée, 28 mai 1971, Département du Var c. Entreprise Bec Frères, n° 76216 ). Elle fonde l'un des pans de la responsabilité sans faute de l'administration, avec celle fondée sur la rupture d’égalité devant les charges publiques.

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