Responsabilité et socialisation du risque - Rapport public 2005

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Considérations générales

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Notre société refuse la fatalité et se caractérise par une exigence croissante de sécurité. La tendance générale est à l'extension de la couverture des risques et au recours à des mécanismes mêlant, à des degrés divers, assurance, responsabilité et solidarité. L'évolution ainsi constatée vers une plus grande " socialisation du risque " qui fait appel à une solidarité élargie, y compris nationale, participe de l'idée qu'il y a des risques dont il serait injuste de ne pas partager la charge. Elle permet l'indemnisation de risques mal identifiés a priori ou dont l'échelle potentielle rend difficile la couverture par le seul jeu des mécanismes classiques d'assurance. Elle répond à l'évolution des risques eux-mêmes et de leur perception. Elle est l'œuvre commune du législateur, le cas échéant inspiré ou relayé par les partenaires sociaux, du juge et des assurances et mutuelles.

La socialisation du risque n'implique pas la disparition de la notion de faute, non plus que celle de responsabilité. Elle répond, le plus souvent, à un besoin d'indemnisation rapide de la victime, sans exclure la recherche ultérieure de responsabilités. Elle comporte en outre des limites : l'Etat, en particulier, ne peut se transformer en assureur multirisque. Enfin, elle doit aller de pair avec le souci général de prévenir les risques en amont, comme le montrent les débats actuels sur le principe de précaution.

La présente réflexion ne porte pas sur la forme particulière de socialisation du risque que constituent les risques maladie et vieillesse, risques inéluctables de l'existence pour lequel il serait vain de se poser la question de la responsabilité. Elle ne porte pas non plus sur l'assurance chômage.

1- L'évolution s'est faite, dans le temps, du secours à la solidarité. Si des initiatives ou procédures destinées à soulager les individus des conséquences de certains malheurs par une prise en charge collective existent depuis fort longtemps, c'est avec la Révolution et la naissance du calcul actuariel ainsi que, liée à ce dernier, la mutualisation, que se développe l'assurance moderne. Il y a alors rupture avec la charité. Mais la faute reste le fondement général de la responsabilité et ce n'est que plus tard que sera admise, face à l'industrialisation et à la montée des accidents du travail, la responsabilité pour risque. La jurisprudence de la fin du XIXème siècle, puis la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail marquent à cet égard une avancée substantielle. Le principe de la responsabilité automatique des employeurs est adopté, même dans les cas d'accidents fortuits ou de faute de la victime.

Le risque lui-même évolue dans le temps, sa perception se modifie, la demande d'extension de sa couverture se fait plus forte et, par voie de conséquence, le champ d'application de la responsabilité s'élargit.

Les risques les plus courants sont en réalité des risques classiques mais dont la perception, et aussi l'échelle, a changé. C'est l'organisation même de la vie sociale qui rend possible l'apparition de certains risques ou en démultiplie les effets dommageables, par l'urbanisation massive, les effets d'encombrement et de réseau. Le progrès technique est lui-même facteur de risque, par l'utilisation de nouveaux procédés, matériaux ou molécules. Le caractère purement naturel des risques s'estompe, ainsi des modifications climatiques liées à l'activité humaine. Le changement d'échelle se traduit notamment par la manifestation de risque sériels ou de masse pour lesquels la réassurance est particulièrement difficile (inondations, attentats du 11 septembre 2001, ...). La mondialisation des phénomènes, la vitesse de diffusion amplifie ce changement d'échelle (SRAS, conséquences en chaîne des attentats du 11 septembre 2001 sur le trafic aérien et le fonctionnement des structures étatiques...). Des risques qu'on peut décrire comme nouveaux apparaissent (OGM). Les risques sont sensiblement plus diffus, dans leurs causes comme dans leurs effets, compte tenu de la multiplicité des chaînes de production et de décision. Certains risques ne peuvent être appréhendés par les outils classiques de l'assurance, ainsi du risque terroriste. Enfin, aux risques avérés s'ajoutent les risques virtuels, aux effets différés, comme dans le cas du " risque-développement "

La notion de risque acceptable a changé alors même qu'au quotidien la sécurité est souvent plus grande qu'auparavant. Le sentiment selon lequel tout dommage peut et doit être imputé à une personne privée ou publique et doit, que ce soit le cas ou non, ouvrir droit à une indemnisation, se généralise. La perception du risque est accentuée par la médiatisation des grandes catastrophes (Seveso, Tchernobyl, AZF...) et par la crainte, face à l'accélération des progrès scientifiques et techniques, des menaces pour la santé et l'environnement, en particulier, qu'engendre l'activité humaine. Mais les catastrophes naturelles et les agents infectieux ont causé et continuent de causer infiniment plus de victimes et de dommages que l'ensemble des catastrophes technologiques. Le nombre de victimes des récents séismes en Asie du Sud et du Sud-Est en témoigne. Il reste que la crainte des catastrophes technologiques est particulièrement forte aujourd'hui.

