« La justice administrative est une justice au service des citoyens »

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Affirmer le rôle crucial de la justice administrative pour apaiser la société et garantir les droits et libertés, c’est l’un des objectifs ambitieux que se fixe Didier-Roland Tabuteau pour l’avenir. Rencontre avec le nouveau vice- président du Conseil d’État.

Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État.

Vous êtes vice-président du Conseil d’État depuis 6 mois. Comment voyez-vous la justice administrative ?

Didier-Roland Tabuteau : La justice administrative est ancrée dans l’histoire de notre pays. Son épanouissement est allé de pair avec celui de notre État de droit, c’est-à-dire la soumission de l’administration au droit et le renforcement de la garantie des droits et libertés.

Aujourd’hui, ce que je vois avant tout dans la justice administrative, c’est une justice au service des citoyens. Une justice du quotidien, à qui l’on peut s’adresser facilement lorsqu’un litige nous oppose à l’administration. Fiscalité, urbanisme, environnement, libertés publiques, aides sociales : autant de domaines qui concernent les citoyens dans leur vie de tous les jours et pour lesquels le juge administratif est un interlocuteur privilégié, un tiers indépendant et impartial en mesure de protéger leurs droits.

Je vois aussi une justice administrative qui est la gardienne du service public. C’est le Conseil d’État qui a défini, au début du siècle dernier, le service public et les principes qui doivent le gouverner : accessibilité, égalité de traitement, neutralité, continuité… Et le juge administratif veille depuis lors à son bon fonctionnement : à celui des écoles, des hôpitaux, ou encore des services sociaux, culturels et économiques. Il y veille en disant le droit, en sanctionnant l’administration toutes les fois qu’elle s’en écarte, mais également en l’orientant, en l’accompagnant, en proposant des solutions aux difficultés qu’elle peut rencontrer.

Car le juge administratif n’est pas qu’un gendarme. Cette approche constructive est dans l’ADN du juge administratif, qui est un juge qui contrôle mais aussi qui apaise, un juge qui trouve des solutions.

 

Comment affronter les défis de demain et garantir ce service au quotidien ?

D.-R. T. : Climat et environnement, numérique, questions sociales : les défis qui s’annoncent sont immenses. Le juge administratif s’y prépare car il jouera face à eux un rôle clé, à l’interface entre les citoyens et les pouvoirs publics.

Dans un tel contexte, il est d’abord essentiel que la justice administrative continue à se placer dans une perspective de long terme. C’est le rôle d’une institution comme la nôtre : ne pas céder aux sirènes de l’actualité, ne pas ployer sous les vents contraires et les passions. Rester droit, regarder loin devant tout en restant ancré sur les fondements de notre État de droit. C’est ce qui doit guider la juridiction administrative dans le cadre de ses trois missions : lorsqu’elle juge, lorsqu’elle conseille le Gouvernement et le Parlement dans la fabrique de la loi, et lorsqu’elle réalise des études sur les grands sujets qui agitent notre société, comme récemment sur la bioéthique, les états d’urgence, l’intelligence artificielle ou les réseaux sociaux.

Mais cela ne signifie pas que le juge administratif soit un juge immobile. Tout au contraire : il doit être à l’écoute des citoyens et ouvert sur le monde qui l’entoure s’il veut remplir ses missions de manière efficace et pertinente. Je ne cesserai donc d’encourager cette ouverture qui doit lui permettre de rester en phase avec la société qu’il sert, mais aussi de constamment s’adapter, évoluer, se transformer.

L’histoire de la justice administrative est en effet celle d’une transformation permanente : il n’y a qu’à citer la création des cours administratives d’appel en 1987, l’octroi de pouvoirs d’injonction en 1995, l’institution des procédures d’urgence en 2000, et plus récemment le virage numérique que nous avons pris, avec par exemple l’ouverture des portails Télérecours et Télérecours citoyens qui permettent aux citoyens de saisir le juge de manière dématérialisée et de suivre l’instruction de leurs dossiers à distance.

Aussi, de nouveaux outils, de nouvelles manières de travailler et, parfois, d’appréhender les problèmes seront nécessaires pour affronter les défis de demain. C’est en restant fidèle à ses principes mais toujours en mouvement et prête à se réformer que la juridiction administrative y parviendra.

