Le logement, au cœur de nouvelles tensions

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Les évolutions de nos villes et de nos territoires – mixité sociale, crise immobilière, habitat indigne… – mettent parfois le droit au logement à l’épreuve. Au plus près des réalités urbaines, le Conseil d’État vérifie que ce droit essentiel est garanti à chaque fois qu’il est amené à se prononcer.

Logements sociaux : les seuils peuvent être dépassés

Les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale peuvent faire valoir leur "droit de préemption urbain", en achetant un prioritairement un bien immobilier pour un motif d'intérêt général. En juillet 2022, Bordeaux Métropole exerce son droit de préemption pour acquérir un immeuble dans la ville de Cenon. Son objectif est d’y construire une quarantaine de logements, dont la moitié de logements sociaux.

Des seuils minimaux, pas des plafonds

Le vendeur du bien ainsi que la société d’investissement privée qui souhaitait en faire l’acquisition s’y opposent et saisissent le tribunal administratif de Bordeaux. Selon eux, le projet de la Métropole ne présente pas un niveau d’intérêt général suffisant : avec plus de 40 % de logements sociaux, la commune de Cenon a déjà atteint les objectifs fixés par
l’État en la matière. De plus, ce projet contreviendrait à l’objectif de mixité sociale du plan local d’urbanisme (PLU) de la Métropole, qui prévoit de réduire la part de logements sociaux dans les communes déjà fortement pourvues.

37,2 millions de logements en France, dont 5,3 millions de logements sociaux. 64% des communes soumises à la loi SRU n'ont pas atteint leurs objectifs 2020-2022.

Après le rejet de leur demande par le tribunal administratif de Bordeaux, le vendeur et l’acquéreur potentiel saisissent le Conseil d’État. Ce dernier confirme en juin 2023 que Bordeaux Métropole a exercé légalement son droit de préemption. Tout d’abord, le projet qu’elle entend mener est sérieux, comme l’exige le code de l’urbanisme : une étude de faisabilité pour la construction de quarante logements, réalisée en amont de l’achat, en atteste. Ensuite, contrairement à ce qu’avancent les requérants, le projet ne porte pas atteinte aux objectifs de mixité sociale du PLU. À cet égard, le Conseil d’État rappelle et précise ce que prévoit le code de la construction et de l’habitation: en matière de logements locatifs sociaux, les objectifs fixés ne sont pas des plafonds qu’il ne faudrait pas dépasser, mais bien des seuils minimaux à atteindre.

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« Dark stores » : des entrepôts au cœur des habitations

 

Les "dark stores" - ces locaux d'entreposage destinés à la livraison de courses et de repas commandés sur Internet ou par le biais d'applications mobiles - se multiplient, au point d'affecter d’affecter durablement les espaces urbains résidentiels. Cette dynamique fragilise les efforts réalisés par les municipalités pour lutter contre la pénurie de logements, favoriser l’équilibre entre habitat et emploi, et protéger la qualité de vie des habitants en limitant les nuisances sonores et visuelles.

Les « dark stores » sont des entrepôts et non des commerces.

En mars 2023, la Ville de Paris saisit le Conseil d’État, car elle estime que deux sociétés n’avaient pas le droit de transformer des commerces traditionnels en « dark stores », et réclame la restitution de ces locaux à leur activité d’origine. Le juge des référés donne raison à la municipalité. Le plan local d’urbanisme (PLU) parisien autorise bien la transformation de commerces situés en rez-de-chaussée sur rue en logements ou en bureaux, mais interdit de les transformer en entrepôts.

Or, selon ce même PLU et le code de l’urbanisme, un « dark store » est un entrepôt de stockage et non un commerce destiné à la vente directe. Les deux sociétés auraient dû déposer une déclaration préalable, à laquelle la Ville de Paris aurait alors pu s’opposer. Le Conseil d’État estime donc que ce changement n’ayant pas été autorisé, la mairie pouvait bien demander aux deux sociétés de restituer les locaux à leur activité d’origine.

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Des moyens d’action pour lutter contre l’habitat dégradé

 

2021, Marseille. Deux bâtiments insalubres évacués, deux ans après l’effondrement meurtrier de deux immeubles, rue d’Aubagne. La fondation
Abbé Pierre estime à 600 000 le nombre de logements potentiellement indignes en France en 2024.

Comment renforcer les moyens d'action de la puissance publique pour réagir plus efficacement aux situations d'habitat indigne ? En novembre 2023, le Conseil d’État étudie un projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement.

Concilier mesures d’urgence et droits des propriétaires

Le Gouvernement prévoit l’instauration d’une nouvelle procédure d’expropriation pour permettre une prise de possession anticipée, par l’État, d’immeubles insalubres ou dégradés. Pour garantir la sécurité des occupants et le droit des propriétaires, le Conseil d’État préconise dans son avis de mieux définir les conditions qui encadrent cette procédure, en exigeant des preuves de carence des propriétaires ainsi qu’un rapport technique démontrant la nécessité de réaliser des travaux. Enfin, lorsque l’état de l’immeuble justifie une interdiction temporaire d’habiter, les pouvoirs publics doivent prévoir le relogement des habitants.

Le texte propose également de redéfinir les critères permettant d’ordonner la démolition des bâtiments insalubres ou dangereux. En effet, en l’état actuel du droit, la démolition de l’immeuble ne peut être ordonnée que si les travaux de réparation coûtent plus cher que la reconstruction, prix de la démolition compris. Mais en milieu urbain, l’importance des coûts de démolition fait souvent obstacle à la destruction des immeubles insalubres.

Pour remédier à ce problème, le Gouvernement propose de revoir le calcul : les coûts de réparation ne doivent plus tenir compte uniquement des travaux de résorption de l’insalubrité, mais doivent aussi inclure les travaux permettant d’assurer la livraison d’un logement décent. Le Conseil d’État admet que la mesure est nécessaire, mais recommande de définir précisément les travaux de réparation qui peuvent être imposés au propriétaire. Adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat, la loi a été promulguée le 9 avril 2024.

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Pour aller plus loin : les normes, un frein à la construction de logements ?

En France, la construction de logements est insuffisante par rapport aux besoins de la population. Quel rôle jouent les normes dans ce contexte? Souvent perçues comme un obstacle empêchant la construction,rallongeant les délais ou alourdissant les coûts, certaines règles sont pourtant favorables aux constructeurs– par exemple celles qui autorisent la surélévation d’immeubles. L’absence de normes peut, à l’inverse, peser sur la disponibilité de logements: par exemple, sans règles pour encadrer l’expansion d’Airbnb, de nombreux logements sortent du marché locatif classique au profit du marché des meublés de tourisme. Tout l’enjeu est donc d’assurer l’adéquation de la norme avec des besoins nouveaux ou en évolution et de garantir davantage de cohérence. Pour penser l’impact et l’efficacité des normes en vigueur en matière de construction et d’habitation, le Conseil d’État a invité acteurs et spécialistes du logement lors d’un colloque le 8 novembre 2023.

COLLOQUE du 8 novembre 2023, « La norme, frein ou moteur pour logement ? », Les Entretiens en droit public économique