Le risque est en outre perçu comme plus acceptable lorsqu'il est délibérément encouru, ainsi du tabac pour le fumeur. Il l'est beaucoup moins lorsqu'il est subi, ainsi du tabagisme passif.

La notion de préjudice a elle-même évolué. L'indemnisation est recherchée, de plus en plus, dans des hypothèses dans lesquelles aucune responsabilité ne peut être retenue (catastrophes naturelles, terrorisme...). L'idée de secours a évolué vers celle d'indemnisation, et, au-delà, de réparation intégrale. L'acception des préjudices indemnisables est de plus en plus large : préjudice matériel, corporel, esthétique, douleur physique et morale, perte de chance. Dans le domaine médical, en particulier, l'aléa est de plus en plus mal accepté. Enfin, les catégories de personnes pouvant prétendre à indemnisation se sont élargies, ainsi pour les conséquences des dommages à l'égard des proches.

2- Face à ces différentes évolutions, les régimes de responsabilité eux-mêmes évoluent.

Dès lors qu'est avant tout recherchée l'indemnisation de la victime, la place de la responsabilité sans faute tend à s'accroître, qu'il s'agisse de la responsabilité publique ou de la responsabilité privée. Des trois conditions pour qu'il y ait engagement de responsabilité, dommage, faute, lien de causalité entre les deux, les deux dernières passent à l'arrière plan.

La notion de solidarité nationale s'est développée dans le droit public de la responsabilité : il revient à l'Etat de réparer des dommages qu'aucune personne publique n'a causés mais qui se rattachent à l'exercice de ses compétences. Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 consacre cette solidarité : " La nation proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales. ". Des systèmes mixtes alliant solidarité et assurance ont été mis en place, ainsi de la loi du 13 juillet 1982 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles.

La notion de faute a par ailleurs évolué, avec le recours à la présomption de faute, une acception parfois très large de la faute, les cas de présomption irréfragable de responsabilité. Mais la socialisation des risques ne fait pas disparaître la responsabilité pour faute. La faute reste le droit commun de la responsabilité. Exemple récent, le Conseil d'Etat a retenu la responsabilité pour faute de l'Etat pour carence dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante (1).

Dans cette évolution, législateur et juge ont un rôle complémentaire. Au cours du XXème siècle, les régimes législatifs spéciaux d'indemnisation sont multipliés : législation sur les dommages de guerre, sur les vaccinations, sur les calamités agricoles, domaine médical...La jurisprudence a joué un grand rôle dans la consécration de droits à réparation, précédant parfois l'action législative, qui, à son tour, en a repris ou freiné les évolutions (accidents du travail, responsabilité médicale...). Le juge administratif a la charge de rétablir un équilibre, l'égalité devant les charges publiques, lorsque cet équilibre est rompu, mais l'action jurisprudentielle connaît des limites : il appartient au seul législateur de faire appel à la solidarité nationale pour l'indemnisation des victimes.

3- La puissance publique a souvent un rôle moteur dans l'évolution vers une socialisation accrue du risque, en tant qu'acteur mais aussi comme régulateur face à des risques dont elle ne saurait se désintéresser même s'ils découlent d'activités dans lesquelles elle n'intervient pas.

La faute reste au cœur du régime de responsabilité de la puissance publique à l'égard des administrés, en cas d'action fautive de l'administration ou de carence fautive de sa part. Le jeu de la gradation des fautes et la conception plus ou moins large de la notion de faute participent à la prise en charge collective des risques. On assiste au déclin de l'exigence de la faute lourde dans nombre de secteurs : actes médicaux, responsabilité de l'administration pénitentiaire, certaines activités de contrôle, telle la responsabilité de l'Etat du fait du contrôle sur les centres de transfusion sanguine... A cela s'ajoute l'extension de la responsabilité sans faute, qui permet de rétablir l'égalité devant les charges publiques. La responsabilité des personnes publiques peut, dans certains cas, être engagée en l'absence de faute ou d'illégalité. D'origine jurisprudentielle (arrêt Cames du 21 juin 1895), la responsabilité sans faute de l'Etat a été étendue par le juge à de multiples hypothèses, dans le cas notamment de dommages causés par des choses ou activités dangereuses ou de préjudices subis par les collaborateurs du service public.

