CE, 14 janvier 1938 - Société anonyme des produits laitiers "La Fleurette"

Passer la navigation de l'article pour arriver après Passer la navigation de l'article pour arriver avant
Passer le partage de l'article pour arriver après
Skip article sharing

Responsabilité du fait des lois

Les faits et le contexte juridique

La loi du 29 juin 1934 relative à la protection des produits laitiers avait interdit la fabrication et la vente de tout produit présentant l'aspect de la crème et destiné aux mêmes usages mais ne provenant pas exclusivement du lait. La société La Fleurette, qui fabriquait un produit appelé « Gradine » directement concerné par cette interdiction, avait du cesser son activité en conséquence. La jurisprudence ancienne selon laquelle l'État ne saurait être responsable des conséquences de lois prohibant une activité dans l'intérêt général avait déjà évolué, les décisions précédentes se fondant sur le fait que les mesures incriminées avaient pour but d'empêcher la fabrication et la vente des produits dangereux ou de mettre fin à des abus. Toutefois, dans le cas de la société La Fleurette, les produits exploités ne présentaient pas de danger et rien dans le texte de la loi ni ses travaux préparatoires ne permettait de penser que le législateur avait voulu faire supporter à cette société, apparemment seule concernée, une charge telle que l'arrêt de son activité.

Le sens et la portée de la décision

Par cette décision, le Conseil d'État a reconnu pour la première fois l'engagement de la responsabilité de l'État du fait des lois et a considéré que cette charge, créée dans un but d’intérêt général, devait être supportée par la collectivité.

La responsabilité sans faute de l'État, sur le terrain de la rupture de l'égalité devant les charges publiques, peut donc être engagée non seulement du fait de décisions administratives légales (CE, 30 novembre 1923, Couitéas) mais également du fait de lois. Toutefois, en raison de la spécificité même de l'acte qui en est à l'origine, la jurisprudence postérieure à la décision La Fleurette, a prévu des conditions restrictives pour engager la responsabilité de l’Etat.

En premier lieu, le Conseil d’Etat a considéré d’une part qu’il ne devait pas résulter de la loi ni de ses travaux préparatoires que le législateur ait entendu exclure toute indemnisation, et d’autre part que la volonté du législateur pouvait être inférée implicitement de l’objet de la loi. Le Conseil d’Etat a par la suite amendé cette jurisprudence : il a jugé que le silence d’une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en œuvre ne peut être interprété comme excluant par principe tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer et abandonné le critère tiré de ce que la volonté du législateur pouvait être inférée implicitement de l'objet de la loi (CE, 2 novembre 2005, Société coopérative agricole Ax’ion, n° 266564).

En deuxième lieu, le préjudice doit être anormal c'est-à-dire qu'il atteigne un certain degré d'importance, et spécial, c’est-à-dire qu’il ne concerne que certains membres de la collectivité
– la condition de spécialité étant difficile à remplir lorsque le dommage trouve son origine dans la loi, les applications positives de la jurisprudence La Fleurette sont donc rares (pour un exemple : CE, 30 juillet 2003, Association pour le développement de l’aquaculture en région Centre, n° 215957). Un préjudice moral peut également être indemnisé à ce titre (CE, Assemblée 22 octobre 2010, Mme Bleitrach, n° 301572,).

Le Conseil d'État a également admis que la responsabilité de l'État puisse être engagée, sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques, du fait des conventions internationales  conclues par la France (CE, Assemblée, 30 mars 1966, Compagnie générale d'énergie radioélectrique, n°50515). Il a ainsi condamné l'État à indemniser des propriétaires du préjudice résultant pour eux de l'impossibilité d'obtenir l'expulsion d'un locataire qui, du fait de son mariage postérieur à la conclusion du contrat de location, bénéficiait des immunités diplomatiques prévues par l'accord de siège passé entre la France et l'UNESCO (CE, Section, 29 octobre 1976, Ministre des affaires étrangères c/ consorts B..., n°94218). Enfin, il a admis que la responsabilité de l'État puisse être engagée, sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques du fait de lois adoptées en méconnaissance des engagements internationaux de la France (CE, Assemblée, 8 février 2007, Gardedieu, n° 279522) ou des principes généraux du droit de l’Union Européenne (CE, 23 juillet 2014, Société d’éditions et de protection route, n° 354365,).

> Lire la décision