Des libertés fondamentales à protéger

Passer la navigation de l'article pour arriver après Passer la navigation de l'article pour arriver avant
Passer le partage de l'article pour arriver après
Skip article sharing

Liberté de conscience et d’expression, droit à la dignité et à un procès équitable, liberté de recourir à l’IVG… Depuis 1789, nos libertés fondamentales sont consacrées au fil des textes de droit et des décisions de justice. Juge des libertés, le Conseil d’État s’assure qu’elles sont pleinement respectées, en tenant compte de l’intérêt général.

Le droit à l’IVG consacré dans la Constitution

Le recours à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) est autorisé en France depuis la loi du 17 janvier 1975. Ce droit des femmes à disposer de leur corps n'est jamais définitivement acquis . Aux États-Unis, l'arrêt Roe v.Wade, qui faisait du droit à l'avortement un droit constitutionnel depuis 1973, a été renversé en 2022 : six États fédérés ont depuis restreint ce droit et quatorze autres l’ont totalement supprimé.

Inspiré par des propositions de parlementaires français, le Gouvernement élabore un projet de loi constitutionnelle qui inscrit la liberté de recourir à l’IVG dans la Constitution. Soumis à l’avis du Conseil d’État fin 2023, le projet de loi est adopté par les parlementaires réunis en Congrès le 4 mars 2024 avant d’être promulgué quatre jours plus tard.

Une liberté garantie

L’article unique du texte ajoute à l’article 34 de la Constitution la phrase suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. » Ce nouveau cadre vise à empêcher que le Parlement puisse un jour supprimer l’IVG par une simple loi ou en restreindre les conditions d’exercice jusqu’à vider cette liberté de sa substance. Il entend également laisser aux parlementaires la possibilité de faire évoluer les modalités d’exercice de cette liberté, selon les avancées médicales ou scientifiques.

La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ( Loi constitutionnelle du 8 mars 2024)

Tout en prenant la mesure des enjeux sociaux, éthiques et de santé publique, le Conseil d’État analyse les questions juridiques soulevées par le texte. Si rien ne s’oppose à cette inscription dans la Constitution, il invite toutefois le Gouvernement à préciser légèrement la rédaction du texte, en remplaçant « liberté de la femme, qui lui est garantie » par « liberté garantie à la femme ». Une formulation plus claire et directe pour assurer la garantie de cette liberté par la Constitution tout en affirmant la compétence du législateur.

Le droit français et européen respecté

Pour le Conseil d’État, cette inscription ne remet pas en cause les autres droits et libertés garantis par la Constitution. La liberté de conscience notamment reste protégée : les médecins et sages-femmes sont libres de ne pas pratiquer d’IVG s’ils informent et orientent leur patientèle vers un autre professionnel qui pourra les accompagner. Le Conseil d’État confirme que le texte est également conforme aux engagements internationaux de la France. Ni la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales ni le droit de l’Union européenne ne consacrent la liberté de recours à l’IVG en tant que telle, mais la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme laisse à chaque État le soin d’apprécier l’équilibre entre le droit à la vie privée de la mère et la protection de l’enfant à naître.

***

 

Conditions de détention indignes : l’État doit agir à la prison de Saint-Étienne

 

2024, La Talaudière. Une cour de promenade du centre pénitentiaire de Saint-Étienne-La Talaudière jonchée de déchets. En mai 2023, le Conseil d’État a ordonné à l’État de mettre en place sept mesures pour améliorer les conditions de détention dans un très bref délai.

Infiltrations d'eau, risques d’électrocution, sanitaires non-cloisonnés , douches sales, cours de promenade insalubres... : les conditions indignes de détention dans le centre pénitentiaire de Saint-Étienne-La Talaudière ont été dénoncées à plusieurs reprises. Par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté d’abord, en 2012 et 2019, et par une
députée de la Loire plus récemment, en 2022 et 2023. En mai 2023, la section française de l’Observatoire international des prisons et l’association Avocats pour la défense des droits des détenus saisissent le tribunal administratif de Lyon, puis le Conseil d’État en urgence. Elles demandent au juge des référés d’ordonner à l’administration pénitentiaire d’agir pour améliorer les conditions de détention dans cette prison.

Des mesures engagées mais insuffisantes

Quand l’audience débute au Conseil d’État, le juge constate que des actions ont été engagées. En effet, l’administration de la prison a fourni aux détenus des kits d’entretien pour leur cellule et lancé la réfection du parafoudre comme le lui avait ordonné le juge des référés du tribunal administratif de Lyon quelques semaines plus tôt. Elle a également pris des mesures pour réduire les risques d’inondation et d’électrocution et pour améliorer l’hygiène, la salubrité et le quotidien matériel des détenus. La prison a même engagé des travaux conséquents de réparation de la toiture et de rénovation progressive des cellules. Mais pour le juge, cela reste insuffisant pour garantir au plus vite la dignité des conditions de détention et ne pas exposer plus longtemps les détenus à un traitement inhumain ou dégradant. Le juge des référés ordonne au centre pénitentiaire de mettre en œuvre sept
mesures complémentaires. Ce dernier va devoir en particulier procéder dans les plus brefs délais au nettoyage des douches collectives et de la cour de promenade, au cloisonnement des toilettes et à la vérification des installations électriques.