Le Conseil d'Etat admet également la responsabilité du fait des lois, il est vrai à certaines conditions entendues de façon très stricte, s'agissant en particulier de la gravité et de la spécialité du dommage. Les principes dégagés pour la responsabilité du fait des lois ont été en outre étendus par le juge aux règlements légalement édictés, aux mesures prises en application d'une loi et aux conventions internationales. Enfin, certains régimes législatifs prévoient la responsabilité ou la réparation de plein droit à la charge de l'Etat à raison de ses activités, ainsi par exemple pour la réparation du préjudice subi par une personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure qui s'achève pour elle par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.

Les autorités publiques se trouvent en outre de plus en plus fréquemment impliquées dans la gestion de risques étrangers à leur propre activité. Les raisons et les modalités de cette implication croissante sont diverses.

Il existe des hypothèses dans lesquelles aucune responsabilité ne peut être retenue, ainsi de certaines calamités naturelles comme les séismes ou la sécheresse, et d'autres pour lesquelles les auteurs du dommage ne sont pas identifiables ou sont insolvables (terrorisme). Ces phénomènes, au surplus, ne sont généralement pas assurables, ou difficilement. Or la puissance publique ne peut se désintéresser des conséquences parfois très lourdes de ces risques pour les particuliers et les entreprises. Il faut, pour certains risques, imposer une mutualisation élargie (catastrophes naturelles telles que les inondations), proche de la solidarité. L'attente à l'égard de l'Etat est forte. Il reste qu'il n'est pas toujours facile, pour les pouvoirs publics, d'organiser une socialisation du risque pour des activités relevant du secteur privé, sauf à mettre en place un système de solidarité nationale reposant essentiellement sur des fonds publics, ce qui n'est pas forcément souhaitable.

Les modalités d'intervention des pouvoirs publics vont de l'instauration de régimes spéciaux de responsabilité à la garantie de l'Etat apportée à la Caisse centrale de réassurance, en passant par des assurances obligatoires -au nombre de plus d'une centaine actuellement-, par la mise en place de procédures permettant d'éviter les refus d'assurer, ou encore par l'encadrement de la limitation dans le temps de la garantie des contrats.

Le développement d'un système mixte mêlant solidarité et assurance s'est en particulier traduit par le recours à des fonds d'indemnisation, de nature diverse. L'articulation entre la responsabilité et droit à indemnisation trouve en effet ses limites. Elle repose sur deux piliers : la faute et la solvabilité du fautif. Que l'un ou l'autre de ces éléments vienne à manquer, et le système ne fonctionne plus. Les fonds apparaissent alors comme un relais pour assurer l'indemnisation. Ils permettent de séparer la question de la responsabilité de celle de la réparation, et d'accorder prioritairement une indemnisation aux victimes, tout en n'excluant pas, dans la plupart des cas, des actions récursoires en responsabilité.Certains fonds répondent aux risques naturels ou sociaux, pour des dommages ne se rattachant à aucune responsabilité (calamités agricoles, aléas thérapeutiques) ou lorsque le responsable n'est pas identifié, pas assuré ou insolvable (terrorisme, victimes d'infractions pénales...). D'autres fonds répondent à l'apparition de nouveaux risques sériels ou de masse, ainsi de l'indemnisation des préjudices résultant de la contamination par le VIH causée par une transfusion ou de l'indemnisation des victimes de l'amiante. L'intérêt des fonds est souvent de permettre des financements croisés combinant mutualisation élargie et solidarité nationale, voire de reconstituer une forme d'assurance par un financement des assurés ou des responsables.

Quelques exemples de secteurs particuliers montrent la complémentarité entre assurance et solidarité.

Pour l'indemnisation des catastrophes naturelles, un régime hybride a été retenu, issu de la loi du 13 juillet 1982, dans lequel assurance et solidarité élargie, loin de s'opposer, se conjuguent. La garantie est prévue par tous les contrats de dommages aux biens. L'Etat intervient à plusieurs titres : il constate l'état de catastrophe naturelle par arrêté, il rend obligatoire la garantie dans les contrats de dommages aux biens, il fixe le taux de cotisation, et surtout, il donne sa garantie à un réassureur, la Caisse centrale de réassurance. Si, dans le domaine des catastrophes naturelles, les coûts engendrés peuvent se révéler considérables et varier de façon importante d'une année à l'autre, ce système a eu jusqu'ici le mérite de permettre de faire face à d'importants sinistres tels de graves inondations ou les dommages causés par la sécheresse.

