CE, 10 janvier 1902, Compagnie nouvelle du gaz de Deville-lès-Rouen

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Mutabilité des contrats administratifs

Faits et contexte juridique

La commune de Deville-lès-Rouen avait concédé en 1874 à la Compagnie nouvelle du gaz de Deville-lès-Rouen le privilège exclusif de l'éclairage par le gaz. Toutefois, l'éclairage électrique se développant, la commune avait essayé de persuader la compagnie d'assurer l'éclairage par l'électricité. Face à son refus, elle s'était ensuite tournée vers une compagnie d'électricité. La compagnie du gaz avait alors réclamé une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de la concession accordée en violation du monopole dont elle disposait.

Le sens et la portée de la décision

Saisi du litige, le Conseil d'État interpréta le contrat liant la compagnie du gaz à la commune, qui avait été prorogé à une époque où l'électricité fonctionnait déjà dans d'autres communes, comme reconnaissant un monopole de l'éclairage par n'importe quel moyen. Mais il considéra que la commune avait la faculté d'assurer ce service au moyen de l'électricité, y compris en le concédant à un tiers si la compagnie du gaz, mise en demeure, refusait de s'en charger.

Le Conseil d'État admettait ainsi un pouvoir de modification unilatérale du contrat au profit de l'administration, pouvoir ensuite consacré plus nettement (CE, 21 mars 1910, Compagnie générale française des tramways, n°16178). Il jugea à cette occasion que l'administration avait le droit d'imposer à son concessionnaire d'augmenter le nombre de rames de tramways en service, alors même que ce nombre résultait du cahier des charges, « pour assurer, dans l'intérêt du public, la marche normale du service ». Selon le commissaire du gouvernement Léon Blum : « Il est évident que les besoins auxquels un service public de cette nature doit satisfaire et, par suite, les nécessités de son exploitation, n'ont pas un caractère invariable (...) L'État ne peut pas se désintéresser du service public du transport une fois concédé (...) [Il] interviendra donc nécessairement pour imposer, le cas échéant, au concessionnaire, une prestation supérieure à celle qui était prévue strictement (...) en usant non plus des pouvoirs que lui confère la convention, mais du pouvoir qui lui appartient en tant que puissance publique ».

Les modifications ne peuvent porter que sur les conditions du service : les clauses financières ne sauraient être touchées. En outre, ce pouvoir de modification unilatérale, dans l'intérêt du service, comporte une contrepartie pour le concessionnaire, qui prend la forme d'une indemnité si les obligations nouvelles excèdent les prévisions initiales du contrat, de façon à en rétablir l'équilibre financier initial. Ce droit à l’équilibre financier a été confirmé par le Conseil d’Etat (CE, 2 février 1983, Union des transports publics urbains et régionnaux, n°34027). La résiliation peut même être prononcée par le juge au profit du concessionnaire si les modifications apportées au contrat en bouleversent complètement l'économie. Ces règles trouvent un écho dans la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme qui admet que tout Etat « a un pouvoir souverain pour modifier, voire résilier, moyennant compensation, un contrat conclu avec des particuliers » (CEDH, 9 février 1994, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis contre Grèce, n°13427/87).

Lorsque le contrat ne correspond plus aux besoins du service public, l'administration peut aller jusqu'à en prononcer la résiliation unilatérale dans l'intérêt du service pour un motif d’intérêt général. Cette possibilité est régulièrement confirmée (CE, 2 février 1987, Société TV6, n°s 81131 et s. ; CE, 27 février 2015, Commune de Béziers, n°357028). L'exercice de ce pouvoir doit lui aussi donner lieu à indemnisation du préjudice subi (CE, 18 novembre 1988, Ville d’Amiens et Société d’exploitation du parc de stationnement de la gare routière d’Amiens, n°61871).

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