***

Une réforme pour les droits des demandeurs d’asile

réforme du fonctionnement de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), la juridiction que les demandeurs d’asile peuvent saisir quand leur demande est rejetée par l’administration. L’un des objectifs de ce projet est d’accélérer le traitement des recours en généralisant les jugements rendus par un seul juge, plutôt que trois. Mais cette mesure garantit-elle le droit de chacun à un procès équitable ?

Une plus grande latitude pour les audiences à trois juges

Pour le Conseil d’État, cette réforme n’est contraire ni au droit européen ni à la Constitution : les textes européens n’exigent pas qu’un recours soit examiné par plusieurs juges et le Conseil constitutionnel a précisé que la loi pouvait prévoir des règles différentes selon les cas. Le Conseil d’État recommande toutefois de modifier le projet de loi pour ouvrir davantage les possibilités de renvoi en vue d’une formation collégiale : il propose d’accorder à la CNDA le choix de procéder à un examen par trois juges quand un recours « pose une question qui le justifie » plutôt que se limiter aux « cas de difficultés sérieuses » comme le prévoyait la version initiale. La modification est inscrite dans la loi promulguée le 26 janvier 2024.

***

Manifestations : les risques s’apprécient au cas par cas

 

2024, Lyon. Manifestation de soutien au peuple palestinien. En 2023, le Conseil d’État a jugé que le seul fait de soutenir la population palestinienne ne justifie pas l’interdiction d’une
manifestation.

Le 12 octobre 2023, cinq jours après l'attaque terroriste perpétrée par le Hamas en Israël, le ministre de l'Intérieur adresse un télégramme aux Préfets. Il indique que « les manifestations pro-palestiniennes, parce qu’elles sont susceptibles de générer des troubles à l’ordre public, doivent être interdites ». L’association Comité Action Palestine saisit le
Conseil d’État : elle estime que la liberté de manifestation et la liberté d’expression ne sont pas respectées. L’occasion pour le juge de rappeler la règle concernant l’interdiction des manifestations.

Le télégramme du ministre n’a pas valeur d’interdiction

Lors de l’audience de jugement, le ministère de l’Intérieur précise l’intention de ce télégramme : rappeler aux préfets qu’il leur appartient d’interdire les manifestations de soutien à la cause palestinienne qui justifieraient publiquement ou valoriseraient – de façon directe ou indirecte – des actes terroristes comme ceux commis le 7 octobre en Israël.

Le respect de la liberté de manifestation et de la liberté d’expression, qui ont le caractère de libertés fondamentales […], doit être concilié avec l’exigence constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. (Décision n° 488860)

Le Conseil d’État rappelle que seuls les préfets peuvent interdire une manifestation locale s’ils estiment qu’elle présente des risques de troubles à l’ordre public. Aucune interdiction n’aurait pu être fondée sur la base de ce seul télégramme.

Soutenir la population palestinienne n’est pas un motif d’interdiction

Le Conseil d’État reconnaît que, dans un contexte marqué par de fortes tensions internationales et par la recrudescence des actes antisémites en France, certaines manifestations sont de nature à entraîner des troubles à l’ordre public. C’est le cas des manifestations de soutien au Hamas, classé comme organisation terroriste par l’Union européenne – ou de celles qui valorisent ou justifient des attaques terroristes. Mais il rappelle également qu’une manifestation ne peut pas être interdite pour la seule raison qu’elle vise à soutenir la population palestinienne : les situations doivent être étudiées au cas par cas. Le rôle de la justice administrative sera de vérifier, en urgence, qu’une interdiction prise par un préfet est bien nécessaire, adaptée et proportionnée. Le Conseil d’État regrette « l’approximation rédactionnelle » du télégramme contesté, mais juge qu’il ne porte pas atteinte aux libertés de manifestation et d’expression.

***

Liberté de création et respect de la dignité humaine

En mars 2023, des associations demandent au Conseil d’État d’ordonner en urgence le retrait du tableau Fuck abstraction! de Miriam Cahn, exposé au Palais de Tokyo, à Paris. Elles estiment que l’œuvre représente un viol d’enfant et ne peut pas être vue par des mineurs. Le juge des référés du Conseil d’État observe que l’intention de l’œuvre est de dénoncer un crime, comme l’artiste a pu l’indiquer. Tout au long du parcours menant à l’œuvre, des cartels expliquent ce contexte aux visiteurs : le tableau représente une victime adulte et fait référence aux crimes perpétrés par l’armée russe à Butcha, en Ukraine, en 2022.

Le Palais de Tokyo a également pris des précautions pour dissuader les mineurs et les visiteurs avec enfants de venir voir l’œuvre : des agents de surveillance sont présents et un médiateur intervient en continu. À la lumière de ces éléments, le Conseil d’État estime que l’accrochage ne porte pas une atteinte grave et illégale à l’intérêt supérieur de l’enfant ou à la dignité de la personne humaine. Le tableau n’a pas à être décroché