La couverture du risque terroriste, " risque extrême à part "(2), a justifié la place croissante de la garantie de l'Etat. La loi du 9 septembre 1986 a créé un fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme pour les dommages corporels, financé par un prélèvement sur les contrats d'assurance de biens. Pour les dommages matériels, la loi a mis l'indemnisation à la charge des assureurs. A la suite des attentats du 11 septembre 2001 et des coûts considérables engendrés par de tels événements, les assureurs ont dénoncé l'insuffisante mutualisation du risque terroriste s'agissant des dommages matériels. Assureurs et réassureurs ont annoncé leur intention de ne plus couvrir certain de ces risques. Des mesures ont été rapidement prises dans le sens d'une plus grande combinaison entre responsabilité et solidarité. Un groupement d'intérêt économique a été constitué réunissant les assureurs et réassureurs, qui joue pour les dommages matériels au-delà d'un certain niveau. Les risques sont partagés entre les assureurs et la réassurance, l'Etat offrant sa garantie illimitée au-delà d'un certain seuil.

A la suite de la catastrophe de l'usine Grande Paroisse (AZF) à Toulouse, le législateur est également intervenu dans le secteur des risques technologiques pour organiser un régime mêlant responsabilité et solidarité : la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques naturels et à la réparation des dommages comporte, pour les risques technologiques, outre des mesures en matière de prévention, des dispositions visant à une indemnisation rapide et complète des sinistrés en cas d'accident .

4- Certains risques sociaux, liés à l'activité des personnes tant privées que publiques, ont en outre entraîné la mise en place de mécanismes communs ou d'une approche convergente de leur traitement. Au demeurant, l'idée qu'il puisse y avoir dans les régimes de réparation des divergences substantielles pour des risques comparables est de plus en plus ressentie comme inacceptable.

Dans le domaine des accidents du travail, le compromis social retenu par la loi du 9 avril 1898 crée pour l'employeur une responsabilité sans faute et assure à la victime une réparation forfaitaire, celle-ci ne pouvant intenter d'action contre l'employeur, sauf faute inexcusable ou intentionnelle de dernier. Ce système est toujours en vigueur. Mais il a avec le temps donné lieu à contestation, l'indemnisation forfaitaire pouvant aujourd'hui s'avérer moins favorable que le droit commun de la responsabilité civile, d'où une tendance à l'harmonisation de l'indemnisation des accidents du travail et du droit commun de la responsabilité. La Cour de cassation a considérablement étendu le champ de la " faute inexcusable " de l'employeur et modifié le calcul de la rente. Dans le secteur public, le Conseil d'Etat avait également posé la règle du forfait de pension : en cas d'accident du travail, l'agent perçoit une indemnisation forfaitaire sans avoir à prouver une faute de l'employeur ; en contrepartie, il ne pouvait prétendre à aucune autre réparation. Récemment, le Conseil d'Etat a admis le principe d'une indemnisation complémentaire (3).

Dans le secteur de la sécurité sanitaire, face à la montée de risques sources de problèmes de responsabilité et d'indemnisation souvent délicats, le législateur est intervenu pour poser des solutions juridiques et financières applicables au secteur privé comme au secteur public. Cette intervention avait été précédée d'une importante évolution jurisprudentielle dans le sens d'une meilleure prise en compte de l'indemnisation des victimes, puisque marquée par le déclin de la faute lourde (4) et une extension de la responsabilité sans faute (5) dans des hypothèses cependant assez strictement définies. La loi du 4 mars 2002 a réaffirmé le principe selon lequel la responsabilité en matière sanitaire est avant tout fondée sur la faute, tout en prévoyant de faire jouer la solidarité nationale dans certains cas, en particulier pour l'aléa thérapeutique et les produits de santé défectueux.

Pour les dommages particulièrement lourds causés par des risques sériels ou de masse, des règles d'indemnisation particulières ont été mises en place, faisant appel, de façon conjuguée ou non, à des régimes de responsabilité comme à des mesures de solidarité nationale qui participent à la socialisation des risques.

L'Etat a ainsi pris en charge l'indemnisation du préjudice subi par les personnes atteintes de la maladie de Creutzfeldt-Jacob par injection d'hormone de croissance extractive. La législation sur la responsabilité du fait des produits défectueux prévoit la responsabilité de plein droit des producteurs pour les dommages causés par les médicaments, les greffes ou les produits issus du corps humain. L'affaire du sang contaminé a conduit à dégager des solutions procédant de la combinaison de règles législatives et jurisprudentielles. L'indemnisation est assurée par un fonds ce qui n'exclut pas cependant la recherche de la responsabilité de l'Etat : le juge a considéré que la carence fautive de l'administration était de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des contaminations provoquées par des transfusions sanguines pratiquées entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 (6). S'agissant de l'hépatite C, la loi et la jurisprudence ont précisé la portée de la présomption de causalité entre la transfusion et la contamination.