En 2021, la justice administrative a jugé près de 350 000 affaires touchant les citoyens.

Vous êtes particulièrement sensible à la question de l’ouverture de la juridiction administrative et de la diversité de ceux qui y travaillent. Quelles sont vos priorités et comment y parvenir ?

D.-R. T. : L’ouverture de notre institution passe par une multitude d’initiatives : par les colloques et conférences que nous organisons chaque année et qui réunissent des universitaires, des juristes, des responsables associatifs, des représentants du monde économique, de l’administration qui débattent de sujets d’actualité. Cela passe aussi par des événements comme les Journées du patrimoine ou la Nuit du droit, qui nous permettent de nous rapprocher du grand public et des jeunes en particulier afin d’échanger sur le droit, les institutions de notre pays, et le rôle de la justice administrative. Je souhaite aussi que se poursuivent les rencontres très fructueuses avec les membres des commissions parlementaires que mon prédécesseur a initiées.

Mais il ne faut pas nous arrêter là. Nous devons sans cesse penser à de nouveaux moyens de nous ouvrir vers l’extérieur. Je souhaite en particulier que la juridiction administrative renforce encore ses liens avec ses partenaires « naturels » que sont les avocats ainsi que les universités qui forment les futurs juristes, sur tout le territoire. En multipliant les enceintes de dialogue, en accueillant davantage d’universitaires au sein de la juridiction, en collaborant autour de projets communs. Je souhaite également approfondir encore notre dialogue avec les organisations syndicales et les grandes associations, qui sont depuis longtemps nos interlocuteurs et de qui nous avons beaucoup à apprendre.

S’agissant de la diversité, il est indispensable que la juridiction administrative soit représentative de la société afin qu’elle remplisse toujours mieux ses missions. Notre institution réunit d’ores et déjà une très grande diversité de profils : s’y côtoient en effet des femmes et des hommes de toutes les générations, avec des expériences, des tempéraments et des points de vue variés... La réforme de la haute fonction publique adoptée en 2021 présente de ce point de vue de nouvelles opportunités que nous comptons saisir.

 

Dans une société où la parole scientifique et les institutions démocratiques sont mises à mal, comment regagner la confiance des citoyens ?

D.-R. T. : Le juge administratif, qui est en position d’intermédiaire entre les citoyens et l’administration, doit contribuer à nourrir la confiance dans notre société démocratique. En s’efforçant notamment de rendre des décisions compréhensibles, lisibles, constructives et réalistes. Ce n’est qu’ainsi qu’il peut rendre une justice qui apaise.

Cet objectif explique par exemple que nous ayons réformé la manière de rédiger nos décisions, dorénavant plus didactiques, plus pédagogiques. Des décisions que nous accompagnons aussi par un effort de communication, pour les faire comprendre de tous. Il guide par ailleurs les initiatives visant à rendre la justice et le droit plus accessibles aux citoyens. C’est le sens de la mise à disposition sur notre site internet de nos avis juridiques via la plateforme ConsiliaWeb et, depuis 2021, de toutes nos décisions de justice en open data.

Dire le droit de manière claire, expliquer les tenants et les aboutissants de nos décisions, faire en sorte qu’elles règlent effectivement les litiges qui opposent les justiciables et les administrations : c’est aussi la responsabilité du juge administratif.

La justice administrative, c’est 4 021 personnes au service des citoyens, partout en France.

En quoi la juridiction administrative et le Conseil d’État ont-ils une place centrale dans la société aujourd’hui ?

D.-R. T. : Dans le contexte actuel, marqué par les crises et les doutes, la présence d’un juge indépendant et impartial à même de garantir efficacement l’État de droit est indispensable. Nous l’avons vu pendant les états d’urgence antiterroriste et sanitaire : il existe un très grand besoin de justice chez les citoyens. Il existe plus généralement un profond besoin de repères. Le juge administratif est ce tiers de confiance, qui incarne la continuité de nos principes et nous aide à nous orienter collectivement. Cela explique l’importance de la place qu’il occupe aujourd’hui dans notre société.

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