La question de l'indemnisation des graves conséquences de l'inhalation des poussières d'amiante met en cause tant l'action des pouvoirs publics que la responsabilité des employeurs, publics ou privés. La Cour de cassation, pour retenir la responsabilité de l'employeur, s'est fondée sur " l'obligation de sécurité de résultat " . Le Conseil d'Etat a pour sa part reconnu la responsabilité de l'Etat pour carence fautive à prendre des mesures de prévention. Un mécanisme d'indemnisation fondé sur la solidarité a par ailleurs été mis en place : la loi a institué un fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, alimenté par une contribution de l'Etat et une contribution de la branche accidents du travail-maladies professionnelles du régime général de la sécurité sociale.

5- La mise en cause de la responsabilité de l'Etat peut en outre être liée à son rôle de prévention des risques.

La responsabilité de l'Etat peut être mise en cause à raison des carences ou des insuffisances de son action en matière de prévention des risques. Le juge administratif a, comme on l'a vu, retenu la carence fautive de l'Etat pour n'avoir pas pris en temps utile les mesures propres à limiter les risques de contamination du VIH par transfusion sanguine. Les préjudices causés par les poussières d'amiante mettent en cause la responsabilité de l'Etat à un double titre : en tant qu'employeur et en tant qu'Etat-contrôleur.

A la logique de la solidarité nationale organisée par l'Etat vient ainsi se superposer une logique de responsabilité des autorités publiques dans la prévention des risques majeurs.

Au-delà de la prévention, le principe de précaution pose le problème des risques incertains et, par voie de conséquence, celui des solutions techniques et éthiques à définir vis à vis d'activités dont on ne mesure pas les conséquences immédiates ou futures. Si les risques non avérés sont le plus souvent susceptibles d'être causés par des acteurs privés, le principe de précaution tend à être interprété comme ne pesant que sur la puissance publique, ce qui va dans le sens de l'élargissement de la responsabilité de cette dernière. Il est la traduction d'une recherche d'une plus grande responsabilité des décideurs.

Ce principe, dont il est prévu qu'il reçoive une consécration constitutionnelle, a suscité des débats. Ceux-ci tiennent moins au principe lui-même qu'aux décalages importants apparus entre ses énoncés raisonnables et les conceptions extrêmes qui ont pu prévaloir dans les esprits de ses partisans ou de ses détracteurs. Selon la conception maximaliste, le principe serait celui d'une règle d'abstention tant que la preuve de l'absence de risque n'est pas rapportée. Indéfendable en théorie comme en pratique, elle conduit à renoncer aux avantages potentiels des avancées technologiques, condamnées a priori. Selon la conception minimaliste, qui revient à dénier toute portée nouvelle au principe, seul le risque probable, qui serait de nature à entraîner de graves préjudices, en déclencherait l'application.

Seule une conception médiane peut aboutir à une approche raisonnable et consensuelle du principe de précaution. Conçu comme un principe d'action plus que d'inaction ou d'abstention, il doit se traduire par une exigence de prise en compte précoce des risques potentiels. Cette exigence devrait se fonder elle-même sur la proportionnalité, dans l'analyse en fonction des risques, des avantages auxquels on devrait renoncer et du niveau de protection à rechercher, comme dans la gradation des mesures à prendre : actions d'alerte, de veille, d'expertise, d'information, mesures provisoires et conservatoires... On peut voir dans la définition retenue par le projet de Charte de l'environnement un principe d'action orienté vers l'évaluation et l'amélioration de la connaissance du risque, dont l'un des principaux apports est de guider les comportements de l'administration en renforçant l'expertise, la transparence, l'anticipation. Le caractère provisoire des mesures qui peuvent être prises implique un mouvement d'aller-retour entre des mesures permissives et des mesures conservatoires, lesquelles ne visent qu'à se donner le temps nécessaire à l'acquisition des connaissances et doivent être conçues comme réversibles. Les mesures prises doivent être proportionnées au risque éventuel qu'il s'agit de réduire et à la gravité du dommage redouté.

Inquiétudes et incertitudes subsistent cependant, quand à la portée des obligations découlant du principe de précaution et à son champ d'application. Il reviendra au juge, lorsqu'il sera saisi, d'interpréter la définition d'obligations positives donnée par l'article 5 de la Charte de l'environnement.

6- L'évolution dans le sens d'une plus grande sensibilité à l'égard des risques sociaux et la socialisation des risques qui en découle n'est pas un phénomène proprement français. Les solutions apportées, en particulier pour les risques exceptionnels, sont cependant diverses et, de façon générale, la responsabilité pour faute reste le droit commun.

Les Etats sont traditionnellement très réticents à l'égard d'une " socialisation du risque " au niveau international. En droit international, la responsabilité pour fait illicite reste la règle et la responsabilité pour fait licite, exceptionnelle et cantonnée à certaines activités : activités spatiales, activités nucléaires civiles. Quelques régimes conventionnels de responsabilité de plein droit des exploitants ou entreprises existent en outre, ainsi pour le transport d'hydrocarbures, avec le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL) ou pour les activités de transport aérien. Si le principe de précaution est devenu, avec la déclaration finale du Sommet de la Terre de Rio de 1992, l'un des principes directeurs des politiques de développement durable, tant la Cour internationale de Justice que l'organe d'appel de l'Organisation mondiale du commerce ont fait preuve de prudence à l'égard de ce principe.

En droit communautaire, un certain nombre d'avancées peuvent être relevées. C'est surtout de façon sectorielle, pour des activités à risque, que sont intervenus des textes instituant des obligations de nature à engager la responsabilité des acteurs ou des principes de responsabilité. Ainsi en est-il dans le domaine des dommages causés à l'environnement, dans celui de la protection de la santé, de la sécurité et de l'hygiène sur les lieux de travail. Dans celui de la protection des consommateurs, avec les directives sur la responsabilité des produits défectueux, le principe de la responsabilité sans faute se trouve clairement énoncé. En outre, le principe de précaution est consacré en droit communautaire et s'étend, au-delà du secteur de l'environnement, à la protection des consommateurs et à la santé. La Cour de justice des Communautés européennes, dans sa recherche d'un équilibre, difficile à trouver, entre la précaution et l'absence d'entrave aux échanges, veille au respect du principe de proportionnalité entre l'objectif poursuivi et les mesures prises, s'efforçant ainsi de faire prévaloir une conception mesurée du principe de précaution.

La comparaison entre les régimes de responsabilité consacrés en France et ceux appliqués chez nos partenaires n'est pas aisée, car ils sont le fruit des histoires et de conceptions juridiques différentes. Quelques grandes lignes peuvent cependant être dégagées : la place qui reste prépondérante de la notion de faute, l'existence de régimes divers de responsabilité de la puissance publique, le développement, à des degrés divers, de la responsabilité sans faute et de régimes spécifiques pour répondre à des risques particuliers (indemnisation des victimes d'infraction, terrorisme, catastrophes naturelles, accidents thérapeutiques...), la place généralement réservée aux régimes d'assurance classiques. S'agissant du principe de précaution, les pratiques nationales sont diverses. Enfin, d'importantes différences de procédure dans les actions contentieuses en responsabilité existent entre les pays de common law et des pays tels que le nôtre.

7 - Le rapport analyse les justifications et les limites de la socialisation du risque. Pour certains risques, le recours à une solidarité allant au-delà du cercle des co-assurés et pouvant aller jusqu'à la solidarité nationale paraît indispensable. Mais il n'est pas concevable de généraliser cette approche dont les limites sont évidentes.

Les justifications de la socialisation du risque sont diverses et fondées : organiser la solidarité en faveur des plus démunis, notamment lorsque le responsable est introuvable ou insolvable ; rétablir l'équilibre devant les charges publiques lorsqu'il est rompu et, si besoin est, réparer les dommages causés par les activités de la puissance publique quand bien même ne révèleraient-elles aucune faute ; pallier les limites des mécanismes classiques d'assurance ; faciliter l'indemnisation de dommages pour lesquels aucun responsable n'existe ; contraindre les acteurs à prendre en compte le coût social de leurs activités.

Les limites d'une socialisation accrue du risque sont tout d'abord des limites matérielles. Le coût supporté par la collectivité n'est pas extensible à l'infini. Il n'est admissible d'étendre la couverture d'un risque à des personnes qui ne sont pas ou sont peu exposées à ce risque que si cette contribution reste à un niveau raisonnable. De même, l'obligation d'assurance imposée à certaines professions n'est acceptée que si le coût en est jugé supportable.

L'Etat ne peut jouer le rôle d'assureur multirisque de la population. Il n'a pas, en principe, à se substituer aux assureurs. En outre, l'intervention des pouvoirs publics pour imposer des régimes particuliers aux acteurs privés dans le but d'assurer une plus grande socialisation du risque a ses limites. La crise qui s'est manifestée dans le domaine de l'assurance médicale en est un exemple.

Autre limite de la socialisation du risque, la substitution de la notion de risque à celle de faute accroît le danger d'une déresponsabilisation. S'agissant notamment de la responsabilité de la puissance publique, l'un des objectifs essentiels de la responsabilité pour faute qui est la sanction de l'erreur administrative risque de disparaître si le champ de la responsabilité sans faute s'élargit démesurément.

Il reste que le poids financier du risque peut se révéler considérable en cas de risques d'une gravité ou d'une portée exceptionnelles, ce qui peut justifier, souvent dans l'urgence, le recours à des mécanismes d'indemnisation eux-mêmes exceptionnels. Les sinistres causés par les attentats du 11 septembre 2001 et assurés atteindraient 32,5 milliards de dollars. Le coût de la prise en charge des victimes de l'amiante était estimé en 2003 entre 26,8 et 37,2 milliards d'euros pour les vingt prochaines années. Les ouragans qui ont sévi sur les côtes du Sud-Est des Etats-Unis en août et septembre 2004 ont entraîné des dommages d'un montant de 20,5 milliards de dollars pour les sinistres assurés.

8 - Le rapport plaide pour une socialisation raisonnée du risque, la difficulté étant de trouver un juste équilibre entre ce qui relève de la prévoyance individuelle et du marché classique de l'assurance ou d'une solidarité plus ou moins large se traduisant par une socialisation du risque. Les mécanismes d'assurance classiques conservent leur rôle primordial mais, à l'inverse, les assureurs ne peuvent se substituer à certains mécanismes de solidarité élargie.

Il est en effet des hypothèses dans lesquelles seule une telle solidarité peut jouer. Mais des mécanismes particuliers d'indemnisation ne devraient être institués que lorsque certaines conditions sont réunies, qui doivent être fonction de la gravité des dommages et de leur ampleur, de leur caractère exceptionnel ou imprévisible, du niveau d'implication de l'Etat dans leur survenance, ainsi que du coût de la mesure de solidarité et de ses avantages comparatifs avec d'autres mesures.

La théorie classique de la responsabilité implique que soient réunis trois éléments, un dommage, une faute et un lien de causalité. Cette théorie, mais aussi celle de la responsabilité sans faute, trouvent difficilement à s'appliquer à des dommages collectifs correspondant à des risques indétectables dont on ignorait tout et dont le nombre de victimes potentielles est inconnu, ainsi de l'exemple du distilbène qui a entraîné, chez les filles des mères à qui on l'avait prescrit afin de prévenir les risques de fausses couches, un taux anormal de cancer de l'utérus.

Il convient en outre de distinguer les choix individuels qui ne font courir des risques qu'à leurs auteurs (pratique d'un sport extrême) et le risque individuellement encouru pour éviter un risque collectif (vaccination). Dans le premier cas, il est logique que l'auteur assume le risque et s'assure lui-même. Dans le second, il est normal que la solidarité nationale prenne en charge les préjudices encourus par une personne à qui une prise de risque aura été imposée dans l'intérêt général.

Il n'est cependant pas toujours aisé de distinguer entre ce qui relève de la responsabilité et ce qui justifie la solidarité. Les questions soulevées par l'indemnisation d'un enfant né handicapé après que son handicap n'a pas été décelé en raison d'une faute commise lors du diagnostic prénatal sont un exemple de ces difficultés.

La question se pose des liens entre indemnisation et imputation, et notamment de la place respective que doivent prendre la responsabilité civile (on s'assure pour le dommage que l'on risque de causer) et l'assurance personnelle (on s'assure pour les dommages qui peuvent nous être causés). Un juste équilibre devrait être respecté et la responsabilité civile conserver une place suffisante, afin d'éviter une déresponsabilisation excessive, d'encourager à la prévention et de ne pas inciter à des actions pénales destinées à trouver néanmoins un responsable.

9- L'extension de la socialisation du risque rend d'autant plus nécessaire une réflexion sur l'harmonisation de certaines règles.

La superposition des actions en responsabilité qui se traduit par la multiplicité des procédures pour l'indemnisation d'un même préjudice ne va pas forcément dans le sens de l'intérêt des victimes pour lesquelles la rapidité de l'indemnisation est essentielle.

Il serait en outre souhaitable de mener une réflexion sur une plus grande unité, pour un même préjudice, des régimes applicables, même si la tentation est à l'instauration de régimes particuliers sous l'impact médiatique et émotif de certains dommages.

S'agissant de la fixation des montants d'indemnisation, celle-ci ne peut se fonder sur la seule application d'un barème et doit, dans l'intérêt de la victime, tenir compte de sa situation individuelle. Mais le souci d'équité devrait conduire à rechercher une plus grande harmonisation du quantum d'indemnisation pour un même préjudice . En outre, l'insuffisante connaissance par chacun des différents acteurs des montants versés par les autres (Etats, assureurs, caisses de sécurité sociale) nourrit la polémique et nuit à l'harmonisation.

10- Socialisation des risques, responsabilité et prévention doivent se concilier. Une solidarité trop poussée peut en effet inciter à s'exposer aux risques alors que dans bien des cas ceux-ci ont des causes au moins partiellement liées à l'activité humaine et sur lesquelles il est possible d'influer, ainsi par exemple des risques d'inondation aggravés ou engendrés par certaines politiques d'urbanisme.

Il est possible d'inciter chacun à diminuer son exposition aux risques en pesant sur les conséquences financières de son comportement, soit par le biais des conditions d'assurance (franchises, montant des primes, bonus-malus...), soit par la modulation de l'indemnisation en fonction du comportement à risque. Encore faut-il que cette " contractualisation " ne soit pas excessive au point de dénaturer le principe même de l'assurance (on n'assurerait alors que les bons risques).

Il paraît en tout état de cause nécessaire de garder un lien entre la responsabilité de l'auteur du risque et l'intensité de ses efforts de prévention, par exemple pour ce qui concerne la pollution de l'environnement ou l'utilisation de matériaux dont la dangerosité est avérée. En outre, dans le traitement du contentieux, il est souhaitable de maintenir la gradation de la faute : " Le juge a besoin de catégories mentales, de " standards ", qui lui permettent de guider son appréciation des circonstances pour tenir compte de ce simple fait que les différentes activités humaines s'exercent dans des conditions bien différentes et que les régimes de responsabilité qui en découlent sont nécessairement différenciés " (7).

Plus généralement, se pose la question de la prise en charge de dommages encourus par des personnes se plaçant délibérément dans une situation de risque par imprudence (tabagisme, alcoolisme par exemple). Faut-il les regarder comme des personnes qui agissent en toute liberté en étant parfaitement informées des risques qu'elles prennent, ou comme des victimes des producteurs ? La Cour de cassation, par un arrêt du 20 novembre 2003, a répondu par la négative sur ce dernier point à un requérant qui mettait en cause la responsabilité de la Seita. Les conséquences, en termes de transparence et d'information, de la mise en œuvre du principe de précaution, pourraient en outre se traduire par une plus grande prise en compte du comportement imprudent de la victime.

La question se pose également de savoir jusqu'où l'Etat peut, sans porter atteinte à la liberté individuelle, réglementer certaines activités afin d'en réduire les risques. Au demeurant, on ne peut attendre des pouvoirs publics la réglementation de toutes les conditions d'exercice de l'ensemble des activités afin d'en prévenir tous les risques. Ceci relèverait d'une mission impossible.

La prévention suppose une analyse plus systématique des risques, associant les divers acteurs, pouvoirs publics, professionnels, assureurs et associations intéressés. Il n'est pas rare que les juridictions apparaissent comme des organes d'évaluation a posteriori des politiques publiques menées. Il serait préférable de s'attacher davantage à l'évaluation de ces politiques en amont des décisions mais aussi d'apporter un regard critique sur la pertinence des choix opérés au regard des conséquences constatées dans leur mise en œuvre.

Enfin, autre aspect important de la prévention, l'information s'impose de plus en plus aux pouvoirs publics. Elle est étroitement liée aux obligations qui leur incombent en matière de prévention et de précaution.

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En renforçant la sécurité, notre société prévient, limite ou fait disparaître nombre de risques. Paradoxalement, dans le même temps, elle donne naissance à d'autres et suscite une forte demande de prévention et de couverture.

Face à cette évolution, les mécanismes classiques de l'assurance, dont la place essentielle ne saurait être contestée, ne permettent pas toujours de répondre aux besoins. La socialisation du risque, qui permet une solidarité élargie au-delà du cercle des co-assurés, apparaît dès lors nécessaire dans certains cas tels que les risques majeurs ou imprévisibles. Mais elle ne peut non plus être regardée comme une solution miracle pour tous les maux dans une société où le risque zéro n'existe pas et où la liberté individuelle est essentielle.

Il existe une tension constante entre responsabilité et socialisation du risque. La nécessité de concilier responsabilité, socialisation et prévention exige la recherche d'un point d'équilibre et le dosage entre la responsabilité et la socialisation du risque relève avant tout d'un choix collectif.

(1) CE, Ass., 3 mars 2004, Ministre de l'emploi et de la solidarité c/consorts X.(2) Erwann Michel-Kerjan, " Terrorisme à grande échelle : partage des risques et politiques publiques ", Revue d'économie politique, sept.-oct. 2003, n°5. (3) CE, Ass. 4 juillet 2003, Mme M.-C., rec. p. 323. (4) CE, Ass., 10 avril 1992, Epoux V., rec. p.171. (5) CE, Ass., 9 avril 1993, Bianchi, rec. p. 127 ; Sect., 3 nov. 1997, Hôpital Joseph-Imbert d'Arles, rec. p. 412. (6) CE, Ass., 9 avril 1993, M.D., rec. p.110. (7) Conclusions A. Seban sur CE, Ass., 30 nov. 2001, Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie c/époux Kechichian et autres, rec. p. 587.